Suppression du service macroéconomie à La Tribune : le pluralisme assassiné

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Images de presse ©Roland Godefroy

Les médias qui diffusent une vision qui tranche avec le consensus néolibéral, on le sait, sont plutôt rares. La Tribune en est un. Tout du moins il le demeurera jusqu’à la suppression de son service macroéconomie pour lequel cinq journalistes écrivaient régulièrement (Romaric Godin, Matthias Thépot, Fabien Piliu, Ivan Best et Jean-Christophe Chanut). Cela a été annoncé il y a peu par la direction de La Tribune. Cette décision imposée par Franck Julien, PDG de la société Atalian et actionnaire dans La Tribune, s’inscrit dans un contexte plus général de plans sociaux dans les médias destinés à normaliser leur ligne économique pour en extraire ses éléments subversifs.

Le service macroéconomie est dans le collimateur de la direction de la Tribune depuis décembre 2015. Mais c’est l’entrée dans le Capital de La Tribune de Franck Julien, président du groupe industriel Atalian, qui a été décisive. Il détient désormais 37% de Hima Groupe, actionnaire principal de La Tribune. L’influence que lui donne cette position lui a permis de réclamer la suppression de son service macroéconomie le 31 janvier dernier. Les salariés de la Tribune ont largement rejeté cette décision et voté une motion de défiance à l’égard de la direction de La Tribune. Cette motion a été ignorée. Face à cette situation, les salariés de la Tribune se sont mis en grève le 23 février.

Une volonté politique « d’éviter les sujets qui fâchent »

La direction cherche à s’aligner sur le « consensus néolibéral », dénonce un journaliste de La Tribune sous couvert d’anonymat. La raison de cet alignement ? « Le nouvel actionnaire veut à tout prix éviter se fâcher avec les entreprises dont il vise les abonnements ». Cela fait plusieurs années, nous confie encore ce journaliste, que la direction cherche à lisser son image pour obtenir le soutien d’entreprises qui pourraient devenir actionnaires de la Tribune. Dans un communiqué, les salariés grévistes font part de leur inquiétude concernant l’avenir de la Tribune : « Nous ne voulons pas que la Tribune devienne une plateforme publicitaire des entreprises, pour les entreprises ».

Alignement sur le consensus néolibéral et souci de rentabilité

Le service macroéconomie de la Tribune défendait une ligne politique manifestement incompatible avec celle des actionnaires. Les articles de ce service macroéconomie n’hésitaient pas à s’appuyer sur des analyses hétérodoxes, comme sur des analyses d’économistes de banque, qui connaissent leur métier ; le néolibéralisme, ses coûts économiques et sociaux, l’austérité imposée par l’Union Européenne n’y étaient pas épargnés. La Tribune, notamment par les articles de Romaric Godin avait par exemple durement critiqué les plans d’austérités imposés par l’Union Européenne à la Grèce ; c’était alors le seul grand média avec l’Humanité et le Monde Diplomatique à développer un argumentaire réellement critique. Pour tous ceux qui ont suivi la crise grecque, les articles de Romaric Godin étaient infiniment précieux par leur sérieux et leur exhaustivité. Cette ligne politique critique n’est manifestement pas du goût des actionnaires de la Tribune, qui défendent une vision supposément « neutre » de l’économie, nous déclare encore un journaliste de ce média, c’est-à-dire alignée sur le « consensus néolibéral ».

La volonté d’épurer la Tribune de ses éléments récalcitrants n’explique pas tout. Un journaliste de la Tribune dénonce la prise en charge de la Tribune par « un industriel ayant des objectifs financiers » qu’il fera « passer avant toute autre considération ». Bref, l’homme veut aussi tailler dans la masse salariale.

Mise au pas des voix dissidentes dans les médias

Cette suppression du service macro-économie s’inscrit dans un contexte plus global d’alignement de la grande presse sur le consensus néolibéral dominant. Sous la double pression de la crise que traversent les médias et de la concentration accrue de l’actionnariat qui les financent (qui mène à un accroissement du pouvoir des actionnaires sur la ligne éditoriale), la presse « mainstream » a procédé ces dernières années à une épuration de ses éléments hétérodoxes. Ainsi Aude Lancelin, journaliste pour l’Obs, a-t-elle été licenciée pour avoir soutenu le mouvement Nuit Debout. Ainsi Hervé Kempf a-t-il été contraint de démissionner du Monde après que sa rédaction lui ait interdit de continuer à publier ses chroniques écologistes, trop radicales à ses yeux. La suppression du service macro-économie de la Tribune est un autre symptôme de ce processus qui traverse la grande presse : son uniformisation idéologique qui vise à faire correspondre sa ligne éditoriale à la vision du monde des actionnaires qui la financent.

Si cette décision devait aboutir, ce serait une grande perte intellectuelle et journalistique pour tous ceux qui s’étaient habitués à lire les articles de qualité de ces journalistes. La rédaction de LVSL apporte son soutien indéfectible à l’ensemble des journalistes qui se battent pour leur indépendance éditoriale.

Crédit photo : ©Roland Godefroy

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