Accord mondial ou action unilatérale ? Comment taxer les multinationales ?

Formulaire fiscal. © Kelly Sikkema

Certains voudraient faire de la taxation des multinationales quelque chose d’impossible, du moins sans un certain consensus international. Pourtant, de nombreux économistes nous disent le contraire. Si l’on veut, l’on peut taxer les multinationales, et ce au niveau uniquement français s’il le faut. Ce devient une urgence économique des plus pressantes à l’heure de l’explosion des bénéfices des entreprises multinationales, que l’on se doit d’appréhender pour ce qu’elles sont : des gangsters de la fiscalité.

Le « triomphe de l’injustice fiscale »

Faisons un point sur la situation fiscale des multinationales en France. Depuis 50 ans, une double logique a conduit à une baisse brutale du taux auquel elles sont effectivement imposées. Disons le plus clairement : les multinationales sont au dessus des lois. Cet hold-up fiscal devient extrêmement préoccupant à l’heure où le CAC 40 verse 100 milliards d’euros à ses actionnaires en 2023, via de juteux dividendes ou rachats d’action. Ce manque à gagner fiscal touche en premier lieu le contribuable. Mais il touche aussi, voire surtout, les TPE (Très Petites Entreprises), les PME (Petites et Moyennes Entreprises) et les ETI (Entreprises de taille intermédiaires) qui n’ont pas les mêmes possibilités d’optimisation fiscale. Elles subissent donc une concurrence injuste et déloyale de la part des multinationales.

La première logique, la plus scandaleuse, est tout simplement celle de la fraude fiscale. En 1975, la fraude fiscale des firmes multinationales était quasiment nulle. Aujourd’hui, on estime que c’est plus de 10 % des revenus de l’impôt sur les sociétés qui sont perdus à cause de la fraude fiscale. Cela représente dans le cas de la France un manque à gagner direct de presque 10 milliards d’euros. Ainsi, Apple a dans les faits payé pour ses bénéfices dans l’Union Européenne le taux ruineux de 0,005 % d’impôts en 2014, avec la bénédiction de l’Irlande. Apple n’est qu’un exemple parmi d’autres : « Aujourd’hui, 40% des profits des multinationales sont délocalisés chaque année vers des paradis fiscaux », selon l’économiste Gabriel Zucman, les entreprises américaines étant évidemment les championnes en la matière.

La deuxième logique est plus perverse. Cette fraude fiscale, intrinsèquement liée à la libéralisation financière de la mondialisation, se couple et se recoupe avec une logique de concurrence fiscale internationale particulièrement féroce. Au delà de la fraude pure et dure fondée sur une délocalisation des profits, certains pays (l’Irlande par exemple, qui joue sur tous les tableaux de l’enfumade fiscale) baissent leurs taux d’imposition sur les sociétés (avec un taux marginal d’imposition de 12,5 % -en théorie- pour l’Irlande, avant 2024) afin d’attirer de l’activité réelle. Tout aussi dévastatrice pour l’économie, voire plus car elle correspond à une délocalisation de l’activité économique et pas uniquement des bénéfices, cette concurrence fiscale internationale est toutefois légale et rendue très aisée par la mondialisation financière. C’est encore plus vrai au sein de l’Union Européenne où la libre-circulation des capitaux est défendue bec et ongles par la Cour de Justice de l’Union Européenne. Le prix d’une telle concurrence fiscale est difficile à quantifier, car il n’est pas aisé de construire un contrefactuel permettant d’estimer les mouvements des entreprises en fonction de l’intégration financière. Le bon sens laisse toutefois à penser qu’il est énorme.

Cette concurrence fiscale internationale légale est rendue très aisée par la mondialisation financière. C’est encore plus vrai au sein de l’Union Européenne où la libre-circulation des capitaux est défendue bec et ongles par la Cour de Justice de l’Union Européenne.

Ces deux tendances, qui coûtent déjà très cher, ont conduit la plupart des pays du monde à baisser leurs impôts sur les sociétés, dans une course au moins-disant. Ainsi, le taux marginal de l’impôt sur les sociétés en France, c’est-à-dire la tranche la plus haute, est passé de 50 % dans les années 70 à 25 % depuis le premier quinquennat Macron. Dans tous les pays développés, ce taux marginal a été peu ou prou divisé par 2 en quarante ans. La concurrence fiscale exerce une pression à la baisse sur la fiscalité des entreprises, ce qui constitue un énorme manque à gagner fiscal, nécessairement compensé par de plus forts impôts sur les particuliers. Cela pèse, et lourdement, sur le pouvoir d’achat des ménages. C’est du gâchis, tant les bénéfices pharaoniques des multinationales opérant en France ne demandent qu’à être taxés. De plus, l’impuissance à récolter les impôts remet en cause la notion même d’État-nation, tant la capacité à lever l’impôt est un principe autant caractéristique que fondateur de la souveraineté.

D’aucuns présentent cette émasculation fiscale comme étant inévitable, voire comme étant un mal pour un bien selon le principe religieux du « ruissellement ». La capacité des États à retrouver des capacités de taxation raisonnables est primordiale. En effet, si les multinationales ne paient rien ou presque rien, c’est forcément le contribuable moyen qui hérite de l’addition. Ce n’est évidemment ni juste ni soutenable, et ce d’autant plus que conjointement à cette baisse de l’impôt, les multinationales sont de plus en plus subventionnées, avec le cas extrême de Sanofi qui a touché plus d’un milliard de Crédit Impôt Recherche sur les 10 dernières années.

Il serait pour le moins démagogique d’avancer qu’il est facile de taxer les multinationales. Mais ce n’est pas facile non pas parce que les États sont réellement impuissants à le faire, mais parce qu’ils abandonnent leur puissance à le faire. Pire, dans le cas des États-Unis ou de la Chine par exemple, c’est parce qu’ils utilisent le pouvoir étatique pour favoriser la fraude fiscale de leurs grands groupes. Pour inverser la tendance, deux cas de figure sont à appréhender. Le premier est celui d’une hypothétique coopération internationale quasi-unanime, où tous les États ou presque voudraient de bonne foi plus taxer les multinationales. Le deuxième est unilatéral.

L’échec programmé de la perspective mondiale 

Certains libéraux tentent de faire croire, non sans un certain succès, que seul un alignement des planètes permettrait de taxer les multinationales comme on le souhaiterait. Il faudrait dans cette perspective que la quasi totalité des États se mettent d’accord sur cette nécessité, ce qui, évidemment, a peu de chances d’arriver, en témoigne l’accord sur la taxation des multinationales de l’OCDE datant de 2021

Annoncé en grande pompe à l’automne 2021, l’accord multilatéral porté par l’OCDE s’est révélé pour le moins décevant. Il faut dire en premier lieu que l’ambition était modeste. Plus précisément, si Biden avait initialement proposé un taux de 21 % des bénéfices, l’Europe et le Congrès Américain ont fait pression à la baisse (Bruno Le Maire, alors Ministre de l’Économie, proposant même un taux ruineux de 12,5%). Avec un taux finalement très faible (15%), proche de celui de l’Irlande (12,5%), cet accord avait comme principal objectif affiché l’harmonisation, en fixant un taux permettant d’éviter le dumping fiscal le plus outrancier, sans pour autant donner de véritable marge de manœuvre fiscale aux États qui le souhaiteraient. Mais même cet objectif au rabais ne sera jamais concrétisé. En effet, les États-Unis ont, une fois n’est pas coutume, signé un accord qu’ils n’ont pas ratifié (et qu’ils, selon toute vraisemblance, ne ratifieront probablement jamais). Ils ont donc demandé un délai ; l’accord était censé rentrer en vigueur en 2024, les autres États signataires ont accepté de décaler l’application de la plupart de ses dispositions à 2026. La facilité avec laquelle les États-Unis ont obtenu que l’application de l’accord soit décalée met sérieusement en doute la pensée que les États signataires ont vraiment l’intention et la volonté de l’appliquer réellement un jour.

Annoncé en grande pompe à l’automne 2021, l’accord multilatéral porté par l’OCDE s’est révélé pour le moins décevant.

Au delà même de sa non-application probable, l’accord était avant tout esthétique pour ne pas dire cosmétique tant, derrière l’annonce, les astérisques de l’accord prévoyaient, voire programmaient, son inefficacité, au point où des paradis fiscaux comme les îles Caïman l’ont signé. Ainsi, « l’exonération pour substance » (carve-out substance) prévoit que 10 % des activités de chaque multinationale ne soient pas pris en compte dans l’application de l’accord. Plus grave encore, l’accord ne prévoit rien contre les subventions aux entreprises. Autrement dit, les îles Caïman ne devraient plus, si l’accord venait à être appliqué, pouvoir taxer à taux 0 les multinationales américaines. Par contre, elles auraient totalement le droit de les taxer à 15 % puis de redonner les mêmes 15 % aux entreprises d’une manière ou d’une autre. Ce talon d’Achille de l’accord le vide de tout intérêt. En effet, mêmes si les subventions aux entreprises sont en principe interdites par les règles du commerce international, il y a longtemps que l’OMC ne joue plus aucun rôle pour intervenir. Plus coriace historiquement, l’Union Européenne a elle aussi clairement montré son intention d’être plus souple en la matière, après le Inflation Reduction Act agressif des États-Unis de 2022. Toujours est-il que ces deux aspects rendent l’accord inutile. Blague, fiasco, mascarade ? Les qualificatifs ne manquent pas pour caractériser cet accord qui a eu pour unique objectif et malheureusement pour unique effet de faire croire que les pays de l’OCDE voulaient sérieusement lutter contre la délocalisation fiscale, croyance vite déçue.

L’approche unilatérale de la taxation

L’approche multilatérale mondiale étant à exclure, il reste à appréhender le cas où quelques États (le Brésil, l’Espagne, la Grèce et même le Royaume-Uni peuvent être des alliés intéressants dans cette perspective) souhaiteraient plus taxer les multinationales. Le raisonnement est le même dans le cas où la France seule, ou un quelconque autre pays, déciderait de s’y mettre. Le principe d’une taxation des multinationales est finalement assez simple. Il suffit en fait de revenir à la manière dont elles sont en principe taxées et à comment elles évitent cette manière de payer.

L’impôt sur les sociétés porte sur le bénéfice des entreprises. Or, certaines multinationales ne déclarent aucun bénéfice en France mais la quasi-totalité en Irlande, au Luxembourg ou au Pays-Bas. Évidemment, ce n’est pas parce qu’Apple ou Google ne sont pas rentables en France et extrêmement rentables dans les pays à faible taxation, mais parce qu’ils délocalisent leurs bénéfices. Comment le font ils ? Ils utilisent une arme que seules les multinationales ont dans leur arsenal, celle des prix de transferts. Le principe est simple mais vicieux : lorsque la filiale irlandaise facture la filiale française, elle lui fait payer un prix exorbitant et totalement déconnecté du service effectivement rendu, de manière à équilibrer parfaitement les comptes de la filiale française, qui n’est donc pas redevable de l’impôt sur les bénéfices. La multinationale peut donc déclarer l’intégralité de ses bénéfices dans les pays à faible taxation, comme l’Irlande, le Luxembourg ou les Pays-Bas. C’est par ce biais-là que les entreprises transnationales esquivent l’impôt sur les sociétés d’une manière qui n’est pas accessible aux entreprises nationales, qui par définition n’ont pas de filiale dans les pays à faible taxation.

Il suffit donc, dans le cas des multinationales, de prendre un autre critère que le bénéfice pour les taxer, sous réserve que leur bénéfice mondial soit strictement positif. Il s’agit de prendre en compte le nombre d’employés, la quantité de capital ou le chiffre d’affaires (ou une pondération des trois) pour taxer ce qui n’aurait pas été taxé à l’étranger, en fonction de l’activité sur le territoire français. Explicitons le mécanisme par un exemple : imaginons qu’une entreprise américaine réalisant 10 % de son activité en France délocalise ses bénéfices dans un pays où l’impôt sur les sociétés n’est que de 5 % au lieu des 25 % français. La France pourrait lui demander de régler 2 % de ses bénéfices mondiaux en impôts, correspondant aux 10 % (part de la France dans l’activité de la multinationale) du différentiel de 20 points d’imposition que l’entreprise a évité en défiscalisant.

Cet audacieux principe, proposé entre autres par Gabriel Zucman (considéré comme le meilleur jeune économiste du monde), a l’énorme mérite d’éviter aux administrations fiscales de se questionner sur la légitimité des prix de transferts pour sanctionner les abus, qui sont extraordinairement complexes du fait des montages opérés par les avocats fiscalistes des multinationales, exploitant les moindres failles juridiques françaises ou européennes.

Ce nouveau moyen pour taxer les multinationales s’appuie sur le concept d’extraterritorialité du droit, qui consiste à sanctionner en France un délit commis à l’étranger. Ironie du sort, cet outil est un classique de la guerre économique des États-Unis.

Ce nouveau moyen pour taxer les multinationales s’appuie sur le concept d’extraterritorialité du droit, qui consiste à sanctionner en France un délit commis à l’étranger. Ironie du sort, cet outil qui servirait ici à s’attaquer aux abus des multinationales américaines est un classique de la guerre économique agressive des États-Unis. D’ailleurs, le principe est déjà présent dans l’accord de 2021 sur la taxation des multinationales, ce qui le rend, malgré ses énormes limites, novateur.

A quand un 4 août de la taxation des multinationales ?

Les libéraux aimeraient propager l’idée que s’il est en théorie possible de taxer plus les multinationales de manière unilatérale, la mise en pratique est plus délicate. Pourtant, avec la recette préalablement évoquée, le parlement britannique a passé en 2015 ce qui a vite été surnommé une « taxe Google » : un taux à 25 % sur les bénéfices délocalisés des multinationales opérant au Royaume-Uni, ce qui fait jouer tous les mécanismes préalablement décrits pour taxer effectivement les multinationales. La mise en place pratique de cet impôt s’intéressant non plus aux bénéfices mais au montant de l’activité des multinationales n’a toutefois pas vraiment eu lieu, même si elle a poussé Google, par exemple, à trouver un accord à l’amiable avec le fisc britannique quant à ses bénéfices délocalisés. Les conservateurs britanniques n’ont pas voulu pousser la logique jusqu’au bout et ont surtout réalisé cette taxe à des fins d’annonce, pour mettre la pression sur les multinationales et les pousser à négocier d’une part, pour faire croire à l’opinion publique qu’elle s’intéressait à la justice fiscale, en pleine période électorale, d’autre part. Il serait grand temps de s’inspirer de telles mesures, de les généraliser, et surtout de les appliquer ou du moins de les utiliser pour gagner le bras de fer avec les multinationales et récupérer le manque à gagner fiscal.

Évidemment, la mise en place pratique demande beaucoup de finesse diplomatique et de courage politique. La réponse rationnelle des États concernés serait d’augmenter leurs taux d’imposition puisque de fait leurs cadeaux fiscaux ne seraient plus efficaces, engageant une logique de mieux-disant fiscal plutôt que de concurrence acharnée. Il y a fort à parier, toutefois, qu’avec Trump aux manettes, la riposte américaine s’éloigne de cette rationalité et que les États-Unis menacent d’augmenter leurs barrières douanières pour compenser une nouvelle baisse des impôts des super-riches et des multinationales. Cela impacterait les exportations françaises, mais cela ne change en rien le fond du problème et puisque Trump menace déjà de guerre commerciale, la question de la taxation des multinationales peut servir d’outil puissant et convaincant lors des négociations avec la Maison Blanche. Or, la France a les outils pour taxer lesdites multinationales.

La logique peut-être poussée plus loin pour faire face aux moyens détournés de défiscaliser. Interdire l’accès au marché français peut être un levier intéressant, par exemple pour faire face aux subventions publiques, violations flagrantes des règles du commerce international et moyen caché de ne pas pas payer d’impôts. De manière générale, l’expulsion, voire l’expropriation, des multinationales ne respectant pas les règles est un tabou politique qu’il faudrait lever, car correspondant à une potentialité économique. Le cas des multinationales occidentales en Russie, qui ont dû quitter précipitamment le pays suite aux sanctions imposées après l’invasion de l’Ukraine, montre que des entreprises nationales peuvent très vite venir remplacer les groupes étrangers.

En définitive, si la question de la taxation des multinationales pose des défis politiques certains, il est fallacieux de considérer que c’est une impossibilité économique. L’intégration financière mondiale autour d’un hypothétique accord international est quant à elle un vœu pieux, étant donné qu’il y aura toujours suffisamment d’États prêts à jouer le rôle de paradis fiscaux. De la même manière que les États ont fait le choix de ne plus taxer ces entreprises, ils ont de la marge de manœuvre pour les assujettir à l’impôt de nouveau s’ils le souhaitent. À quand un 4 août relatif à la fiscalité des multinationales ?

Taxer les GAFA ne sera pas suffisant

https://www.flickr.com/photos/seattlecitycouncil/39074799225/
Jeff Bezos, patron d’Amazon © Seattle City Council

Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, lance des promesses intenables sur une future taxation française des GAFA, alors qu’on apprend qu’en 2017, Google aurait déplacé aux Bermudes près de 20 milliards de bénéfices réalisés en Europe et aux États-Unis. Avec Google, Amazon, Facebook et Apple, ces champions d’internet, de la Bourse et de l’optimisation fiscale, on commencerait presque à se lasser de ce genre de scandales. Pourtant, leur récurrence ne peut que nous amener au constat simple de l’incapacité de nos États à intégrer ces géants dans une juste redistribution des richesses. La question doit alors évoluer vers celle de leur contrôle.


« Dans le futur, nos relations bilatérales avec Google seront aussi importantes que celles que nous avons avec la Grèce. » Ces paroles ont été prononcées début 2017 par Anders Samuelsen, ministre des affaires étrangères du Danemark. Elles font suite à l’annonce de la création d’un poste d’ambassadeur numérique auprès des multinationales de la Silicon Valley dans le pays. Et le ministre danois poursuit, « Ces firmes sont devenues un nouveau type de nation et nous avons besoin de nous confronter à cela. »

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Informal_meeting_of_ministers_for_foreign_affairs_(Gymnich)._Arrivals_Anders_Samuelsen_(36685969800)_(cropped).jpg
Anders Samuelsen, Ministry of Foreign Affairs, Denmark © Raul Mee

Ce qui saute aux yeux, c’est d’abord la puissance financière de ces nouvelles « nations », ainsi que la fulgurance de leur ascension. En 2008, notre CAC 40 national était valorisé en bourse à 1600 milliards de dollars ; il pèse, dix ans plus tard, 1880 milliards. Dans le même temps, la valorisation des GAFA est passée de 300 milliards de dollars à près de 3500 milliards. Les deux « A » de cet acronyme (Apple et Amazon) ont tous les deux dépassé la barre symbolique des 1000 milliards. Au-delà de ces chiffres vertigineux, il est nécessaire d’identifier les particularités de ces géants pour sortir de la stupéfaction première, voire de l’émerveillement qu’ils suscitent, pour comprendre les conséquences politiques des changements sociétaux engagés par les GAFA. Car leur croissance économique exponentielle ne saurait cacher l’idéologie qu’ils sous-tendent. Si la face visible de l’iceberg, celle de la réussite financière et du progrès par la technologie, est en effet la plus encensée, nombreuses sont les voix qui alarment sur la face cachée : celle d’un nouveau rapport au travail, à l’information et aux marchés, mais surtout, celle d’un nouveau rapport entre nos représentations démocratiques et ces multinationales.

La question de la taxation de ces acteurs est évidemment essentielle, mais elle ne doit pas éluder celle de leur contrôle. Nous le savons, ces entreprises américaines n’ont que peu d’estime à l’égard des systèmes fiscaux des pays dans lesquels elles travaillent. Google et Apple sont domiciliés en Irlande, Facebook n’a payé que 1,6 millions d’euros d’impôts en France en 2016, Amazon s’arrange avec le Luxembourg, et toutes sont engagées dans un semblant de bras de fer fiscal avec l’UE, sur fond de désaccord franco-allemand. La centralité de cette problématique n’est pas à remettre en cause puisqu’elle montre avant tout l’opportunisme de ces géants, bien contents de profiter d’un marché européen de plus de 500 millions de consommateurs éduqués et en bonne santé, de profiter des infrastructures maritimes et routières, toutes ces choses qu’ils semblent considérer comme gratuites, ou du moins, dont ils ne souhaitent pas aider à l’entretien, à travers l’impôt.

« Imaginez que vous ne puissiez plus voir les vidéos que vous aimez»

Le constat de l’inefficacité des mesures fiscales engagées doit nous permettre de dépasser cette problématique première pour nous concentrer sur celle de la relation qu’entretiennent les GAFA avec nos représentations démocratiques. Ces géants redoublent d’imagination lorsqu’il s’agit d’orienter ces dernières dans le sens de leurs intérêts. « Imaginez que vous ne puissiez plus voir les vidéos que vous aimez» C’est de cette manière que commence la page sobrement intitulé #SaveYourInternet, que Youtube a dédiée à la lutte contre l’Article 13 de la directive sur les droits d’auteur votée par le Parlement européen. Google mobilise directement sa communauté contre cette loi européenne, qu’il considère contraire à ses intérêts. D’une autre manière, le schéma est le même lorsque les GAFA mettent en concurrence les territoires pour faire monter les enchères en termes de cadeaux fiscaux accordés lors de leurs implantations. Ils se jouent de nos juridictions dont ils exploitent les moindres failles, grâce à des armées d’avocats d’affaires sur-rémunérés, contre des systèmes juridiques et fiscaux obsolètes.

Comment donc ne pas faire le constat de l’inefficacité de la quasi-totalité des forces mobilisées pour recadrer ces puissances grandissantes ? Les sermons du congrès américain lors de l’audition de Mark Zuckerberg sont loin d’avoir ébranlé la puissance de Facebook. Tout juste ont-ils ralenti la croissance de son action en bourse.

L’HYDRE DES GAFA

Le constat premier est celui d’une stratégie monopolistique et dominatrice. La stratégie des GAFA est bien souvent complexe sur certains aspects spécifiques, mais semble globalement simple : capturer le marché, et s’étendre.

https://www.flickr.com/photos/art_inthecity/21234198928
Mèches noires (Grand vent) 2015 © Laurent Gagnon

Amazon, connu pour sa plate-forme de vente en ligne, fait bien plus de bénéfices grâce à AWS, son service d’hébergement de données. Il investit massivement dans la production de contenus audiovisuels, dans la grande distribution alimentaire, dans les assurances santé américaines. Facebook est en première ligne de l’innovation sur l’intelligence artificielle, la reconnaissance faciale et la publicité. Google domine le marché des OS smartphone avec Android, développe la voiture autonome, investit massivement dans le cloud…

La diversification, permise par une accumulation de capitaux sans précédent, construit leur puissance économique et leur mainmise sur un vaste ensemble de marchés. Parallèlement, cette diversification permet la consolidation de leur position dominante sur leur marché d’origine respectif. Google favorise ses propres innovations en les mettant en avant sur son moteur de recherche, utilisé par 90% des internautes. Amazon n’hésite pas à utiliser massivement la vente à perte par ses capacités techniques et financières pour réduire la concurrence, comme il l’a fait en 2009 avec Zappos. Ce très rentable marchand de chaussures en ligne avait doublé ses ventes entre 2004 et 2007 et refusait une offre de rachat d’Amazon. Quelques mois plus tard, Amazon lança un site concurrent (Endless.com), qui vend des chaussures à perte et livre gratuitement sous 24 heures. Zappos dû s’aligner sur son nouveau concurrent pour ne pas perdre ses parts de marché et a commencé à livrer aussi rapidement. Mais il perdait alors de l’argent sur chaque paire vendue. Amazon perdit plus de 150 millions de dollars dans cette affaire mais finit par gagner en 2009. Le conseil d’administration de Zappos accepte de vendre.

La réussite des GAFA, et sa consécration par les marchés financiers, permet le développement de mastodontes, qui s’infiltrent progressivement dans tous les secteurs de l’économie. Toutes ces tentacules numériques deviennent très concrètes lorsque, par exemple, Facebook s’associe avec Microsoft pour investir massivement dans les câbles sous-marins qui transportent des données à travers l’Océan. Loin d’être cantonnés au monde immatériel de l’internet, les GAFA s’arment pour s’implanter et se développer partout. Avec un objectif évident de rentabilité, mais aussi avec cette vision claire d’expansion et cette représentation d’eux-mêmes comme marqueurs de l’Histoire.

L’IDÉOLOGIE LIBERTARIENNE

« Nous sommes si inventifs que, quelque soit la réglementation promulguée, cela ne nous empêchera pas de servir nos clients », affirme Jeff Bezos, PDG fondateur d’Amazon. C’est avec M. Bezos que « l’idéologie GAFA » est la plus claire. Rien, même pas une quelconque législation démocratiquement imposée, ne pourra faire plier son entreprise. L’homme le plus riche du monde se revendique volontiers adepte de certaines idées libertariennes. Le développement de la liberté comme principe fondamental, le refus de toute forme de violence légale ou d’expropriation, le respect le plus total des volontés individuelles. Toutes ces idées qui impliquent le recul, l’adaptation, voire la disparition pour certains, du principale obstructeur de liberté : l’État.

“Les GAFA sont de petits voyous devenus grands. Dès qu’ils en ont l’occasion, ils s’affranchissent de l’impôt, contournent les règles et écrasent leurs concurrents dans le mépris le plus total des règles commerciales.”

Si la promulgation de cette idéologie est moins nettement affichée chez les autres GAFA, le dénominateur commun de ces entités reste celui du bras de fer constant avec les autorités publiques. Les GAFA sont de petits voyous devenus grands. Dès qu’ils en ont l’occasion, ils s’affranchissent de l’impôt, contournent les règles et écrasent leurs concurrents dans le mépris le plus total des règles commerciales. Leur existence même dépend de leurs capacités à optimiser. Les barrières imposées par telle ou telle juridiction ne sont que des obstacles temporaires sur le chemin de leur hégémonie. Tel est le danger et la nouveauté de cette situation. Au moment de la libéralisation du secteur financier, les banques privées ont imposé progressivement leur influence sur le fonctionnement des marchés financiers. Notamment sur la fixation des taux, au détriment des Banques Centrales qui ont, par la même occasion, perdu progressivement leur rôle de régulateur. De la même manière, les GAFA, qui ont profité de l’absence de régulations dans le monde en ligne originel, savourent le recul du rôle régulateur des seules entités capables de les contrôler : les États. Ils souhaitent s’imposer sur leur marché d’origine, e-commerce, réseau social, moteur de recherche ou informatique, pour y dicter leurs règles. Mais en développant leurs tentacules dans tous les secteurs de l’économie, ils augmentent du même coup leur capacité à dicter les règles du jeu bien plus largement.

Amazon n’a pas pour but de devenir un acteur du marché du e-commerce, il souhaite incarner ce marché. Au vu de la concurrence, notamment en provenance de la Chine, il n’est pas évident que cette stratégie fonctionne, pourtant tous les mécanismes sont étudiés en ce sens par la marque au sourire. Fidéliser le consommateur et l’enfermer dans un écosystème commercial à travers ses dispositifs phares comme Alexa, son assistante vocale présente dans de plus en plus de dispositifs (enceintes, voitures ou box internet ; il n’a jamais été aussi facile de consommer sur internet). Ou Prime, son cercle de clients les plus fidèles… et les plus coûteux puisqu’une étude a démontré que le coût réel d’un abonnement Prime (au vu de tous les services proposés) serait de près de 800 dollars.

http://www.syndicat-librairie.fr/images/documents/ilsr_amazonreport_def_fr_bd.pdf
Amazon, cette inexorable machine de guerre qui étrangle la concurrence, dégrade le travail et menace nos centres-villes © ILSR

Mais qu’importe, perdre de l’argent n’est pas un problème pour Amazon dont l’objectif n’est pas la rentabilité de court terme. Devenir le marché, voilà l’objectif. Pour cela il faut d’abord éliminer tous les concurrents, en passant donc par un enfermement des consommateurs et une pressurisation des prix. Et tant pis si les intérimaires se tuent à la tâche dans les entrepôts du monde entier. En imaginant Amazon réussir à s’imposer réellement sur le marché du e-commerce, certains voient déjà son influence comme celui d’une nouvelle forme de régulateur de ce marché. Les commentaires et avis seraient une forme de contrôle qualité ; pourquoi s’encombrer de règles sanitaires européennes ? Les comptes vendeurs sur la Marketplace seraient une forme de registraire commerciale ; pourquoi s’encombrer de l’INSEE ou de numéro SIRET ? Les commissions du groupe seraient finalement une nouvelle sorte d’impôts sur la consommation, lorsque les services de stockage de données qu’elle facture aux entreprises seraient un impôt sur les sociétés. Pourquoi continuer de faire confiance à un État si Amazon, cette belle entreprise philanthrope qui construit des forêts artificielles et veut explorer l’espace, peut nous en libérer ? Un système d’assurance-santé est même en cours d’expérimentation aux États-Unis. Sur sa Marketplace régneront bien les règles concurrentielles du libéralisme, mais pas pour Amazon qui, à l’image d’un État, se verrait volontiers chapeauter la situation, depuis sa position d’intermédiaire global.

“les comportements de l’ensemble des GAFA nous rapprochent chaque jour un peu plus d’un monde où les citoyens n’auraient plus la légitimité de réguler la manière dont leur économie fonctionne.”

Évidemment cette perspective est pour le moment loin de la réalité, mais il est important de noter que M. Bezos aurait bien du mal à désapprouver cette vision d’avenir. Et que les comportements de l’ensemble des GAFA nous rapprochent chaque jour un peu plus d’un monde où les citoyens n’auraient plus la légitimité de réguler la manière dont leur économie fonctionne. À l’inverse, ce serait ces nouvelles entités supra-étatique qui détermineraient, directement ou non, nos manières de consommer. Le plus terrifiant réside dans le fait que ce basculement est de plus en plus imaginable à mesure de la montée d’une forme de défiance envers les États, que leur rôle historique de régulateurs est attaqué par l’idéologie libérale et que l’image altruiste des GAFA se développe.

FACE À UNE ASYMÉTRIE DES POUVOIRS

L’idée n’est pas celle d’une grande conspiration mondiale des GAFA, qui auraient prévu depuis des années de contrôler le monde, mais bien celle d’un basculement progressif des pouvoirs. Ce n’est pas non plus celle d’une disparition des États, mais plutôt celle d’un renversement hiérarchique partiel entre multinationales, devenues par endroit capables de dicter leurs lois à des représentations démocratiques souveraines, et autorités publiques en recherche aveugle de croissance et d’emplois.

Lorsque M. Macron reçoit Mark Zuckerberg, les deux hommes parlent à l’unisson d’un “nouveau schéma de régulation” pour le plus grand réseau social du monde. Tout cela semble en bonne voie puisque de l’avis de Nick Clegg, vice-président des affaires globales de Facebook, c’est de régulation dont son entreprise a besoin ! « Nous croyons qu’avec l’importance croissante prise par Internet dans la vie des gens, il y aura besoin d’une régulation. La meilleure façon de s’assurer qu’une régulation soit intelligente et efficace pour les gens est d’amener les gouvernements, les régulateurs et les entreprises à travailler ensemble, en apprenant les uns des autres et en explorant de nouvelles idées. Nous sommes reconnaissants envers le gouvernement français pour son leadership dans cette approche de corégulation. » Outre l’idée saugrenue que l’on puisse construire une régulation efficace main dans la main avec le régulé, ne nous méprenons pas : la régulation évoquée ici est celle des utilisateurs et non celle de la plateforme. Les accords passés entre la France et Facebook portent sur la création d’une entité commune de modération des « contenus haineux ». En arguant qu’il est « complexe » de réguler les contenus partagés par plus de 2 milliards de personnes, Facebook, en plus d’éviter l’impôt national, « sous-traitera » donc en partie cette régulation à un groupe qui sera payé directement par les deniers publics. Cette question reste complexe et pose d’autres problèmes, notamment celui de la manière dont Facebook modère ses contenus. Il n’en reste pas moins qu’ici, le groupe américain, sous couvert de co-construction responsable, parvient à imposer la gestion des dommages collatéraux de sa plateforme à la collectivité.

Les GAFA jouent du pouvoir que leur confère leur gigantisme, parfois de manière moins subtile. Lorsqu’en 2014 l’Espagne tente d’imposer à Google une rétribution pour les auteurs d’articles de presse que son service « News » reproduit et diffuse, le géant décide tout simplement de suspendre Google News dans le pays. Fort de la centralité de sa plateforme et de l’obligation d’être référencé sur Google pour exister sur internet, il menace aujourd’hui de faire de même à l’échelle européenne. Dans le combat (déjà évoqué précédemment) que mène l’entreprise américaine contre la loi européenne sur les droits d’auteur, l’argument du retrait pur et simple est de vigueur pour faire plier l’UE. Si le lobbying n’est évidemment pas chose nouvelle, cette confrontation directe et assumée avec les représentations démocratiques nous renseigne sur la manière dont les GAFA voient leur place dans la société. Ce ne sont plus de simples entreprises, mais bien de « nouvelles formes de nations » comme le disait Samuelsen. Des nations d’actionnaires avec pour seul but l’expansion et la rentabilité.

Que penser alors du manque de contrôle, voire de la soumission, de nos démocraties face à ces entités ? Le dernier exemple sera à nouveau celui d’Amazon. L’affaire “HQ2” démontre avec brio l’absurdité de la situation dans laquelle nous conduit l’absence de régulation des GAFA. Fin 2017, le géant du commerce en ligne annonce sa volonté d’ouvrir un second siège social nord-américain, un « Headquarter 2 », sans préciser la localisation de ce projet. À travers une forme « d’appel d’offres », l’entreprise propose très officiellement aux villes et territoires de « candidater » pour l’obtention de cet investissement faramineux de plus de 5 milliards de dollars. Subventions et aides publiques sont expressément demandées dans ce court document. Amazon profitera de la mise en concurrence territoriale engendrée pour faire monter les enchères, jusqu’à des propositions incroyables comme celle de Stonecrest, petite ville américaine proche d’Atlanta, qui souhaitait donner un vaste terrain à l’entreprise, et créer une nouvelle ville nommée « Amazon City » dont Jeff Bezos serait Maire à vie. D’autres propositions plus sérieuses des 200 villes candidates sont tout aussi inquiétantes, du remodelage urbain autour d’Amazon à la promesse d’un crédit d’impôt de plus de 8 milliards de dollars par le Maryland.

https://www.flickr.com/photos/scobleizer/2265816229/in/photostream/
Amazon’s front door © Robert Scoble

Le fin mot de l’histoire surprendra les commentateurs. Amazon a choisi de diviser son investissement et de créer non pas un, mais deux nouveaux sièges sociaux. L’un à Long Island à New York et l’autre à Arlington en Virginie, pour un total de 5,5 milliards de dollars cumulés en subventions et avantages fiscaux. Si la recherche d’incitations financières n’est pas nouvelle, particulièrement aux États-Unis, elle est particulièrement indécente lorsqu’elle est ainsi massivement utilisée par une entreprise redoublant par ailleurs d’imagination pour éviter l’impôt.

“Les contribuables américains financent directement la construction de bureaux flambants neufs dans lesquels des centaines d’experts marketing redoubleront d’imagination pour cloisonner les consommateurs dans l’offre Amazon.”

Mais plus que cela, cette affaire démontre à nouveau la forme de retournement des pouvoirs dont profitent les GAFA. Les pouvoirs publics, avides de croissance et d’emplois se soumettent aux exigences de ces nouveaux géants qui, soutenus par les marchés financiers, sont source d’un dynamisme économique certain. Mais que cache ce dynamisme ? Souhaitons nous réellement participer à la construction de ces géants tentaculaires qui semblent chaque jour plus aptes à imposer leurs idéaux à nos sociétés ? Doit-on aveuglément favoriser la croissance sans questionner ses conséquences politiques ? Avec ces nouveaux Headquarters, les contribuables américains financent directement la construction de bureaux flambants neufs dans lesquels des centaines d’experts marketing redoubleront d’imagination pour cloisonner les consommateurs dans l’offre Amazon ; et des centaines d’experts juridiques feront de même pour positionner l’entreprise là où elle participera le moins à la compensation financière des désastres écologiques dont elle est la cause.

LA CONSTRUCTION D’UNE SITUATION PARTICULIÈRE

Monsanto et McDonald’s influent eux aussi très largement sur nos sociétés, l’un pousse vers l’utilisation intensive de pesticides qui détruisent notre biodiversité, l’autre pousse vers la malbouffe qui détruit nos estomacs. Mais la différence des GAFA se résume en trois points.

D’abord la rapidité de leur expansion qui, loin d’être le fruit du hasard, a été construite par les choix politiques de la libéralisation d’internet. Cette rapidité empêche largement les instances régulatrices de développer les actions nécessaires. La rapidité du développement de Facebook en Birmanie, ou du moins son manque de régulation, a rendu impossible le contrôle des publications haineuses à l’encontre des Rohingya, population opprimée du pays. Jusqu’à ce que l’ONU accuse officiellement le réseau social d’avoir accentué cette crise.

“Les GAFA prennent la place des États qui reculent.”

Ensuite la centralité tentaculaire de ces nouveaux acteurs, qui développent les moyens financiers et techniques de s’imposer sur un ensemble inédit de marchés. Enfin l’orientation idéologique de leur expansion. Les GAFA sont le fruit d’un capitalisme libéralisé et résilient. Ils s’adaptent, se ré-adaptent, contournent et ne se soumettent aux règles qu’en cas d’extrême obligation. Ils se passeraient avec plaisir d’un État outrepassant ses fonctions régaliennes, imposent leurs propres règles à leurs concurrents, aux consommateurs et aux marchés. Et, en profitant d’une période d’idéologie libérale qui prône partout le libre marché, commencent par endroits à prendre la place des États qui reculent.

N’est-il pas temps de réfléchir collectivement à de véritables règles ou instances réglementaires, capables d’encadrer le comportement de ces acteurs, pour ne pas s’enfoncer aveuglément dans l’idéologie libertarienne qu’ils nous proposent ? Car c’est bien de cela dont nous devons nous rendre compte, les GAFA changent le monde socio-économique en y apposant leur vision. Une vision qui, loin d’être démocratiquement construite, s’élabore dans le petit monde fermé de la Silicon Valley. Taxer quelques pourcents de leurs chiffres d’affaires sera alors loin, très loin, d’être suffisant.