L’Asie centrale, l’autre arrière-cour de l’expansionnisme russe

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Sooronbay Jeenbekov, président du Kirghizstan de 2017 à 2020, Sergueï Choïguou, ministre russe de la Défense, et Vladimir Poutine lors d’une visite du centre d’entraînement de Donguz au Kirghizstan en 2019 © Anna Zakharova.

Les ambitions hégémoniques du chef d’État russe en Europe de l’Est ont fait l’objet d’une couverture médiatique fournie. Il est une autre zone du monde qui mériterait davantage d’intérêt de la part des analystes, pièce incontournable de la stratégie du Kremlin : l’Asie centrale. Cette région, historiquement partie intégrante de l’Union soviétique, a conservé des liens étroits avec la Russie. Moscou cherche à l’intégrer dans une série d’accords de coopération économiques et militaires, pensés comme les pendants centrasiatiques de l’OTAN et de l’Union européenne.

Kirghizstan, Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan : ensemble, ces cinq pays forment la délimitation la plus communément acceptée de l’Asie centrale. Cette région, située entre l’Iran, la Chine et la Russie est loin de faire l’actualité récurrente des médias occidentaux, pour lesquels cette région du monde enclavée n’a que peu d’intérêt. Cependant, à la croisée des mondes perse, russe, chinois ainsi que turc, l’Asie centrale constitue une région stratégique pour les grandes puissances l’entourant. Plus que tout, l’Asie centrale est au cœur du projet poutinien de puissance, au point d’être considérée comme l’arrière-cour du Kremlin. À l’heure de la débâcle américaine en Afghanistan – à la frontière avec le Tadjikistan, le Turkménistan, et l’Ouzbékistan – et de la croissance inexorable de la Chine, il convient de porter un regard sur la position de la Fédération de Russie et de son inoxydable président sur l’Asie centrale.

L’eurasisme, un concept politique remis au goût du jour

Pour comprendre la place que prennent les cinq républiques d’Asie centrale dans la politique étrangère du Kremlin, il faut d’abord revenir sur le concept d’eurasisme, notion centrale de la géopolitique poutinienne. Si l’Eurasie est en Occident un concept essentiellement géographique et quelque peu vague, il en est tout autrement de l’autre côté de la Volga. Bien plus que l’union continentale de l’Europe et de l’Asie, l’Eurasie constitue la représentation d’un espace éminemment politique et culturel. Développé dans les années 1920 par des penseurs russes en exil, l’eurasisme est tout d’abord un concept théorique à portée impérialiste, visant à regrouper les territoires du Caucase (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan), d’Europe orientale (Ukraine, Moldavie, Biélorussie) et d’Asie centrale, sans oublier bien sûr la Russie. Cet ensemble territorial, prétendument uni par d’importants liens culturels, correspond de fait plus ou moins à celui de l’empire russe ou de l’Union soviétique.

Au moment de la réémergence du débat national russe à la chute de l’URSS, le concept oublié réapparaît. Sous le nom de néo-eurasisme, celui-ci est brandi par des intellectuels patriotiques de la trempe d’Alexandre Douguine, qui en font un élément-clef de leur programme nationaliste et impérialiste. Cependant, cette réinterprétation de l’eurasisme n’a qu’un intérêt marginal pour le gouvernement de Boris Eltsine, dont les préoccupations géopolitiques sont autres. S’il ne revêt pas une importance directe pour la politique étrangère des années 1990, l’eurasisme est néanmoins vu comme un outil de conception culturelle. Yevgeny Primakov, ministre des Affaires étrangères de 1996 à 1998, « démysticise »[1] cette notion, la réduisant à un terme qui regroupe les populations chrétiennes et musulmanes d’Europe et d’Asie en opposition aux populations protestantes anglo-saxonnes de l’Occident. Le président Eltsine utilise aussi ce concept pour replacer la Russie dans le nouvel ordre mondial, imposer une vision multipolaire des relations avec les anciennes républiques soviétiques sans que la Russie ne devienne à nouveau le centre de commandement du bloc de l’Est. C’est avant tout l’aspect culturel qui est mis en avant : « sans la Russie, l’Europe n’est pas l’Europe, et l’Asie n’est pas l’Asie. Sans notre participation, le reste du monde ne peut gérer aucun problème global. Puisque la Russie est gigantesque, par sa position géographique, sa culture, son histoire, sa contribution à la civilisation mondiale, notre destin est d’être une grande puissance, d’unir les nations et les peuples. »[2]

De 1991 à 1999, l’eurasisme de l’État russe reste une idée politique et une position d’indépendance culturelle qui n’a pas vocation à devenir un projet institutionnalisé de coopération politique ou géopolitique. La Communauté des États indépendants (CEI), fondée en 1991 dès la chute du système soviétique, n’a pas véritablement cette ambition institutionnelle mais permet plutôt aux nouveaux États de conserver un espace de dialogue et de concertation. La proposition d’une Eurasie institutionnelle émerge cependant dès 1994 mais hors de Russie : Noursoultan Nazarbaïev, président du Kazakhstan de 1991 à 2019, propose une union eurasiatique – qui établirait entre autres une monnaie commune et un commandement militaire intégré – à ses homologues mais cette proposition est rapidement rejetée, jugée trop ambitieuse au vu de ses contraintes en terme de souveraineté nationale.

L’eurasisme de Poutine : ressusciter la superpuissance russe

L’arrivée de Vladimir Poutine à la tête de l’État russe en décembre 1999 augure un changement radical pour la politique étrangère russe. Après une décennie de difficultés économiques et de reconstruction politique après la dislocation de la bureaucratie soviétique, le nouvel occupant du Kremlin s’attelle rapidement à mettre à jour les ambitions géopolitiques russes. Pour ce faire, il s’agit de reconnecter la Russie à un prestige national mythifié et donc, de replacer la Russie en moteur d’un solide projet eurasiatique. Finie la conception culturelle et idéologique d’une Eurasie unifiée vis-à-vis de l’Occident, place à l’Eurasie institutionnelle, unie par des liens forts et juridiques.

Le projet eurasiatique de Vladimir Poutine – président sans interruption de 1999 à ce jour, l’intermède Medvedev (2008-2012) n’étant qu’une façade pour respecter le cadre constitutionnel de l’époque – s’articule en deux phases.

La première phase, que l’on peut estimer aller de son investiture en tant que 2e président de la Fédération de Russie aux évènements de 2014 en Crimée, correspond à une période de préparation et de consolidation de la puissance russe. L’événement phare de cette décennie et demie est bien entendu le lancement de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) en 2002. Héritière théorique et indirecte des forces armées soviétiques, l’OTSC est issue du traité de Tachkent signé en 1992 entre six États post-soviétiques – Russie, Arménie, Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Kirghizstan – afin de garantir la sécurité territoriale de cet espace nouvellement indépendant. À l’instar de la CEI qui relevait alors plus de la plateforme de dialogue que d’institution régionale, le traité de Tachkent ne crée pas une organisation militaire mais sert de base à une coopération plus étroite entre les États-membres dans ce domaine. En revanche, sa transformation en organisation dix ans plus tard modifie profondément son importance et témoigne du changement de leadership à Moscou.

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Vladimir Poutine lors d’une réunion par vidéoconférence de l’OTSC en 2020 © Fiodor Ivanov

Pilotée depuis Moscou, cette organisation militaire pluri-étatique s’efforce d’unir les pays de la zone eurasiatique derrière l’idée de la sécurité collective régionale que seule un hégémon comme la Russie, en coopération étroite avec ses voisins, peut assurer. Si la coopération militaire sous l’égide de l’OTSC est jugée satisfaisante par les autorités russes, il reste indéniable que cette institution n’est pas parvenue à unifier l’Eurasie dans le cadre d’une organisation intergouvernementale. L’Azerbaïdjan, la Géorgie, et l’Ouzbékistan[3], tous signataires du traité initial, quittent le groupe en 1999 alors que l’OTSC est seulement en cours de négociation. Quant à la Moldavie, l’Ukraine et le Turkménistan, ils n’en ont tout simplement jamais fait partie.

la priorité est donnée à « l’établissement d’une Union Économique Eurasiatique […] qui doit devenir un modèle d’association […] et servir de lien effectif entre l’Europe et la région Asie-Pacifique »

Lors du départ de Vladimir Poutine de la présidence en 2008, la première phase de la stratégie eurasiatique n’a obtenu que des résultats mitigés ; l’OTSC qui se voulait le pendant eurasiatique de l’OTAN n’en est que sa très pâle copie. Le retour de l’ancien lieutenant-colonel du KGB en 2012 annonce l’évolution prochaine de la stratégie eurasiatique. Dans le document officiel du Ministère des Affaires étrangères russe de 2013 intitulé « Concept de Politique Etrangère de la Fédération de Russie », la priorité est donnée à « l’établissement d’une union économique eurasiatique […] qui doit devenir un modèle d’association […] et servir de lien effectif entre l’Europe et la région Asie-Pacifique »[4]. La Russie poutinienne se prépare alors à changer la donne géopolitique en Eurasie.

L’annexion-restitution de la péninsule de Crimée en 2014, la guerre dans le Donbass, le refroidissement sans précédent des relations avec l’Union européenne et les États-Unis, l’année 2014 marque un véritable tournant à de nombreux égards en ce qui concerne la géopolitique russe. Mais cette année est aussi celle de la signature d’un traité ô combien important pour que le Kremlin puisse garder la main sur la région, celui d’Astana. Signé par la Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie le 29 mai, il institue l’Union économique eurasiatique (UEE). Cette nouvelle institution reflète le pragmatisme russe sur la question de l’intégration régionale puisque celle-ci s’inspire grandement du modèle de la CEE et a vocation à être le pendant économique et commercial de l’OTSC. Mais par-dessus tout, ce projet institutionnel est « l’aboutissement d’une politique de pression sur les pays voisins et de manipulation des “conflits gelés” »[5] qui s’inscrit dans un certain revanchisme propre à la politique poutinienne de puissance. En octobre 2014, l’Arménie quitte subitement le partenariat oriental de l’UE pour rejoindre l’UEE sous la pression de Moscou. En 2015, c’est au tour du Kirghizstan de rejoindre l’union économique. À ce jour, au grand dam des autorités russes, l’adhésion du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan[6] reste prospective.

ce projet institutionnel est « l’aboutissement d’une politique de pressions sur les pays voisins et de manipulation des “conflits gelés” »

La stratégie eurasiatique de Poutine est encore embryonnaire au regard des réticences de certains États de la région – notamment l’Ukraine, la Géorgie ou le Turkménistan – mais dans le cadre de la compétition d’intérêts entre la Russie et ses adversaires européens et américains, l’emprise du Kremlin en Asie centrale est indéniable, à tel point qu’elle est souvent perçue comme son arrière-cour à bien des égards.

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Réunion du Conseil Suprême de l’Union Économique Eurasiatique à Sotchi en 2017 © Alexeï Vladirovitch

L’Asie centrale, chasse gardée russe au cœur de l’Eurasie

Méconnues du grand public et très largement négligées par les politiques étrangères des États européens, les cinq républiques d’Asie centrale tiennent pourtant une place importante dans la stratégie eurasiatique russe expliquée précédemment. Indépendantes depuis 1991, construites sur des frontières instables et altérées par Staline dans les années 1930 à des fins politiques, les nations centrasiatiques essaient depuis maintenant trente ans de s’affirmer et de se démarquer sur la scène internationale… avec plus ou moins de succès.

Malgré la dislocation de l’URSS et l’avènement de politiques d’affirmation nationale, la population centrasiatique est restée relativement proche de la Russie. À l’exception de l’Ouzbékistan d’Islam Karimov – président de 1991 à 2016 – qui entretient une méfiance vis-à-vis de la prépondérance russe dans les affaires centrasiatiques, les gouvernements du Kazakhstan, du Kirghizstan et du Tadjikistan acceptent rapidement le poids économique et politique de Moscou, ainsi que sa qualité d’arbitre en matière de litige interétatique. Le Turkménistan reste cependant fidèle à la dure ligne isolationniste imposée par son premier président, l’autocrate Saparmourat Nyazov, que son successeur, le non moins autocratique et narcissique Gourbangouly Berdymoukhamedov n’a que très légèrement assoupli. À cela, il faut ajouter que la Chine est historiquement vue comme un voisin envahissant dont il faut avoir peur. De son côté, la stratégie étasunienne en Asie centrale s’est limitée au soutien financier pour privatiser l’économie post-soviétique et à utiliser la région comme plateforme pour lutter contre le terrorisme en Afghanistan. Revient alors à la Russie le rôle de grande sœur, puissance régionale majeure dans l’orientation politique et économique de l’espace centrasiatique.

Par ailleurs, aux yeux de Moscou, deux importantes menaces régionales sont à prendre avec sérieux en plus du projet eurasiste : l’islamisme radical et le trafic de drogues. En tant que premier consommateur mondial d’héroïne venue d’Afghanistan, la Russie considère l’Asie centrale comme un rempart naturel et nécessaire à ces flux illégaux.

En termes militaires, au-delà de la coopération passant l’OTSC, la Russie possède plusieurs bases militaires au Kirghizstan et au Tadjikistan, maintenant deux unités en permanence au Kirghizstan. Un support matériel conséquent a de plus été envoyé en 2005 et en 2010 pour stabiliser et consolider l’armée kirghize, ainsi qu’un million de dollars d’équipement militaire en 2013.

À travers l’établissement de l’UEE, clé de voûte de la stratégie eurasiatique du Kremlin, Poutine parachève la consolidation des liens économiques entre la Russie et les républiques d’Asie centrale. [Par exemple, en 2011, les échanges commerciaux sont évalués à 23.8 milliards de dollars avec le Kazakhstan et à 7 milliards de dollars avec l’Ouzbékistan.] En 2020, la Russie est le troisième client du Kazakhstan avec 10.4% des exportations du pays. Même rang du côté du Kirghizstan et de l’Ouzbékistan dont respectivement 12.3% et 15.6% des exportations vont vers Moscou. La situation n’est pas la même avec le Tadjikistan avec lequel la Russie ne pointe qu’à la sixième place. En ce qui concerne le Turkménistan, la Russie n’importe que 4.1% des biens et services turkmènes. Cela est notamment dû à l’ouverture du marché des hydrocarbures du pays vers la Chine depuis le décès de Nyazov en 2006 et le renouveau des intérêts chinois dans la région depuis l’avènement de Xi Jinping. Sans surprise, c’est la Chine qui est, avec 78% des exportations, le premier client du Turkménistan.

la Russie reste un partenaire plus que privilégié des économies centrasiatiques qui bénéficient désormais d’un assouplissement considérable des barrières douanières depuis l’introduction de l’UEE

Si la Russie n’est pas le premier récipiendaire des exportations centrasiatiques, cela ne démontre pas l’échec de sa stratégie centrasiatique, bien au contraire. La force de la Russie dans la région est notamment d’être le fournisseur le plus important de la région : 34.9% pour le Kazakhstan, 35.7% pour le Kirghizstan et 30.3% pour le Tadjikistan. L’Ouzbékistan se distingue de ses homologues en important 23.1% depuis la Chine et seulement 18.2% depuis la Russie. Et comme à son habitude, le Turkménistan, qui importe majoritairement des produits de fer et d’acier pour son économie tournant autour des hydrocarbures, voit 21.5% de ses importations venir de Russie (pendant que 26% viennent de Turquie et 14.7% de Chine).[7] Quoique pas systématiquement en première place, la Russie reste un partenaire plus que privilégié des économies centrasiatiques qui bénéficient désormais d’un assouplissement considérable des barrières douanières depuis l’introduction de l’UEE. Malgré la compétition de plus en plus rude avec la Chine, la Russie continue de faire de l’Asie centrale, notamment par le biais économique, son pré carré d’influence.

Les flux migratoires entre l’Asie centrale et la Russie ont eux aussi une importance dans la relation privilégiée entre les deux. 4 000 000 de migrants centrasiatiques se trouvaient en Russie en 2015 (2 2000 000 venaient d’Ouzbékistan, 1 000 000 du Tadjikistan, 600 000 du Kazakhstan et 540 000 du Kirghizstan) alors que la population russe connaît une baisse démographique importante (-12 700 000 entre 1992 et 2010). Cette population centrasiatique en Russie génère aussi d’importants flux de capitaux vers l’Asie centrale : en 2012, l’équivalent de cinq milliards de dollars ont été transférés hors de Russie.[8]

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Vladimir Poutine et Noursoultan Nazarbaïev à Astana, Kazakhstan en 2016 © Anna Zakharova

Malgré ces nombreux éléments qui attestent d’une politique peu ambiguë de la Russie envers les anciennes républiques soviétiques, les débats sur l’attitude du Kremlin envers les régimes centrasiatiques ne sont pas clos. Entre ambitions proprement impériales et relations interétatiques normales reflétant simplement un rapport de forces naturel inéluctable, les analyses divergent. Ce qui est sûr en revanche, c’est l’importance du tournant de 2014 pour la région. Les analystes s’accordent pour dire que la politique multi-vectorielle du Kazakhstan – qui avait forgé l’identité du Kazakhstan de Nazarbaïev – est largement mise en danger, et que le Tadjikistan et le Kirghizstan s’enfoncent dans une dépendance croissante. L’Ouzbékistan – nettement moins antirusse sous la férule de Mirziyoyev depuis 2016 – parvient malgré tout à maintenir un cap oscillant entre l’Occident et la Russie pendant que le Turkménistan reste l’inébranlable dictature quasi-autarcique.

Si l’ensemble des gouvernements centrasiatiques sont officiellement favorables à une résolution pacifique et conforme au droit international de la crise en Ukraine, leur position est bien inconfortable pour émettre ne serait-ce qu’une critique du régime russe sur la question.

les attentats terroristes du 11 septembre 2001 vont transformer la région en plateforme militaire aux yeux du gouvernement américain qui n’a d’yeux que pour l’Afghanistan voisin

Avant de conclure l’observation des intérêts de la Russie en Asie centrale, il est important de regarder la compétition de cette puissance avec ses pairs, i.e. la Chine et les États-Unis. Les États-Unis, parmi les premiers États occidentaux à avoir reconnu l’indépendance des cinq républiques, sont pourtant restés longtemps un acteur assez distant de la région. Il faut attendre la Silk Road Law de 1999, visant à soutenir économiquement l’indépendance politique et économique des cinq pays (et du Caucase), pour voir les intérêts américains se concrétiser. Mais les attentats terroristes du 11 septembre 2001 transforment la région en plateforme militaire aux yeux du gouvernement américain qui n’a d’yeux que pour l’Afghanistan voisin. La relation entre les deux va donc s’articuler autour de cet enjeu pendant plus de dix ans, l’hégémon militaire finançant alors l’utilisation des infrastructures militaires en Ouzbékistan, au Tadjikistan et au Kirghizstan. Malgré le soutien au programme de Coopération économique régionale d’Asie centrale (CAREC) qui a permis, par l’intermédiaire de la Banque asiatique de développement (ADB), de financer de nombreux projets d’infrastructure et d’attirer des investisseurs privés, le regard américain en Asie centrale reste continuellement fixé sur l’horizon afghan. Le désengagement des troupes américaines à partir de 2014, jusqu’à la débâcle d’août 2021 qui a vu les talibans reprendre le contrôle du pays, témoigne de l’intérêt relativement limité des États-Unis pour l’Asie centrale, de facto abandonnée à la lutte russo-chinoise.

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Xi Jinping et Vladimir Poutine lors d’une visite officielle chinoise au Kremlin en 2019 © Piotr Petrova

La Chine, elle, a longtemps été perçue par les populations centrasiatiques comme un voisin oriental aux ambitions parfois débordantes dont il faut alors se méfier. Cependant, depuis l’intronisation de Xi Jinping à la tête du régime communiste, la relation a fondamentalement changé. En effet, de 2001 à 2013, la stratégie chinoise en Asie centrale se comprend dans les objectifs de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), c’est-à-dire lutter contre les menaces séparatistes (comprendre la « menace » ouïghoure dans le Xinjiang) et le terrorisme. En parallèle des travaux de l’OCS, la Chine investit massivement dans les économies centrasiatiques, notamment dans la construction d’infrastructures énergétiques, tout en exportant massivement des produits chinois vers les marchés locaux. À l’aube de l’ascension de Xi Jinping, les échanges commerciaux entre la Chine et l’Asie centrale représentaient 25% du commerce international centrasiatique, pour seulement 3% au début du siècle.[9] À partir de 2013, lors du lancement du projet pharaonique des nouvelles routes de la soie par le président chinois, la Russie s’est vue menacée et concurrencée et a dû réagir comme nous l’avons vu. Puisque la Chine s’est lentement construite en Asie centrale l’image de la puissance économique prête à investir sans ingérence politique dans les affaires nationales, la Russie a dû rivaliser et jouer une partition plus fine dans la région pour ne pas perdre ses privilèges. Lors d’une visite officielle chinoise à Moscou en 2015, les deux présidents sont parvenus à négocier un accord pour instaurer un mécanisme de dialogue permanent pour l’intégration économique dans la région et discuter de l’imbrication du projet chinois avec l’Union économique eurasiatique. Si sa signature témoigne d’une véritable volonté de coopération russo-chinoise en Asie centrale pour éviter une concurrence déloyale et néfaste, cet accord n’a à ce jour eu aucun véritable impact à cause des divergences qui subsistent entre les deux puissances.

À l’aune de la situation actuelle en Afghanistan, le potentiel stratégique de la zone par les acteurs internationaux est de nouveau réévalué. Cependant, l’historique des relations des cinq pays avec la Russie en fait un partenaire extrêmement lointain et marginal pour les puissances occidentales. L’emprise russe sur la région, bien qu’en déclin relatif à cause de l’imposante politique chinoise, semble solide et difficilement contestable. Les régimes centrasiatiques continuent de se tourner vers Moscou lorsque la situation l’exige. La langue russe, encore très largement parlée partout en Asie centrale, permet notamment de maintenir un lien très fort entre les deux.

Notes :

[1] Cagnat, R. & Massaoulov, S. « De l’Ukraine à l’Asie centrale, l’enjeu eurasien », Revue Défense Nationale 779/4 (2015), p. 104

[2] Entin, M. & Entina, E. “Russia’s role in promoting Great Eurasia geopolitical project”, Rivista di Studi Politici Internazionali 83/3 (2016), p. 331

[3] L’Ouzbékistan finit par intégrer l’OTSC en 2006, avant d’en repartir en 2012 sur fond de désaccord avec la vision russe de l’organisation.

[4] Concept of the Foreign Policy of the Russian Federation (2013) – URL: https://www.mid.ru/en/foreign_policy/official_documents/-/asset_publisher/CptICkB6BZ29/content/id/122186#main-content

[5] Mongrenier, J-S. & Thom, F. Géopolitique de la Russie. (Presses Universitaires de France, 2018)

[6] L’Ouzbékistan devient membre observateur de l’UEE le 11 décembre 2020.

[7] Données économiques issues de la Direction Générale du Trésor – https://www.tresor.economie.gouv.fr/tresor-international

[8] Rakhimov, M. “Central Asia in the context of Western and Russian Interests”, L’Europe en Formation 375/1 (2015), pp. 143

[9] Alexeeva, O. & Lasserre, F. “L’Asie centrale au cœur des rivalités impériales russes et chinoises”, Diplomatie 90/1 (2018), p. 44.

Bouygues au Turkménistan : le constructeur du dictateur

© Kalpak Travel / Wikimédia
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Considérée comme l’une des pires dictatures de la planète, le Turkménistan est aussi un pays où le groupe Bouygues est solidement implanté, puisqu’il y réalise la moitié de son chiffre d’affaires mondial. Bouygues a connu une idylle avec l’ancien président Saparmurat Niyazov, dit « Turkmenbachi », le Chef des Turkmènes (1991-2006), passé à la postérité pour sa mégalomanie. Les relations se sont poursuivies avec l’actuel président Berdymouhamedov, et se sont même intensifiées depuis quelques mois. Retour sur les rapports de Bouygues avec ce pays.


Le contexte du Turkménistan : une économie de rente

Le Turkménistan est un pays issu de l’URSS, devenu indépendant en 1991. Peuplé de 5 à 6 millions d’habitants, il est composé majoritairement d’une population turkmène. Celle-ci représente jusqu’à 85% de la population en 2012, avec des minorités russes et ouzbèkes.

L’indépendance a permis au leader communiste de la république soviétique d’alors, Saparmurat Niyazov, de se maintenir au pouvoir contre une opposition en exil et de se proclamer Türkmenbachi, le Chef des Turkmènes. Il établit une dictature féroce au nom de l’ordre intérieur et d’une neutralité extérieure. Mort en décembre 2006, son dentiste et Premier Ministre Berdymouhamedov lui a succédé et règne depuis avec le même système dictatorial. Le classement mondial 2018 de la liberté de la presse place le Turkménistan 178e sur 180, ne devançant que l’Érythrée et la Corée du Nord. Les antennes paraboliques donnant accès à des chaînes étrangères sont arrachées au nom “de l’embellissement des villes”.

Un rapport d’Amnesty International datant de 2004 se montre sceptique quant à la possibilité d’une évolution positive de la situation des Droits de l’Homme. Le Turkménistan, note ce rapport, entretient de bonnes relations aussi bien avec les États-Unis qu’avec la Russie (ne convoitant pas les marchés des pays environnants), avec les investisseurs étrangers, qu’il accueille dans de bonnes conditions, tandis que la médiatisation du Turkménistan à l’étranger est quasiment nulle, un pays à la démographie aussi faible n’attirant pas l’attention des médias. Ces facteurs permettent au pouvoir turkmène de jouir d’une stabilité certaine. Quinze ans plus tard, ils n’ont pas fondamentalement changé.

Les ressources du Turkménistan consistent principalement dans ses hydrocarbures. En plus du pétrole abondant, on estime que les réserves de gaz du Turkménistan sont les quatrièmes au niveau mondial. L’économie du Turkménistan est une économie de rente qui permet de maintenir un PIB par habitant élevé (davantage que l’Iran, et cinq fois plus élevé que son voisin l’Ouzbékistan). Cette économie est structurellement dépendante du cours des matières premières. Jusqu’en novembre 2017, la population avait ainsi un accès gratuit à l’eau, au gaz et à l’électricité. Ce n’est plus le cas pour des raisons budgétaires, des coupes ayant été effectuées suite à la chute mondiale du cours du pétrole.

La transition : de l’URSS à l’indépendance

Parmi les républiques soviétiques d’Asie Centrale, le Turkménistan se distinguait par la persistance d’une logique tribaliste, certaines tribus continuant d’exercer une domination sur d’autres. Le drapeau turkmène, conçu lors de l’indépendance, fait figurer les motifs des cinq principales tribus : Teke, Yomut, Arsary, Yodur et Chomut. Teke est la plus prestigieuse de toutes, avec comme motif d’orgueil le cheval Akhal-Teke, particulièrement robuste et ayant frôlé la disparition au XXe siècle par les politiques soviétiques. Niyazov vient du sous-ensemble Akhal-Teke comme son successeur.

L’ère soviétique constitue une période de sédentarisation forcée, qui remet en cause le rôle des tribus dans leur capacité à forger les identités et impose de nouvelles élites soviétique. En 1991, quand l’URSS éclate, Niyazov est le chef du Parti communiste local depuis six ans. Hostile à la libéralisation politique promue par Gorbatchev, il conserve l’ensemble des pouvoirs, devient Président, puis chef du gouvernement et chef des Armées suite à l’éclatement de l’URSS.

Cette transition prend la forme d’un isolement économique et politique renforcé. Niyazov mise sur son maintien au pouvoir par une rhétorique nationaliste, glorifiant le passé turkmène et sa personne en marginalisant les minorités russes et ouzbèkes, les poussant à l’assimilation ou à l’exil. Il assure sa mainmise sur les infrastructures pétrolières et gazières, dont le pays tire une bonne partie de ses revenus, pour les vendre de temps à autres à la Chine, la Russie ou l’Iran.

Depuis, les structures autoritaires au fondement du pouvoir turkmène ont peu évolué. L’opposition est ou bien contrainte à l’exil, ou bien morcelé et impuissante. Les manifestations régulières (1995, 2002, 2006, 2008) sont violemment réprimées.

Le Turkménistan et son régime néopatrimonial

Pour comprendre la relation de Bouygues avec le pouvoir turkmène, il est nécessaire d’éclairer le fonctionnement du gouvernement turkmène. Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, professeur à l’ENS et à Sciences Po Paris, a détaillé ce fonctionnement dans Turkménistan, livre écrit après avoir été attaché à l’ambassade de France à Achgabat entre 2007 et 2008. Vilmer explique la manière dont le pouvoir de Niyazov émanait directement de sa parole pour être traduit en directives auprès de l’administration. L’administration avait tendance à anticiper les décisions du président, et à les déduire de ses paroles, parfois sibyllines. Ce fonctionnement a par exemple débouché, en 2003, sur l’obligation de porter des nattes pour les lycéennes après que Niyazov ait dit apprécier les jeunes filles ayant des nattes. Une phrase du Président devient ainsi une règle administrative qui s’applique à la population.

“La rente des hydrocarbures et ses pratiques clientélistes ont permis à Niyazov d’asseoir son pouvoir”

Ce fonctionnement rejoint une logique néo-patrimoniale. Le concept de “néo-patrimonialisme » a surtout été utilisé pour décrire le fonctionnement de pays africains fonctionnement avec une « politique du ventre ». En 2013, Marlène Laruelle, historienne spécialiste de la Russie et de l’Asie centrale, le mobilise pour décrire l’Asie centrale. Un régime néo-patrimonial est un régime clientéliste d’apparence bureaucratique, où le contrôle des ressources par le président permet de diriger l’État par une redistribution à ses soutiens, quitte à appauvrir le reste de la population. La corruption par des relations informelles est donc la clé de voûte du système, bien plus que les institutions formelles. La logique de la gratuité du gaz et de l’eau s’apparente ainsi davantage à des pratiques clientélistes qu’à celles d’un État-Providence, la stabilité et les avantages économiques justifiant le nouveau régime et sa forme autocratique.

Si Niyazov n’implique pas sa famille dans ce système, il arrose la majorité turkmène, et notamment les tribus les plus puissantes. C’est ainsi que la rente des hydrocarbures et ses pratiques clientélistes ont permis à Niyazov d’asseoir son pouvoir. Les chantiers constituent également un moyen d’enrichir le président et ses proches, car les investisseurs étrangers doivent payer un prix conséquent pour s’attirer les bonnes grâces du pouvoir. La construction est ainsi un secteur particulièrement fertile pour détourner les projets publics à des fins privées.

Achgabat : une capitale transformée par Bouygues

Achgabat, capitale du Turkménistan, intrigue par ses bâtiments en marbre blanc et ses immenses avenues au milieu du désert. Surnommée « le Disneyland stalinien » pour son aspect ludique, sa transformation est l’œuvre de Niyazov. Niyazov voulait créer une vitrine monumentale glorifiant la nation turkmène et a fait appel à plusieurs entreprises étrangères, avec en tête les entreprises turques et françaises.

Bouygues a ainsi participé à la construction d’une ville aux bâtiments monumentaux, avec un style « persico-palladien ». Ce style mélange une architecture grecque classique ainsi que des coupoles et des décors colorés courants dans le monde persan. Il a donné à Achgabat une fonction de mirage au sein d’un pays enclavé et inégalitaire.

Le culte de la personnalité de Niyazov

Niyazov a mis en place un système fondé sur le culte de la personnalité. Président d’une population peu éduquée et mal vue sous l’URSS, il a réduit l’éducation en exaltant un culte de la nation turkmène et de sa personne. Ce culte s’est même étendu à sa famille décédée, allant jusqu’à changer le mot « pain » pour le remplacer par le nom de sa mère. Il renomma aussi le XXIe siècle en l’appelant “L’époque de Saparmurat Turkmenbachi le Grand”.

Ce culte de la personnalité et l’exaltation de la nationalité turkmène s’est doublé de mesures prises contre certaines minorités et la mixité des couples. Entre 2001 et 2005, une série de lois visent les minorités russes et ouzbèkes, comme une taxe de 50 000 dollars sur le mariage d’un Turkmène avec une étrangère, ou l’interdiction de la double citoyenneté. “Halk, Vatan, Turkmenbachi” est un slogan massivement utilisé signifiant “Le Peuple, la Patrie et Turkmenbachi”. Niyazov a ainsi également imposé le déplacement de membres de la minorité ouzbèke dans le désert, ou leur renvoi en Ouzbékistan.

“L’ambassade de France ne s’engage pas sur les questions de libertés religieuses ou de droits de l’homme, pour ne pas compromettre Bouygues”

Le président a été jusqu’à écrire et faire la promotion d’un livre nommé le Ruhnama (Le Livre de l’Âme). Annoncé comme l’équivalent du Coran ou de la Bible, ce livre a pour but d’endoctriner les Turkmènes sur leur histoire et d’asseoir son culte de la personnalité. L’apprentissage de certains passages du livre est par exemple devenu obligatoire pour travailler pour l’État ou avoir son permis de conduire. Il permet également de légitimer l’ordre social et politique du Turkménistan (on y trouve une série de phrases autour du thème : « La femme vit pour son mari, le mari pour son peuple. »).

Les liaisons de Bouygues-TF1 avec Niyazov

Bouygues s’implante au Turkménistan en 1994, lors de la visite de François Mitterrand à Achgabat. Illustrant les liens entre l’État Français et les grandes entreprises françaises, la France fut le premier pays européen à lier des relations diplomatiques avec le Turkménistan. Les relations entre Niyazov et Martin Bouygues devinrent rapidement très étroites. Niyazov recevait Bouygues avec un protocole digne d’un ambassadeur.

Cette collaboration de Bouygues allait au-delà de la simple construction de bâtiments publics. Le manque de compétences techniques a mené Bouygues à s’occuper de l’entretien direct des services de sécurité, de travaux supplémentaires, ainsi que de la formation des ingénieurs et du personnel turkmène. Ensuite, TF1, appartenant au groupe Bouygues, a participé à moderniser la télévision turkmène, outil essentiel de propagande.

On retrouve ainsi un accord signé en 1996 pour « moderniser et développer la télévision turkmène ». TF1 réalise même une édition spéciale de 40 minutes avec le dictateur. Celle-ci, non diffusée, a rassemblé notamment Martin Bouygues, le dictateur et Patrick le Lay. L’auteur du « temps de cerveau disponible » s’en est justifié : « J’ai un client, je lui fais plaisir. » TF1 a conçu et équipé les plateaux, jusqu’à réaliser le logo d’un profil doré du dictateur qui apparaît sans discontinuer sur l’écran. Faire plaisir à Niyazov n’a pas de limites : Bouygues a fait traduire et éditer le Ruhnama en français.

Une collaboration assumée

Dans ses mémoires, Aldo Carbonaro, représentant de Bouygues au Turkménistan, démontre les convergences de vues entre l’entreprise et le pouvoir turkmène. Comme anecdote, on trouve un appel soudain de Niyazov à Carbonaro : « Je veux que tu me construises un Parlement pour 120 députés derrière le Ministère de la Défense, car tous les médias étrangers disent que je gouverne tout seul et je veux leur démontrer que le Turkménistan est une démocratie. »

La réalité et la profondeur de cette collaboration n’a jamais été un secret en France. Le Monde rapporte ainsi un propos d’un diplomate français en avril 2006 : « Bouygues est une ambassade séparée ; d’un autre côté, l’ambassade de France ne s’engage pas sur les questions de libertés religieuses ou de droits de l’homme, pour ne pas compromettre Bouygues. » Cette question avait donné naissance au documentaire « Shadow of the Holy Book » par le finlandais Arto Halonen en 2007.

Berdymouhamedov : le maintien du statu quo

Aldo Carbonaro relate également la succession fin 2006. Bouygues reste un partenaire conséquent sur les chantiers de prestige, mais sans la même prééminence : « Les bâtiments de prestige sont pour les Français, les bâtiments tertiaires, les logements et l’industriel pour les Turcs, les équipements hospitaliers pour les Allemands et les centrales électriques pour les Américains. », a résumé alors le nouveau président.

Berdymouhamedov, en 12 ans, a maintenu la structure dictatoriale à travers un usage massif de la propagande. Il a mis en place une Constitution en 2008 qui renforce encore davantage les pouvoirs du Président. Le nouveau président a accepté le retour de l’opéra, débaptisé quelques monuments de l’époque Niyazov et rétabli le calendrier géorgien. Il a intégré sa famille dans le système néo-patrimonial et a su se maintenir aisément au pouvoir depuis. Âgé aujourd’hui de 62 ans, Berdymouhamedov prépare sa passation de pouvoir. Les cheveux grisonnants, il a promu son fils Serdar vice-gouverneur de la région d’Akhal, la région de l’ensemble Akhal-Teke.

Les dernières difficultés économiques du Turkménistan

En février 2018, de nouveaux chantiers importants étaient commandés à Bouygues avec un potentiel de plus d’un milliard de dollars. Entre autres : un centre des congrès, un hôtel de luxe géant, un terrain de parade et des immeubles. La remontée du prix du baril en fin 2017 a favorisé cette relance de la construction massive à Achgabat. Les aventures de Bouygues au Turkménistan semblent donc avoir encore de beaux jours devant elles.

Au même moment, l’eau, le gaz et l’électricité devenaient payants pour la population turkmène. C’est que la situation économique turkmène subit des complications. Non diversifiée et isolée, elle a peu de débouchés économiques, ce qui favorise un chômage de masse informel qui atteint près de 40% de la population. L’enseignement ainsi que les services de santé ont été dégradés depuis l’éclatement de l’URSS. Cette crise sociale se double d’un désastre écologique qui prédomine depuis la période soviétique, avec des eaux salinisées et une Mer Caspienne polluée. La distribution de l’eau s’avère catastrophique, produisant près de 75% de pertes, dans un pays désertique.

Berdymouhamedov a donc rogné en novembre 2017 sur les garanties données par Niyazov sur la gratuite de l’eau, du gaz et de l’électricité – qui relevaient davantage d’une politique clientéliste que des garanties offertes par un État-Providence. Leur suppression dévoile la structure prédatrice du pouvoir turkmène, dominé par une minorité qui contrôle l’ensemble des ressources du pays et emploie tous les moyens pour les conserver. La politique turkmène du ventre est désormais nue.