Les États généraux de la bioéthique, un exercice de démocratie sanitaire

Avec l'accord du CCNE
Affiche des Etats généraux de la bioéthique

Lancés le 18 janvier dernier, les États généraux de la bioéthique se sont conclus avec la remise d’un rapport de synthèse du Comité consultatif national d’éthique. Un exercice de démocratie sanitaire qui invitait les Français à se prononcer sur des sujets aussi bien scientifiques que sociétaux, comme la PMA et la fin de vie. 


Un exercice de démocratie sanitaire original

« Quel monde voulons-nous pour demain ? » Voilà la question posée par ces États généraux de la bioéthique pendant quatre mois. Pour y répondre, neuf thèmes avaient été définis par le CCNE comme périmètre de la consultation : tandis que sept de ces neuf thématiques découlaient des progrès scientifiques et technologiques, comme la recherche sur l’embryon humain et les cellules souches, ou les données de santé, les deux autres thèmes entraient en résonance avec des préoccupations sociétales fortes, à savoir la PMA et la fin de vie.

Institution indépendante, le CCNE a pour mission de « donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé ». Composée de membres issus de champs académiques ou institutionnels divers, tels que la médecine, la recherche, le droit, la philosophie ou la religion), il s’est vu attribué en 2011 la mission d’organiser le « débat public sous forme d’États généraux » avant la révision de la loi de bioéthique.

Dans ce cadre, plusieurs outils de consultation ont été choisis pour leur complémentarité. Un site internet des États généraux, au même titre que les débats en région, était destiné au grand public. Les auditions d’associations, de sociétés savantes, de grandes institutions et des grands courants de pensée philosophiques et religieux devaient quant à elles permettre d’écouter les groupes et les personnes directement impliquées sur ces sujets.

Une forte mobilisation centrée autour de la PMA et de la fin de vie

Ces États généraux ont suscité une participation inédite et inattendue, compte tenu de la technicité de certaines thématiques débattues. Pour autant, les neuf thématiques n’ont pas suscité le même engouement. Les problématiques autour de la fin de vie et de la PMA ont concentré plus de 60% des contributions totales. Inversement, d’autres thèmes n’ont pas réussi à mobiliser massivement les participants, en raison peut-être de la nouveauté des principales innovations, comme les neurosciences et l’intelligence artificielle, ou de la technicité de certaines thématiques, comme les cellules souches et les embryons.

À propos des deux sujets de société, malgré leur caractère polémique, les débats ont fait émerger quelques grandes orientations partagées par l’ensemble des participants. Concernant la procréation, le rapport note que la diversité actuelle des structures familiales et le désir de « faire famille » sont des évolutions reconnues par la grande majorité. Quant à la prise en charge de la fin de vie, la plupart des participants s’accordent pour reconnaître que l’on meurt mal en France en 2018, que la loi Claeys-Léonetti de 2016 n’est pas suffisamment connue et appliquée, ou encore que les moyens alloués aux soins palliatifs sont trop limités et à l’origine d’inégalités entre les territoires et les équipes médicales.

Ces remarques partagées ne sont pas pour autant synonymes de consensus autour de ces deux thèmes. Si les équipes médicales et le personnel soignant se sont unanimement prononcés en défaveur de l’ouverture de l’euthanasie ou du suicide assisté en France, les débats restent très vifs à ce sujet. L’Opinion du Comité citoyen, qui s’était saisi de cette question, reflète ces divergences : alors que les deux-tiers de ses membres prônent un recours à l’euthanasie et au suicide assisté, un tiers soutient qu’une meilleure application de la loi Claeys-Léonetti et un accès généralisé aux soins palliatifs pourraient lever l’insatisfaction entourant les conditions de la fin de vie. Par ailleurs, les opinions demeurent irréconciliables quant à une potentielle ouverture de la PMA aux couples de femmes et/ou aux femmes seules.

Une « éthique à la française » ?

Cette consultation a aussi favorisé l’émergence d’un thème nouveau et transversal que le CCNE n’avait pas anticipé : la place du citoyen dans le système de soin du futur. Face aux bouleversements introduits par le numérique dans le système de soin, la notion de consentement éclairé a suscité des interrogations, à l’heure de l’usage massif des données de santé collectées. À cette occasion, le rapport signale qu’un glissement du cœur du débat bioéthique s’opère avec une « nouvelle objectivation du corps humain où le génome et les données de santé, par exemple, s’ajoutent aux caractéristiques corporelles traditionnelles et en complexifient d’autant la question de bioéthique ».

Enfin, ces États généraux ont mis en évidence une « éthique à la française », selon l’expression du Professeur Jean-François Delfraissy, président du CCNE. Reposant sur quelques grands principes de gratuité du don ou encore de non-marchandisation du corps humain, cette éthique serait communément partagée par l’ensemble des acteurs ayant pris part à la consultation.

Malgré le succès de ce moment de démocratie sanitaire, cette consultation a manifesté un certain nombre de limites : alors que le site internet a été particulièrement investi par des discours militants, certains publics sont manifestement restés à l’écart du processus de consultation.

Suite et fin des États généraux de la bioéthique

Si cette synthèse n’est ni un sondage, ni une représentation juste de l’opinion française, elle constitue tout de même la première étape de la révision de la loi de bioéthique, qui aura lieu en automne prochain. Cette semaine, le Conseil d’État devrait rendre public un autre rapport, à forte tonalité juridique cette fois-ci, tandis que le CCNE délivrera son avis et ses principales préconisations pour la révision de la loi de bioéthique dans le courant du mois de septembre, avant qu’un projet de loi ne soit élaboré.

Ces États généraux s’étaient donnés comme défi d’arracher la bioéthique aux seuls débats d’experts, de créer les conditions d’un dialogue apaisé autour de problématiques techniques et parfois polémiques. À certains égards, ce fut réussi. En tout cas, le rapport se félicite que « quel que soit le poids contributif qu’il sera accordé à cette présente synthèse dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique, ce temps de démocratie sanitaire a d’ores et déjà été un temps de santé démocratique. »

Affaire à suivre, donc.