Du camp climat à la naissance de l’écologie transversale

Les participants aux camp climat réunis dans la Cour. ©Julien Legast

Du 31 juillet au 11 août, se tenait la troisième édition du camp climat dans la ville alsacienne de Kingersheim. Après une année intense en mobilisations autour de l’enjeu climatique, le nombre de participants a été multiplié par trois pour atteindre plus de 1000 personnes. L’événement était organisé par les ONG Alternatiba, ANV COP21 et Les Amis de la terre. Retour sur une séquence déterminante pour l’avenir du mouvement écologiste où les discussions stratégiques se mêlaient aux nombreuses formations pratiques. Par Lenny Benbara et Pierre Gilbert.


Depuis désormais deux ans, l’ensemble de l’Europe assiste à la montée en puissance très rapide de la question écologique dans la jeunesse, y compris sur le plan électoral. C’est en particulier vrai en Europe du Nord comme l’illustrent les cas de l’Allemagne et de la Belgique. En France, quoique de façon plus modeste, la percée des Verts aux européennes est le révélateur, et non le déclencheur, d’un changement culturel profond amorcé par un mouvement climat autonome qui a rythmé l’agenda politique de l’année qui vient de s’écouler. L’enjeu semble devenu tellement central que tous les partis tiennent aujourd’hui des discours favorables à l’écologie. La démission de Nicolas Hulot avait fourni l’électrochoc nécessaire en la matière. Si on a beaucoup commenté les transformations du champ politique et les succès électoraux des partis, la réalité organisationnelle, culturelle et politique du mouvement climat a moins focalisé l’attention. Le camp climat 2019 offrait cependant une séquence de rattrapage estivale pour les esprits trop affairés le reste de l’année.

Renouvellement générationnel, diversité territoriale et culture de la transversalité

Le trait majeur de ce camp climat tient sûrement à sa composition sociologique et à l’important renouvellement générationnel des activistes présents. Les 21-30 ans étaient clairement surreprésentés parmi les participants. Alors que les structures partisanes traditionnelles peinent à attirer les jeunes, le mouvement climat est, de fait, une exception et un phénomène d’avenir. Ce constat est le même pour les cadres dont la composition est par ailleurs particulièrement féminisée : l’équipe de coordination du camp était entièrement féminine, signe que l’écologie est aussi le levier d’un changement culturel en matière de direction genrée des mouvements politiques.

Le second trait qui vaut la peine d’être mentionné est l’écrasante diversité géographique des participants à l’édition 2019. Selon les statistiques fournies par les organisateurs, 357 villes étaient représentées. On semble effectivement très loin du mouvement parisien bobo. Ce fait n’est pas à négliger, puisque cela a eu des conséquences à la fois dans la programmation du camp et dans l’ouverture culturelle du mouvement. Loin des ateliers et des conférences où on se regarde le nombril, le programme visait l’opérationnalité : formations aux actions non-violentes de désobéissance civile, à la vidéo, au cybermilitantisme, aux relations presse, etc.

L’orientation des ateliers témoigne d’un certain pragmatisme et d’une conscience aiguë que le mouvement a besoin d’une stratégie pensée et de victoires concrètes. Bien qu’on note une forte appétence pour l’horizontalité chez beaucoup d’activistes, les faits démontrent une grande discipline. La verticalité est de fait très bien acceptée, sans pour autant que des figures identifiées assument un leadership trop affirmé. Cette culture de l’efficacité se traduit en particulier par une volonté de construire l’écologie comme enjeu transversal et universel, et pas uniquement comme label identitaire de gauche.

Une « auto-organisation » organisée

Le camp climat est l’aboutissement de plus de six mois de travail. L’enjeu était de taille puisque le nombre de participants pouvait laisser craindre des défaillances organisationnelles et des difficultés à gérer une telle affluence sur une dizaine de jours. L’équipe de coordination s’est employée à nommer une centaine de référents chargés de différents aspects du camp, ce qui peut sembler proche d’une armée mexicaine. Cependant, la mise en responsabilité de personnes arrivées fraîchement dans le mouvement a permis la montée en compétence rapide des activistes les plus motivés et une dynamique d’appropriation militante de l’événement.

Un déjeuner au camp climat, photo © Quentin Jaud

Pour rendre possible une organisation si pléthorique, une application montée sur mesure par des militants, hébergé en partie grâce à framasoft l’ensemble des aspects du camp climat : programme, tâches bénévoles, calendrier, etc. Impossible de déroger aux tâches ménagères qui ont permis de maintenir le camp en très bon état de propreté : l’accueil de l’événement est chargée de vérifier si vous vous êtes inscrit à suffisamment de créneaux pour aider. La culture de la discipline est donc très forte malgré de nombreux participants fraîchement arrivés et ayant indiqué ne faire partie d’aucune organisation.

D’une certaine façon, le mouvement climat s’est transformé en école de formation accélérée, sur un plan à la fois quantitatif et qualitatif.

La question stratégique sur toutes les lèvres

De l’avis général, le mouvement climat a remporté des victoires culturelles importantes cette année en conditionnant l’agenda politique. Cependant, la surdité du gouvernement comme l’absence de victoire définitive ont engendré une frustration d’une partie des activistes, qui s’est traduite par des débats stratégiques sur la suite à donner aux mobilisations.

De ce point de vue, une grande hétérogénéité de positions existe au sein du mouvement climat. Pour une partie de celui-ci, en particulier les youtubeurs, le mouvement climat est devenu suffisamment consensuel dans l’opinion et doit désormais se radicaliser à travers une critique anticapitaliste. Pour les associations qui ont organisé l’événement, la lutte culturelle n’est pas encore aboutie, loin de là. En effet, l’écologie est encore un enjeu associé à une sociologie très précise : urbaine, diplômée, relativement aisée. Le travail pour transformer l’écologie et la faire pénétrer dans les classes populaires en est à ses balbutiements. C’est pourtant une condition importante pour permettre une articulation entre l’écologie et le social qui rende acceptable un programme de transition écologique radicale. Bref, l’enjeu est d’étendre la transversalité de l’écologie.

À côté de ces deux lignes cohabitent de nombreuses sensibilités. Néanmoins, ce qui domine chez les participants non affiliés à une organisation est une forme d’attente qu’une ligne stratégique claire soit établie au-delà des formes de mobilisation déjà mises en œuvre. Ici, le mouvement climat paie l’absence d’un leadership politique claire qui synthétise, donne une visibilité et unifie la pluralité des options internes au mouvement. Si les cadres actuels du mouvement ont effectivement une vision stratégique pour la suite, certains participants, en particulier les plus fraîchement arrivés, peinent à discerner celle-ci. C’est là que le leadership joue un rôle essentiel puisqu’il permet de créer un point de référence qui unifie le discours et transmet aux activistes une ligne d’horizon vers laquelle il faut tendre.

Ce flottement est sûrement un des défis les plus importants auxquels le mouvement climat devra répondre s’il veut capitaliser sur les nombreuses énergies à sa disposition et éviter les effets de déperdition qui ne manqueront pas de se faire sentir au moment où les victoires marqueront le pas. Le risque est que tout flottement engendre une remontée de l’hétérogénéité politique en exacerbant les divergences. Pour le moment, celles-ci sont plus ou moins contenues par la rhétorique de l’urgence et l’impératif d’efficacité politique.

Malgré ces défis, la rentrée démontre que le contexte politique est durablement favorable à l’essor des mobilisations écologiques. Le scandale des incendies de l’Amazonie est un épisode supplémentaire qui place l’urgence climatique au centre du débat politique, tout comme l’approche de la publication du prochain rapport spécial du GIEC ou encore des procès des décrocheurs de portraits. Dans cet environnement, le mouvement climat semble clairement armé pour donner une direction adéquate aux mobilisations écologistes. La grève mondiale pour le climat du 20 septembre prochain, que les ONG françaises préparent activement et qui se matérialisera par une grande marche à Paris, donnera une première idée de la température.