2. L’ingénieur : Yves Marignac | Les Armes de la Transition

Yves Marignac est porte-parole de l’association négaWatt, connue en France pour produire des scénarios techniques de transition vers la neutralité carbone. Ce collectif, largement composé d’ingénieurs, prône notamment la sobriété énergétique, via par exemple l’isolation des bâtiments, comme un levier prioritaire pour la transition, au même titre que les énergies renouvelables. Yves Marignac nous éclaire sur le rôle de l’ingénieur dans la transition écologique.


Dans cette série de grands entretiens, nous avons choisi de poser les mêmes questions à des personnalités du monde de l’écologie ayant chacune une approche, un métier, différent. Un tel projet est inédit, et son but est de donner à voir comment chacun se complète pour esquisser les grandes lignes de l’urgente transition écologique. Chacun détient une partie de la solution, une partie des « armes » de la transition. La transdisciplinarité doit devenir une norme de travail, pas une exception.

La série Les Armes de la Transition existe aussi en format vidéo :

LVSL : À quoi sert un ingénieur pour le climat ? Pourquoi avez-vous choisi cette branche-là plutôt qu’une autre pour apporter votre pierre à la transition écologique ?

Yves Marignac : Bien que n’étant pas exactement ingénieur moi-même, je suis effectivement très actif au sein de négaWatt, qui est pour beaucoup une association d’ingénieurs. À quoi les ingénieurs peuvent servir sur cette question ? Tout simplement à éclairer techniquement les possibles, les potentiels, aussi bien du côté d’une meilleure efficacité dans la manière dont on utilise l’énergie, que de la mobilisation des énergies renouvelables. Tout cela passe, évidemment, par de la technique, et passe aussi par une cohérence d’actions systémiques. Les ingénieurs, les experts techniques, ont beaucoup à apporter pour cela. On pourrait dire, d’une certaine manière, que la transition énergétique passe nécessairement par cette technique et ce travail d’ingénierie, même si elle ne se réduit pas nécessairement à ça, puisque bien sûr, il y a toute la question de la mise en œuvre sur le plan économique, social et politique.

À titre personnel, je n’ai pas choisi ce métier pour m’engager dans la transition énergétique, c’est plutôt l’inverse. J’ai, depuis plus de vingt-cinq ans, développé une expertise dans le champ du nucléaire, de l’énergie et, par extension, de la transition énergétique. C’est un engagement personnel, citoyen, dans la manière dont l’expertise peut servir la société, le débat et l’évolution vers une trajectoire plus soutenable, qui me conduit à mettre cette expertise, cette capacité de réflexion et d’ingénierie, au service de la transition énergétique.

LVSL : En quoi consiste, concrètement, votre activité ? Pourriez-vous nous décrire une journée type ? Quelle est votre méthode de travail ?

Yves Marignac : Il n’y a vraiment pas de journée type ! C’est une des choses qui me motivent parce que pour faire ce métier d’expert non-institutionnel au service du débat, et au service de décisions plus éclairées, il y a une forme d’engagement qui rompt avec des situations professionnelles potentiellement plus confortables. Chaque journée est différente parce que je suis chaque jour confronté à de nouveaux sujets, de nouvelles rencontres, de nouvelles situations… En revanche, il y a des vraies constantes dans l’exigence avec laquelle j’essaie de remplir ce rôle.

Il faut suivre et se maintenir vraiment à jour sur les sujets de l’énergie, de la transition en France et à l’international. Cette perspective internationale est toujours essentielle… Donc l’exigence d’une veille sur ces sujets, l’exigence d’une analyse aussi impartiale, aussi sérieuse, aussi réfutable dans sa méthode que possible, sur les potentiels d’action, les leviers de changement, et l’exigence de restitution à différents publics de cette analyse, sous des formes adaptées, aussi bien par la production de rapports que par des interventions médiatiques ou dans des conférences.

Lorsque nous rédigeons un rapport négaWatt, on va prendre de l’information, lire des publications scientifiques, lire d’autres rapports… Il faut lire également la presse, suivre l’évolution du débat médiatique et politique sur ces questions, donc une bonne partie de mon temps c’est cette prise d’information puis des échanges avec les collègues – de négaWatt ou d’autres – sur l’analyse de différents sujets. C’est ça qui va nous permettre de poser les choses par écrit de la manière la plus claire, la plus synthétique possible.

Une partie de mes journées, c’est aussi de répondre à des sollicitations médiatiques qui parfois viennent par vagues, quand il y a une actualité qui émerge, ou intervenir dans des séminaires, dans des conférences… Je crois que, vraiment, les deux mots-clefs dans ma pratique au quotidien, c’est « l’exigence » et « le partage », sur la prise d’information, et la restitution d’une analyse.

LVSL : Quel est votre but ?

Yves Marignac : Mon but, en tant que citoyen, d’abord, c’est évidemment d’œuvrer à ce que notre société aille vers une trajectoire plus soutenable, puisque aujourd’hui, chaque jour qui passe nous rapproche, au contraire, de catastrophes de plus en plus inquiétantes.

Mon but, à titre professionnel, c’est de contribuer, par l’analyse technique que je suis capable de produire de la situation actuelle, à des leviers d’actions possibles, de contribuer à une meilleure prise de conscience de ces enjeux, et une meilleure prise de conscience des solutions possibles. Donc de contribuer à ce que la société ait, sur ces sujets, un débat informé, et prenne des décisions qui aillent, autant que possible, vers l’intérêt collectif et l’intérêt à long terme.

LVSL : Pourriez-vous nous livrer trois certitudes que vous avez développées au cours de vos travaux ?

Yves Marignac : La certitude est toujours dangereuse pour l’expert, mais ma première certitude est la faisabilité technique d’une conversion de notre système énergétique à 100% d’énergies renouvelables, à l’horizon de quelques décennies. C’est une intuition que certains d’entre nous ont depuis longtemps, et c’est notamment le sens de l’engagement de l’association négaWatt. Mais aujourd’hui, cette intuition devient une certitude parce qu’on a désormais la capacité de mobiliser les énergies renouvelables, notamment pour produire de l’électricité, nous avons la possibilité à terme de stocker cette électricité, et donc de répondre au problème de variabilité de la production solaire ou éolienne. Et nous pouvons tirer parti de la biomasse… Mais tout cela peut se faire à la condition – c’est aussi le sens des travaux de négaWatt – de maîtriser nos consommations par de la sobriété et de l’efficacité, et le tout rend vraiment possible le 100% d’énergies renouvelables.

Ma deuxième certitude n’appartient pas au champ technique, mais elle est le résultat de mon expérience. On vit dans une société où la rationalité de l’intérêt général et de l’intérêt à long terme ne s’impose pas spontanément. C’est-à-dire qu’il ne suffit pas de produire des analyses, des scénarios, des visions de l’avenir montrant qu’aller vers un système beaucoup plus soutenable est possible, qu’un chemin réaliste existe pour l’atteindre, il ne suffit pas de mettre ça sur la table pour engager un mouvement de la société. Au contraire, les intérêts à court terme, les lobbies, les divergences de vues sur les options à mettre en œuvre, font que la société peine vraiment à se mettre en mouvement.

Je ne suis pas sûr que la simple prise de conscience puisse aller suffisamment vite pour provoquer les changements nécessaires au bon niveau et à la bonne vitesse.

LVSL : Pourriez-vous nous donner des exemples de traduction concrète de ces certitudes en des politiques publiques idéales ?

Yves Marignac : Il faut des politiques qui changent vraiment la focale des décisions et qui dépassent des visions court-termistes pour vraiment s’inscrire dans la réponse à ce qu’on appelle à négaWatt « l’urgence du long terme ». Il faut des politiques publiques qui dépassent aussi les questions de rentabilité ou de performance économique vues étroitement depuis l’opérateur ou l’investisseur, et qui regardent du point de vue de l’intérêt de l’ensemble de la société. Et aussi des politiques qui apprennent, en fait, à créer de la valeur en économisant la ressource plutôt qu’en la détruisant.

Un exemple de politique publique possible qui concrétise ce genre de choses : la rénovation thermique du bâtiment, c’est un enjeu central dans un pays comme le nôtre. Il est pleinement identifié depuis au moins une dizaine d’années, mais on bute toujours sur sa mise en œuvre. On bute parce que les logiques conduisant aux politiques appliquées sont trop court-termistes, trop sectorielles, trop focalisées sur la création de valeur dans notre logiciel actuel… Les solutions techniques existent pour la très grande majorité des bâtiments, tout comme il existe les solutions en termes d’ingénierie financière pour assurer facilement un équilibre en trésorerie sur la réalisation de ces opérations, et ce, en mobilisant les bonnes solutions de tiers financements… Tout ça est aujourd’hui possible avec à peu près les niveaux d’aide qui y sont consacrés actuellement. À budget égal, avec les quatre à cinq milliards d’euros qui sont consacrés chaque année à la rénovation thermique, on peut réellement permettre une massification d’un programme de rénovation performant.

Il faut atteindre, à terme, de l’ordre de 500 à 700 000 opérations de rénovation par an. Mais la décision politique bute sur des repères, sur des logiques d’évaluation de la décision et de sa performance qui ne sont pas celles qu’il faut pour prendre les décisions dans l’intérêt collectif à long terme.

J’ai pris cet exemple volontairement, parce qu’on a un vrai intérêt collectif à ce que notre patrimoine de bâtiments assure la meilleure performance possible sur le long terme. Individuellement, ça reste aujourd’hui très difficile, mais c’est un bon exemple d’un sujet sur lequel, techniquement et financièrement, l’ingénierie a fait son boulot, mais où il faut que les politiques publiques dépassent les difficultés individuelles.

LVSL : Quelle place devrait avoir votre discipline dans la planification de la transition ? À quel moment votre expertise devrait-elle intervenir par rapport à la décision ? Avez-vous déjà pensé à une structure qui pourrait faciliter cela ?

Yves Marignac : La transition énergétique est un problème systémique. J’ai coutume de dire que l’énergie fait système, et que ce système fait société, c’est-à-dire que la manière dont on met en relation des ressources énergétiques et des services que rend l’énergie forme un système, et que ce système structure la société– on peut penser, par exemple, à la manière dont la propriété de voitures individuelles structure tous nos modes de vie. Donc, au-delà de l’approche technique, il faut du pluridisciplinaire.

La deuxième chose à laquelle me renvoie la question, c’est la nécessité de processus organisés dans le temps. L’expertise vient à la fois en amont du constat, au niveau du diagnostic. Elle vient sur la proposition de solution. Et elle vient aussi, parce que le diable se niche dans les détails, sur le suivi et sur la mise en œuvre. Cette expertise est utile à un niveau très global (par exemple, le niveau national, c’est le travail de l’association négaWatt : éclairer une transition énergétique à l’échelle de la France, voire bientôt à l’échelle européenne), mais elle intervient aussi auprès des collectivités, voire auprès des entreprises, auprès des particuliers… Il existe déjà des groupes d’experts, des hauts-conseils, etc. La question n’est pas d’en créer un autre, mais bien de donner un rôle à cette expertise, et donc de faire en sorte qu’elle soit vraiment ancrée dans le processus de décision politique, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

LVSL : Si un candidat à la présidentielle vous donnait carte blanche pour élaborer son programme en matière de transition écologique, dans le cadre de votre spécialité, que pourriez-vous proposer, concrètement ?

Yves Marignac : D’abord, je me garderais bien d’accepter une carte blanche dans ce domaine, parce que justement la réflexion sur la politique de transition énergétique ne doit pas être laissée aux seuls experts. La première recommandation que je lui ferais serait de s’entourer de compétences multiples pour éclairer ses choix.

Cela étant dit, une première proposition serait d’introduire partout, à toutes les échelles de collectivité, une logique de conditionnement des nouvelles implantations d’habitation, d’activité, à un certain degré de proximité avec les réseaux, les infrastructures et les services existants. C’est l’idée de conditionner tout nouveau développement, tout nouvel aménagement du territoire à la densité existante afin de retrouver une maîtrise publique collective de la manière dont nos territoires évoluent. C’est vital parce que ce qu’on constate aujourd’hui, ce sont les effets désastreux sur le plan énergétique, mais aussi social et économique, de l’étalement périurbain, et de la dévitalisation gravissime des territoires ruraux. Il faut donc retrouver une forme d’équilibre dans ces évolutions pour mieux maîtriser la consommation, réduire les distances à parcourir, optimiser la forme des bâtiments, etc. Il faut mobiliser aussi, à travers cet aménagement, les potentiels de production d’énergies renouvelables au plus près des besoins. Voilà une mesure qui pourrait être complètement structurante sur le long terme, concernant ces questions.

Une deuxième mesure plus symbolique, mais avec un effet-levier important, serait d’inscrire les énergies renouvelables comme étant d’utilité publique, pratiquement constitutionnellement. Cela permettrait de poser les bases d’un développement systématique partout où des potentiels existent.

Une autre idée simple à laquelle on peut penser, c’est la généralisation de ce qu’on appelle les économes de flux. Les économes de flux, c’est un métier technique qui consiste à se pencher, à l’échelle d’une collectivité de quelques dizaines de milliers d’habitants, par exemple, ou même à l’échelle d’un parc de bâtiments tertiaires, sur l’ensemble des flux, des fluides (électricité, autres énergies, eau…) et à rechercher toutes les économies possibles. C’est un métier qui, en général, se rémunère directement en à peine un an, sur les économ

ies réalisées. Il y a des collectivités qui sont en pointe dans le développement de ce type de poste, mais il y a vraiment matière à généraliser ça sur l’ensemble du parc de bâtiments tertiaires, publics et privés, dès qu’on peut faire des regroupements qui rendent ça pertinent partout en France. C’est non seulement un levier important pour aller chercher des économies d’énergie, mais c’est aussi une perspective vraiment nouvelle en termes de métier.

Globalement, un des conseils qu’on peut donner aussi à un candidat à la présidence de la République, c’est vraiment d’axer un programme de transition énergétique sur les nouveaux métiers, sur les besoins de formations, d’accompagnement de professionnels que ça engendre… parce qu’il y a vraiment matière, sur les économes de flux, sur la rénovation thermique, sur la réparabilité des objets, sur le développement des renouvelables, à donner, notamment pour notre jeunesse, des perspectives de dynamique, d’utilité sociale. Je ne comprends pas, aujourd’hui, que les politiques ne s’en saisissent pas davantage.

LVSL : Êtes-vous en lien avec des spécialistes d’autres domaines ? Si oui, comment travaillez-vous ensemble ?

Yves Marignac : C’est vraiment essentiel pour moi d’inscrire en permanence mon travail dans une forme de pluridisciplinarité. On a besoin, dès lors qu’on réfléchit à la transition énergétique, au système énergétique, de mobiliser évidemment des compétences techniques, mais de mobiliser également des compétences sur l’économie. On a besoin de changer de paradigme économique pour permettre que cette transition se fasse puisque, aujourd’hui, on voit bien que les signaux économiques, la manière dont se forment les prix, les réflexes trop court-termistes des investisseurs, etc., ne nous placent pas sur la bonne trajectoire. Les économistes doivent être mobilisés, les sociologues aussi évidemment, sur ce qui concerne l’accompagnement du changement… Bref, toutes les spécialités qui contribuent à réfléchir aux politiques publiques – les sciences politiques, le droit, doivent aussi être mobilisés. Il faut le faire non seulement au niveau national, mais aussi au niveau territorial et au niveau international, parce que tout ça doit s’articuler.

Il n’y a pas un moment dans mon travail professionnel où je ne ressente le besoin d’être en prise avec les compétences, les productions de spécialistes hors de mon domaine. Concrètement, ça passe par beaucoup de lectures, beaucoup d’échanges, et beaucoup de travail collectif. L’association négaWatt, par exemple, fonctionne avec un noyau dur qui comprend certes des ingénieurs spécialistes des différentes filières énergétiques ou de l’efficacité énergétique, mais aussi des sociologues, des chercheurs en économie, des spécialistes de l’urbanisme ou de l’architecture… On a vraiment besoin de connecter tout ça au quotidien.

Et il y a un domaine que je n’ai pas cité, et qui est peut-être le plus fondamental d’entre tous aujourd’hui, c’est celui de la philosophie… Parce qu’on a réellement besoin, aujourd’hui, de se poser la question de notre rapport même à la société, à la nature ou l’environnement ou la planète.

Toutes ces compétences, tous ces métiers sont vraiment fondamentaux à faire travailler ensemble. On essaie de le faire au quotidien, mais on manque encore beaucoup, aujourd’hui, de transversalité dans le fonctionnement de la production académique, de la production d’expertise, et dans le fonctionnement – encore plus, peut-être – de la production des politiques publiques.

LVSL : Êtes-vous optimiste quant à la faculté de l’humanité à répondre au défi climatique ?

Yves Marignac : Résolument optimiste, ou raisonnablement optimiste. D’abord parce qu’on a besoin de l’être. Quand on s’engage sur un sujet comme celui-là, on a besoin de penser qu’effectivement, les efforts que nous faisons pour contribuer à la prise de conscience sont susceptibles de produire leurs fruits suffisamment vite, parce que tout l’enjeu est là. La question n’est pas de savoir si un jour l’humanité prendra conscience de la nécessité de changer de système pour traiter l’enjeu climatique, mais plus largement, l’enjeu réside dans l’épuisement des ressources et dans les limites physiques de la planète. On sera confronté à ces limites, d’une manière ou d’une autre, et l’humanité s’y adaptera, d’une manière ou d’une autre.

La question est de savoir si elle s’y adaptera par anticipation, ou si elle s’y adaptera par crise, et on peut imaginer des crises extrêmement graves ne remettant pas en cause l’humanité en tant que telle, mais remettant en cause notre civilisation – c’est les théories de l’effondrement notamment. J’espère que l’humanité saura prendre conscience, et adapter l’organisation de la société suffisamment vite pour éviter des crises majeures, même si je pense que ça passera par des crises plus violentes encore que celles que l’on connaît aujourd’hui.

Je me rappelais récemment d’une conférence que j’ai entendue, il y a assez longtemps, de Michel Serres, sur l’année 1905 et la manière dont, en 1905, dans plein de domaines différents, des idées nouvelles ont émergé et convergé. Il faisait, par exemple, un parallèle entre le pointillisme dans la peinture et les évolutions majeures dans le domaine de la physique… Je pense qu’on est, aujourd’hui, et c’est mon côté résolument optimiste, dans un moment qui est un peu de même nature. On voit émerger via des signaux faibles des nouvelles réflexions, des nouvelles approches en économie, en gestion, en politiques publiques, etc. On voit émerger des nouvelles aspirations, des nouvelles façons de concevoir les projets de vie, le rapport des uns et des autres à la communauté, à l’environnement…

Je pense que ces nouvelles formes sont en train d’émerger, et j’ai l’espoir que tout ça apporte réellement les changements majeurs dans le fonctionnement économique, le fonctionnement politique, etc., rendant possible la mise en œuvre de la transition énergétique qui, par ailleurs, fait techniquement et économiquement complètement sens aujourd’hui. Ma crainte – et si je pense à 1905, je pense aussi à 1914 –, c’est que tout ceci n’émerge pas suffisamment pour nous épargner une crise majeure. Mon espoir, c’est qu’avec d’autres, et on est de plus en plus nombreux à s’engager dans cette direction, on fasse masse, on fasse corps, on entraîne suffisamment vite la société pour qu’effectivement, ces nouvelles formes émergent avant une grande crise.

 

Retrouvez l’ensemble des épisodes de Les Armes de la Transition dans le dossier suivant (écrit) :

Et sur YouTube (vidéo) :

https://www.youtube.com/playlist?list=PLPGOXjDeue501zsAnWcxXH1LfUMOs3F4u

 

1. Le philosophe : Dominique Bourg | Les Armes de la Transition

Dominique Bourg est philosophe, et l’un des premiers à s’être intéressé aux bouleversements environnementaux que nous traversons. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, enseigne à l’Université de Lausanne et dirige la revue La pensée écologique, pour ne citer qu’une petite partie de ses activités. Nous avons choisi de débuter notre série avec son témoignage, car la transition écologique exige avant tout un changement profond de philosophie.


Dans cette série de grands entretiens, nous avons choisi de poser les mêmes questions à des personnalités du monde de l’écologie ayant chacune une approche, un métier, différents. Un tel projet est inédit, et son but est de donner à voir comment chacun se complète pour esquisser les grandes lignes de l’urgente transition écologique. Chacun détient une partie de la solution, une partie des armes de la transition. La transdisciplinarité doit devenir une norme de travail, pas une exception.

La série Les Armes de la Transition existe aussi en format vidéo :

LVSL : À quoi sert un philosophe pour la transition écologique et pourquoi avez-vous choisi cette discipline-là pour apporter votre pierre à ce combat ?

Dominique Bourg : La philosophie existait bien avant qu’on ne parle de transition écologique. À quoi sert-elle ? Elle existe depuis 25 siècles, elle naît avec les sciences. Aujourd’hui on a d’autant plus besoin de philosophie qu’on observe une explosion des disciplines universitaires. Dans les années cinquante, il y avait peut-être une cinquantaine de disciplines. Aujourd’hui il y en a plus de 2000 estampillées comme telles. On a donc affaire à une espèce d’hyper fragmentation du savoir, surproduite d’ailleurs par le néolibéralisme. Mes amis universitaires sont très dociles, ça leur plaît beaucoup d’avoir tous leur chapelle. Du coup, on a une énorme fragmentation du savoir.

Dans un contexte comme celui-là, la philosophie est d’autant plus utile parce qu’elle appelle une démarche réflexive à partir d’autres savoirs. La philosophie c’est revenir sur les choses et mailler, faire des croisements, interpréter les savoirs. C’est d’autant plus utile et important à une époque où on est un peu écrasé par le savoir analytique et cette division à l’infini des problèmes.

À quoi sert la philosophie dans le cadre de la transition écologique ? La première chose, c’est peut-être qu’il faut être philosophe pour s’interroger là-dessus. Quand j’étais jeune étudiant, la transition écologique n’avait évidemment aucun sens. Au tout début des années 2000, on a commencé à parler de développement durable et même de décroissance, etc. Pourtant il y avait eu le rapport Meadows trente ans avant – le rapport du club de Rome dont un des scénarios nous montre que les courbes de croissance de tous les indicateurs s’inversent entre 2020 et 2040 ; attention, il s’agissait d’une projection et non d’une prédiction. Mais à la fin des années 1990, on baignait dans une sorte d’optimisme.

Au fond, on n’avait pas une conscience aussi aiguë de l’irréversibilité des difficultés qu’on a aujourd’hui. On pensait que la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère aurait des effets au court terme – un peu plus d’un siècle – et on se projetait à la fin du siècle, pas avant.

Je ne sais pas si le mot transition est toujours aussi utile et intéressant parce qu’il subit le sort de bien des mots. Le développement durable, c’était un peu une tarte à la crème dès le départ, mais il y a aussi des choses intéressantes dedans. De fait on reste dans un schéma de croissance avec des courbes qui s’envolent quand même. À partir du moment où tout le monde se réapproprie le terme transition, il perd de son tranchant et on s’en sert paradoxalement pour ne pas transiter.

Lorsqu’on parle de philosophie, on parle de réflexion, et donc de réflexivité, c’est-à-dire à la fois revenir sur un savoir déjà présent, et revenir sur son savoir et sa propre démarche. Très souvent, on est en contradiction totale entre ce que l’on dit, avec le fait de le dire ; et le fait d’assumer sous une autre forme, à un autre endroit, ce qu’on dénonce. La méthode philosophique est souvent généalogique. C’est-à-dire que lorsqu’on a un problème, on cherchera à savoir d’où ça vient, à savoir pourquoi. Si on ne fait pas cette généalogie, on ne peut pas donner de vraies solutions, au contraire. C’est le travail du philosophe d’essayer de comprendre pourquoi on est dans ce degré de destruction par rapport à ce qu’on appelle la nature, le milieu qui nous entoure et nous englobe.

LVSL : En quoi consiste concrètement votre activité ? À quoi ressemble une journée de travail type de Dominique Bourg ? Quelle est votre méthode de travail ?

DB : La démarche d’un philosophe est toujours à mi-chemin entre les lectures, l’écriture, et puis ce qu’on voit, ce qu’on repère, ce qu’on essaie de sentir dans le cours des choses. Il faut faire une alchimie de tout cela.

LVSL : Quel est votre objectif ?

DB : En ai-je un et un seul ? Je ne suis pas sûr… Comme je vous l’ai dit, j’ai vu comment ces trente dernières années, on est passé d’une certaine forme de légèreté sur les questions environnementales à un discours beaucoup plus dur et tragique.

On se rend compte du caractère irréversible de ce qu’on a fait. Et si la destruction qu’on a opérée collectivement a un caractère irréversible, le travail ne va pas être de revenir en arrière. C’est fichu ! Le travail, c’est d’essayer de comprendre et ça, c’est fondamental. Et puis à partir de la compréhension, en reliant des savoirs différents, essayer d’avoir une vision assez claire, notamment sur le côté scientifique des choses. Il faut pour cela ingérer chaque jour une bonne petite quantité de littérature scientifique.

Cela m’amène par exemple à revenir sur la notion de risque, car quand on emploie exclusivement cette notion de risque, on ne se fait pas une idée juste de ce qu’on est en train de faire aujourd’hui, c’est-à-dire compromettre les conditions d’habitabilité de la Terre. Si vous raisonnez en matière de risques, vous allez raisonner comme un économiste néoclassique et vous n’allez rien comprendre. C’est par exemple Nordhaus qui vous dit que l’optimum de l’augmentation de la température serait de 6,2 degrés sur Terre par rapport à l’avant révolution industrielle. C’est qui est une absurdité totale, à cette température-là, on ne serait plus que quelques millions d’êtres humains à habiter au Groenland habillés en tenue légère.

Il faut aussi comprendre les raisons pour lesquelles on a lentement évolué vers un gouvernement représentatif, et pourquoi ce gouvernement représentatif ne peut pas prendre en compte les problèmes que l’on connaît. Benjamin Constant avait bien compris les raisons pour lesquelles nous sommes dans un gouvernement représentatif. Si vous prenez par exemple la France, il y a à peu près 2000 décisions législatives par an. Vous imaginez bien que si on fait un RIC, un Référendum d’initiative citoyenne, et si on veut que ça se substitue à la représentation, et bien on va faire pire que les Grecs d’autrefois. On va passer sa vie sur l’Agora sans jamais prendre une seconde pour se nourrir.

Comment essayer de corriger les défauts du gouvernement représentatif ? Quelles institutions mettre sur pied pour l’aider et nous aider à mieux prendre en compte les problèmes gravissimes auxquels on est confrontés ?

Il faudrait peut-être essayer de produire des visions sur le futur. On est vraiment sur un moment de bascule en termes de civilisation. Nous étions une civilisation très mécaniste depuis la fin du XVIème siècle. On s’imaginait que la nature n’était qu’un agrégat de particules matérielles, donc que les animaux étaient des machines pour reprendre Descartes, mais que nous autres êtres humains nous étions étrangers à la nature. Du coup, le progrès était de s’éloigner au maximum de la nature, de l’artificialiser, de la détruire. Si vous n’avez pas compris l’héritage de cette façon de penser, vous aurez des problèmes pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui.

Depuis Darwin et le XIXème siècle, on commence à comprendre qu’on appartient vraiment au vivant. Darwin a replacé l’espèce humaine au cœur de la nature. L’étude du comportement des animaux dans la seconde moitié du XXème siècle nous a montré qu’entre eux et nous, c’est finalement une différence de degrés. Aujourd’hui, c’est la biologie végétale qui nous montre que les plantes sont pleinement vivantes. Elles exercent les mêmes fonctions que les animaux, mais évidemment pas de la même manière. On prend conscience du vivant et on voit dans la société émerger des courants qui en sont la conséquence. Le rôle du philosophe ça va être de les déceler, de les traduire et de voir ce que pourrait donner leur développement. C’est aussi tout cela le travail du philosophe.

LVSL : Dans le champ de la philosophie et de l’écologie politique en France, vous écrivez depuis longtemps, vous faites même partie des pionniers. Pourriez nous livrer deux ou trois concepts que vous avez forgé au cours de vos travaux ?

DB : Je vous ai parlé tout à l’heure de risques. J’essaie d’opposer à cette notion de risque la notion de dommage transcendantal. Le mot est un peu ronflant, mais cela veut simplement dire que ce qui est affecté aujourd’hui par nos activités, ce n’est pas telle ou telle partie de notre territoire, ce n’est pas telle ou telle catégorie de personnes, c’est le fait même de pouvoir habiter la Terre. Imaginez par exemple qu’on aille vers une augmentation moyenne de la température de 4 degrés – et malheureusement c’est tout sauf impossible – et bien vous auriez de nombreuses régions au monde où vivent des milliards de personnes où l’accumulation entre la chaleur et l’humidité saturerait les capacités de régulation thermique du corps humain et on meurt en quelques minutes. Donc en d’autres termes, cette région ne serait plus habitable. Donc, quand je parle de dommage transcendantal voyez bien ce que cela veut dire : notre façon d’habiter la Terre est en train de changer et il y a des endroits sur Terre qui vont devenir proprement inhabitables. On ne va donc pas parler de risque, parce que ça n’a plus de sens.

J’ai essayé de trouver comment faire pour que les problèmes du long terme soient mieux pris en compte et je me suis intéressé au mot spiritualité pour lui donner deux sens très différents, mais liés. Le premier sens est ontologique : toute société est en relation avec ce qui l’entoure, le milieu naturel ; elle le reçoit avec un style particulier. L’autre sens, c’est qu’il n’y a pas de société au sein de laquelle on ne propose pas aux êtres humains des modèles de réalisation de soi.

Très concrètement, dans la manière dont on conçoit les êtres vivants à la fin du XIXème siècle, il n’y a pas de vivant. Le vivant est une matière première, dépourvue de valeur : on va écraser les poussins pour en faire des nuggets, c’est l’horreur ! Dans la spiritualité d’un moderne, se réaliser c’était accumuler des biens matériels. La nature c’était ce qu’on doit consumer, ce qu’on doit détruire. Si vous voulez consumer votre nature, il faut que de votre côté vous consommiez, et donc que réaliser son humanité soit le fait de consommer. On voit aujourd’hui que ce sens-là est en train de changer. Si effectivement on commence à se comprendre comme appartenant au vivant, le vivant n’est plus une matière première. Il va exiger une forme de respect. Et à partir de ce moment-là, on voit bien que les spiritualités sont en train de changer, l’empathie avec le vivant croit. J’essaye de comprendre ces moments de fond et en quoi ils dessinent un avenir un peu différent, plus séduisant. Peut-être que pour atteindre cet avenir il faut probablement passer par des choses moins drôles, ce qu’on va appeler effondrement, et caetera.

LVSL : Est-ce que vous avez déjà réfléchi à une traduction possible de vos conclusions en politiques publiques très concrètes ?

DB : Si on veut que l’effondrement potentiel de notre société soit moins violent, il faudrait dès maintenant se donner un objectif à l’échelle d’une société. Par exemple, on pourrait se dire que grâce à un référendum d’initiative populaire, on vote en France le fait de revenir à une empreinte écologique d’une planète – si tout le monde vivait comme un Français, il faudrait plus de trois planètes. Comment pourrait-on faire ça ? Comment pourrait-on y arriver ? Quels seraient les instruments en termes de politique publique qui permettraient quelque chose comme ça ? J’ai essayé de répondre ailleurs à ces questions.

LVSL : Quelle devrait être la place de la philosophie dans la planification de la transition ? À quel moment la philosophie intervient-elle par rapport à la décision politique et quelle structure pourrait porter cela ?

DB : Donner un sens à la transition, c’est la tâche du philosophe, mais aussi de l’artiste, du cinéaste, de l’écrivain, c’est la tâche de multiples types de fonctions dans la société. Si vous n’avez aucune vision de ce que pourrait être l’avenir, vous ne pouvez pas transiter, ou alors votre transition sera purement technocratique. Si revenir à une empreinte écologique d’une seule planète est une fin en soi, ça ne va pas être très motivant. Cela peut même devenir une espèce d’expertocratie assez effrayante. Ce qu’il faut bien comprendre dans ce moment où on est, c’est que toutes les choses doivent changer en même temps, mais avec une certaine synergie. Elles doivent converger vers un but et la philosophie est une des disciplines qui peut y contribuer, mais elle n’est évidemment pas la seule.

LVSL : Admettons qu’un candidat à la présidentielle vous donne carte blanche pour réaliser son programme en matière de transition écologique. Dans le cadre de votre champ, la philosophie, quelles propositions concrètes pourriez-vous faire pour rendre ce programme à la fois attractif et réaliste ?

DB : Le problème des défis qui sont les nôtres aujourd’hui, c’est que ce n’est pas quelque chose qu’un président peut décider. Pour changer, il faut changer ses modes de vie, ses façons de faire, etc., c’est assez intime. Ça ne veut pas dire qu’un président n’aurait aucun rôle. Imaginons précisément qu’un président se fasse élire sur un programme tel que je le décrivais tout à l’heure, celui de l’objectif d’une France à une empreinte écologique d’une planète en 2050. Il faudrait déjà que cet objectif soit accepté par quelque chose comme un référendum. Si vous n’avez pas plus d’une moitié de la population qui est décidée à y aller, qui a compris, qui le veut, et bien on ne peut pas.

Ensuite c’est extrêmement difficile un objectif pareil, on ne sait pas forcément comment on va faire. Du coup, le rôle de l’État c’est d’organiser le consensus autour de l’objectif, de mettre sur pied les indicateurs qui vont nous permettre de contrôler qu’on va bien vers cet objectif, mais en même temps il doit laisser la pluralité des moyens de parvenir à cet objectif. L’État doit permettre que la société tâtonne, qu’elle fasse des erreurs, des essais. Il faut qu’on soit ferme sur les objectifs et en même temps qu’on facilite cette liberté d’initiative. C’est pourquoi je tiquais un peu sur l’histoire du président. Ce n’est pas avec un : « Ça y est c’est décidé tout le monde me suit » qu’on va arriver à une empreinte écologique d’une planète.

Par ailleurs, j’ai souvent évoqué l’idée d’une troisième chambre. À peu près tous les systèmes politiques mondiaux démocratiques sont bicaméraux, c’est-à-dire où il y a deux chambres. On a en général une chambre comme l’Assemblée nationale en France où siègent les représentants de la nation. Leur rôle sera de trouver les moins mauvais compromis entre les partis et les intérêts associés à ces partis. Du coup, le temps présent domine tout.

Ensuite, il y a généralement la deuxième chambre. C’est plutôt la chambre qui va incarner les États dans une fédération, les régions, les territoires, etc. En France, si les territoires ruraux sont très représentés au Sénat, c’est parce qu’on imaginait que la ruralité allait apaiser en quelque sorte les conflits du travail. On reste encore sur les objectifs de conflits d’intérêts au présent.

En 2017 les émissions françaises de gaz à effet de serre ont augmenté de 3 %. A l’échelle internationale, elles augmentent tous les ans d’à peu près 2%. Ces chambres sont incapables de planifier et de réduire nos émissions. Et en même temps, on n’a pas grand-chose à mettre à la place du principe de représentation, même si on le conteste. Mais en le contestant, on le reconnaît. On déteste seulement quelqu’un qui ne nous représente pas. Tous les problèmes de ce pauvre Macron tiennent du fait qu’il est complètement différent. Les gens ont vraiment l’impression qu’il est à 180° différent d’eux et qu’il ne les incarne en rien.

Donc il y a besoin d’une chambre beaucoup plus spécialisée, axée sur les grands enjeux à long terme. Le problème de ces enjeux de long terme c’est que souvent, on ne les voit pas. Ça devient un peu moins vrai pour le climat maintenant, mais on ne les ressent pas suffisamment. Si vous n’avez pas un savoir scientifique, il est difficile d’avoir une idée précise du fait que le vivant s’effondre autour de nous. Sans le savoir scientifique, le changement climatique passe pour un changement de météo. On a besoin d’avoir un lieu où ces savoirs peuvent pénétrer l’espace social et où des gens se focaliseront sur les conséquences à long terme de nos actions. Qu’on le veuille ou non, tout ce qui nous tombe sur la tête aujourd’hui est le fruit de décisions antérieures.

Donc cette chambre doit être vraiment focalisée là-dessus, sans pour autant être composée uniquement de scientifiques, sinon on serait dans une espèce d’épistémocratie. Ce sont plutôt des citoyens connus pour leur engagement qui vont être pris dans cette chambre, avec pour mission d’essayer de discerner ce qui bouge dans la société. Cette chambre est là simplement pour opposer un veto momentané, pour contraindre les deux chambres classiques à rediscuter. On peut aussi s’en saisir pour s’opposer à des lois dont on sait qu’elles vont avoir un effet très destructeur. C’est un instrument certes insuffisant, mais qui pourrait permettre au Parlement de changer sa manière de faire les lois, d’être plus attentif, de façon plus expérimentale et systématique, à ce qui se passe sur les territoires. Avec une troisième chambre, on ne regarderait pas forcément les ZAD de la même manière par exemple, parce que dans certaines ZAD, il y a de véritables expérimentations. Par exemple sur le développement de lowtech, de mode d’organisation, etc.

C’est un instrument, qui en aucun cas ne suffirait. C’est un instrument qui peut permettre de changer la façon dont on fait la loi, en tenant compte des savoirs scientifiques et en regardant ce qui se fait dans les territoires.

LVSL : Est-ce que vous êtes en lien au quotidien avec des experts d’autres disciplines ? Comment travaillez-vous ensemble ?

DB : Ça m’arrive dans les conseils scientifiques, par exemple ceux des fondations. Par définition ce sont des conseils scientifiques pluridisciplinaires. C’est vraiment génial pour un philosophe parce que quand vous avez des questions à poser sur un certain sujet ou quand vous voulez voir comment certains scientifiques appréhendent leur propre savoir. Quand vous voulez réfléchir sur les questions d’environnement, il est absolument nécessaire d’avoir un savoir scientifique positif à disposition. Ça a vraiment été très important pour moi d’appartenir à de telles structures.

LVSL : Êtes-vous plutôt optimiste quant à la faculté de l’humanité à relever le défi climatique ?

DB : Alors il faut faire très attention, car il n’y a pas que le défi climatique. Le climat, ce n’est jamais que les conditions optimales d’épanouissement d’un certain type d’espèces. On le voit bien dans le rapport SR 15 du GIEC qui nous parle d’émissions négatives et de production électrique de masse avec de la biomasse, etc. En fait, ces solutions peuvent être très destructrices en termes de biodiversité. Donc c’est vraiment important de raisonner avec ce qu’on appelle les limites planétaires. Effectivement, les deux limites planétaires les plus importantes sont celles qui concernent l’évolution de la vie, avec d’un côté le taux d’érosion des espèces et ce qui menace l’intégrité des écosystèmes, et puis de l’autre côté, le climat.

Ce sont deux paramètres qui sont liés comme le recto et le verso d’une feuille de papier. Ce qu’on ne comprend pas toujours, et c’est assez grave, c’est que le basculement de l’un appelle celui de l’autre et réciproquement. Que ce soit en matière de climat ou en matière de vivant, on est malheureusement déjà dans une certaine forme d’irréversibilité. Donc si votre optimisme consiste à dire que ce n’est pas grave, qu’on va s’en tirer et que finalement on va surmonter tous nos problèmes, c’est totalement faux.

Ce n’est pas une question d’être optimiste ou d’être pessimiste : on est déjà entré dans l’anthropocène. Qu’on le veuille ou non, l’habitabilité de la Terre sera notablement fragilisée dans les décennies qui viennent. En revanche, le degré de fragilisation est encore en partie dans nos mains. Mais pour un temps très court, pour une dizaine d’années. Donc est-ce que je peux être optimiste dans les dix ans qui viennent ? Je crois qu’être optimiste ce serait tout simplement être mal informé.

Aujourd’hui vous avez partout des peuples qui choisissent ce qu’on appelle le populisme. Ce qu’ont en commun tous ces populistes – Trump, Bolsonaro, Salvini, les Polonais, Le Pen en France, les Hongrois, l’AFD en Allemagne – c’est le climatoscepticisme. Quand on nous dit : « Ouh là là si on écoute les écologistes on va avoir un régime autoritaire » je pense que les gens se trompent : on entre dans des régimes autoritaires, mais qui eux vont empirer et qui peut-être vont nous empêcher d’utiliser cette dernière décennie qui nous reste pour empêcher le plus grave. Alors attention, ça n’est pas fait : en même temps qu’il y a ces menaces populistes, il y a des forces dans la société qui sont en train de se lever.

Je dirais que l’année 2018 a été une année tout à fait particulière parce que c’est la première année au sein de laquelle le changement climatique est devenu sensible. Les gens l’ont touché, ils l’ont ressenti, ils ont été profondément affectés. En ce moment on est tout début février et en Australie c’est l’été austral. Les vagues de chaleur sont telles que dans certaines villes on avoisine les 50 degrés. Entre 40 et 45 degrés, toutes les plantes arrêtent la photosynthèse. Dans certains endroits en Australie vous avez des chauves-souris qui tombent de déshydratation et de chaleur. Donc là on commence à voir des choses, et du coup il y a un seuil de mobilisation. En 2018 et début 2019, des dizaines de milliers de gens se déplacent lors de mobilisation pour le climat. Avant ce n’était que des centaines et j’espère que demain ce sera partout des centaines de milliers. Donc là on est à un moment de changement très profond. On a franchi un seuil de mobilisation. Donc on voit bien qu’on a ces deux forces-là : des populistes qui sont très forts, qui font tout pour que les gens ne sachent pas, ne voient pas, et puis vous avez cette partie agissante plutôt jeune de la population qui, elle, a compris qu’il en va de sa propre vie. Je ne sais pas ce qui va en découler, mais je garde vraiment espoir que cette mobilisation d’aujourd’hui nous fasse agir à temps. Mais ce n’est pas de l’optimisme, c’est un souhait volontaire.

 

Retrouvez l’ensemble des épisodes de Les Armes de la Transition dans le dossier suivant (écrit) :

Et sur YouTube (vidéo) :

https://www.youtube.com/playlist?list=PLPGOXjDeue501zsAnWcxXH1LfUMOs3F4u

 

 

 

 

Quelles nouvelles de la Grande muraille verte ? Entretien avec Chérif Ndianor

Chérif Ndianor préside le Conseil de surveillance de l’Agence nationale de la Grande muraille verte au Sénégal. Nous l’avions premièrement rencontré pendant la COP24 puis ressollicité lors de son passage à Paris, car nous souhaitions qu’il nous en dise plus sur ce plan de reboisement pharaonique censé arrêter l’avancée du désert, et donc stabiliser les populations sahéliennes. Ce projet écologique d’une ambition sans précédent avait fait couler beaucoup d’encre lors de la COP21, suscitant beaucoup d’espoir pour un continent touché de plein fouet par le changement climatique. Le Sénégal est le pays qui, sur les 11 concernés par le projet, a le plus avancé dans les plantations. Comment cela se passe-t-il concrètement sur le terrain et où en sont ces travaux ?


 

LVSL : On a beaucoup entendu parler de l’immense projet de la Grande muraille verte ici en France, surtout à l’occasion de la COP21. Depuis, nous n’avons pas eu beaucoup de nouvelles. Pouvez-vous premièrement nous expliquer ce qu’est la Grande muraille verte, et dans quel contexte le projet est apparu ?

Chérif Ndianor : La Grande muraille verte est un projet qui est né d’un constat : l’avancée du désert est liée à la déforestation et au changement climatique. Au 7ème sommet de conférence des chefs d’États de la zone saharo-saharienne, en 2005, l’idée de créer une barrière d’arbres pour lutter contre l’avancée du désert a été émise pour la première fois. Le projet concerne 11 pays et vise à créer une ceinture verte, de Dakar à Djibouti (7 000 km de long). Le Burkina Faso, l’Erythrée, l’Éthiopie, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigeria, le Sénégal, le Soudan et Djibouti sont concernés par le tracé. Pour le Sénégal, le projet s’étend sur 545 km de long, 15 km de large et concerne trois régions : Louga, Matam et Tambacounda.

5 ans plus tard, le 17 juin 2010, l’agence panafricaine pour la Grande muraille verte a été créée à Ndjamena au Tchad. Elle est désormais basée en Mauritanie, mais dès 2008 déjà le Sénégal a créé sa propre agence nationale (décret 2008-1521 du 31 décembre 2008) et a commencé ses activités.

LVSL : On sait que l’Algérie de Boumédiène, dans les années 70, a été la première à évoquer un projet d’un barrage vert pour éviter la désertification saharienne qui menaçait les fertiles portes de l’Atlas. Était-ce une inspiration ?

Chérif Ndianor : Oui, on peut parler de cette idée algérienne, mais beaucoup d’autres théoriciens ont évoqué des projets de barrière verte pour endiguer le désert. La Chine qui lutte contre l’avancée du désert de Gobi est une vraie source d’inspiration. Mais l’idée est venue aussi d’un sentiment de nécessité des États concernés, qui finalement les a poussés à créer cette agence panafricaine pour vraiment lutter contre l’avancée du désert et la pauvreté dans cette zone.

LVSL : Qu’est-ce que la Grande muraille verte permettrait sur le plan environnemental, sur le plan climatique et sur le plan social ? Dans un contexte de changement climatique où la désertification avance vite au Sahel, est-il vraiment possible de gagner cette bataille et d’inverser la tendance à la désertification ? Est-ce que la muraille suffira ?

Oui, je pense que la Grande muraille verte peut suffire à inverser cette tendance-là. Ce qu’elle permettrait au niveau environnemental, c’est surtout d’encourager la conservation, la restauration et la valorisation de la biodiversité, mais aussi la durabilité de l’exploitation de la terre.

Au niveau climatique, nous participons à la séquestration de carbone dans les végétaux et dans les sols. Grâce au partenariat avec l’Observatoire Hommes-Milieux (O.H.M) et le CNRS, l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) a été mise à contribution pour travailler sur des méthodes de calculs pour comprendre le potentiel de séquestration par hectare planté.

L’impact social est déterminant. L’acacia que nous plantons fournit aussi de la gomme arabique qui peut également être valorisée donc génère des revenus pour la population locale. L’acacia Sénégal produit un fruit qu’on appelle chez nous le « soump », qui est commercialisé et dont les vertus médicinales sont connues.

Nous mettons en place des « jardins polyvalents villageois » (JPV) gérés par des femmes, qui permettent de produire des fruits et des légumes dans une zone pourtant très aride. Outre une amélioration de l’alimentation, de la nutrition et donc de la santé, ces femmes à travers leur organisation en groupements en tirent des revenus non négligeables.

Nous pensons vraiment que l’on peut gagner cette bataille avec un appui financier plus conséquent, et je pense qu’on va y arriver aussi. Ce projet la demande aussi beaucoup de ressources et c’est pour cette raison que nous sollicitons davantage le soutien et l’appui de nouveaux partenaires techniques et financiers.

LVSL : En Chine, la Grande muraille verte pour lutter contre l’avancée du désert de Gobi a provoqué des assèchements ponctuels des nappes phréatiques, car les arbres étaient en fait mal adaptés. Comment allez-vous réussir au Sénégal et en Afrique à prévenir de potentielles externalités négatives en termes environnementaux ?

Chérif Ndianor : Oui nous le savons c’est pourquoi notre approche a été assez différente de celle de la Chine. La Chine avait privilégié la quantité par rapport à la qualité. Les aspects biodiversité, diversité des espèces et espacements entre les espèces plantées n’y étaient pas trop pris en compte. Or il y a des écartements à respecter entre les arbres. Si on privilégie la quantité, alors trop d’arbres pompent dans la nappe phréatique en même temps quand il fait chaud actionner l’évapotranspiration.

Chez nous, on a d’abord fait le choix de confier tout ce travail sur les aspects biodiversité, choix des espèces et écartements à respecter aux experts : forestiers et universitaires. Ainsi, ils ont travaillé sur des espèces adaptées au type de sol et au type de climat local.

L’appui des universités et du CNRS français nous a aussi permis d’avoir une idée claire sur les espèces à planter et sur les écartements à respecter entre les différents arbres. Le choix a été fait de maintenir un écartement de 6 ou 8 mètres entre chaque arbre. Cela nous permet aujourd’hui d’avoir vraiment un très bon taux de réussite (taux de survie de chaque arbre planté) qui avoisine les 80%. Et pour l’instant ça marche très bien.

LVSL : Quand on dit Grande muraille verte on a en tête une ligne de forêt continue qui irait du Sénégal jusqu’à Djibouti. En réalité il s’agit plus d’un enchevêtrement de petites fermes, alors comment est-ce que vous allez mettre cela en œuvre, qui va construire tout ça ?

Chérif Ndianor : L’idée de grande muraille est symbolique. On sait très bien que techniquement ce n’est pas possible d’avoir un mur continu d’arbres de Dakar à Djibouti parce que cela traverse des espaces de vie où des populations vivent, des espaces d’agriculture, des espaces de pâturages. Et je pense même que ce n’est pas mieux, on a vu l’exemple de la Chine. Ce qu’on a fait au Sénégal et qui sera reproduit un peu partout, c’est de définir un tracé et d’y réaliser des activités de reboisement, de mise en défens, de valorisation du potentiel local (maraîchage, écotourisme, etc.). C’est donc, selon les endroits du reboisement – nous clôturons par exemple 5000 hectares pour empêcher le bétail de manger les jeunes pousses, mais aussi des jardins polyvalents ou simplement des réserves naturelles communautaires. Les activités y sont vraiment multiformes.

Avec le reboisement la faune revient aussi. Nous réintroduisons des espèces animales qui avaient disparu, on peut citer notamment des tortues dans la réserve naturelle communautaire de Koyli Alpha. Nous avons pour projet de réintroduire des gazelles et nous avons pu observer le retour des loups, des oiseaux, des insectes…

Nous développons aussi d’autres activités par exemple dans le Ferlo qui est une zone d’éleveurs peuls nomades. En saison des pluies ils se stabilisent, mais quand il n’y a plus d’herbes ils se déplacent, quitte à empiéter sur les cultures des agriculteurs sédentaires et de créer des conflits. Avec le projet de la Grande muraille, nous clôturons les pâturages ce qui permet de sédentariser ces éleveurs en leur offrant du travail. Mais cela permet aussi d’améliorer le niveau de fréquentation de l’école, parce qu’avec des rythmes nomades leurs enfants avaient généralement du mal à suivre.

LVSL : Il y avait des tensions entre les Peuls et d’autres communautés sédentaires pour la concurrence aux terres et qui maintenant diminuent avec la Grande muraille verte ?

Chérif Ndianor : C’est vrai qu’il y avait plus de tensions entre les éleveurs et les agriculteurs au niveau des terres. Mais aujourd’hui avec le projet, ce sont ces populations-là qui sont sur le terrain et qui le gèrent. Nous sommes là pour l’appui technique, l’appui logistique… mais le travail, c’est eux. Par exemple la période de collecte ou de récolte des fourrages pour les animaux, c’est eux qui la gèrent. Les jardins polyvalents permettent aussi une meilleure amélioration du voisinage entre les agriculteurs et les éleveurs.

LVSL : Concrètement, pouvez-vous nous parler de ces résultats ?

Chérif Ndianor : Nous produisons 1,5 million de plants par an. En 10 ans d’expérience de la Grande muraille sénégalaise, c’est donc 15 millions d’arbres qui ont été plantés. Nous mettons en place 1 000 km de pare-feu par an, que nous entretenons ou bien que nous ouvrons. Les pare-feux servent à lutter contre les feux de brousse qui détruiraient les jeunes plantations. On débroussaille pour que le feu soit circonscrit à un endroit bien précis en somme. Nous plantons 6 000 hectares de forêt par an et en protégeons autant pour qu’elles se régénèrent naturellement.

8 jardins polyvalents sont aménagés chaque année pour un chiffre d’affaire estimé à 2 millions de francs CFA que les femmes arrivent à récupérer. Nous formons également les populations à l’utilisation de la gomme arabique.

LVSL : Concrètement, qui construit tout cela et comment se passent les travaux ?

Chérif Ndianor : Il faudrait préciser premièrement que le reboisement ne se fait pas uniquement dans le cadre de l’agence nationale la Grande muraille verte. Le ministère de l’Environnement par le biais de la Direction des eaux et forêts fait aussi un gros travail en matière de reboisement.

De février à mars, on commence par identifier les zones à reboiser et nous effectuons un travail de préparation du sol appelé phase de sous-solage. Des tracteurs viennent tourner la terre pour faire des tranchées sur 30 mètres, ce qui permet à la terre d’absorber mieux l’eau. Ensuite, nous reboisons à la saison des pluies (juillet-septembre), autrement nous n’aurions pas assez d’eau facilement disponible.

Beaucoup d’acteurs interviennent sur le projet, dont l’Agence nationale de la Grande muraille par le biais de ses bases opérationnelles sur le terrain. Nous recrutons durant cette période-là au sein de la population locale. Nous recrutons de la main d’œuvre qui vient nous aider au jour le jour, mais aussi pour la préparation des pépinières qui se fait bien en amont.

Nous avons la chance aussi d’avoir des partenaires comme l’ONG internationale Sukyo Mahikari qui envoie en moyenne 300 personnes pour aider sur le terrain et des fonds. Ils sont basés un peu partout en Europe, aux États-Unis, en Asie. Nous avons aussi des associations locales de jeunesse. Le ministère de la Jeunesse organise des vacances citoyennes en envoyant des jeunes nous aider au reboisement, avec bien entendu la coordination de nos techniciens qui sont sur le terrain pour les orienter.

LVSL : Maintenant j’aimerais qu’on s’intéresse un peu aux mécanismes de financement pour ce projet : combien cela coûte-t-il au Sénégal ? Est-ce que l’argent va entièrement sur le terrain ?

Chérif Ndianor : Nous avons eu la chance d’avoir une volonté politique très forte dès le départ. Le Sénégal n’a pas attendu la création en 2010 de l’Agence panafricaine de la Grande muraille verte pour démarrer ses activités. Dès 2008 déjà, le Sénégal a créé son agence nationale et a commencé à mener des activités.

Cette volonté politique très forte se matérialise aujourd’hui par la signature d’un contrat de performances 2016-2018 entre l’État du Sénégal et l’Agence nationale de la Grande muraille verte du Sénégal dans lequel l’État s’est engagé à assurer les dotations financières nécessaires à la mise en œuvre de ce projet soit une subvention d’au moins 4.702.168.090 Francs CFA (soit 7 179 000 €) sur la période des trois ans.

La Banque mondiale qui intervient dans le programme PDIDAS (Programme de développement inclusif et durable de l’agro-business au Sénégal) a fourni une enveloppe de 3 millions de dollars pour cette période 2016-2018.

Le projet FLEUVE (Front local environnemental pour une union verte) est aussi financé par l’Union européenne à hauteur de 7,8 millions euros et concerne 5 pays du Sahel, dont 916 000 € pour le Sénégal sur la période 2016-2018. La FAO, via l’ACD (Action contre la désertification) a débloqué 41 millions d’euros sur 4 ans pour 6 pays africains, dont 1 553 00 € pour le Sénégal.

C’est dire donc qu’un budget conséquent a été octroyé. Ce qui traduit une volonté politique de donner plus d’impulsion, d’autorité et d’autonomie à un ensemble d’activités nouvelles ou insuffisamment prises en charge. Ce n’est évidemment jamais assez, mais c’est énorme quand même. Il faut reconnaître que l’État a fait un effort important et son engagement va en augmentant.

Ces fonds vont uniquement aux projets auxquels ils sont destinés et nous sommes là sur le terrain pour le vérifier. Aujourd’hui, il y a un changement de paradigme. Avec l’arrivée au pouvoir du président Macky Sall et à travers “l’Axe 3 Bonne Gouvernance” du PSE (Plan Sénégal émergent), l’accent est surtout mis sur la gestion axée sur les résultats et les performances avec un impératif de rendre compte. Donc on peut dire qu’il y a tout de même une rigueur dans la gestion de ces fonds et dans l’accomplissement de ces différentes activités.

LVSL : Pourquoi le Sénégal est le seul pays qui avançait sur le dossier jusqu’à présent ? Vous avez cité les 11 pays du tracé, mais on se rend compte avec les photos satellites qu’en fait il n’y a qu’au Sénégal que les arbres apparaissent.

Chérif Ndianor : Je ne peux pas vous laisser dire que le Sénégal est le seul pays qui a avancé sur ce projet-là. Peut-être que le Sénégal est en avance par rapport aux autres, car nous avons commencé 2 ans avant la création de l’Agence panafricaine, en 2008. Beaucoup de pays ont depuis commencé comme la Mauritanie, le Niger, le Burkina Faso entre autres. La Mauritanie, qui abrite l’Agence panafricaine, a d’ailleurs très bien démarré avec plus de 1 000 km de tracé défini. Chaque pays a sa spécificité, ses contraintes, ou bien ses priorités, mais aujourd’hui on peut quand même dire que tout le monde est sensibilisé par rapport à ce projet.

Depuis la COP21, les chefs d’État se sont rencontrés et il y a même d’autres pays qui ne faisaient pas partie du tracé qui demandent à y être intégrés, comme l’Algérie ou les pays du bassin du Congo. Toute l’Afrique aujourd’hui est intéressée et beaucoup d’envoyés viennent au Sénégal pour s’inspirer et peut-être transposer dans leurs pays des pratiques similaires.

LVSL : La dimension sécuritaire entre aussi en compte ? Puisque le Sénégal est relativement épargné par le péril djihadiste. Boko Haram par exemple frappe plutôt d’autres pays sahéliens et ça n’aide évidemment pas ces pays à accélérer les travaux.

Chérif Ndianor : Oui effectivement, chaque pays a ses priorités. Nous avons la chance d’être épargnés de ces risques et d’être un pays stable démocratiquement, avec des alternances qui se passent sans problème. Nous avons aussi des experts reconnus dans le monde entier. Je le constate aussi quand je vais dans les sommets internationaux ; les experts sénégalais sont à la tête de plusieurs structures. C’est un atout indéniable.

Mais aujourd’hui beaucoup de pays sont sensibles à cette question-là. Le cas du Nigeria est intéressant puisqu’il a pour projet de replanter 1 500 km avec le but affiché de lutter ainsi contre Boko Haram via l’amélioration des conditions de vie des populations. On sait qu’une bonne partie des gens qui vont se radicaliser le font à cause de leurs conditions de vie précaires. Donc je pense que c’est un projet panafricain intégrateur, qui peut permettre en plus de lutter contre la pauvreté, de lutter peut-être aussi contre le terrorisme, mais aussi contre les migrations clandestines en fixant les populations autour d’une activité, des revenus…

LVSL : Est-ce que vous pensez que ce projet-là peut suffire à fixer les populations sahéliennes et ainsi tarir les flux des migrations interafricaines et intercontinentales ?

Chérif Ndianor : Bien sûr. La première vague d’immigration sénégalaise vers la France a eu lieu dans les années 70, années de sécheresse. La sécheresse a poussé les populations à migrer des zones rurales vers les zones urbaines, puis vers l’immigration clandestine. La Grande muraille permet de régler le problème à la racine. Mais il n’y a pas seulement ce projet-là. Le Sénégal est en train de mettre en place d’autres projets comme les aménagements hydroagricoles visant à l’autosuffisance alimentaire. Toute la zone de la vallée du fleuve Sénégal a vu l’aménagement de terres pour faire de l’agriculture, de la riziculture, etc.

LVSL : La Grande muraille verte est un projet pharaonique, est-ce qu’il y a d’autres grands projets écologiques en Afrique qui suivent cet exemple-là ?

Chérif Ndianor : Oui, j’en citerais deux particulièrement ambitieux comme le projet d’appui à la transition agro-écologique en Afrique de l’Ouest (PATAE) qui a été lancé en avril 2018 à Abuja (Nigéria) avec 8 millions d’euros et qui s’étend sur 4 ans (2018-2021). Il rassemble la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal et le Togo. Il est cofinancé par l’Agence française de développement et la CEDEAO.

Il y a aussi le Fonds bleu, projet du bassin du Congo avec 12 pays africains donc l’objectif est de subventionner des projets qui permettent de préserver ce territoire de la déforestation et des dégradations environnementales. Le bassin du Congo est le deuxième poumon mondial après l’Amazonie, il faut donc protéger ses 220 millions d’hectares de forêts. 101 millions d’euros par an vont être mobilisés autour de ces projets que je trouve vraiment intégrateurs et qui peuvent permettre à l’Afrique de lutter efficacement contre la désertification et les changements climatiques.

 

Image à la une : © Clément Tissot pour Le Vent se Lève

Les politiques européennes contre le changement climatique : entre progrès et hypocrisie

Marche pour le climat, Paris, 2018, Photo © Vincent Plagniol pour Le Vent se Lève

À l’occasion de la récente COP24, alors que l’Union européenne se targue d’être le leader mondial en matière de défense du climat, il convient de s’interroger sur la place accordée à cet enjeu primordial dans les politiques de l’Union. Qu’il s’agisse de négociations à l’échelle internationale ou bien au sein même de l’UE, l’histoire des politiques qui visent à protéger la planète des changements climatiques et de leurs dangers se présente comme tumultueuse et non linéaire.


 

« L’homme a été doué de raison et de force créatrice afin de multiplier ce qui lui a été donné. Mais jusqu’à présent il n’a fait… que détruire ! Il y a de moins en moins de forêts !… Les rivières se dessèchent ! Le gibier disparaît ! Le climat se détériore !… De jour en jour la terre devient de plus en plus pauvre et de plus en plus laide… », peut-on lire dans la pièce de théâtre Oncle Vania d’Anton Tchekhov. Bien que le texte soit paru en 1897, ces propos semblent faire écho à la situation actuelle : le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié le 8 octobre 2018, confirme que la température mondiale a augmenté de 1 °C en moyenne par rapport à l’ère préindustrielle et expose les risques tragiques d’une augmentation au-delà de 1,5 °C (qui devrait intervenir d’ici 2030-2052).

L’urgence de réduire les émissions de dioxyde de carbone de 45 % d’ici 2030 et d’atteindre la neutralité carbone avant 2050 est par conséquent de plus en plus pressante. Les scientifiques tirent – encore ! – la sonnette d’alarme, en rappelant que ce sont les activités humaines qui sont responsables du réchauffement climatique, tandis que les opinions publiques s’approprient cette lutte – face à l’inefficacité des décideurs politiques – en multipliant les initiatives citoyennes (à l’instar des Marches pour le Climat). Il nous semble pertinent, dans ce contexte, de nous pencher sur la place historique de la lutte contre le changement climatique dans les négociations politiques de l’Union européenne : longtemps (auto-)présentée comme leader mondial en matière de climat, l’Union européenne s’est-elle montré à la hauteur du drame malheureusement déjà en cours qu’est le changement climatique ?

La politique de l’Union européenne mise en œuvre pour limiter le changement climatique s’inscrit d’abord dans des négociations à l’échelle internationale. En 1972, la Conférence de Stockholm réunit les États des Nations Unies qui, pour la première fois, envisagent une coordination politique internationale en matière de protection de l’environnement et de la planète. Mais la question climatique ne sera discutée en tant que telle que 20 ans plus tard. En effet, au cours du sommet de la Terre de Rio de Janeiro (3 juin-14 juin 1992), 154 pays et l’Union européenne signent la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. La CCNUCC réunit annuellement 197 parties depuis 1995 au cours des fameuses COP (Conferences of the Parties). Ces conférences se tiennent à chaque fois dans une ville différente et rassemblent les dirigeants des parties ainsi que des acteurs non-gouvernementaux (ONG, scientifiques, etc.). Leur objectif est de dresser un état des lieux climatique et de s’accorder sur les impératifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Notons que sur les 24 COP qui ont d’ores et déjà eu lieu, 11 se sont déroulées dans des villes de l’Union, ce qui témoigne d’une forte implication.

« La première pierre d’un régime juridique de la protection du climat » est posée à l’occasion de la COP3 qui s’est déroulée à Kyoto en décembre 1997. À l’issue de cette COP, le Protocole de Kyoto est signé le 11 décembre 1997. Cependant, il n’entrera en vigueur que le 16 février 2005, après que 55 parties de la Convention responsables d’au moins 55 % des émissions de CO2 aient ratifié le texte. Il s’agit du premier engagement ambitieux, parce que supposé juridiquement contraignant – bien que l’on puisse parler ici de « droit mou » -, sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les parties signataires de l’annexe 1 s’engagent à une réduction des émissions de 5 % en moyenne au cours de la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2012 (par rapport au niveau d’émissions de l’année 1990). Notons que l’engagement de réduction de l’Union Européenne (-8 %) est le plus élevé, avant les États-Unis (-7 %), le Canada et le Japon (-6 %).

Le fait que l’Union se soit présentée comme une partie en soi au cours des négociations n’empêche en rien des divisions entre les États membres (et même au sein de ces États). Cela n’a également pas permis aux positions de l’UE de s’imposer face à celles défendues par les États-Unis, notamment en ce qui concerne les objectifs quantitatifs et les mécanismes de flexibilité qui s’articulent autour d’un système de quotas de droits à polluer. L’article 4 du Protocole permet cependant, comme le souhaitait l’Union Européenne, que des pays de l’annexe 1 puissent s’organiser en « bulle » – c’est-à-dire en organisation collective et solidaire – pour remplir les objectifs du Protocole, selon un principe d’application conjointe. Finalement, l’Union apparaît comme la bonne élève si l’on doit la comparer aux États-Unis qui ont refusé de prendre part au Protocole, bien que responsables alors de 20 % des émissions de CO2. Le 31 mai 2002, l’Union Européenne ratifie le document, tandis qu’un accord communautaire répartit les objectifs de réductions entre les différents États membres.

Plus récemment, c’est la COP21 (qui s’est tenue à Paris du 30 novembre au 12 décembre 2015) qui a fait couler beaucoup d’encre : l’accord de Paris sur le climat, signé par les 196 délégations de l’ONU (195 États et l’Union Européenne, compétente pour la ratification), entre en vigueur le 4 novembre 2016. Il fixe la limite du réchauffement climatique nettement en dessous des 2 °C d’ici à 2100, avec 1,5 °C comme objectif. Mais encore une fois, c’est seulement lorsque l’on compare l’UE avec les États-Unis (Donald Trump ayant annoncé le retrait des États-Unis de l’accord de Paris le 1er juin 2017) qu’elle semble agir selon la ligne fixée par l’accord. En réalité, aucun pays membre de l’UE ne respecte à ce jour les objectifs fixés, si l’on en croit le classement du Climate Action Network (CAN), daté du 18 juin 2018. Sept pays européens se sont rassemblés à Paris fin avril 2018 pour encourager l’UE à se montrer plus ambitieuse sur ses objectifs pour l’année 2030, mais le CAN affirme qu’ils ne se montrent pas assez rigoureux quant à leur réduction nationale d’émission de gaz à effet de serre. La déception est d’autant plus grande que l’Union s’était présentée comme chef de file au moment de l’accord de Paris.

L’histoire des politiques communes au sein de l’UE concernant le changement climatique est également récente : le traité de Rome ne donnait aucune compétence à la Communauté Européenne en matière d’environnement. De plus, l’Acte unique européen de 1986 est généralement considéré comme le point de départ de la politique européenne environnementale, mais les enjeux du changement climatique deviennent une compétence de l’Union européenne seulement avec la signature du Traité de Lisbonne, le 13 décembre 2007 (en vigueur le 1er janvier 2009). Un nouvel objectif commun aux États membres voit alors le jour, à savoir « la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement, et en particulier la lutte contre le changement climatique » (article 191 du TFUE). Pour ce qui est de l’institutionnalisation nécessaire à la mise en œuvre de cet objectif, un poste de commissaire à l’Action pour le Climat est créé à la Commission européenne en 2010. Une direction générale Climat est, de plus, chargée de proposer des politiques de lutte contre le changement climatique et de représenter l’Union dans les négociations internationales pour le climat.

Concernant les dispositifs législatifs, le Paquet Énergie-Climat est signé lors du Conseil européen de Bruxelles les 11 et 12 décembre 2008 et adopté ce même mois par le Parlement européen et le Conseil des ministres. Il s’articule autour de l’objectif dit des « 3×20 », selon lequel d’ici à 2020, la part des énergies renouvelables européennes doit passer à 20 %, les émissions de CO2 doivent être réduites de 20 %, tandis que l’efficacité énergétique doit être améliorée de 20 % (ce dernier objectif n’ayant pas de nature contraignante, contrairement aux deux premiers). Cet ensemble de mesures a été complété par de nouveaux objectifs fixés pour la période 2020-2030 qui s’inscrivent dans le Cadre d’action en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030. L’UE s’engage alors à réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, à porter la part d’énergie renouvelable à 27 % et à améliorer l’efficacité énergétique de 27 %. Notons que seul le premier de ces objectifs a une nature contraignante.

Dans le cadre de la ratification du Protocole de Kyoto, un marché européen de quotas de CO2 (Système communautaire d’échange de quotas d’émission, SCEQE-UE) a été mis en place au sein de l’Union Européenne (à partir de 2005). Cet outil propose que les entreprises de certains secteurs vendent et achètent des quotas d’émission de CO2. Il rencontre de très nombreuses critiques : comment peut-on faire confiance aux mécanismes du marché pour réduire drastiquement les émissions de carbone ? Le SCEQE s’est d’ailleurs montré inefficace à dissuader les entreprises à limiter rigoureusement leurs émissions de carbone.

Notons, pour conclure, que les négociations de la COP24 ont témoigné d’un nivellement par le bas au sein de l’UE, dont se rendent notamment responsables l’Allemagne et la Pologne, qui continuent d’investir dans le charbon. Certes, faire un détour par l’histoire nous permet de constater une volonté de l’UE de s’imposer dans les négociations internationales climatiques, tout en fixant des objectifs communs et en mettant en œuvre des dispositifs pour ses États membres. Cependant, au-delà de ce cadre purement théorique dans lequel « les dirigeants européens se sont engagés à transformer l’Europe en une économie à haute efficacité énergétique et à faible émission de carbone », il reste à voir ce qui est effectivement mis – ou non – en œuvre.

 

Crédits photo @Spielvogel, Wiki Commons

« Seul un « Green New deal » européen nous permettrait de nous en sortir par le haut » – Entretien avec Aurore Lalucq

Aurore Lalucq

Aurore Lalucq est économiste de formation et travaille depuis quelques temps sur le financement de la transition écologique, a fortiori au niveau européen. C’est plus particulièrement sur ce sujet que nous avons souhaité l’interroger, dans un contexte post COP24 où l’Union européenne bégaie sur ses politiques climatiques et où le mouvement des gilets jaunes pose directement la question du facteur social dans la transition écologique. Aurore Lalucq a notamment publié Faut-il donner un prix à la nature avec Jean Gadrey (Éditions Les Petits Matins 2015), qui a obtenu le prix du livre de la Fondation de l’Écologie politique. Elle est directrice de l’institut Veblen et porte-parole du mouvement Génération.s.


 

LVSL – Dans une tribune parue dans le JDD vous plaidez pour la mise en place d’un Maastricht vert en privilégiant le budget carbone. Dans un premier temps, pourriez-vous nous dire quel bilan vous tirez de l’action communautaire européenne en matière climatique ?

Aurore Lalucq – Il y a eu du positif, mais il y a désormais beaucoup de négatif. L’Europe a longtemps été pionnière dans le domaine environnemental que ce soit à travers son rôle dans le débat international ou la mise en place de directives comme Reach visant à limiter les polluants chimiques. Mais depuis l’échec de Copenhague et malgré l’accord de Paris, nous sommes entrés dans un statu-quo d’autant plus inquiétant que les émissions de gaz à effet de serre repartent à la hausse sur le continent. Et le marché de quota de CO2 demeure défaillant. Rappelons que sur ce marché, mal régulé (trop de droits à polluer ont été émis) et gangréné un temps par une fraude massive, la tonne de CO2 s’échange autour de 9 dollars la tonne d’après le dernier panorama d’I4CE. Un montant bien trop faible pour modifier nos modes de production.

La situation ne serait pas dramatique si en parallèle l’Europe investissait massivement dans la transition écologique, puisque investir dans l’isolation des bâtiments, les renouvelables, etc. s’avère bien plus efficace que donner un prix au carbone (un prix n’a jamais rien sauvé, ce n’est pas son rôle). Malheureusement dans ce domaine la situation n’est guère plus réjouissante. Le plan Juncker, présenté comme un succès par les institutions européennes, parait bien modeste compte tenu de l’échelle du continent. Par ailleurs, son mode de fonctionnement (débloquer des euros pour permettre d’en débloquer d’autres, c’est-à-dire faire levier sur la levée de fonds) limite le financement d’un grand nombre de projets.

Parallèlement, la transition écologique devient prétexte à la dérèglementation financière. Ainsi depuis plusieurs mois, la Commission européenne évoque la possibilité de réduire les exigences en capital des banques (leurs coussins de sécurité en cas de problème) dès lors qu’elles octroient des prêts ou financent des investissements dits verts. C’est ce qu’on appelle le « le Green Supporting Factor ». L’idée est simple. Pour inciter les banques à financer la transition écologique, il suffirait de les pénaliser, en accroissant leurs exigences en capital quand elles financent des énergies carbonées par exemple, et de les soutenir en réduisant ces mêmes exigences quand elles financent des énergies renouvelables… Une idée risquée dans un contexte financier en proie à l’instabilité.

Bref, aujourd’hui le bilan est plutôt décevant. Néanmoins, il serait un peu trop facile d’imputer la responsabilité de cet échec à l’Europe. À mon sens, cette situation est bien plus le résultat de jeux troubles menés par les États qui excellent pour s’engouffrer dans les failles béantes d’une construction européenne inachevée et défendre leurs intérêts nationaux.

Du fait de l’importance prise par l’intergouvernementalité, c’est-à-dire du poids des États dans la prise de décision au niveau européen, le bilan de l’action communautaire est surtout celui des États. Et c’est bien l’action des États qui plombe aujourd’hui celle de l’Europe. Je ne dis pas que la zone euro et l’Union européenne sont dénuées de défauts, loin de là, mais qu’il serait intellectuellement faux et malhonnête de ne pas relever l’existence de manœuvres étatiques.

Ainsi durant la crise financière (et la crise grecque !), les deux pays moteurs de la construction européenne –  la France et l’Allemagne –  ont avant tout cherché à protéger leurs intérêts économiques et leurs bastions bancaires. En outre notre pays s’avère très actif dès qu’il s’agit de torpiller toute velléité de régulation bancaire.

La même chose se passe du côté de l’environnement. Prenons l’exemple du marché de CO2. Derrière une union de façade, les égoïsmes nationaux ont conduit à une allocation initiale de droits trop importante par rapport aux besoins réels. Le résultat fut un matelas de droits d’émissions non utilisés qui s’est progressivement constitué au cours de la décennie passée. Un matelas tellement important qu’il est étonnant de ne pas voir avoir vu le prix de la tonne de CO2 tomber à zéro ! Les États membres n’ont aucun intérêt à reformer ce marché. D’ailleurs aucun pays n’émerge réellement en leader de cette réforme. Ce sont la Commission et surtout le parlement qui portent ce combat aujourd’hui.

Et non seulement le marché carbone européen est inopérant pour le moment – espérons que les réformes en cours porteront leurs fruits, mais il ne prend pas toutes les émissions en compte : celles issues de l’agriculture, du transport, le bâtiment etc. n’y sont pas intégrées. Leurs niveaux sont déterminés à travers un mécanisme peu connu : le règlement sur la répartition de l’effort. En 2017, lors des négociations, la France a tout fait pour que ce budget carbone soit le plus élevé possible afin d’afficher une trajectoire de diminution de ses émissions extrêmement vertueuse… ce qu’elle n’a même pas réussi à faire par ailleurs. Toujours lors de ces négociations, la France s’est assurée l’appui de la Pologne en lui promettant son soutien pour ses centrales à charbon. La Commission et le parlement n’ont rien pu faire.

Autre exemple : les accords de commerce. Les dirigeants français ont beau jeu de dire que le CETA leur a été imposé par l’Union européenne… il faut savoir qu’en ce moment même, c’est la France qui fait du forcing pour faire avancer les accords avec la Nouvelle-Zélande, qui vont eux aussi à l’encontre des accords de Paris. Nous devons donc faire face à un double discours des États qui accusent en permanence l’Europe de tous les maux quand cela les arrange, alors qu’ils troublent régulièrement les négociations. Face à ces manœuvres, l’Union européenne est relativement démunie.

L’Europe c’est donc avant tout ce que les États décident d’en faire. Et la situation actuelle est bien regrettable, car nous sommes en train de nous priver de l’outil européen pour lutter contre le dérèglement climatique, alors qu’il constitue une échelle pertinente pour mettre en œuvre la transition sociale-écologique.

LVSL – Quand vous parlez de Maastricht vert, qu’entendez-vous par ce terme ? Quel rapport avec Maastricht ?

AL – C’est un titre à vrai dire un peu provocateur, pour essayer d’enclencher le débat sur les indicateurs, l’urgence de la transition écologique et le projet européen. On aurait tout aussi bien pu parler de pacte de stabilité… L’idée était à la fois de démontrer la vétusté de nos indicateurs actuels et leur caractère absurde compte tenu des enjeux environnementaux et politiques actuels. Rappelons que la seule réponse européenne aux dérives xénophobes italiennes porte sur son budget.

Au niveau européen et national, nos indicateurs principaux portent sur le niveau d’endettement public et la croissance du PIB.

Commençons par les indicateurs budgétaires. Ils ne veulent rien dire d’un point de vue économique. Un pays peut aller très bien (cf. le Japon qui n’est pas dans un état déplorable, me semble-t-il), avec un taux d’endettement autour de 250%, et très mal (voir certains pays d’Amérique latine) avec un taux d’endettement de 60%.  Ce qui compte ce n’est pas niveau d’endettement, mais l’usage qui est fait de cette dette : couvre-t-elle les frais de fonctionnement ? Si oui, s’agit-il d’une phase transitoire ou non ? A-t-elle été contractée pour investir, dans l’éducation, l’environnement, la santé, etc. ? Quid du rapport de force du pays sur la scène internationale ?

Nous autres économistes hétérodoxes avons perdu la bataille intellectuelle sur ce sujet. Je crains que nous n’arrivions pas à faire comprendre qu’une crise financière vient des dettes privées et non des dettes publiques et que c’est ce niveau de dettes privées qu’il faudrait analyser de manière fine.

D’où l’idée de passer à d’autres indicateurs. De toute façon, il est illusoire de penser qu’un projet de société construit autour d’un taux d’endettement peut faire rêver…

L’autre point de débat, c’est la question de la croissance du PIB : peut-on suivre une trajectoire dite de « croissance verte » ou doit-on décroître ? Le problème de ce débat, c’est qu’il maintient le PIB dans une position centrale, là où il nous faudrait faire un pas de côté, passer à autre chose. Je plaide pour ma part pour la post-croissance. Le PIB a été créé et adopté à un moment précis, celui de la crise des années 1930 aux États-Unis, et celui de la France de l’après-guerre, dans une perspective de (re)construction d’un pays. Le développement matériel était le principal objectif poursuivi et le PIB le parfait indicateur  pour analyser si les politiques menées allaient dans le bon sens. Aujourd’hui, aux vues des enjeux environnementaux, il est clairement inadapté, il faudrait en sortir. Dans nos sociétés sur-développées matériellement, il ne s’agit pas de produire plus, mais de partager, de répartir les richesses. De passer du toujours plus au mieux. On peut parfaitement conserver le PIB en parallèle, mais il faut de toute urgence que des indicateurs physiques et sociaux guident nos politiques publiques. Car il est impossible de mesurer l’état de l’environnement avec un indicateur dont le but est de mesurer l’activité économique. C’est absurde, on regarde la mauvaise jauge. Excusez cette métaphore malheureuse, mais vous viendrait-il à l’idée de regarder votre jauge d’huile pour savoir s’il vous reste de l’essence ? Non. Et bien c’est pareil pour le PIB. Il ne peut rien nous dire sur l’état de la biodiversité ou le dérèglement climatique. Ce n’est pas son rôle. Il n’a pas été créé pour cela. Si nous voulons connaitre l’état de l’environnement, il nous faut passer à des indicateurs physiques.

D’où l’idée pour relancer le projet européen et embrasser un projet ambitieux de transition sociale-écologique, d’adopter des critères ayant une réalité tangible, comme celui du budget carbone. L’adoption de tels indicateurs nous permettrait de sortir de la politique des petits pas.

LVSL – Toujours dans cette tribune, vous dites « la répartition du budget carbone ne peut évidemment faire fi de la responsabilité historique de notre continent dans le dérèglement climatique, des différences de niveau de vie ou encore de la démographie. C’est pourquoi elle ne pourra se faire que sur la base de critères économiques et sociaux ». Du coup comment est-ce qu’on fait concrètement pour déterminer qui est responsable de quoi et qui doit faire quoi ? Comment est-ce qu’on peut empêcher des pays émergents comme l’Inde, la Chine ou le Nigeria de polluer davantage ? Que répondriez-vous à Jair Bolsonaro quand il dit que la préservation de la forêt amazonienne est un frein au développement économique de son peuple ?

AL – Le mot empêcher est très intéressant. Il ne s’agit pas de les empêcher, il s’agit de nous empêcher. C’est totalement différent.

Car c’est bien notre pollution qui se trouve en Chine, en Inde, au Bangladesh et où sont produits nos habits, nos meubles, nos brosses à dents, nos produits de consommation courante. Accuser ces pays de trop polluer est d’un très grand cynisme et nous permet de maintenir une certaine forme de déni quant à notre responsabilité historique dans le dérèglement climatique et la perte de biodiversité. Il est assez intéressant d’étudier les balances commerciales en flux physiques plutôt que monétaires. Non seulement les pays occidentaux émettent beaucoup de gaz à effet de serre depuis leur territoire, mais la situation est bien plus préoccupante si on intègre les émissions des produits importés.

Aussi si l’objectif est de réduire la production là-bas, alors nous devons réduire notre consommation ici et réguler d’un point de vue social et environnemental le commerce international. Il y a donc urgence à sortir de la surconsommation et à revenir à quelque chose d’un peu plus raisonnable. D’être plus matérialiste en somme et moins dans le tout jetable. De reprendre le temps de faire. En cela la réduction du temps de travail couplée à une réforme fiscale ambitieuse pour éviter les effets rebonds de consommation (en gros que cette RTT ne se traduise par plus de voyage en avion par exemple) me parait une piste prometteuse .

Ensuite, il ne s’agit pas d’aider les pays dits en voie de développement, mais de leur rendre leur dû : l’accès aux technologies les moins polluantes, des transferts d’argent afin qu’ils puissent laisser certaines ressources dans leur sol, etc. C’est la moindre des choses compte tenu du fait que nous leur avons pris leur droit à polluer.

Concernant Bolsonaro et la forêt amazonienne, ne nous mentons pas. Ce type de personnage trouvera toujours des arguments pour justifier une politique réactionnaire dans le domaine des mœurs, de la démocratie, du social et évidemment de l’environnement. Mais sa réaction vient d’autant plus justifier la nécessité de créer des fonds pour que les pays riches permettent à chaque pays de choisir son mode développement et puisse ne pas exploiter certaines ressources naturelles.

Attention néanmoins à la tentation de créer des sanctuaires dans d’autres pays pour pouvoir justifier la non-remise en cause de notre modèle de développement. C’est aussi chez nous, et surtout dans nos villes, que nous devons réintroduire des végétaux et préférer les infrastructures végétales au béton. C’est avant tout chez nous qu’il faut empêcher l’artificialisation des sols, la destruction de zone humide, etc.

L’enjeu est de retrouver un semblant d’équilibre écologique et éviter de polluer ici et compenser ailleurs qui constitue une ineptie environnementale (la destruction de la nature ne se compense pas) et une injustice sociale. Il faut empêcher et compenser nos émissions avant tout sur place, c’est le seul moyen d’entamer un début de rééquilibrage.

Sur la question de la répartition des budgets carbone, ma référence ce sont les travaux d’Eloi Laurent. Il établit toute une série de critères pour déterminer le niveau du budget carbone. Il propose ainsi que ce budget ne soit pas comptabilisé dans l’absolu, mais relativement à la population et au niveau de développement économique, par souci d’équité. Par exemple si la Chine est le premier émetteur de CO2 au monde, c’est aussi le pays le plus peuplé. Si on ramène les émissions chinoises à sa population, celles-ci sont nettement inférieures à celles des États-Unis. Ensuite, la question du niveau du développement entre en compte. La France et l’Allemagne par exemple ont un niveau de développement matériel qu’un pays comme le Gabon ou le Bangladesh sont loin d’avoir. Ces pays ont donc le droit de polluer pour se développer comme ils l’entendent. Enfin, dernier critère celui de la responsabilité historique des pays. Tous les pays n’ont pas le même historique d’émissions de CO2. Il serait injuste de demander les mêmes efforts aux Européens qu’aux Vietnamiens par exemple. Pour toute cette série de critères, Eloi Laurent propose de s’appuyer entre autres sur les écarts à la moyenne. Une solution technique simple et efficace.

LVSL – Vous dites qu’il s’agirait de partager équitablement les quantités de gaz à effet de serre émis entre les pays membres sur la base de critères économiques et sociaux. Toujours dans votre tribune, il est écrit que : « dans cette perspective, la réalisation des objectifs serait effectivement contrôlée et sanctionnée ». Par quel mécanisme institutionnel vous voulez pousser l’Union européenne dans cette direction ?

AL – Le pacte de stabilité n’a cessé d’évoluer. Au seuil des 3% de point de PIB pour les déficits publics et des 60% pour la dette ont été ajoutés d’autres indicateurs macro-économiques, c’est ce qu’on appelle le 2 packs puis le 6 packs, etc. Il s’agit d’une véritable usine à gaz dont les effets économiques sont souvent négatifs puisqu’elle a pour effet d’accentuer les cycles économiques. Je m’explique : l’économie est une machine assez sensible ; quand elle est en surchauffe, il faut la ralentir, et inversement quand elle ne va pas bien, il faut la relancer. Avec ce type d’indicateur, la tentation est grande de mener toujours la même politique, ce qui a pour effet de renforcer les phases de récession. Et si la croissance du PIB n’est pas bonne pour l’environnement, l’austérité ne fait pas de bien non plus, car elle impacte négativement l’investissement. D’où l’idée de faire évoluer ces packs vers des indicateurs physiques et sociaux. On pourrait imaginer un plafond physique (à ne pas dépasser : CO2, méthane, destruction de la biodiversité…) et un plancher social (en dessous duquel il ne faudrait pas descendre : taux de pauvreté, etc.) par exemple, en fonction desquels seraient déterminées les politiques et les directives. Ces seuils pourraient être réévalués en fonction de l’évolution de l’état social et environnemental du continent.

Notez qu’en cas de non-respect du pacte de stabilité des sanctions financières sont normalement prévues (de l’ordre de 0,2 % du PIB). Si ces sanctions ne sont jamais appliquées, cette possibilité de taper au portefeuille existe. On pourrait ainsi parfaitement imaginer un fonds de transition écologique pour aider certains pays dans leur transition , financé par les amendes aux pays qui ne respectent pas les objectifs. La vraie difficulté est politique et non technique.

LVSL – Sur le plan politique, quelle est selon vous la bonne stratégie politique pour arriver à imposer ces quotas carbone ? Comment dépasser les blocages créés par des pays qui ne voudraient pas coopérer ?

AL – Ce n’est pas simple. À mon sens, il faut dans un premier temps lever l’opacité en termes de gouvernance qui règne en Europe. Comment ? En donnant un peu plus vie au parlement européen, en exigeant des comptes-rendus et verbatims des réunions de négociations afin de démasquer les stratégies égoïstes de certains États.

Ensuite, il nous faudrait une institution européenne qui ressemble à l’organe de planification à la française. Je m’explique : le Plan à la française n’avait rien à voir avec la planification soviétique. Cet organe a été créé en 1944. Il s’agissait d’un endroit où les différents corps intermédiaires, les partenaires sociaux, discutaient en permanence pour penser le long terme et mettre en œuvre les objectifs assignés. Comme le disait le gaulliste Pierre Masset, le plan est un « réducteur d’incertitude ». C’est exactement ce dont nous avons besoin aujourd’hui : du dialogue, de la réduction des incertitudes pour penser le long terme et changer de mode de développement. Alain Lipietz l’explique parfaitement dans ses travaux.

Enfin pour coopérer et dépasser les blocages entre pays certains pas devront être faits. La question du nucléaire français bloque beaucoup de dossiers avec l’Allemagne par exemple. Quand la France dira à l’Allemagne « tu te débarrasses de tes vieilles centrales à charbon, je me débarrasse de mes vieilles centrales nucléaires » nous pourrons avancer. Le tout est que ces discussions se fassent de manière transparente et que les pays assument leurs faiblesses et leurs contradictions. Car chaque pays en a : l’Allemagne a des infrastructures dans un état déplorables par exemple (routes, trottoirs ponts etc. car les excédents ne sont pas réinvestis), pour la Pologne le charbon représente des milliers d’emplois. Bref tous les pays ont besoin d’aide. Un Green New deal européen nous permettrait de nous en sortir par le haut.

LVSL – En septembre vous signiez un appel collectif à « libérer l’investissement vert » dans Alternatives économiques, en compagnie d’une centaine de personnalités. Vous dites « Pour la France, les investissements publics et privés nécessaires à l’atteinte de ces objectifs climatiques ont été estimés par le think tank I4CE entre 45 et 75 milliards d’euros par an (entre 2 % et 3 % du PIB). Or, aujourd’hui, nous ne dépensons que 31 milliards d’euros répartis à parts égales entre ménages, entreprises et acteurs publics : le compte n’y est pas ». Comment voyez-vous les contraintes budgétaires européennes (règle d’or, TSG) et comment vous positionnez-vous par rapport aux traités ?

AL – Je suis fédéraliste, mais j’ai voté contre le traité européen en 2005 car j’estimais que ce traité mènerait à terme à une probable désintégration de l’Europe. De même, la façon dont l’euro a été construit ne m’a jamais convaincue. Comment peut-on créer une monnaie sans budget conséquent ? Sans transferts ? Et je ne crois pas au gradualisme, qui est le fondement de la construction européenne (la politique des petits pas en somme). Il aurait fallu à mon sens être beaucoup plus ambitieux dès le début.

Néanmoins, je ne fais pas partie de ceux qui à chaque problème répondent « la faute à l’Europe » et selon lesquels il est impossible de faire quoi que ce soit dans le cadre des traités. Ce n’est pas vrai. L’Allemagne et la France n’ont pas respecté le pacte de stabilité un nombre de fois considérable et il ne s’est strictement rien passé. Aucune sanction n’a été prise. Le problème de l’Europe est beaucoup plus idéologique et politique qu’institutionnel, et d’ailleurs il concerne la plupart des pays du monde : c’est le manque d’alternatives économiques et politiques, le fait de considérer la dette comme l’alpha et l’oméga de tous nos problèmes, et la privatisation des biens publics et la flexibilisation du marché du travail comme solution à tout problème.

L’Europe est bien trop souvent devenue notre mauvais objet. Pendant des décennies, elle a permis de justifier certaines politiques que nos élus nationaux, notamment étiquetés à gauche, n’assumaient pas. Aujourd’hui elle est accusée de tous les maux par certains. Elle est encensée et détestée pour ce qu’elle n’est pas. Tout se passe comme si nous n’étions pas sortis du manichéisme des débats sur le traité constitutionnel.

Le problème c’est que la gauche écologique n’a pas encore réussi à assoir une majorité ni idéologiquement ni dans les urnes. L’Europe n’y est pas pour grand-chose. Il ne faudrait pas essentialiser l’échelle nationale. La politique menée par le gouvernement actuel par exemple n’a rien à voir avec l’Europe. Elle se ferait de toute façon avec ou sans elle.

La réalité, c’est que nous n’avons pas d’autre choix que de réussir l’Europe. Son échec aurait des conséquences politiques majeures. La bonne nouvelle, c’est que – même si nous devons absolument changer les traités –  nous pouvons faire beaucoup dans leur cadre. Je rejoins en cela la « modeste proposition » de Yanis Varoufakis que nous avons publié dès 2013 à l’Institut Veblen et aux Petits Matins.

Par exemple, rien ne nous empêche de réclamer la poursuite du quantitative easing, mais d’en demander un fléchage vers l’investissement dans la transition écologique. Depuis 2009, la BCE sort de ses carcans en injectant 50 à 80 milliards d’euros pars pour sauver le système bancaire.

Cela veut dire qu’avec de la volonté politique, on peut ! Sans même changer les traités ! Flécher cet argent vers un Green New deal ferait sens. À l’époque du New Deal, les États-Unis étaient un peu dans notre situation : un fédéralisme balbutiant, des États du Nord plus riches que ceux du Sud… Et Roosevelt arrive avec une politique que personne n’oserait faire aujourd’hui, en taxant les hauts revenus à plus de 90%, en jetant les bases d’un État providence au moment où les caisses de l’État sont vides… Et c’est peut-être ce qui a permis aux États-Unis de ne pas sombrer dans un certain type de populisme ou de fascisme. Nul besoin de vous expliquer pourquoi un tel plan serait pertinent et salutaire dans le contexte européen actuel…

Climat : la société civile n’est malheureusement pas la solution

Les appels à sauver le climat se multiplient ces derniers jours, à grand renfort de personnalités et de grands médias. Le succès des Marches pour le Climat du 8 septembre est inédit. Alors qu’un sondage, réalisé après le départ de Nicolas Hulot, témoigne encore une fois de l’importance grandissante de la question climatique en France (76% des Français interrogés veulent que l’écologie soit une priorité du gouvernement), on observe néanmoins un fait : pas d’évolution notoire en termes de politique climatique, relativement à l’urgence d’agir. Ce constat évident amène pourtant beaucoup des acteurs historiques de l’écologie à persister dans une erreur. Celle de dire que la solution à l’inaction politique réside dans la seule « société civile». Si cette dernière peut jouer un rôle en matière d’écologie, c’est surtout lorsque ses actions préparent la prise du pouvoir. En effet, seul l’État peut opérer une transition écologique profonde et surtout rapide.


 

Les Marches sur le climat du samedi 8 septembre ont rassemblé beaucoup plus de monde que sur les actions similaires précédentes, soit plus de 100 000 personnes partout en France[1]. Les nombreux « appels à sauver la planète »[2] parus ces derniers jours ont certainement contribué à cet élan. Mais c’est surtout la démission de Nicolas Hulot qui semble avoir été le catalyseur principal de l’émergence de l’alerte climatique sur la place publique (via une multiplication des sujets liés à l’écologie dans les médias et sur les réseaux sociaux). Au sortir d’un été particulièrement chaud et sec pour l’Europe occidentale, rendant la question du climat concrète, la fenêtre est idéale pour une large sensibilisation de l’opinion publique sur le sujet.

L’hégémonie culturelle que commence à acquérir l’écologie reste néanmoins canalisée médiatiquement par ceux qui s’en réclament depuis toujours. Tel un totem, les médias font la part belle à Europe Écologie Les Verts. Cette exposition médiatique produit des effets dans les sondages relatifs aux intentions de vote pour les élections européennes : EELV est à 7% dans les sondages. L’inertie des habitudes du monde médiatique empêche néanmoins de donner plus d’espace aux écologistes radicaux, qui ont compris que néolibéralisme et écologie sont des opposés.

Or traditionnellement, le discours porté par les Verts est lié à celui porté par les grandes ONG écologistes, et globalement sur le même champ lexical que les « appels à sauver la planète».

Ce discours consiste généralement en deux moments : un appel à nos dirigeants à faire plus, puis un appel à la société civile « qui peut d’ores et déjà agir », à l’échelle individuelle. Si cette axiologie semble être à la hauteur du fameux adage « penser global, agir local », il n’en est rien, et cette posture représente un danger politique vis-à-vis du climat.

 

« Nos dirigeants doivent faire plus » : naïveté parfois feinte, perte de temps réel

Premièrement un appel à nos dirigeants pour qu’ils fassent plus. Ce premier axe représente un progrès dans l’identification du politique comme levier d’action principal, là où, il y a quelques années, l’ensemble du discours était centré sur l’individu.

Cependant, cette posture démontre une naïveté, sincère ou ironique, quant à la réalité de la nature du pouvoir. Pour beaucoup, le pouvoir (dans le sens de « l’État ») est une somme d’individus animés par des volontés personnelles qu’il est possible de faire évoluer par la conviction. La réalité des rapports de classes qui commande l’action politique est généralement niée. Ce fait tient pour partie de la méconnaissance de la théorie marxiste, et du rejet (souvent compréhensible) de la gauche qui s’en réclame ostensiblement (mais qui n’a pas forcement renouveler son logiciel en fonction de l’urgence écologique). Dès lors, quand bien même de plus en plus d’écologistes remettent en cause directement le système capitaliste[3], la reconnaissance d’une conflictualité naturelle entre tenant du système et ses détracteurs reste difficile.

Cette naïveté est presque organique des classes moyennes éduquées, qui sont celles qui se radicalisent le plus vite sur le sujet et animent généralement les structures de l’écologie politique. La peur du non-consensus, du clivage, de la conflictualité, empêche de pousser la cohérence écologique jusqu’au bout. Cette cohérence voudrait pourtant que les ONG et autres tenants de l’écologie prennent des positions politiques claires.

De fait, le constat que l’écologie et le libéralisme ne sont pas compatibles devrait appeler à une confrontation directe avec tout gouvernement libéral. Les organisations qui se revendiquent de l’écologie devraient par exemple s’opposer frontalement au gouvernement d’Emmanuel Macron. Compte tenu de l’urgence à opérer la transition, le fait de laisser finir son mandat à un gouvernement LREM doit poser question. Or, les ONG ont cette liberté de discours que n’ont pas les opposants politiques. Ces derniers, dans la tradition républicaine française basée sur le suffrage universel, ne peuvent pas se prononcer directement pour une insurrection. Les organismes privés oui.

 

 L’individualisme et le “société-civilisme” satisfont les consciences, mais pas le climat

 

Ensuite, nous notons souvent un appel à la société civile « qui peut d’ores et déjà agir », à l’échelle individuelle, dans le discours des tenants de l’écologie. C’est un discours à la fois hypocrite, car les actions que peuvent conduire des individus à leur échelle, ou à l’échelle d’une collectivité territoriale, ne pourra jamais produire une bifurcation écologique à la hauteur de l’urgence. « Et en même temps », c’est un discours nécessaire pour préparer la transition, expérimenter et faire évoluer des consciences vers le politique. Le problème réside surtout dans le fait de s’en contenter, car en plus d’être hypocrite, un discours centré sur l’individu-militant est fondamentalement inégalitaire.

Lorsqu’une ONG ou une formation politique porte ce genre de discours, elle provoque de fait un sentiment d’exclusion chez toute une partie de la population, et surtout les plus précaires. Les classes populaires sont ainsi mises en face de leur incapacité à œuvrer pour la collectivité. Ils ne peuvent en effet pas « militer en consommant », puisque les produits vertueux sont généralement chers. Il est de plus difficile de « conduire des actions » lorsqu’on vit au jour le jour, en proie aux pressions sociales et à la peur du lendemain.

Ce discours est donc un facteur d’éloignement des plus modestes à la res publica, la chose commune, à l’heure où tout le monde se sent néanmoins concerné[4]. D’ailleurs, les classes populaires souffrent souvent davantage des canicules estivales et des poisons de l’agro-industrie. Un discours basé sur l’action individuelle est donc aussi un discours d’exclusion de fait. Il participe, en réaction, à la construction d’un discours qui consiste à dénoncer l’écologie comme un combat « bobo ». Et dire qu’ « un pauvre n’a qu’à vivre sobrement » pour faire sa part dénoterait, d’une part d’un profond mépris de classe, de l’autre, d’un grand besoin de cours de rattrapage en sociologie. L’individu est en effet déterminé par son milieu social.

Le discours de l’écologie individualiste est d’ailleurs tout à fait compatible avec le récit libéral du self-made-man (car une personne pourrait, au même titre qu’un businessman self-made, obtenir par ses actions une influence sur le climat) et du business angel (individu puissant qui décide de protéger les plus faibles, dans un rapport de domination symbolique conservé).

Enfin, le discours société-civiliste est basé sur un postulat biaisé : la conscience écologique ne peut qu’avancer et finira par faire masse dans la société. Outre le fait que cette conscience n’avance pas si vite dans les classes supérieures, il y a un double mouvement dans la société française (et globalement en Occident) qu’il ne faut pas sous-estimer : les classes moyennes éduquées se radicalisent sur la question, et « en même temps », la précarité grandissante provoquée par les réformes libérales éloigne les classes populaires de l’écologie d’action. Le rouleau compresseur libéral atomise la société plus vite que l’écologie l’unifie devant l’urgence.

De l’hégémonie culturelle de l’écologie vers l’hégémonie culturelle d’un modèle de société compatible avec l’écologie. Sortir d’un rapport esthétique à l’action climatique.

 

Ce discours en deux axes est le même depuis des années chez les ONG. Le risque politique est réel : les société-civilistes canalisent les jeunes et les classes moyennes éduquées dans l’inaction par rapport à la politique. Ou du moins, par rapport à la seule forme de politique qui permet de prendre le pouvoir, celle avec un petit « p ». Il se produit d’ailleurs généralement un cercle vicieux : les classes moyennes éduquées s’attachent aux formes d’action individualiste et en deviennent organiquement défenseuses. Ces formes d’action sont de fait souvent un moyen de construire un rapport esthétique à soi et à la société, loin de la conflictualité peu sexy de la real-politique.

Si l’écologie est en passe de devenir une thématique hégémonique en France, elle se heurte à un plafond de verre social à cause du discours tenu par beaucoup des porte-voix de l’écologie. Les classes populaires ne s’emparent pas de cette thématique. La conquête de l’hégémonie culturelle en la matière est donc encore loin. Elle passera d’une part par une systématisation de la critique du libéralisme par les écologistes, et par un élargissement du discours à la critique de l’ensemble des méfaits de ce libéralisme. C’est par cette voix que l’écologie peut devenir populaire, mais c’est également la seule qui peut la faire devenir réalité.

En effet, l’urgence écologique nous impose une prise du pouvoir rapide, et donc la mobilisation électorale de l’ensemble des victimes du libéralisme, à savoir le peuple dans sa globalité (puisque nous partageons tous un écosystème commun). Le peuple entier doit pouvoir s’identifier au combat pour la planète, car ce combat participe également à définir le peuple.

Les grandes organisations de l’écologie ont d’ailleurs presque toutes intégrées la nécessité du lien avec le social. Les ONG écologistes, lorsqu’elles ne portent pas directement des revendications sociales, organisent des évènements ou des actions avec des ONG sociales. Le problème, c’est que cette intégration se fait sur un rapport humanitaire au social. Plus rarement pour des revendications politiques qui imposent la solidarité comme la sécurité sociale, les services publics, etc.

Que les ONG se positionnent concrètement en politique serait donc la prochaine étape sur la voie de la cohérence. C’est évidemment un coût important pour ces dernières, puisqu’il s’agit de déranger des habitudes, d’imposer de la conflictualité aux citoyens qui les soutiennent et garantissent leur “business model”, mais c’est le coût de la cohérence. Au même titre que la Charte d’Amiens[5] devrait être abandonnée (car obsolète dans un contexte où le syndicalisme n’a plus les moyens de faire changer la société, alors que le politique le peut), les « syndicalistes de la nature » devraient également descendre dans l’arène de la realpolitik.

Il n’y a que la prise du pouvoir qui compte pour la planète, car seul l’État dispose de la puissance nécessaire à la mise en œuvre d’une transition de l’ensemble de l’appareil productif rapidement (via la nationalisation de tous les secteurs stratégique à cette transition). Cela suppose de se poser les bonnes questions : quelle force de l’échiquier politique est la mieux placée pour appliquer un programme de transition radicale ?

Bref, il faut sortir du dogme du pouvoir citoyen. Des citoyens “qui se bougent” n’obtiennent que des victoires marginales, certes importantes sur le plan symbolique, mais rien de plus.

 

[1] https://actu.orange.fr/societe/environnement/mobilisation-inedite-pour-le-climat-a-travers-la-france-CNT0000016nrf6/photos/manifestants-pour-la-lutte-contre-le-changement-climatique-a-paris-le-8-septembre-2018-2d276242df6b2a5e3c82f0ada6bbc167.html

[2] Appel des 700 scientifiques français (07/09/2018) : https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/09/08/climat-700-scientifiques-francais-lancent-un-appel_5351987_823448.html

Appel des 200 célébrités françaises (03/09/2018) :

https://www.nouvelobs.com/planete/20180903.OBS1701/climat-200-personnalites-lancent-un-appel-face-au-plus-grand-defi-de-l-humanite.html

Appel des 15 000 scientifiques (13/11/2017) : https://www.lemonde.fr/planete/article/2017/11/13/le-cri-d-alarme-de-quinze-mille-scientifiques-sur-l-etat-de-la-planete_5214185_3244.html

[3] http://lvsl.fr/demission-de-hulot-la-faillite-de-lecologie-neoliberale

[4] http://www.notreterre.org/2018/09/les-francais-veulent-que-l-ecologie-soit-la-priorite-du-gouvernement.html

[5] Charte adoptée en octobre 1906 sanctuarisant l’autonomie des syndicats par rapport aux partis politiques.

L’Union européenne : le faux-semblant climatique

Autoproclamée championne de la lutte contre le réchauffement climatique, l’Union européenne est loin de remettre en cause le système énergétique qui a conduit à une hausse des températures. Vouloir mettre un frein au changement climatique implique de prendre en compte le cadre européen et de penser à le contourner. 

Les relevés météorologiques de l’année passée sont venus valider une fois de plus la véracité du réchauffement climatique : d’après l’Organisation météorologique mondiale (OMM), l’année 2017 compte parmi les plus chaudes jamais enregistrées sur la planète. Selon l’OMM, «il est désormais confirmé que les années 2015, 2016 et 2017, qui s’inscrivent clairement dans la tendance au réchauffement sur le long terme causée par l’augmentation des concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre, sont les trois années les plus chaudes jamais enregistrées ».

Mis à part l’administration étasunienne, peu de responsables politiques de premier plan nient l’évidence. Face à ce qui devient une des préoccupations majeures à l’échelle du globe, les déclarations alarmistes sont légions. On se souvient de la célèbre phrase prononcée par Jacques Chirac en 2002 à Johannesburg : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Plus récemment, en décembre 2017, Emmanuel Macron, déclarait que« nous sommes en train de perdre la bataille » du climat. A ce jeu-là, les responsables européens ne sont pas en reste. Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne et Miguel Arias Cañete, le commissaire à l’énergie et à l’action pour le climat pointent le danger pour mieux souligner le rôle moteur de l’Union européenne dans la lutte contre le changement climatique. Mais en y regardant de plus près, le tableau n’est pas aussi vert qu’il n’y parait.

Mettre l’Accord de Paris dans le texte ou le mettre en œuvre ?

En matière de politique climatique, l’UE se targue d’être aux avant-postes. Il faut le reconnaître, l’UE est plutôt un bon élève mais seulement si on la compare à ses camarades de classe et non pas si on la place face aux efforts à fournir. L’Accord de Paris signé en décembre 2015 par les 195 pays membres de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) prévoit de contenir « l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels».

Depuis qu’elle l’a ratifié, l’UE l’intègre l’Accord dans sa législation. Toutefois, et c’est là le vice principal de l’Accord de Paris, celui-ci n’est pas contraignant. Ce qui a pour principale conséquence que si légalement l’UE se met en ligne avec les objectifs de la COP21, dans la pratique, les moyens mis en œuvre sont loin d’être à la hauteur.

Dans le même temps, l’association d’experts négaWatt considère qu’il est possible d’arriver à l’objectif de 100% d’énergies renouvelables en France en 2050. Autrement dit : des solutions existent mais la volonté politique n’est pas au rendez-vous.

Selon l’article 194 du Traité de Lisbonne (TFUE), l’énergie est une compétence partagée entre les États membres et l’UE. Les États membres fixent leur « mix-énergétique », la part de chaque source d’énergie dans la quantité totale d’énergie produite et l’UE détermine les objectifs globaux en matière d’efficacité énergétique, de part des énergies renouvelables et de niveau d’émissions de gaz à effet de serre.

Actuellement en négociation entre les institutions européennes, le paquet  « Une énergie propre pour tous les Européens »[1] fixe les objectifs pour l’année 2030 à l’échelle de l’Union : entre 30 et 35% d’amélioration de l’efficacité énergétique, entre 27 et 35% d’énergies renouvelables[2] dans le mix-énergétique et une diminution de 40% des émissions de gaz à effet de serre[3]. Toutefois, ces objectifs sont loin d’être à la hauteur.

Les études convergent pour estimer que 80% des réserves prouvées de combustibles fossiles doivent rester dans le sol pour espérer atteindre les objectifs fixés lors de la COP 21[4], et ainsi éviter les conséquences désastreuses que pourrait occasionner une augmentation trop importante de la température du globe. Dans le même temps, l’association d’experts négaWatt considère qu’il est possible d’arriver à l’objectif de 100% d’énergies renouvelables en France en 2050[5]. Autrement dit : des solutions existent mais la volonté politique n’est pas au rendez-vous.

Le marché carbone, une bulle financière au-dessus de la biosphère

Trois textes encadrent les émissions de gaz à effet de serre : le système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE, ETS en anglais) ou marché carbone, la décision relative à la répartition de l’effort qui s’applique aux secteurs non couverts par le SEQE comme le transport, la construction ou l’agriculture (environ 60% des émissions) et la décision concernant les émissions et les absorptions de gaz à effet de serre résultant de la foresterie et de l’agriculture qui mesure et comptabilise les émissions et l’absorption de carbone par les terres cultivées et les forêts.

Le cas du marché carbone est le plus paradigmatique. Se refusant à une quelconque régulation contraignante, l’UE a mis en place un marché, le plus important au monde, qui permet d’échanger des droits de polluer contre des crédits carbone. Si ces crédits ou quotas d’émissions ne sont pas suffisants, les entreprises ou  les pays concernés peuvent en acheter de nouveaux, souvent à un prix dérisoire. La révision des règles du marché, fruit d’une négociation intense entre le Parlement et le Conseil vient d’être adoptée le 6 février. Face aux nombreux dysfonctionnements initiaux, notamment le prix extrêmement bas de la tonne carbone[6], les institutions ont tenté de corriger le tir en limitant le nombre de quotas d’émissions en circulation et en augmentant le facteur linéaire de réduction de ces quotas[7]. Mais il n’empêche, la finalité reste la même : donner aux marchés financiers les clefs de notre politique climatique.

Selon une étude de l’ONG Counter Balance, depuis 2015, la Banque européenne d’investissement (BEI) a financé, à travers le « Plan Juncker », à hauteur de 1,85 milliards d’euros des projets reposants sur les combustibles fossiles

Au-delà de l’inefficacité du système, celui-ci conduit à une financiarisation des écosystèmes. Pour obtenir des crédits supplémentaires, les entreprises peuvent soit acheter de nouveaux crédits soit financer des projets supposés absorber du carbone, comme par exemple la gestion « durable » de forêts primaires. Non seulement ces forêts sont privatisées mais en outre, par ce biais, elles rentrent dans la sphère financière. Non content d’avoir étendu son emprise sur presque tous les pays de la planète, la sphère marchande étend son influence à la biosphère. C’est dans la même logique qu’Emmanuel Macron a lancé le One Planet Summit en décembre 2017 : faire en sorte que les investisseurs profitent « des opportunités » offertes par le changement climatique pour ouvrir de nouveaux marchés. Les intérêts privés paradent tandis que l’intérêt général se tapisse.

A cela, il faut rajouter le soutien financier de l’UE aux énergies fossiles, en particulier au gaz naturel faussement présenté comme un « ami climatique »[8]. Selon une étude de l’ONG Counter Balance, depuis 2015, la Banque européenne d’investissement (BEI) a financé, à travers le « Plan Juncker », à hauteur de 1,85 milliards d’euros, des projets reposants sur les combustibles fossiles[9]. De plus, certains projets, notamment les gazoducs ou les terminaux de Gaz Naturel Liquéfié (LNG) qui reçoivent le statut de Projet d’intérêt commun, bénéficient de facilités administratives[10] et d’un accès privilégié aux sources de financements. Autant d’argent qui ne va pas vers le développement des énergies renouvelables et l’amélioration de l’efficacité énergétique.

La nécessité d’un Plan B climatique

Face à l’insuffisance structurelle des politiques climatiques de l’UE, il est crucial de dessiner les contours d’une alternative. Celle-ci implique de s’attaquer frontalement aux fondements de l’UE. L’orientation néolibérale et parfois court-termiste des institutions ne permet pas de remettre en cause les bases du système qui a créé les conditions du réchauffement climatique. La primauté donnée à la loi du marché est fondamentalement contradictoire avec la défense de l’intérêt général et la planification à long-terme des politiques économiques et énergétiques.

Sans prétendre livrer une solution clef en main, citons quelques propositions centrales qui demanderaient à être précisées et développées. La question de l’investissement est primordiale. Pour mettre en place une transition énergétique qui vise un objectif de 100% d’énergies renouvelables[11], il est nécessaire de mobiliser de nombreux capitaux. Le financement, entre autres choses, de nouvelles infrastructures énergétiques ne peut dépendre uniquement de capitaux privés, principalement parce que ceux-ci sont guidés par nature par la rentabilité et non par la préservation de notre environnement. Il faut donc pouvoir mobiliser d’importants financements publics sous contrôle démocratique.

Ne pas appliquer les dispositions du TSCG est donc primordial pour être en capacité de financer la transition énergétique. Il convient aussi de ne pas respecter les règles de la Commission encadrant les aides d’État. Elles limitent l’appui que peut apporter la puissance publique au développement des énergies renouvelables.

Le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG) établit que les déficits nationaux ne doivent pas dépasser 3 % du produit intérieur brut (PIB) et que la dette publique nationale doit être inférieure à 60 % du PIB. Ces dispositions, bien que non appliquées de manière stricte, limitent grandement les marges de manœuvres financières des États membres. Or les États ont les moyens de renouveler constamment leurs dettes et d’augmenter leurs recettes via un changement de fiscalité, par exemple en mettant à profit les couches les plus aisées de la population. Ne pas appliquer les dispositions du TSCG est donc primordial pour être en capacité de financer la transition énergétique. Il convient aussi de ne pas respecter les règles de la Commission encadrant les aides d’État. Ces règles limitent les possibilités qu’ont les États d’aider financièrement certains secteurs économiques. Dans le cas présent, elles limitent l’appui que peut apporter la puissance publique au développement des énergies renouvelables.

Un des avantages des énergies renouvelables – souvent laissé de côté – c’est le fait que par nature, la ressource ne peut pas être privatisée. Contrairement au pétrole, au charbon, au gaz ou à l’uranium, le vent et le soleil sont accessibles à tous[12]. Remettre en cause l’extraction des combustibles fossiles, c’est donc s’attaquer aux monopoles des grandes entreprises énergétiques – même si celles-ci peuvent garder le contrôle de la production. Selon les Nations unies, le système énergétique représente un cinquième de l’économie mondiale. Les réserves prouvées de combustibles figurent au capital des entreprises et des États extractivistes. Remplacer les combustibles fossiles par des énergies renouvelables, c’est refuser d’exploiter ces réserves et par conséquent renoncer à du capital et des promesses de profit[13]. En ardent défenseur de la course aux profits et des intérêts des grandes entreprises transnationales, l’UE ne peut contester cette logique implacable.

Prendre le pouvoir énergétique

Mettre en place une politique à même de répondre aux défis climatiques n’implique pas uniquement de s’attaquer aux règles économiques de l’UE. Il faut aussi remettre en cause les règles qui empêchent la participation des citoyens et le contrôle démocratique. Les différents paquets Énergie, notamment le troisième, adopté en 2009, ont profondément libéralisé le secteur à travers la mise en place du marché intérieur de l’énergie. La plupart des grands groupes nationaux ont été privatisés. Outre le fait que les privatisations se traduisent généralement par une détérioration des conditions de travail, elles privent l’État de moyens pour orienter les politiques énergétiques et défendre l’intérêt général.

Désobéir aux directives régissant le marché du gaz et de l’électricité est ainsi nécessaire pour que les entreprises énergétiques repassent dans le giron public. Mais cela ne veut pas dire automatiquement un retour au modèle des grands champions nationaux d’après-guerre. Déclarer l’énergie comme un bien commun ouvre d’autres portes : des grandes entreprises gérées au niveau national par l’Etat peuvent coopérer avec des entreprises gérées au niveau municipal et local. Ses entreprises peuvent prendre la forme de coopératives administrées directement par leurs membres. Rapprocher les lieux de production et de consommation d’énergie permet à la fois d’impliquer les citoyens et de réduire les pertes dues au transport de l’électricité sur de grandes distances.

La participation des citoyens à la transition écologique est un facteur clé de sa réussite. Les changements profonds du système productif doivent se faire avec et pour les citoyens. Les grandes orientations comme la gestion quotidienne des coopératives doivent faire l’objet de formes de participation nouvelles,  ouvertes au plus grand nombre. Démocratiser en profondeur le système énergétique, c’est autant une exigence démocratique que la garantie d’un processus de transformation accepté et partagé. Pour que de tels changements aient un impact positif sur l’environnement et le climat, ils doivent être nécessairement coordonnés au niveau européen et mondial – le réchauffement climatique ne connaît pas de frontières. La coopération entre les différentes forces progressistes prêtes à désobéir aux règles imposées par l’UE est un premier pas vers une société respectueuse de la terre et de ses habitants.

Crédits photo : Flixabay

[1]Pour voir l’ensemble des mesures proposées par la Commission européenne : https://ec.europa.eu/energy/en/news/commission-proposes-new-rules-consumer-centred-clean-energy-transition

[2]La France est à la traine en la matière. Selon Eurostat, fin 2016, la consommation finale d’énergie provenant de sources renouvelables n’était que de 16%, en dessous de la moyenne européenne (17%) et loin des objectifs fixées pour 2020 (23%) et 2030 (provisoirement 32%)

[3] Concernant l’efficacité énergétique, la Commission a proposé 30% quand le Parlement a voté 35% en janvier 2018 et le Conseil 27%. Concernant les renouvelables, la Commission a proposé 27%, le Parlement 35% en janvier 2018 et le Conseil 27%. Ces deux textes doivent encore entre négociés entre les trois institutions en trilogue.

[4]https://350.org/why-we-need-to-keep-80-percent-of-fossil-fuels-in-the-ground/

[5]Scénario négaWatt: https://negawatt.org/Scenario-negaWatt-2017-2050

[6]Le prix de la tonne carbone est actuellement aux environs de 8€ alors que plusieurs études considèrent que pour que le marché soit efficient, le prix devrait atteindre au moins 40 à 80 dollars en 2020. https://www.rtbf.be/info/economie/detail_climat-un-rapport-plaide-pour-une-forte-hausse-du-prix-du-carbone?id=9619473

[7] Pour le détail de l’accord : https://www.euractiv.com/section/emissions-trading-scheme/news/parliament-rubber-stamps-eu-carbon-market-reform/

[8] Il est vrai que le gaz naturel émet beaucoup moins de CO2 que le pétrole ou le charbon. Toutefois l’UE dans ces calculs ne prend pas en compte les émissions de méthane. Or, si l’on considère tout le cycle de vie, le gaz naturel émet de grande quantité de méthane, un gaz qui a un pouvoir calorifique 86 supérieur au CO2 sur les 20 premières années. Le gaz est donc loin d’être aussi propre qu’annoncé. https://www.foeeurope.org/sites/default/files/shale_gas/2016/foee_briefing_-_gas_winter_package_final_en.pdf

[9]Principalement des projets de stockage du gaz et des gazoducs. http://www.counter-balance.org/wp-content/uploads/2017/11/NGOreport_EFSI_Nov2017.pdf

[10] Ces facilités administratives permettent de contourner plus facilement la législation environnementale sur les impacts directs des projets. En France le gazoduc Eridan qui doit relier Fos-sur-Mer à Dunkerque a obtenu le statut de Projet d’intérêt commun.

[11] Ce qui implique de diminuer en parallèle notre consommation d’énergie via l’amélioration de l’efficacité énergétique et la mise en avant de la sobriété énergétique. L’énergie nucléaire ne peut être considérée comme une source d’énergie renouvelable.

[12] Pour l’eau la situation est différente puisque sa gestion peut être confiée au privé.

[13] Pour aller plus loin, Daniel Tanuro, « L’impossible capitalisme vert ? » Pourquoi? : http://www.lcr-lagauche.org/limpossible-capitalisme-vert-pourquoi/

Vague de froid, changement climatique et impuissance publique

Alors que les photos de Paris sous la neige envahissent les réseaux sociaux et que les polémiques s’accumulent autour des « naufragés de la route », la question de la capacité de l’État à gérer les épisodes climatiques extrêmes se pose concrètement. S’il ne faut pas confondre météo et climat, le changement climatique est bien responsable de l’intensification des vagues de froid que nous traversons en ce moment.


 

Précis de climatologie facile : le Jet-stream devient fou

Le changement climatique est déjà à l’origine de violentes perturbations météorologiques et leur fréquence risque fortement de s’intensifier. Dès lors, connaître les ressorts climatiques qui les sous-tendent peut se révéler particulièrement utile pour comprendre que l’adaptation n’est pas une option parmi d’autres. Mais alors, comment expliquer de telles vagues de froid ?

La température n’augmente pas de manière uniforme sur Terre avec le réchauffement climatique. Les pôles, par exemple, se réchauffent deux fois plus vite que le reste de la planète. En effet, la neige blanche possède un indice « albédo » fort, de 0,9 sur 1, c’est-à-dire qu’elle réfléchit 90% de l’énergie qu’elle reçoit du soleil. Avec la fonte des glaces, elle est de plus en plus remplacée par de grandes étendues de mer sombre, d’un indice de 0,05, qui absorbent 95% de l’énergie solaire, ce qui provoque une accélération de ce phénomène.

L’Arctique est particulièrement victime de ce cercle vicieux. Les températures y ont grimpé de plus de 2°C en moyenne depuis le XIXème siècle et la surface recouverte par la glace en été y a diminué de 50%. La différence de température entre le Pôle Nord et l’équateur a tendance à diminuer, ce qui perturbe le cours normal des vents dominants. L’air chaud est plus léger que l’air froid. Il a donc tendance à monter et ce faisant, il provoque un phénomène d’aspiration par le bas. La différence de température entre l’équateur et les pôles actionne donc des vents considérables : les alizés.

Au niveau du cercle arctique, l’air froid entre en contact avec les alizés chauds et la rencontre crée un ascenseur thermique : l’air chaud monte et l’air froid descend selon un axe vertical. En tournant, la Terre transforme ce mouvement vertical en mouvement horizontal, c’est la « force de Coriolis ». C’est ainsi que naît le Jet-stream, vent froid puissant se déplaçant d’ouest en est.

Avec le changement climatique, ce vent est moins « maintenu », puisqu’il y a moins de tension thermique. Il se déplace donc de manière plus sinueuse, ce qui permet d’une part à des vagues de froid polaire de s’enfoncer vers le sud, et d’autre part à des vagues de chaleur de pénétrer plus au nord.

Des pouvoirs publics incapables de s’adapter ?

En décembre dernier, l’Amérique du Nord a connu une vague de froid particulièrement extrême (-40°C à New-York, de la neige en Floride), tandis que début février, le Maghreb s’est retrouvé sous la neige, avec pour conséquence une paralysie des zones rurales. Ces derniers jours, c’est la Ville Lumière qui s’est voilée de blanc, avec les conséquences que l’on connait : des bouchons en Ile-de-France (jusqu’à 739 kilomètres km le 6 février), des perturbations dans les transports publics (arrêt des bus RATP, TGV ralentis pour « éviter les projections de glace ») et des entreprises en difficulté. Vendredi 9 février, elles étaient plus d’une centaine à être sérieusement empêchées dans leur fonctionnement, a fortiori celles qui dépendent des transports routiers et des livraisons.

La question de savoir si cela aurait pu se passer autrement est légitime. Le gouvernement semble nier une réaction insuffisante, ou trop tardive, de sa part. La ministre des transports Elisabeth Borne accuse la fatalité et déclare que “lorsque de telles quantités de neige tombent, le sel n’agit plus et la neige tient au sol. Il devient alors extrêmement compliqué pour les engins d’intervenir car les routes sont pleines d’automobilistes”. De son côté, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb évoque, avec sa franchise caractéristique, une réalité plus « crue », sans mauvais jeu de mots : “Il faudrait acheter beaucoup de matériel, qu’on utilise une fois tous les trois ans. Lorsque vous êtes au Canada, il tombe 60 centimètres et tout le monde roule parce qu’ils ont investi des milliards et des milliards”.

Certes, il y a toujours pire ailleurs. Début janvier, avec 2cm de neige seulement – contre 18 à Paris -, une pagaille a envahi la métropole madrilène, entraînant des annulations de vols, des fermetures d’écoles et la prise d’assaut des stations-service. L’armée a même dû secourir des milliers d’automobilistes coincés toute la nuit dans leurs véhicules sur l’autoroute reliant Madrid et Ségovie.

Les villes qui ne sont pas habituées la neige sont donc confrontées à un dilemme : s’équiper coûte cher et la probabilité d’occurrence de chutes importantes est jugée faible. A l’heure où les services publics sont diminués sous prétexte d’économies budgétaires, de tels investissements ne semblent pas à l’ordre du jour. Comme souvent, les pouvoirs publics préfèrent en appeler à la responsabilité individuelle – beaucoup moins coûteuse -, comme en témoignent les propos de l’ancien ministre des transports Dominique Bussereau : « Peut-être que nous [les automobilistes] n’avons pas forcément les bons réflexes. Nous sommes dans une région, la région parisienne, où nous ne sommes pas habitués à ces conditions comme nos amis du Jura, des Vosges ou d’Auvergne, qui savent rouler sur la neige”. Pourtant, les dégâts coûtent souvent plus cher que la prévention, surtout en vie humaine.

Inondations, crues et même canicules… ce que laisse envisager le bouleversement du Jet-stream.

Le Jet-stream apporte beaucoup d’humidité car la différence de température entre les vents qui le font naître provoque des phénomènes de condensation. En hiver donc, il apporte souvent de la neige. Lorsque le redoux survient, cette dernière fond et gonfle les cours d’eau. Avec l’augmentation de la fréquence des vagues de froids et de redoux, la quantité globale d’eau de fonte peut s’avérer bien supérieure aux moyennes annuelles. Si les sols sont en surcapacité d’absorption, alors les fleuves finissent par déborder. L’artificialisation des terres et le tassement des sols agricoles n’aident évidemment pas à prévenir ces phénomènes. Un sol forestier peut absorber 400 mm d’eau par heure alors qu’un sol agricole labouré n’en absorbe qu’1 ou 2 mm en moyenne.

Selon l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU), 100 000 établissements et 745 000 salariés seraient touchés en cas de crue centennale en Île-de-France, c’est-à-dire une hauteur de 8,62 mètres comme en 1910 (le 29 janvier 2018, nous étions rendus à 5.85 mètres). Mais avec l’érosion des sols, bien supérieure qu’au début du siècle en raison de l’évolution des pratiques agricoles, la densité de l’eau est très importante (car chargée en terre), ce qui augmente son pouvoir abrasif et destructeur. Ce phénomène ne diminuera pas sans un changement radical des pratiques agricoles et un boisement des bassins versants.

En été, le Jet-stream remonte vers le nord. Mais à cause du changement climatique, il peut s’enrailler et s’arrêter. En effet, si les températures sont trop hautes dans l’Arctique, il y a moins de conflit avec les vents chauds du sud et donc moins d’énergie disponible. Lorsque le Jet-stream ralentit fortement, l’Europe de l’Ouest n’est plus « ventilée » et les températures augmentent fortement : c’est la canicule. Globalement, entre 2002 et 2012, le nombre de canicules importantes enregistrées sur la planète a été trois fois supérieur à celui relevé lors des périodes 1980-1990 et 1991-2001, et le phénomène s’accélère. D’après le GIEC, la France connaîtra en 2050 un épisode caniculaire équivalent à celui de 2003 en moyenne 2 années sur 3.

Personne ne sera épargné par l’intensification des épisodes climatiques extrêmes. Il n’y a pas de tergiversation possible sur ce fait d’un point de vue scientifique. Dès lors, investir dans la résilience est une adaptation nécessaire, qui entre d’ailleurs dans le domaine des responsabilités régaliennes de l’État. Or, la démission de l’État diminue de fait sa capacité à planifier une stratégie d’adaptation, au dépend de la sûreté des citoyens.

 

Crédit photo : Matis Brasca