Iran : la persécution silencieuse des minorités religieuses

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Muharram_in_cities_and_villages_of_Iran-342_16_(120).jpg © Payam Moein

En Iran, les minorités religieuses se retrouvent confrontées à un pouvoir central aux politiques très paradoxales : certaines de ces communautés sont à la fois protégées et exclues par l’État iranien. Chrétiens, Juifs ou Zoroastriens vivent en effet dans un pays musulman à plus de 95%, chiite dans sa grande majorité. Et dans cette République islamique, appartenir à l’une des rares minorités religieuses est synonyme de discrimination, voire de persécution. Alors que certaines religions « historiques » bénéficient d’un statut spécial, leur garantissant une relative liberté de culte et de sièges au Parlement, d’autres, comme les Bahaïs, voient leurs droits les plus fondamentaux violés depuis des décennies.


Des minorités religieuses issues d’une longue sédimentation

Site funéraire zoroastrien où étaient exposés les corps des défunts à proximité de Yazd.

Si l’on connaît surtout l’Iran pour la loi islamique qui y est appliquée, plusieurs communautés religieuses y subsistent malgré tout. Avant l’arrivée de l’islam, le zoroastrisme était la religion officielle de l’Iran sous les Sassanides. Il a été battu en brèche avec l’invasion arabe au VIIème siècle, et l’islamisation progressive de l’Iran pendant les quatre siècles suivants.

On y trouve également l’une des plus anciennes communautés chrétiennes du Proche et du Moyen-Orient, puisque l’Église de Perse aurait été fondée par l’apôtre Thomas. Les Chrétiens y ont néanmoins été persécutés par les souverains Sassanides, car ils les considéraient comme des représentants de l’Empire romain, subversifs et déloyaux. Avec la conquête islamique de la Perse, et le statut de la dhimma, le statut des minorités religieuses, chrétiennes comme juives, évolue : dépositaires d’une partie de la Vérité révélée, ces minorités étaient protégées par le sultan et avaient le droit de pratiquer leur foi, à condition de reconnaître la suprématie de l’islam.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’Iran abrite aussi la deuxième communauté juive du Moyen-Orient après Israël. Ses membres descendent pour certains des Juifs restés dans la région après l’exil en Babylone, au VIème siècle av. J.-C.. Cette communauté est restée importante jusqu’en 1979, alors que les communautés juives des autres pays du Moyen-Orient avaient presque disparu suite à la création d’Israël. Bien que la Constitution de 1979 donne un statut officiel aux Juifs et même un siège au Parlement, de nombreux membres de cette communauté ont émigré vers Israël, étant accusés par le régime de sionisme et de collusion avec Israël et les Etats-Unis.

Des libertés limitées

Femme zoroastrienne à Yazd.

En Iran, le chiisme est aujourd’hui la seule religion légitime, proclamée religion d’État suite à la Révolution islamique de 1979. Cependant, la Constitution autorise la plupart des minorités à professer leur culte et à vivre sous la protection de l’État. Au Parlement, trois sièges sont même réservés aux Chrétiens arméniens, chaldéens et assyriens, un siège pour les Juifs, un autre pour les Zoroastriens. En revanche, la Constitution prévoit que la voix d’un non-Musulman – ou d’une femme -, vaut la moitié de la voix d’un Musulman dans un tribunal.

Dans ce pays où le paradoxe est roi, on croise des Chrétiennes coiffées du hijab islamique, en chemin pour l’église où l’on célèbre Noël en toute discrétion. Ces minorités ont, certes, officiellement le droit d’exister, mais dans des conditions très strictes et avec des libertés réduites. L’intégralité des minorités religieuses est soumise à la pratique rigoriste de l’islam. Aucune d’elle ne peut exercer publiquement son culte, sous peine d’être accusée de prosélytisme.

Si les Chrétiens, les Zoroastriens et les Juifs peuvent se marier selon leurs « rites » et conserver certains de leurs lieux de cultes, les pratiquants doivent impérativement s’enregistrer auprès des autorités, ce qui contribue à répertorier les « impies » pour mieux les discriminer plus tard. En cas « d’oubli », les sanctions sont sévères et peuvent aller jusqu’à l’arrestation des responsables.

Ces trois communautés ont fondé leurs propres écoles et sont théoriquement libres de transmettre leur culture religieuse aux leurs. Seulement, l’État est en réalité omniprésent et interfère dans tous les domaines.  Les programmes scolaires sont vérifiés et parfois censurés par le gouvernement, le persan est la seule langue d’enseignement autorisée, et des maîtres musulmans sont présents dans toutes les écoles. Les jeunes filles sont contraintes de porter le hijab bien que cela ne soit pas prescrit par leur religion. Surtout, l’État nomme les directeurs de ces lieux d’enseignement.

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Cartographie des religions en Iran

Les conséquences de cette surveillance sont dévastatrices pour les religions qui n’ont pas réussi à fonder une communauté soudée. Le zoroastrisme par exemple ne compte plus que 30 000 fidèles en Iran, résidant surtout dans de petits villages, contrairement aux Juifs et aux Chrétiens réunis dans des agglomérations. Leur nombre a drastiquement diminué ces dernières années notamment car les adeptes subissent une discrimination à l’embauche – de très nombreux emplois leur sont interdits -, ce qui a étouffé cette communauté entre dettes et chômages. En plus de l’emprisonnement de plusieurs de leaders zoroastriens, la dispersion des membres à travers l’Iran a limité la solidarité leur permettant de s’organiser.

S’ajoute à cela l’interdiction de se convertir pour un musulman, donc presque impossible de grossir les rangs de ces communautés en Iran. Par exemple, il est formellement prohibé aux non-Chrétiens et aux Chrétiens farsis, nés en Iran et n’appartenant pas originellement à cette communauté, de célébrer Noël. En termes légaux, la Constitution iranienne estime qu’un Iranien né d’un père musulman est musulman, il lui est par conséquent interdit de choisir, changer ou renoncer aux croyances religieuses chiites. Ainsi, une conversion est considérée comme relevant de l’apostasie et est soumise à la peine de mort.

Les Sunnites et les Bahaïs, minorités persécutées

Les Sunnites, quant à eux, ne bénéficient même pas du statut de minorité religieuse. Ils sont tout simplement ignorés par le pouvoir central, qui les considère comme des citoyens de seconde zone. Pourtant les musulmans sunnites iraniens représentent entre 9 et 15% de la population, principalement concentrés dans les zones frontalières de l’Iran et dans le Golfe persique. A l’époque du Chah, le sunnisme était reconnu, et son développement encadré mais largement autorisé. Mais depuis la Révolution islamique, les Sunnites ne bénéficient plus d’aucun type de reconnaissance, et ne disposent d’aucun accès à la politique depuis 1979. Les lieux de culte sunnites sont formellement interdits, tout comme l’accès à l’ensemble des emplois publics ou gouvernementaux.

Quelques contestations ont fait leur apparition en 2015, notamment après la destruction de lieux de cultes sunnites par des agents gouvernementaux. Molavai Abodlhamid, l’un des dirigeants de cette communauté, avait alors écrit une lettre au Guide suprême et au Président, pour réclamer un assouplissement des règles encadrant la vie des minorités religieuses. Une revendication restée sans réponse.

Les Bahaïs, eux, sont bien trop occupés à survivre pour se réclamer du moindre droit. Cette communauté rassemblant 300 000 fidèles selon Human Rights Watch, forme la première minorité religieuse dans le pays, après les Sunnites. La religion bahaïe est née au XIXe siècle, se réclamant d’un courant chiite messianique, convaincu de l’imminence de l’arrivée du mahdi, le « guidé ». Depuis la Révolution de 1979, cette religion monothéiste est strictement interdite par le régime en place. Si l’on s’en tient à l’International Religious Freedom Report de 2015, ils ne peuvent pas entrer à l’université, ni occuper un emploi public, bénéficier d’une aide publique – accordée aux autres citoyens – ou d’une retraite. De même, ils ne disposent pas de droit à la justice ou à la propriété.

En somme, aucun droit civil ou politique, en plus des lieux de cultes détruits ou des cimetières profanés. « Un bahaï est un mhdur ad-damm, quelqu’un dont le sang peut être versé en toute impunité », souligne Christian Cannuyer, auteur de l’ouvrage Les Bahaïs (éditions Brepols, 1988). Le fait que la religion bahaïe se veuille fédératrice et à vocation universelle y est probablement pour quelque chose. Sa doctrine met l’accent sur l’égalité et sur la paix : l’unité des religions et du genre humain. Cette religion se réclame de principes tels que la non-violence, l’égalité absolue entre hommes et femmes ou la complémentarité entre sciences et religions.

« Affirmer que Mohammed n’est pas le dernier prophète et que les femmes sont les égales des hommes est insupportable pour les ayatollahs», expliquait la représentante des Bahaïs en France, Hamdam Nadafi, dans un article pour La Croix paru début 2017. L’acharnement du gouvernement iranien sur cette minorité, s’il trouve ses racines dans des rivalités historiques, trahit la nature profondément politique de ces persécutions. Selon la législation iranienne, tuer un Bahaï n’est pas considéré comme un crime. 200 d’entre eux ont ainsi été exécutés entre 1979 et 2010, des centaines emprisonnés.

L’État théocratique iranien : garant des discriminations ?

L’hostilité entre les deux confessions sunnite et chiite a certes toujours été radicale, mais la fluctuation des relations est aussi due en grande partie aux tensions géopolitiques entre l’Iran et les royaumes sunnites, l’Arabie Saoudite en tête. Il est donc fondamental de ne pas négliger la dimension politique d’une telle répression.

Le système politique iranien est fondé sur un islam absolutisé, dogmatique, et surtout institutionnalisé, avec un véritable clergé. La structure étatique est unique en son genre, puisqu’il s’agit d’une République islamique. Paradoxalement, la souveraineté se partage entre Dieu et le peuple. L’association du clergé aux institutions politiques a mené à l’intégration juridique et institutionnelle de certains groupes religieux ou ethniques comme les Chrétiens d’Arménie, au détriment d’autres groupes alors victimes d’une exclusion totale, tels que les Sunnites ou les Bahaïs.

Malgré l’arrivée au pouvoir de Rohani en 2013, que beaucoup de médias occidentaux se sont aventurés à qualifier de « modéré », la liberté religieuse continue à se détériorer. Depuis 2013, le nombre de membres des minorités religieuses emprisonnés ne cesse d’augmenter, et le Code pénal islamique continue à justifier allégrement des violations graves des droits de l’Homme. On a du mal à imaginer une amélioration de cette situation, sans une altération profonde du caractère théocratique de l’État iranien.

Les mouvements de contestation ont laissé entrevoir une lueur d’espoir mais le système semble bel et bien voué à rester en place. Après trente-huit ans de République islamique, politique et religieux semblent ainsi durablement liés en Iran, sans que rien n’annonce un effondrement ou un assouplissement du régime sur la question, au grand malheur des minorités religieuses.

Crédits :

Cartographie des religions en Iran : https://www.lesclesdumoyenorient.com/Cartographie-des-religions-4-L-Iran.html

Le christianisme de gauche

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Le Pape François lors de son voyage en Corée. ©Jeon Han

Une certaine facilité intellectuelle nous pousse souvent à associer politiquement en France le christianisme et plus particulièrement le catholicisme au conservatisme et à la bourgeoisie de droite, la Manif Pour Tous semblant confirmer cette intuition. Pourtant les idées souvent progressistes du Pape François ont rappelé que l’Eglise a aussi pu être du côté du progrès social et en conflit avec les puissances d’argent.

Le Christianisme social

Jacques Ellul
Jacques Ellul ©Jan van Boeckel

Avant les ouvrages théologiques de Jacques Ellul  qui s’interroge sur des thèmes comme L’Idéologie marxiste chrétienne (1979) et Anarchie et Christianisme (1987), on trouve des moments sociaux au sein même de l’Eglise.

Le christianisme social est tiré d’une lecture sociale du Nouveau Testament que permet par exemple ce verset de Marc (10,25) : « il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu », la parabole de la pauvre veuve, une certaine interprétation de la charité, et bien d’autres.

Dans son encyclique (les ouvrages rédigés par les papes présentant la position officielle de l’Eglise sur un thème) Rerum Novarum (« les choses nouvelles ») publiée en 1891, le pape Léon XIII, s’il condamne fermement le socialisme athée, explique que « la concentration de l’industrie et du commerce, devenus le partage d’un petit nombre de riches et d’opulents, impose ainsi un joug presque servile à l’infini multitude des prolétaires ».

A sa suite le pape Pie XI déclarera dans son encyclique Quadragesimo anno en 1931, en pleine Grande Dépression, qu’ « à la liberté du marché a succédé une dictature économique. L’appétit du gain a fait place à une ambition effrénée de dominer. Toute la vie économique est devenue horriblement dure, implacable, cruelle ».

Mais c’est vraiment le concile de Vatican II qui confirme le tournant progressiste de l’Eglise sur la question sociale.

Vatican II

En 1962, le pape Jean XXIII, convoque un concile œcuménique, c’est-à-dire une assemblée réunissant tous les évêques et autorités de l’Eglise, qui est resté sous le nom de Vatican II et qui marque la réelle prise de conscience par l’Eglise des questions d’inégalités sociales en lien avec le capitalisme. En 1963 dans « Paix sur la terre » Il propose de promouvoir le respect indépendamment de la nationalité, de l’idéologie ou de la religion, ainsi que de prendre la défense des classes laborieuses.

Mais c’est le pape suivant, Paul VI, qui fera la critique la plus radicale du capitalisme, demandant à l’Eglise d’être du côté des pauvres et des prolétaires. Il est le pape le plus discret sur la critique du marxisme allant jusqu’à déclarer dans Populorum Progressio (« le progrès des peuples »)  que « le bien commun exige parfois l’expropriation ».
Son influence sur les prêtres ouvriers et la théologie de la libération sera très forte.

La Théologie de la Libération

La Théologie de la Libération peut être résumée en une forme de réconciliation entre marxisme et christianisme par la priorité donnée aux pauvres et à la prise de conscience qu’elle n’est pas une fatalité mais le produit de rapports de domination. Elle donne naissance à des mouvements révolutionnaires de guérillas marxistes et chrétiennes à travers toute l’Amérique latine, dans lesquels on put même apercevoir des prêtres en armes. Elle est d’ailleurs, d’Evo Morales à Hugo Chavez en passant par Rafael Correa, une des principales sources d’inspirations pour le progressisme latino-américain.

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Helder Camara en 1981 ©Antonisse, Marcel / Anefo

Une de ses figures est l’évêque brésilien Helder Camara (dont le procès en béatification est par ailleurs en cours) qui déclarait « Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés.
La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première.
La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.
Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue
 »

Les Prêtres Ouvriers

C’est Paul VI qui en 1965 ré-autorise les prêtres ouvriers qui existaient depuis les années 40. Ces prêtres souhaitaient partager la tâche et la vie des travailleurs. Ils prirent régulièrement part à leurs luttes.

En 1983, Georges Séguy, secrétaire général historique de la CGT de 1962 à 1982 décédé en août dernier, déclarait : « ces prêtres-ouvriers qui viennent à la CGT, ce sont des militants comme nous, ils ont le même état d’esprit que nous, ils veulent lutter comme nous, ils veulent prendre des responsabilités comme nous dans la bataille » (1)


Pape François : l’écologie et l’anticapitalisme chrétien

L’élection de Pape François, premier pape latino-américain, redonne une image progressiste à l’Eglise.
Bien que certaines contradictions semblent indépassables avec certains militants de gauche (propos sur la violence religieuse après les attentats de Charlie Hebdo, positions sur l’avortement et la «théorie du genre »…) Pape François a dans son encyclique « Laudato Si’ » pris parfaitement conscience de l’urgence écologique, de son lien avec le système capitaliste, et de la nécessité d’agir vite contre le désastre.

 « Dans la vie, j’ai connu tant de marxistes qui étaient de bonnes personnes » (Pape François)

Dans son exhortation apostolique « La Joie de l’amour » sur l’amour dans la famille, ce n’est pas l’homosexualité qu’il désigne comme principal danger pour la famille mais bien la paupérisation engendrée par la mondialisation et l’absence de fraternité à l’égard des réfugiés fuyant les guerres.

L’utilisation politique du christianisme

Ces rappels historiques permettent de mettre en avant le fait que l’utilisation politique du christianisme n’est pas par essence de droite : si les millions de manifestants de la Manif pour Tous qui se sont mobilisés contre le droit des couples homosexuels à adopter au nom « de l’intérêt de l’enfant » (l’adoption concerne environ 10 000 enfants), s’étaient mobilisés pour les 30 000 enfants SDF, le problème serait déjà réglé. On comprend alors qu’ils ne sont pas conservateurs parce que chrétiens mais se servent du christianisme pour justifier leur conservatisme, et que lorsque l’Eglise va à l’encontre de leurs convictions profondes, comme c’est le cas avec le Pape François, ils n’hésitent pas à la dénigrer. C’est ce qui fait que Marion Maréchal Le Pen se permet de critiquer le pape alors qu’elle veut rapprocher le FN de l’Eglise, quand Jean-Luc Mélenchon, pourtant laïc intransigeant, écrit « Vive Le Pape ».

« (…) Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Un rebelle est un rebelle (…) »
La rose et le réséda (1943) Louis Aragon

 

(1) Viet-Depaule Nathalie « les prêtres ouvriers, des militants de la CGT (1948-1962)» in Bressol (Elyane), Dreyfus (Michel), Hedde (Joel), Pigenet (Michel) La CGT dans les années 1950 (2015).

Crédits photos :

Jacques Ellul – ©Jan Van Boeckel, ReRun Productions

©Jeon Han