Vincent Bolloré, empereur des médias au pays de la complaisance

Bolloré commission
Vincent Bolloré © Creative commons

Face aux sénateurs de la commission d’enquête sur la concentration des médias, mercredi 19 janvier, Vincent Bolloré n’avait plus qu’à se féliciter de sa victoire. Il faut dire que ses hôtes ont été particulièrement bienveillants. Présidée par Laurent Lafon, membre du groupe Union centriste, cette commission sénatoriale s’était donnée pour but d’enquêter sur le phénomène de concentration des médias en France et d’en « évaluer l’impact […] sur la démocratie ». L’actionnaire majoritaire du groupe Bolloré, dont le chiffre d’affaires s’élevait à 24 milliards d’euros en 2020, s’est donc prêté au jeu de l’interrogatoire. Une véritable promenade de santé pour le chef d’entreprise qui, pendant deux heures, a fait les questions et les réponses, dopé par les louanges des uns et l’indulgence complice des autres. Si la figure de Vincent Bolloré est aujourd’hui pointée du doigt par certains médias, c’est parce qu’il est le principal bénéficiaire d’un système capitalistique, encouragé par les décisions politiques de ces dernières décennies. Son autorité désormais acquise dans l’espace médiatique français est en effet le résultat d’un long processus de laisser-faire, soutenu et entretenu par l’État. Elle illustre les effets d’une complicité devenue aliénante entre élites politiques, économiques et culturelles du pays.

Élève modèle, business model : l’argumentaire gagnant de Bolloré

Sans aucun doute, cette audition publique aura permis à Vincent Bolloré de redorer son image et d’écarter toute forme de méfiance à l’égard de son ambitieux empire médiatique. Sur un ton calme, presque léger, l’homme d’affaires a joué avec brio la carte de l’humilité, se disant presque « flatté » d’avoir été convié à cette commission et décrivant son entreprise comme « un tout petit », face aux géants des GAFAM. Patron dévoué, il s’est dit prêt à jouer les « boucs émissaires », affirmant n’avoir aucun projet idéologique ou politique : « Notre intérêt est purement économique » clame-t-il.

L’auditoire a pu constater, sans cacher son admiration, l’efficacité du business model Bolloré, oubliant presque l’objectif de sa présence.

Élève modèle, il a demandé à diffuser ses propres diapositives, afin d’appuyer son propos. Courbes et diagrammes ont défilé sous les yeux des sénateurs, ainsi convaincus de l’honnêteté de l’homme et de la rigueur de ses arguments. Et, parce que des mots illustrés renforcent la performativité d’un discours, aussi ubuesque soit-il, l’auditoire a pu constater, sans cacher son admiration, l’efficacité du business model Bolloré, oubliant presque l’objectif de sa présence.

Mais plus concrètement, par quels moyens l’interrogé a-t-il réussi à inverser la dynamique de l’entretien, retournant les questions à son avantage et réduisant la minorité réfractaire au silence ? Aux accusations de censure, Monsieur Bolloré répond que son entreprise est si grande – le groupe compte aujourd’hui 80 000 employés – et variée – toutes les chaînes et journaux de Canal +, Prima media, la majorité du groupe Lagardère ainsi qu’une trentaine de maisons d’édition – qu’il serait irréaliste de croire en sa seule force de nuisance. De plus, il balaie toute forme d’activisme politique d’un revers de main, clamant que « [s]on ADN, c’est la liberté ». Ce qui en dit long.

Vincent Bolloré n’a qu’à se référer à son histoire familiale et à celle de cette entreprise qui, depuis 1822, ne cesse de grandir et de « faire rayonner la culture française dans le monde », pour faire vibrer les défenseurs de l’idéal méritocratique. Créateur d’emplois, mécène, ambassadeur de la France et de sa richesse créative à l’étranger, l’homme incarne la réussite de l’entrepreneur qui travaille dur et qui sait saisir les chances disponibles dans son pays pour les lui rendre, en mieux. Un exemple que les apôtres du libéralisme ne peuvent qu’aduler, puisqu’il montre en quoi laisser faire les volontés individuelles peut, par la magie de la cohabitation de citoyens travailleurs et ambitieux, créer les opportunités d’une vie enviable.

Ainsi séduits, aucun des sénateurs n’a semblé dérangé par la confusion, entretenue tout au long de l’audition, entre la pluralité des médias détenus par l’homme d’affaires et le pluralisme de l’information. Or, le nombre de tentacules déployés par la créature Bolloré ne garantit en rien l’autonomie de ceux-ci. Quand bien même l’entrepreneur ne serait guidé que par ses intérêts économiques, comme il le prétend, nul ne peut croire de bonne foi que cela n’implique pas d’enjeux politiques cruciaux : taxation, ou non, des grandes fortunes, gestion de la concurrence entre l’audiovisuel privé et public, soutien aux journalistes indépendants…

Si les liens entre Bolloré et Macron en 2017, et le rôle de ses chaînes de télévision dans l’ascension de Zemmour, aujourd’hui candidat, ont abondamment été démontrés, il est clair qu’aucun aspirant à des responsabilités politiques n’a intérêt à se mettre sérieusement Bolloré à dos.

De l’autre côté, l’omniprésence des médias détenus par Bolloré dans notre quotidien – rappelons qu’il a été pionnier dans les chaînes d’information en continu – et l’influence de ceux-ci sur l’opinion publique ne peut laisser aucun responsable politique indifférent. Si les liens entre Bolloré et Macron en 2017, et le rôle de ses chaînes de télévision dans l’ascension de Zemmour, aujourd’hui candidat, ont été abondamment démontrés, il est clair qu’aucun aspirant à des responsabilités politiques n’a intérêt à se mettre sérieusement Bolloré à dos.

Omerta sur les effets du monopole Bolloré dans l’écosystème médiatique

La plus grosse dissonance de l’audition restera peut-être la prétention de l’homme, assumée et jamais contestée, de défendre à lui seul la « souveraineté culturelle » française. Sur le papier, la démarche de cette commission d’enquête semble louable : dresser un état des lieux des médias en France, entendre ses principaux acteurs et tenter de comprendre les raisons de cette « crise de confiance » entre les citoyens et la profession. En effet, cela fait bien longtemps que les textes régissant la presse française n’ont plus force de loi. Celui de 1986, par exemple, timidement évoqué par David Assouline, rapporteur de la commission d’enquête, prévoyait des « seuils anti-concentration », désormais obsolètes.

Plus tôt, le programme du Conseil national de la Résistance et les ordonnances de 1944 stipulaient que « la presse n’est pas un instrument de profit commercial » (art. 1) et que « la presse est libre quand elle ne dépend ni de la puissance gouvernementale ni des puissances d’argent mais de la seule conscience des journalistes et des lecteurs » (art. 3). Sans nul doute, un nouveau texte bâtisseur, qui aurait pour but de redessiner les contours de la presse aujourd’hui, ne se risquerait pas à de telles rêveries. Néanmoins, revenir aux ambitions premières posées par les acteurs de la Libération, n’est pas inutile. Cela souligne le paradoxe béant entre la liberté de la presse, telle que définie il y a moins de quatre-vingts ans, et la situation presque monopolistique de l’empire Bolloré.

L’audition simultanée de quatre propriétaires de journaux indépendants (L’Opinion, Le 1, Mediapart et Les Jours) deux jours plus tard, montre d’ailleurs bien l’importance consacrée aux uns et aux autres dans le débat. Les financements étant l’alpha et l’omega d’un média qui fonctionne et qui dure, le paysage de l’information tend finalement vers la coexistence du groupe Bolloré avec une poignée d’autres titres qui se maintiennent grâce aux soutiens de leurs lecteurs. Une guerre de l’information qui se révèle indéniablement asymétrique.

Une audition révélatrice de la démission du politique

Toutes tentatives de déductions hâtives écartées, reste que l’omerta sur la position prédatrice du groupe Bolloré dans l’écosystème médiatique français, alors même que l’ambition affichée était de comprendre les conséquences de ce phénomène de concentration sur la démocratie, a de quoi laisser dubitatif.

Adhésion, inertie ou impuissance, il n’est pas facile de déterminer la ou les raisons pour lesquelles notre système politique actuel encourage et promeut l’expansion décomplexée de l’entreprise Bolloré. Il ne serait ni rigoureux ni honnête de dire que toutes les personnes présentes à cette commission ont volontairement joué la comédie pour feindre le pluralisme politique et mimer la contradiction. David Assouline, du groupe socialiste, s’est par exemple montré plus pugnace que certains de ses confrères lorsque, deux minutes avant la fin de l’audition, il se fait le porte-voix des journalistes d’Europe 1 qui dénonçaient les atteintes à leur liberté d’informer : « Vous êtes un interventionniste assez direct », assène-t-il. Néanmoins, Vincent Bolloré en sort victorieux, car il a réussi à faire de cette prise de parole, diffusée publiquement, une véritable opération de communication.

Adhésion, inertie ou impuissance, il n’est pas facile de déterminer la ou les raisons pour lesquelles notre système politique actuel encourage et promeut l’expansion décomplexée de l’entreprise Bolloré.

Dans l’espace médiatique, c’est à travers la rencontre entre personnalités politiques, journalistiques et intellectuelles que se développent et s’affrontent différentes visions du monde. Les catégorisations du bien, du mal, les vérités affichées et défendues sont rendues légitimes par l’effet du nombre ; plus elles sont partagées, plus elles paraissent crédibles et indiscutables. La théorie des champs développée par Pierre Bourdieu permet de comprendre comment ces acteurs « travaillent à expliquer et systématiser des principes de qualification, à leur donner une cohérence ». On pourrait croire cette théorie remise en cause par l’influence croissante des réseaux sociaux, rendant plus facile l’accès à l’espace public. En vérité, ce sont ces mêmes personnalités que l’on retrouve abondamment sur Twitter et sur les plateaux télévisés. Derrière la multiplicité des supports d’information et la démocratisation de ceux-ci, notre capacité à convaincre dépend, toujours plus, de la visibilité de nos arguments.

C’est ainsi qu’aujourd’hui, comme le rappelait un article du Monde diplomatique, des visions et des divisions s’imposent, entre les « nationaux » et les « étrangers », les « travailleurs » et les « chômeurs », les « vaccinés » et les « non vaccinés » là où, autrefois, semblait dominer l’opposition entre les « riches » et les « pauvres ». Les termes du débat, imposés par une minorité de médiatisés, eux-mêmes dépendants – pour le moins, économiquement – d’un seul homme, à l’ensemble des citoyens, posent des enjeux démocratiques.

En illustrant, non pas seulement l’inertie de la classe politique, tout échiquier confondu, mais aussi la dépolitisation de celle-ci – en d’autres termes, sa démission par adhésion ou par abandon – cette audition aura été une illustration supplémentaire du fossé abyssal entre les citoyens et leurs responsables politiques.   

Affaire Benalla : de l’inutilité politique de la procédure pénale

Michele Limina, Creative Commons
Emmanuel Macron au forum économique mondial. ©Michele Limina

Une commission d’enquête parlementaire ? Quel intérêt ? S’étonnait-on ces derniers jours dans les rangs de la majorité. Que va-t-elle nous apprendre de plus que le travail de la justice ? La réponse, assez simple, tient pourtant en un seul mot : l’essentiel.


Contrairement au récit donné par le pouvoir, la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Benalla à l’Assemblée nationale n’a été ni une chose facile, ni une évidence aux yeux de la majorité LREM pour le moins frileuse, sinon réticente sur le sujet. Les différentes oppositions se sont en effet relayées dans une bataille parlementaire pugnace de demandes procédurales à l’issue de laquelle le groupe de Richard Ferrand a fini par concéder la transformation de l’actuelle commission des lois en commission d’enquête.

Le principal motif de résistance des députés de la majorités arguait en effet l’ouverture récente d’une enquête judiciaire jugée suffisante à leurs yeux pour que soit établie la chaine de responsabilités ayant mené aux exactions de M. Benalla. Pourtant, si les auteurs directs des faits révélés par la vidéo de Nicolas Lescaut pourraient écoper d’une condamnation pénale, la chose est beaucoup plus incertaine pour leurs supérieurs hiérarchiques.

Paradoxe relevé plusieurs fois, c’est justement au fait de ne pas appartenir à la police qu’Alexandre Benalla doit la lourdeur de sa peine médiatique, et celle – éventuelle – de sa condamnation pénale. La sanction pénale des violences en réunion pour lesquelles sont mis en examen messieurs Crase et Benalla est en effet conditionnelle. Les victimes présumées doivent ainsi faire valoir une incapacité de travail de plus de huit jours (article 222-11 du code pénal), ou une « vulnérabilité particulière apparente » (article 222-13, 2°) ou leur état de témoin d’un crime ou d’un délit (article 222-13, 5°) pour pouvoir espérer une condamnation de trois ans de prison et de 45 000 euros d’amende, ce qui n’a rien d’évident au vu du contexte particulier de l’action et du délai de réaction judiciaire.

En revanche, l’usurpation de fonctions d’un policier, (ici « l’immixtion dans l’exercice d’une fonction publique ») requiert de plein droit les mêmes peines (article 433-12 du code pénal).

“Si les auteurs directs des faits révélés par la vidéo de Nicolas Lescaut pourraient écoper d’une condamnation pénale, la chose est beaucoup plus incertaine pour leurs supérieurs hiérarchiques”

Mais qu’en est-il des autorités potentielles dont relève monsieur Benalla ?

Évacuons d’emblée le cas du président de la République. Protégé par les dispositions constitutionnelles qui lui aménagent une immunité présidentielle (en premier rang l’article 67 de la constitution actuelle), monsieur Macron ne peut être entendu d’aucune institution judiciaire avant juin 2022 au plus tôt. Sauf à attendre quatre ans – une éternité en politique – l’enquête judiciaire ne nous serait donc d’aucun secours pour évaluer sa responsabilité pénale ou même sa vision des faits.

Premier auditionné par cette nouvelle commission d’enquête parlementaire, le ministre de l’Intérieur s’est défaussé de toutes responsabilités, réfutant notamment l’application de l’article 40 du code de procédure pénale à son cas personnel. Au cœur des discussions de la commission, l’article de loi oblige en effet « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire » ayant connaissance d’un crime ou d’un délit à rapporter les faits sans délai à la justice. Invoquant une position fidèle à celle de ses prédécesseurs, il s’est estimé libre des obligations formulées par le texte légal. Proposant une interprétation différente, la députée Daniele Obono (LFI) a avancé, lors de l’audition du ministre, qu’en tant « qu’autorité constituée » il était concerné par l’article en question.

La question de savoir si un ministre doit répondre au même titre que les agents de son ministère aux obligations de l’article 40 du code de procédure pénale n’est cependant pas résolue clairement par nos institutions. Et M. Collomb a beau jeu de profiter d’un flou relatif sur le sujet.

Ainsi en 2013 la Garde des Sceaux Mme Taubira, répondant aux questions d’une députée, Mme Véronique Louwagie (UMP), avance que : « Le concept d’autorité constituée (…) permet d’inclure sous ce vocable, selon la doctrine, toute autorité, élue ou nommée, nationale ou locale détentrice d’une parcelle de l’autorité publique.» Sans toutefois évoquer le cas des membres du gouvernement : sont référencées des décisions de justices qui concernent des maires ou des conseillers généraux, mais point de jurisprudence sur les ministres.

“La disposition du code de procédure pénale mentionne bien une obligation faite aux fonctionnaires de rapporter les crimes et les délits… mais ne prévoit pas de sanction en cas de violation de cette obligation”

Du reste, si M. Collomb devait être entendu par des juges, ce serait par ceux de la Cour de Justice de la République. Encore en vigueur aujourd’hui (M. Macron a pour projet de la supprimer), l’institution ne s’est pas fait remarquer pour sa probité ou son indépendance à l’égard du pouvoir exécutif. Et au regard de son dernier jugement rendu au terme du procès de Christine Lagarde, il y a peu d’espoir pour que sa lecture dudit article 40 soit différente de celle de M. Collomb.

Exit la responsabilité pénale de M. Collomb donc.

Le directeur de cabinet de l’Elysée M. Patrick Strzoda ou son secrétaire général Alexis Kolher, le chef de cabinet de la place Beauvau M. Jean-Marie Girier, ou encore le préfet de police M. Michel Delpuech sont eux, en tant que hauts fonctionnaires, pleinement concernés par ce fameux article 40. Le juge d’instruction tient-il là de quoi engager leur responsabilité pénale ? C’est sans compter le goût du droit français pour les contradictions baroques. La disposition du code de procédure pénale mentionne bien une obligation faite aux fonctionnaires de rapporter les crimes et les délits… mais ne prévoit pas de sanction en cas de violation de cette obligation. La Cour de Cassation (la plus haute autorité en matière de droit pénal) a en effet elle-même entériné cette absence de sanction (Cour de cassation, Chambre criminelle, 13 octobre 1992, 91-82456). Autrement dit, les autorités publiques ayant pris connaissance des actes de messieurs Benalla et Crase sans les avoir mentionnés à un procureur ne risquent… rien.

Tout au plus le manquement à l’obligation de dénonciation peut-il constituer un motif de sanction disciplinaire. Or, en dehors du registre politique, les deux supérieurs hiérarchiques de ces hauts fonctionnaires M. Macron et M. Collomb n’ont aucun intérêt à sanctionner leurs collaborateurs puisqu’ils ne sont eux-mêmes pas inquiétés judiciairement ou administrativement.

Sont ainsi écartés des responsabilités pénales tous les individus ayant pris connaissance des faits après leur commission. C’est à dire la quasi-totalité de la hiérarchie.

Restent les policiers et l’officier dirigeant les opérations sur le terrain au moment des faits. Eux peuvent être concernés par l’article 434-1 du code pénal qui oblige « quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets (…) » à informer les autorités judiciaires ou administratives. Encore que ce soit là, justement, la vocation première de la police.

“En reportant sur l’institution judiciaire la charge de donner aux citoyens le sentiment d’un juste contrôle des activités de l’Élysée, tâche dont elle n’a honnêtement pas les moyens, on [prend] le risque conséquent de tuer dans l’opinion tout sentiment de justice”

Ils auraient pu également se saisir de l’article 73 du code pénal (oui oui, ce même article dont se prévaut M. Benalla pour sa défense) qui donnent « qualité (…), dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant (…), à toute personne pour (en) appréhender l’auteur ». Ici, pas d’obligation mais une simple opportunité d’intervention.

Au-delà de l’ironie de la situation – on peine à retenir le plaisir d’imaginer la scène surréaliste des deux victimes présumées appréhendant M. Benalla au titre de l’article 73 du code pénal – on touche ici clairement aux limites du simple droit positif. Il y a dès lors tout à parier que le volet pénal du cas Benalla ou Crase se limitera à leur seule personne, ou éventuellement à l’implication de quelques complices directs.

Pour le reste, cette brève plongée dans les limbes capricieuses du droit nous montre assez à quel point la procédure pénale est inadaptée lorsqu’il s’agit de mettre en lumière les responsabilités du pouvoir exécutif – quel que soient les niveaux de commandements impliqués – problème qui ne semble trouver de terrain de résolution satisfaisant que dans le champ politique. Se serait-on contenté de l’enquête judiciaire, et de sa sœur jumelle administrative, on manquait toute occasion de purger la crise politique actuelle. En reportant sur l’institution judiciaire la charge de donner aux citoyens le sentiment d’un juste contrôle des activités de l’Élysée, tâche dont elle n’a honnêtement pas les moyens, on prenait le risque conséquent de tuer dans l’opinion tout sentiment de justice.

À cet égard, on ne voit guère d’autre solution que le débat public pour résoudre les questions soulevées par le cas Benalla. Messieurs Macron et Collomb ainsi que leurs plus proches collaborateurs ne peuvent que s’exprimer et s’expliquer politiquement devant les Français, c’est à dire au regard des valeurs, des projets et des postures qu’ils ont souhaité incarner au cours de cette première année du quinquennat présidentiel. Et puisqu’il s’agit de faire vivre le plus possible ce débat dans les cadres institutionnels existant, la création de commissions d’enquête parlementaire (Assemblée et Sénat) paraît de loin la meilleure option.

 

Crédits photos : ©Michele Limina