Analyse exclusive du rapport du GIEC sur les océans et la cryosphère

Le rapport pointe les dégâts importants et irréversibles déjà occasionnés par le réchauffement climatique sur nos océans et les parties gelées de notre planète

Ce mercredi 25 septembre 2019 paraît le nouveau rapport spécial du GIEC sur les océans et la cryosphère (le monde des glaces). Le rapport pointe les dégâts importants et irréversibles déjà occasionnés par le réchauffement climatique sur nos océans et les parties gelées de notre planète et certaines de ses projections sont particulièrement alarmistes. Cependant, les scientifiques rappellent également que des actions ambitieuses et immédiates existent pour modérer ces impacts. Le Vent se Lève vous propose un résumé des données clefs de ce rapport, ainsi qu’une mise en perspective critique par rapport aux autres travaux scientifiques et aux différents positionnements politiques. Par Anaïs Degache-Masperi et Damien Chagnaud


Les actualités climatiques sont alarmantes. L’inaction climatique est totale alors que « la maison brûle ». Une situation confirmée par le nouveau rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sur les océans et la cryosphère. Ce rapport, point final de deux ans de travail, est le fruit de la collaboration de 104 scientifiques internationaux et vient conclure la 51ème session du GIEC qui s’est tenue à Monaco du 20 au 23 septembre. Il est le dernier d’une série de trois rapports spéciaux, annoncés en 2016 lors de la 43ème session du GIEC. Les deux premiers concernaient le réchauffement à +1,5°C (2018) et les terres émergées (août 2019). Ils permettent d’aborder de manière transversale des sujets spécifiques et faire un état de lieux de la littérature scientifique sur ces sujets.

Ce rapport synthétise ainsi non loin de 7000 publications scientifiques. Son premier objectif est d’explorer les liens entre la crise climatique et les évolutions constatées dans les océans, les zones côtières et la cryosphère. La cryosphère désigne tout ce qui est relatif à l’eau à l’état solide présente naturellement sur Terre : la neige, les glaciers de montagne, les calottes polaires, ou encore les sols gelés (le permafrost, ou pergélisol). Longtemps minoré des débats politiques sur le climat, l’avenir des océans et de la cryosphère recouvre pourtant des enjeux d’une importance capitale. Véritables régulateurs du climat et indispensables à la vie sur Terre, ils évoluent fortement du fait des activités humaines et peuvent alors se révéler être des accélérateurs du réchauffement climatique. Le rapport vise à faire l’état des lieux des observations scientifiques sur ces zones, mais aussi à se projeter dans le futur en fonction de différents scénarios d’émissions de gaz à effet de serre – de manière à prévoir les impacts à long terme, physiques ou socio-économiques. Il compare donc systématiquement un scénario de faible élévation des températures grâce à une politique volontariste de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) (le scénario RCP2.6) à un scénario “business-as-usual”, autrement dit un scénario où rien ne serait fait pour le climat, et où les températures augmenteraient fortement (scénario RCP 8.5).

Son deuxième objectif est d’évaluer la vulnérabilité des populations concernées par ces impacts et proposer des solutions d’adaptation à un monde qui s’annonce bien différent.

Les principaux points du rapport

Océans

Les océans constituent le premier poumon de la Terre en fournissant 50% de l’oxygène que nous respirons et permettent d’absorber les émissions de gaz à effet de serre émises par le système industriel. Depuis les années 1980, les océans ont ainsi absorbé environ 20 à 30% des émissions d’origine humaine. Néanmoins, ce rôle a des conséquences :

  • Les océans perdent leur oxygène :  entre 1970 et 2010, l’océan a perdu entre 0,5% à 3% de son oxygène.  Ils deviennent aussi plus acides, moins salés. La préoccupation principale réside dans la capacité de ces océans à continuer à jouer un rôle d’absorption de nos émissions de gaz à effet de serre : avec l’acidification et la désoxygénation, les océans seraient moins capables de jouer ce rôle de poumon. Et donc, à terme, il pourrait s’enclencher un cercle vicieux accélérant la crise climatique.
  • D’autant plus que les océans se réchauffent ; c’est eux qui absorbent la chaleur additionnelle, bien plus que ne le fait l’atmosphère. Depuis 1970, les océans se sont ainsi réchauffés en absorbant près de 90% de la chaleur excédentaire dans le système climatique.
  • Ce réchauffement s’accélère : sur la période 1993-2019, le rythme du réchauffement a plus que doublé par rapport à la période 1968-1993. Tous les océans ne sont pas logés à la même enseigne : le plus rapide à se réchauffer est l’océan Arctique, qui, en surface, se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale.
  • Les vagues de chaleur marines, ou “canicules océaniques”, ont augmenté de 50% depuis 1982 et se sont intensifiées. Dans le futur, elles devraient continuer à croître en fréquence, en intensité et en étendue. La question est particulièrement préoccupante en ce qui concerne les écosystèmes marins et les récifs coralliens, dont un demi-milliard de personnes dépendent. Ces récifs ne devraient pas survivre à un réchauffement de +2°C par rapport à l’ère préindustrielle.
  • À cause de ces transformations, les réserves alimentaires dans les eaux tropicales peu profondes décroîtront drastiquement de 40%. De même, la biodiversité marine pourrait décliner de 17%, notamment à cause de la difficulté croissante des échanges entre eaux de surface et couches plus profondes, ce qui nuirait fortement à la pêche dont sont aujourd’hui tributaires entre 660 et 820 millions de personnes dans le monde.
  • Un doublement des fréquences de phénomènes climatiques extrêmes de type El Niño est à attendre si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites. Ces phénomènes modifient l’ensemble du climat mondial quand ils se produisent, décalant les moussons, favorisant l’essor de maladies et des feux de forêt.

Zones polaires et élévation du niveau des mers

Les calottes polaires et la banquise en Antarctique et dans l’Arctique réfléchissent les rayons du soleil vers l’espace, grâce à leur albédo élevé. Ainsi, une planète sans glaciers est une planète qui absorbe plus d’énergie, et donc qui se réchauffe plus vite. Les effets du réchauffement climatique sur les calottes polaires sont pointés par le rapport :

  • Les calottes glaciaires en Antarctique et au Groenland continuent à fondre, et de plus en plus en vite. Elles ont perdu en moyenne 430 milliards de tonnes chaque année depuis 2006. Le réchauffement des océans fait fondre les calottes glaciaires et augmente le niveau marin (par l’apport d’eau supplémentaire dans les océans et par dilatation thermique de l’eau consécutive à leur réchauffement).
  • Le niveau des mers va ainsi continuer à croître dans les siècles à venir et cette augmentation est inéluctable, peu importe le scénario retenu. Les prévisions ont été actualisées et revues à la hausse depuis le dernier rapport du GIEC, en 2014. Dans le scénario le plus optimiste, avec un réchauffement maintenu à +2°C, le niveau marin devrait augmenter d’au moins 59 centimètres d’ici 2100, alors que le GIEC prévoyait 43 centimètres en 2014. Au contraire, si l’on continue sur les tendances actuelles d’émissions, avec un réchauffement global de 3°C ou 4°C, il pourrait augmenter jusqu’à 1,10m, contre une précédente prévision de 45-84 cm en 2014. Cela entraînerait de vastes pertes d’étendues terrestres pour les pays à faible altitude (comme le Bangladesh qui verrait 20% de son territoire submergé) et pas seulement pour les pays insulaires.
  • Le rythme d’élévation du niveau des mers continuera à s’accélérer après 2100 : au 22ème siècle, le niveau marin pourrait augmenter de plusieurs centimètres par an, et prendrait ainsi plusieurs mètres très rapidement. Cela entraînerait des conséquences catastrophiques pour les zones côtières (inondations, érosions des côtes, pénétration de l’eau salée dans les nappes d’eau douce souterraines …).

Inondations des zones côtières

Le rapport estime que les dommages causés par les inondations pourraient augmenter de 100 à 1000 fois d’ici 2100.

  • L’élévation du niveau de la mer va avoir un effet aggravant lors des événements météorologiques extrêmes. Les cyclones intenses, comme par exemple le cyclone Irma qui a dévasté les Caraïbes en 2018, devraient augmenter en fréquence. Aujourd’hui, 280 millions de personnes vivent à moins de 10 mètres d’altitude et pourraient être obligés de se déplacer en cas d’inondations. En 2050, ce nombre pourrait augmenter jusqu’à un milliard. Ainsi, des petites nations insulaires et des mégalopoles côtières risquent d’être inondées chaque année à partir de 2050.
  • Toutes les régions du monde seront menacées, mais pas à la même intensité : les chiffres donnés par le rapport sont des moyennes, mais certaines régions sont plus exposées à l’élévation du niveau marin. Des mesures d’adaptation sont nécessaires, mais les capacités d’adaptation entre différents territoires sont criantes d’inégalités : les pays riches pourront assurer leur protection plus facilement que les pays en développement, et les plus pauvres seront donc les premiers impactés par la hausse du niveau marin. Une situation injuste, qui tendra à s’empirer si des mesures d’atténuation et d’adaptation équitables et drastiques ne sont pas prises dès aujourd’hui.
  • D’autre part, alors même que nous vivons une extinction de masse de la biodiversité, l’élévation du niveau des mers devrait causer la perte de 20 à 90% des zones humides d’ici 2100, les océans pénétrant les terres là où l’eau est déjà présente.

Permafrost et zones de montagne

  • Le permafrost (sous-sol gelé en permanence) pourrait fondre presque entièrement (à 99%) d’ici 2100 si le réchauffement se poursuit au rythme actuel. Le permafrost, qui désigne les sols gelés des zones polaires et ceux des zones montagneuses à haute altitude, représente un réservoir qui risquerait de libérer des quantités importantes de CO2 et de méthane jusqu’alors emprisonnées. Cela entraînerait un effet d’emballement du réchauffement climatique. En cas d’émissions moindres, les impacts sur le permafrost pourraient être limités.
  • Les glaciers quant à eux sont aussi des garants climatiques internationaux qui régulent le climat de notre planète. Et ils fondent à vue d’œil : ce sera en particulier le cas des glaciers situés à basse altitude. Ceux d’Europe centrale, du Caucase, d’Asie du Nord et de Scandinavie devraient perdre plus de 80% de leur volume d’ici 2100. La quantité d’eau douce disponible qui en découle va augmenter puis décliner à partir de 2100. 670 millions de personnes vivent dans des zones de haute montagne et pourraient être impactées à travers le monde, leur accès à l’eau potable étant directement liée aux glaciers.

Un changement global de système nécessaire

Ce rapport spécial du GIEC vient confirmer d’autres travaux très alarmistes. La semaine dernière, des scientifiques français ont présenté leurs projections d’évolution du climat d’ici 2100. Leurs résultats font froid dans le dos : si rien n’est fait, la température mondiale moyenne pourrait augmenter de +7°C d’ici la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle, alors même que le rapport du GIEC de 2014 prévoyait une augmentation de +4,8°C maximum dans les scénarios les plus catastrophiques. Par comparaison, pendant la dernière époque glaciaire, il y a 10 000 ans, la température moyenne globale n’était que de 3 à 4°C en deçà de la température actuelle. La France ne sera évidemment pas épargnée par ces bouleversements puisque les glaciers alpins pourraient par exemple disparaître d’ici 2100 à tendance actuelle, pour ne parler que de la cryosphère.

Cependant, pour Jean-Pierre Gattuso, chercheur au CNRS et à l’IDDRI, océanographe, spécialiste de l’acidification : “Ce rapport montre qu’un scénario d’émission compatible avec l’accord de Paris permet de stabiliser ou modérer les impacts. L’état de l’océan futur est donc entre nos mains.”

L’urgence est donc là. L’inversion de la courbe d’émissions de gaz à effet de serre ne représente pas qu’une modification à la marge de nos habitudes de production et de consommation. Lorsque Greta Thunberg affirme, dans son discours à l’ONU, que “tout ce dont vous parlez, c’est d’argent, et des contes de fées de croissance économique éternelle”, ses positions sont jugées par Emmanuel Macron comme “très radicales”. Pour autant, ce constat est partagé par de nombreux scientifiques : il ne faut plus une modification, mais une transformation du système. Les conclusions du rapport Unis pour la science, dévoilé le 22 septembre à l’ONU et réunissant des scientifiques de sciences naturelles et sociales, vont bien dans le même sens : le rapport souligne l’urgence d’une transformation socio-économique dans des secteurs clés comme l’utilisation des terres émergées et l’énergie afin d’atteindre les objectifs climatiques et notamment celui de l’accord de Paris. Le marché et les lobbies ne peuvent plus être seuls décideurs et il est temps que les politiques publiques s’émancipent des dogmes du néolibéralisme. En effet, pour ne pas dépasser les 2°C d’augmentation, il faudrait tripler les politiques publiques d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, et les quintupler pour rester sous la limite des 1,5°C, ce qui est “techniquement encore faisable”.

Conclusion

La période 2015-2019 a été la plus chaude jamais enregistrée. Les impacts du réchauffement climatique sont ressentis plus vite et plus fort que ce qui avait été prédit il y a une décennie. Cette réalité s’accompagne en France d’une prise de conscience croissante de l’urgence climatique et des enjeux environnementaux. Nul doute que le sentiment de la vacuité des grands discours d’Emmanuel Macron – censés faire illusion – est lui aussi grandissant ; vacuité confirmée dans les faits par l’écart toujours plus important entre les objectifs climatiques et la réalité. Un autre écart se creuse donc dans notre pays, celui entre la population et ses dirigeants, entre les attentes des premiers et les actes des seconds, entre l’intérêt général et les intérêts particuliers restreints de quelques-uns. Nous savons maintenant que les sociétés qui s’effondrent sont celles où les inégalités sont les plus fortes, précisément parce que la déconnexion des élites de la réalité y est la plus importante. De ce décalage naissent des tensions et une crispation du pouvoir, dont témoigne la répression inédite de la marche pour le climat du 21 septembre, largement violentée. Les mobilisations citoyennes, et la plainte contre la France (entre autres pays), déposée par seize adolescents, dont Greta Thunberg, auprès du Comité des droits de l’enfant des Nations unies, comptent mettre une des nations industrielles historiques devant ses contradictions. En attendant, l’acte 2 du quinquennat, voulu par le gouvernement comme celui de l’écologie, commence malheureusement par l’émission de beaucoup de gaz – lacrymogène cette fois…