Uber ou la chronique d’une catastrophe sociale absolue – Entretien avec Danielle Simonnet

Danielle Simonnet ©Thomas DIPPE

Danielle Simonnet est membre du Parti de Gauche, de la France Insoumise et conseillère de Paris depuis 2008. Elle s’était particulièrement impliquée lors des manifestations des chauffeurs de taxi dès 2014. Avec elle, nous sommes revenus sur les enjeux que posent l’uberisation de l’économie, tant sur le plan social que le plan écologique.

LVSL – De quelle marge disposent aujourd’hui les élus de la République pour intervenir sur les questions relatives au développement de l’économie de plateforme ?

Danielle Simonnet – Tout dépend ce qu’on entend par « les élus de la République ». Il y a d’une part le législateur, d’autre part l’élu municipal. Évidemment, il y a d’abord selon moi une responsabilité du législateur, du député ou du sénateur concernant l’exigence de la mise en place des régulations du développement de l’uberisation des plateformes. On pourrait très bien imaginer qu’il y ait une loi qui conditionne toute possibilité pour qu’une plateforme puisse exercer sur le territoire national, qu’on la conditionne à un certain nombre de choses.

Premièrement, que toutes les transactions faites sur le territoire national soient déclarées aux impôts. Vous savez aujourd’hui que quand vous faites un transport par le biais de la plateforme Uber, ce dernier s’octroie une marge de 20% ou 25% mais va déclarer cela sous forme d’une société qui a ses comptes en Irlande, c’est-à-dire un endroit où la fiscalité des entreprises est beaucoup plus avantageuse pour eux.

“Le législateur devrait aussi se préoccuper de cela et dire que du point de vue du droit du travail, il faut inverser le rapport et considérer que ce n’est pas au travailleur indépendant de se battre pour exiger SA requalification en salarié.”

La première chose serait d’exiger de conditionner toute plateforme au fait qu’elle doit déclarer ses transactions sur le territoire national. Bref, qu’elle paye ses impôts là où est établi son activité.

Deuxièmement, il faut conditionner ces activités au respect des réglementations en vigueur. Pour celles concernant Uber, il s’agit du transport de personnes. Il existe une décision de la Cour européenne de justice (CJUE) qui indique qu’Uber est bien une entreprise de transports et donc doit être assujettie aux régulations de transports dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne. En France, la loi Thévenoud interdit la maraude électronique pour ceux qui ne sont pas chauffeurs de taxis.

Or, quand vous vous baladez dans la rue, que vous prenez votre téléphone et qu’avec l’application, vous dites « je suis géolocalisé ici, il me faut un chauffeur maintenant », c’est une maraude électronique, c’est comme héler un taxi mais par le biais d’une plateforme et ça normalement c’est interdit, c’est illégal. Comment cela se fait-il que le législateur ne pose pas la question de l’application de sa loi ? Vous avez aussi l’URSSAF qui a porté plainte contre Uber parce qu’ils estiment qu’Uber, en ayant recours à des travailleurs au statut d’autoentrepreneur, ne paye pas de cotisations sociales puisqu’ils ne se présente pas comme un employeur. Il prétend être simplement une plateforme commerciale qui met en relation des chauffeurs et des clients. Il y a un manque à gagner pour le système de protection sociale français qui est colossal.

Le législateur devrait aussi se préoccuper de cela et dire que du point de vue du droit du travail, il faut inverser le rapport et considérer que ce n’est pas au travailleur indépendant de se battre pour exiger sa requalification en salarié. Il faut au contraire inverser les choses et ne pas permettre le recours aux travailleurs indépendants pour ce type de plateforme. On voit bien en définitive qu’il y a un lien de subordination. Le chauffeur est en effet subordonné à cette plateforme qui va fixer par le biais de l’algorithme le prix des courses. Elle va quasiment fixer ses horaires parce que le conducteur est obligé pour pouvoir survivre de faire une amplitude horaire immense.

“Depuis 2012 et l’explosion des chauffeurs VTC, on a un nombre colossal de voitures qui roulent à vide dans Paris en attendant d’avoir un client, c’est une aberration !”

Bref, il y a tout une liste de critères assez longs qui montre qu’il y a un lien de subordination. On voit bien ce que le législateur pourrait faire. Maintenant, l’élu local est dans une situation réglementaire plus contrainte. Si on prend par exemple sur la ville de Paris, le Conseil de Paris qui est un conseil municipal mais aussi un conseil départemental a une compétence relativement limitée dans la régulation des chauffeurs VTC. Je me bats depuis le début pour dire qu’il faut réduire la place de la voiture dans la ville parce qu’il y a derrière cela un enjeu écologique en termes de pollution ainsi qu’en en termes de réchauffement climatique. La pollution engendrée par la voiture c’est en effet 2 500 morts prématurées par an sur la région Île-de-France. Depuis 2012 et l’explosion des chauffeurs VTC, on a un nombre colossal de voitures VTC qui roulent à vide dans Paris en attendant un client. On en arrive à cette aberration !

J’ai donc demandé au conseil de Paris que la Ville exige de la préfecture qu’on puisse savoir combien il y a de chauffeurs VTC et que s’enclenche une réflexion des élus parisiens avec le législateur pour qu’on puisse voir comment on régule cette activité. Or, ils n’ont jamais voulu traiter le problème. En revanche, vous avez des villes, en Espagne notamment, où ils ont décrété qu’il ne fallait pas plus d’un chauffeur VTC pour 40 taxis. C’est Podemos qui s’est battu pour ce critère-là en reprenant une revendication de Taxi Élite qui est un syndicat jeune mais qui se développe dans plein de pays européens. C’est extrêmement important en terme de régulation.

LVSL – Comment expliquez-vous une telle percée de l’économie de plateforme ces dernières années ?

Danielle Simonnet – C’est une nouvelle étape du capitalisme. Le capitalisme a besoin d’exploiter au maximum pour faire un profit maximum. Créer une plateforme, cela ne coûte rien. Vous n’avez pas de capital fixe, il n’y a pas besoin de bureaux, pas besoin d’investir dans des machines et vous n’avez pas de salaire à assumer, ou sinon très peu. Vous faites en plus une captation de données qui sont essentielles dans toutes les logiques de marketing à venir. Le fait de pouvoir capter des fichiers en plus des transactions qui sont faites par le biais des services proposés par les plateformes est une captation de données. C’est un enjeu de pouvoir économique pour ces plateformes. On a d’abord eu l’étape de l’industrialisation et du développement de la robotisation. Désormais, on est dans l’étape de l’exploitation virtuelle et du développement des services.

LVSL – Dans la première question, vous parliez de la loi Thévenoud. Aujourd’hui qu’en est-il de son application ? Cela a-t-il permis de répondre à certains problèmes qui étaient posés ?

Danielle Simonnet – Non, ça n’a pas du tout permis de répondre au problème posé parce qu’elle n’est pas appliquée ! Donc à la limite les préfectures mettent en place des contrôles aux aéroports où la pression du développement des plateformes est vraiment à son paroxysme pour les chauffeurs de taxi. Il faut savoir qu’un chauffeur de taxi, quand il se positionne sur un aéroport, espère avoir une bonne course. Ce sont généralement des courses qui vont être un peu plus longues et plus rentables qu’une course à Paris d’un quartier à un autre.

Les chauffeurs VTC ont compris le truc donc ils ne cessent de se positionner en double file à des endroits où ils n’ont pas du tout le droit de stationner pour faire de la maraude électronique. Cela passe par le développement de rabatteurs qui se mettent à la sortie des aéroports pour essayer de réorienter les voyageurs vers les chauffeurs de VTC. Il a fallu que les chauffeurs de taxi mettent en place leur propre système de défense : les gilets bleus sont dorénavant là pour faire le travail d’information et de réorientation vers la file taxi. C’en est arrivé au point où ont fait un partenariat avec Aéroport de Paris (ADP) et la préfecture pour qu’ils puissent être prioritaires en terme de file afin d’aller chercher des clients. On demande donc à des chauffeurs de taxi de faire le travail d’application de la loi. C’est une situation ubuesque.

À terme cela risque de mal se finir car c’est un travail de régulation de la loi qui doit relever des fonctions régaliennes de l’État et donc de la police. Je constate qu’il n’y a pas de volonté de faire respecter la loi.

LVSL – Outre les chauffeurs VTC, est-ce qu’il y a eu une évolution du mode de fonctionnement des taxis pour s’adapter à cette nouvelle concurrence ?

Danielle Simonnet – Oui bien sûr. D’ailleurs, on dit qu’après l’émergence des VTC les chauffeurs de taxis se sont mis un peu à faire attention, à mieux s’habiller, à proposer la petite bouteille d’eau, les petits bonbons, à accélérer les machines à carte bleue. À contrario, les chauffeurs VTC jouaient dès le départ à la fois sur le côté low cost que le côté haut de gamme.

À partir du moment où vous avez eu des milliers de chauffeurs, la qualité s’est aussi dégradée et les chauffeurs de taxi ont vu un retour de la clientèle.  Cette clientèle a plus d’ancienneté et a une meilleure maîtrise de Paris. Il n’est pas vrai qu’un GPS vaut mieux que la connaissance humaine des petites rues, de la circulation, de comment ça se passe et aussi de la passion du métier, de l’échange humain qu’il peut y avoir dans ces courses.

LVSL – Est-ce que vous êtes directement en contact avec des chauffeurs de taxi, ou avez-vous des contacts par l’intermédiaire de syndicats ? Le cas échéant, quelle est la nature de vos échanges : vous faites partie de la France Insoumise, sont-ils sensibles à vos discours et à ce que vous portez plus largement sur les questions relatives au travail ?

Danielle Simonnet – Je me suis d’abord passionnée un peu par hasard sur le sujet. Je me souviens, en 2014, j’avais vu des manifestations de taxi à la télévision et je ne comprenais pas bien quelle était la gravité du problème. La révélation est arrivée par un livre : Uber, la privation en bande organisée, de Laurent Lanne. Ensuite, quand j’ai revu à la télévision sur les chaînes d’information la problématique des taxis, j’ai rencontré les syndicats de taxis. Je suis d’abord entrée dans la problématique en rencontrant les chauffeurs de taxi et en discutant avec beaucoup d’organisations syndicales de taxis. Cela a commencé par la CGT et après j’ai rencontré progressivement les autres organisations syndicales. Mes venues sur les plateaux des chaînes d’informations m’ont ensuite permis de rencontrer des chauffeurs de VTC et de comprendre l’ensemble du problème.

“Il ne s’agit pas d’une relation salariale donc la plateforme peut du jour au lendemain vous déconnecter sans avis préalable de licenciement. En termes de précarité, c’est catastrophique.”

J’ai pu ainsi entendre l’autre face du problème. Au début, les chauffeurs VTC me disaient : « Écoutez Madame Simonnet, dès le début on nous a promis par le biais de ces plateformes qu’on allait gagner beaucoup d’argent et qu’on allait avoir tout d’un coup de super revenus, donc on y a cru. Au début cela fonctionnait plutôt pas mal. Sauf que très rapidement on a été très nombreux sur le marché et les plateformes ont augmenté leurs marges. Si elles augmentent leurs marges cela signifie qu’on diminue les nôtres. Si on diminue les nôtres cela veut dire qu’au niveau de l’algorithme, ça baisse le prix des courses et on est de fait obligé d’augmenter notre volume horaire ».

Et là les chauffeurs VTC m’expliquaient, me disaient : « Je travaille du samedi 11h au dimanche 15h et à un moment, je deviens un danger public car je suis épuisé. Je suis dans un engrenage où pour rembourser la voiture, faire vivre ma famille, vu que les prix ont chuté, je suis obligé d’augmenter le nombre d’heures de travail ». Ils m’ont également expliqué le problème des notations : quand vous faites une course avec Uber ou sur n’importe quelle plateforme, vous pouvez noter votre chauffeur. Même si cela n’est pas forcément légitime, il y a des chauffeurs qui disent qu’ils ont été mal notés et que du jour au lendemain, la plateforme les a déconnectés.

Par ailleurs, il ne s’agit pas d’une relation salariale. Aussi, la plateforme peut du jour au lendemain vous déconnecter sans avis préalable de licenciement. Question précarité, c’est catastrophique. Les chauffeurs VTC m’ont parlé de leur prise de conscience, de comment ils se faisaient arnaquer dans ce système-là alors qu’au départ ils pensaient qu’ils allaient être leur propre patron. Ils réalisent que dès qu’ils ont un accident, c’est pour leur pomme. De plus, si on est malade, comme on est un travailleur indépendant, on n’a pas de protection, on n’a pas de sécurité sociale qui permette de se prémunir. Généralement, ils ont la sécurité sociale des travailleurs indépendants. Le problème est qu’en cas d’accident qui vous oblige à rembourser des frais sur la voiture et qui vous immobilise de telle sorte que vous ne pouvez pas bosser pendant un mois ou plus, vous êtes bloqués. Le loyer il faut le payer, la dette de la voiture il faut la payer, donc c’est la catastrophe. Ainsi, de fil en aiguille, à force de faire des petites vidéos, des interventions sur les réseaux sociaux, de bosser sur le sujet, j’ai aussi été contactée par des syndicalistes de l’UNSA qui m’ont invitée à des rassemblements.

J’ai donc pu participer à des rassemblements de chauffeurs Uber qui commençaient à gueuler et à dire : « Ce n’est pas possible, on veut qu’Uber accepte un prix fixe et minimal des courses : tout travail mérite un prix fixe pour qu’on ne soit pas dans un dumping social qui nous tire sans arrêt vers le bas. » J’ai pu intervenir dans leurs rassemblements tout en maintenant mon discours qui consistait à dire qu’il ne devrait pas y avoir deux métiers, mais une profession unique. Au départ, ils ne tenaient pas ce discours, mais ça les a intéressés. On était les seuls à tenir ce discours.

LVSL – Plus largement, il existe une très grande variété de plateformes. Est-ce que le constat que vous faites sur Uber peut être étendu à l’ensemble de l’économie de plateforme ?

Danielle Simonnet – Le problème n’est pas qu’il y ait des plateformes. Vous pouvez très bien imaginer une plateforme gérée par une structure coopérative d’économie sociale et solidaire qui protège tout le monde. Le problème n’est pas l’application, c’est l’économie qu’il y a derrière. J’avais rencontré des livreurs à vélo de chez Deliveroo ou UberEats qui portent des projets et m’ont dit qu’ils aimeraient que je relaye un vœu au conseil de Paris pour créer une société coopérative d’intérêt collectif. C’est une structure qui permet à la collectivité d’entrer dans la coopérative.

Imaginez que demain on crée une coopérative parisienne des livreurs à vélo. Elle permettrait au livreur à vélo d’avoir un statut de salarié dans la coopérative, tout en étant fiscalement indépendant, d’être maître de son emploi du temps, mais d’être protégé et de bénéficier de la sécurité sociale en cas d’accident… d’être couvert !

LVSL – Avez-vous l’impression de trouver un écho suffisant dans l’opinion ?

Danielle Simonnet – Nous ne sommes pas du tout écoutés, car le gouvernement est dans une fuite en avant libérale. En aucun cas il n’y a eu de mesure allant dans le bon sens sur ces questions là, alors que la conscience de l’opinion publique progresse. Regardez le développement des Airbnb. Au début, c’était sympathique : une plateforme qui permet à des particuliers de proposer à des touristes un logement. Tout cela avait l’air super au premier abord. Mais derrière ce paravent, il y a une logique de financiarisation de la rente, qui fait que vous avez des promoteurs immobiliers qui sont propriétaires de plusieurs appartements mis à louer toute l’année.

Il faut avoir une gestion beaucoup plus contraignante mais il faut que les collectivités se donnent des moyens de contrôle : à Paris il y a à peine une trentaine d’agents, c’est ridicule. La ville de Paris, et Ian Brossat en particulier, essaye de faire croire qu’elle prend à bras le corps la question de Airbnb. Il a sorti un bouquin fort intéressant, mais en attendant il n’y a que trente agents dans toute la ville pour contrôler la location saisonnière. À Barcelone, il y en a une centaine, tandis qu’en France le gouvernement a légiféré dans le mauvais sens. Ce n’est pas un hasard, il faut savoir qu’Emmanuel Macron est le VRP de l’uberisation, il a commencé par là.

Il n’y a rien à attendre de ce gouvernement là-dessus.

Danielle Simonnet : “La bataille culturelle est première”

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Danielle Simonnet ©Thomas DIPPE

On a parlé réseaux sociaux, humour, uberisation et populisme avec la Conseillère de Paris et coordinatrice du Parti de Gauche, Danielle Simonnet…

LVSL – Vous réalisez des vidéos courtes pour attirer l’attention sur différents problèmes, comment combinez-vous votre savoir-faire politique classique et cet usage des réseaux sociaux ?

Danielle Simonnet – Ma première tâche politique c’est d’éveiller les consciences. A travers ces vidéos courtes, j’essaye, en partant de problématiques concrètes de démontrer la logique néolibérale à l’œuvre, d’aborder un sujet d’actualité, pour faire réagir. C’est une tâche essentielle que de mener ce type de bataille culturelle, car il ne faut pas oublier que la bataille culturelle est première.

LVSL – Vos vidéos vous donnent accès à une large audience. La vidéo sur La Poste ou vous dénoncez les fermetures de bureaux, a récemment fait 500 000 vues sur Facebook…

DS – Oui, je me suis rendue compte qu’un communiqué de presse est moins souvent repris par les médias, alors même que la plupart des médias disposent d’une audience qui est limitée. Une vidéo peut dire tout autant, et aussi bien qu’un article dans la presse, tout en étant partagé des milliers de fois, et vues par des centaines de milliers de personnes. Une vidéo à fait plus d’un million de vues (Ndlr : 1,2 million), c‘est celle d’une intervention à la mairie de Paris sur les liens financiers entre le groupe Lafarge et l’Etat islamique, alors que Lafarge fournissait le sable de Paris Plages.

C’est un sujet grave : comment lutter économiquement contre les terroristes, mais pris avec un exemple concret, et avec l’objectif de dénoncer un pouvoir public hypocrite. Une vidéo avec autant de personnes qui la regardent, je pense que ça peut permettre d’éveiller des consciences .

« Il faut casser le sentiment d’incompétence entretenu par la technocratie actuelle »

LVSL – Est-ce que ça vous permet de sortir d’une zone de confort politique (celle où l’on s’adresse à des convaincus) et ainsi de vous adresser à des publics, des électorats, différents de celui de la gauche radicale ?

DS – Tout à fait, je le vois dans les commentaires sur les réseaux sociaux. Ma page Facebook est passée de 4000 j’aime à presque 22 000 en 6 mois depuis que je fais des vidéos courtes. Et je vois bien dans les commentaires, quand j’explique pourquoi il faut voter pour Mélenchon à la fin de mes vidéos, même si beaucoup de personnes apprécient mes idées ils ne sont pas forcément d’accord avec cette conclusion. C’est que l’objectif est réussi.
J’ai touché un public plus large que les gens de la France Insoumise (Ndlr : Mouvement de soutien à la candidature de Jean-Luc Mélenchon et au programme L’Avenir en Commun) ou PG-compatibles (Ndlr : PG, Parti de Gauche, cofondé par J-L Mélenchon) . C’est ça qui m’intéresse : avoir un auditoire beaucoup plus large, ce qui me force à synthétiser un propos.
Par exemple, la vidéo sur La Poste qui a fait énormément de vues, devant un bureau de poste qui transfère ses activités aux petites supérettes, je dis : « Il n’y a pas écrit La Poste ici mais carrefour ». Une telle manière de dénoncer ce gouvernement qui casse la poste publique peut enclencher une réflexion sur le devenir du service public mieux qu’un propos désincarné.


Il est nécessaire de s’exprimer tels que nous sommes : des citoyens comme tout le monde. et mes vidéos ne font pas la leçon, j’assume d’être une citoyenne comme tout dans le monde qui interpelle sur un problème concret et largement ressenti. C’est aussi un moyen de casser le sentiment d’incompétence entretenu par la technocratie actuelle qui véhicule l’idéologie dominante. C’est une bataille essentielle pour que le peuple reprenne le pouvoir.
Voilà pourquoi je me suis filmée dans mon plumard (rires) pour dénoncer le travail le dimanche ! Et puis ce sont aussi les femmes qui vont subir cette remise en cause d’un acquis essentiel. Là c’est du concret et c’est de l’universel : tout le monde à envie de faire la grasse mat’ le dimanche ! Il faut montrer que la politique concerne tout le monde et cela implique de se mettre dans un rapport d’égalité.

« Le peuple doit se réapproprier sa souveraineté. L’humour et l’émotion peuvent être les meilleures portes d’entrée de la conscience politique. »

LVSL – Ça rentre dans une stratégie populiste de s’adresser au-delà de l’électorat de gauche ?

DS – Il faut se méfier du terme “populiste” qui est souvent utilisé à tort et à travers. Mais oui je veux permettre au peuple de se réapproprier sa souveraineté, dans une démarche populaire, en suscitant, avec de nouvelles façons de faire (les criées dans le métro, les réseaux sociaux…) l’envie de reprendre en main notre destin collectif. Si c’est du populisme je l’assume avec fierté. Je suis convaincue qu’avec de l’humour, avec le rire on peut aussi atteindre une subversion absolue. La politique du spectacle s’en sert, à nous de le retourner pour contester le système, avec ceux qui ont confiance dans l’avenir, parce qu’ils sont dans cette insolence là, d’essayer de changer le cours de l’histoire. L’humour et l’émotion peuvent être les meilleures portes d’entrée de la conscience politique. L’humour dans ce qu’il a d’insolent est une arme contestataire.

LVSL – Vous animez aussi une “conférence gesticulée” intitulée « Uber, les Salauds et mes Ovaires »…

DS – L’invention des conférences gesticulées de Franck Lepage, vient de la volonté de montrer que tout le monde, par ses engagements personnels, syndicaux, associatifs, citoyens, est en capacité d’être médiateur, de produire du savoir, de donner une incarnation à du savoir froid. Plutôt que de faire des conférences avec des sachants, où l’on déverse un contenu froid, la conférence gesticulée s’appuie sur une dynamique de groupe. Dans la méthode d’élaboration, c’est vraiment de l’éducation populaire. Ça m’a permis notamment d’assumer l’aspect féministe sur Uber, de raconter les anecdotes drôles que j’avais pu vivre. Ensuite, les gens viennent à un spectacle, donc je n’ai effectivement pas les mêmes gens que j’aurais à un meeting politique. Et ça c’est intéressant. Et ensuite il s’agit de savoir comment on raconte une histoire dans laquelle tout le monde peut se projeter, avec des gens qui s’ouvrent au contenu qui est transmis.

LVSL – Pouvez-vous nous rappeler les dangers de l’uberisation ?

DS – L’uberisation c’est le développement de plate-formes qui mettent en relation clients et autoentrepreneurs pour un service, et elle se développe dans plusieurs secteurs. C’est une façon pour le capitalisme d’exploiter des nouvelles technologies, et d’imposer des salariés sans droits. C’est un grand remplacement ! Pas celui des fachos, mais le grand remplacement des entrepreneurs qu’on substitue au salariat, où les plates-formes s’exonèrent des cotisations salariales, du droit du travail, et où on peut entre autre déconnecter d’une plate-forme comme Uber sans procédure de licenciement. La logique de la plate-forme est de ponctionner de l’argent, et de s’exonérer des cotisations fiscales, parce que ça va directement dans les paradis fiscaux, en passant par les Pays-Bas. L’uberisation, en s’appuyant sur le consumérisme, en proposant un service a priori moins cher, plus pratique et moderne, rend complice d’un suicide social collectif. Les consommateurs sont invités à utiliser l’uberisation et à devenir complices de la casse de l’État social, et d’un système d’évasion fiscale.

Donc c’est vraiment la grosse merde. (Rires)

LVSL – On a vu que Mélenchon était l’homme politique avec le plus d’abonnements sur Youtube, est-ce que cela peut avoir une influence sur l’élection présidentielle cette présence sur les réseaux sociaux ?

DS – Bien sûr ! C’est la capacité d’être son propre média, de mener sa campagne de manière autonome par rapport aux médias structurellement liés à des logiques oligarchiques. Maintenant il n’y a pas que ça, il y aussi un excellent programme, des mobilisations sur le terrain… Il ne faudrait pas croire que les réseaux sociaux peuvent se substituer à la présence sur le terrain, d’où l’intérêt de grands rassemblements humains, physiques. Le 18 Mars nous faisons une grande marche qui permet à la force citoyenne de se vivre comme force et de se retrouver physiquement. Et ça augmente sa capacité à se construire elle même et à exister en tant que force qui peut prendre le pouvoir.

Pour conclure, le travail sur internet vient en complément du travail militant !

(Propos recueillis par Paul Ajar)

Photo : ©Thomas DIPPE