Noam Chomsky : un cri lumineux dans l’obscurité démocratique

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Né en 1928, Noam Chomsky est probablement l’intellectuel américain le plus connu et reconnu encore vivant. D’abord reconnu dans le milieu universitaire pour ses travaux dans la linguistique, il se fait ensuite connaître du grand public pour son travail d’intellectuel. En effet, ses nombreux ouvrages sur le rapport entre la démocratie et les médias, les crimes de guerres perpétrés par les États-Unis ou encore sur les limites du capitalisme, ont fait de lui l’intellectuel américain le plus influent de tous les temps. Si son travail de linguistique innéiste sur la nature humaine est des plus intéressants, l’article n’aura pas vocation d’exposer ces travaux, pour se concentrer plutôt sur sa dimension sociétale.

Du jeune Juif exclu au titre d’Institute Professor au MIT

Le père de Noam Chomsky quitte la Russie en 1913 pour rejoindre les États-Unis et éviter d’être embrigadé dans l’armée du tsar. Spécialiste de la grammaire hébraïque, il trouve un poste à l’école élémentaire hébraïque de Baltimore. En 1928 naît Noam Chomsky. Il fréquente jusqu’à ses douze ans une école expérimentale inspirée par la philosophie deweyienne. Passionné par les grands auteurs (Austen, Dostoïevsky, Hugo), il grandit aussi avec la littérature hébraïque et dans un milieu culturel très riche. Sa famille est la seule famille juive du quartier populaire et le petit Chomsky doit apprendre à vivre avec l’antisémitisme. Lequel est exacerbé au moment de la Seconde Guerre mondiale et de la chute de Paris, évènement célébré dans tout le quartier. Il grandit donc en apprenant à éviter les enfants catholiques, surtout ceux venant de l’école jésuite.

À 13 ans, il se familiarise avec les librairies anarchistes et se passionne pour un auteur : George Orwell. À dix-sept ans, en 1945, il entre à l’Université de Pennsylvanie où il étudie la philosophie et la linguistique. En 1953, Noam Chomsky passe six semaines dans un kibboutz en Israël. Il apprécie le fonctionnement organisationnel, mais honnit l’atmosphère stalinienne et le racisme institutionnalisé du lieu. À ce moment là, il plaide pour une solution pacifique à deux États, ressentie comme anti-sioniste à l’époque.

Deux ans plus tard, en 1955, il rejoint le Massachusetts Institute of Technology (MIT) en tant que chercheur. Il se distancie vite de l’intelligentsia américaine qu’il côtoie quotidiennement au MIT. De fait, il condamne leurs objectifs que de vouloir contrôler les phénomènes sociaux par des moyens scientifiques. Enfin nommé professeur en 1961, Noam Chomsky a plus de libertés et plus de temps. C’est en 1967, par la publication de l’essai La responsabilité des intellectuels dans la New York Post Review of Books qu’il entre définitivement dans la sphère des intellectuels. Cet essai est très critique envers la guerre du Vietnam. La même année, Chomsky est arrêté lors d’une marche vers le Pentagone, contestant l’engagement américain au Vietnam. Lorsque les États-Unis se retirent du Vietnam, les poursuites judiciaires sont abandonnées contre Chomsky.

Le Massachusetts Institute of Technology
Le Massachusetts Institute of Technology ©John Phelan

Dans les années suivantes, parallèlement à pléthore d’essais de linguistique, s’ensuivent nombre d’essais et d’articles très polémiques. C’est finalement en 1976, qu’il obtient le titre rare et prestigieux d’Institute Professor au MIT. En 2001, il publie 9-11, en réaction aux attentats, son écrit le plus lu et le plus traduit. Il est souvent invité dans les forums sociaux mondiaux et est docteur honoris causa de nombre d’universités de renommée mondiale.

Aujourd’hui âgé de 89 ans, ses sorties politiques se font plus rares.

 

« L’intellectuel n’est pas au service de ceux qui font l’Histoire, mais au service de ceux qui la subissent. » (A. Camus)

Dans son discours de réception du prix Nobel en 1957, Albert Camus détaille le devoir de l’intellectuel. La sublime phrase « L’intellectuel n’est pas au service de ceux qui font l’Histoire mais au service de ceux qui la subissent » trouve un écho dans l’œuvre de Noam Chomsky. Lui-même définit l’intellectuel comme « au service d’une dénonciation de l’injustice commise contre les droits de l’homme au nom de la raison d’État ».

Reprenant Isaiah Berlin, Noam Chomsky distingue deux types d’intellectuels. Le premier est l’intellectuel « commissaire ». Celui-ci provient d’un héritage historique ancien. Il appartient à une caste de lettrés et d’ecclésiastiques qui ont la fonction sociale de diffuser les dogmes et doctrines favorables à la préservation du pouvoir de l’État. Le second, en revanche, est l’intellectuel « dissident » ou « anti-intellectuel », ainsi que se définit Noam Chomsky. L’intellectuel dissident a, au contraire, la mission de déconstruire le discours de l’intellectuel commissaire et de donner aux citoyens les clés de compréhension pour qu’il juge lui-même rationnellement les faits, tels qu’ils sont. L’intellectuel dissident est diamétralement opposé, en ce sens qu’il n’affirme pas de vérités, il propose seulement des outils pour aller les chercher soi-même.

De nos jours, pourtant, on range indissociablement ces deux figures antagoniques sous la même étiquette d’intellectuel. Autant « l’expert en légitimation » (comme disait Gramsci) qui sert les gouvernants, que l’anti-intellectuel qui aide les gouvernés.

 

Selon Chomsky, l’État suppose que le peuple ne sait pas ce qui est bon pour lui. De fait, il doit donc lui mentir pour le maintenir dans un « état de minorité ». À ceci, Chomsky oppose à l’État le « rationalisme éclairé », hérité des Lumières. Ceci signifie « penser par soi-même », donc contourner l’État.

Prenons un cas concret : la guerre. Pour le citoyen rationnel, la guerre est mal et il lui préfère toujours la paix. Il faut réussir à lui faire croire que l’État, en temps de guerre, la mène pour la paix, qu’il en est le garant. C’est donc à « l’expert en légitimation » de “légitimer“ cette prise de position de l’État auprès du public. Le rôle de l’anti-intellectuel n’est pas de dire au public que la paix est préférable à la guerre, seulement de lui demander de juger l’État qui mène la guerre. Le citoyen jugera seul s’il préfère la paix ou s’il veut continuer dans le sens de l’État. L’anti-intellectuel est contre l’hypocrisie et les double-discours : il doit tendre à dire la vérité. Après, les citoyens qui préfèreront la guerre le feront en connaissance de cause, même si c’est contraire à la raison, car « aucune personne rationnelle ne peut approuver la violence et la terreur ». (Language and Freedom, 1970)

La petite fille au Napalm, 8 juin 1972, Nick Ut Cong Huynh
La petite fille au Napalm, 8 juin 1972, Nick Ut Cong Huynh

La guerre du Vietnam fut affreuse. Pourtant les protestations furent tardives, car les gens n’étaient simplement pas informés, ils n’en connurent l’existence qu’en 1961 seulement. Le mouvement pacifiste prit de l’importance entre 1964 et 1967. Pour autant, les États-Unis continuaient la guerre. Qu’est-ce qui les a poussés à l’arrêter? Les mouvements sociaux vietnamiens d’une ampleur inégalée dans l’Histoire nécessitaient d’énormes moyens financiers pour mater cette révolution. Or, les responsables financiers américains ne les avaient pas, ce qui acheva de les convaincre d’arrêter ce massacre. Pourquoi n’avaient-ils pas ces fonds? Car les mouvements pacifistes américains avaient mis à mal l’économie du pays. Et une mobilisation militaire nationale aurait été impossible à cause des trop nombreuses dissidences.

Ce qui est intéressant dans cette guerre, c’est de la voir du point de vue des médias. Pendant toute la durée de la guerre, le New York Times n’a émis aucune critique négative. Anthony Lewis, le plus grand critique du journal, n’a finalement accepté qu’à partir de mi-1969 d’écrire des critiques, et encore étaient-elles modérées.  Le monde des médias s’est donc retourné contre la guerre un an et demi après la fin de celle-ci. Quel rôle tiennent les médias dans la démocratie?

 

Médias et démocratie : la « fabrique du consentement »

Le philosophe politique David Hume, dans son essai Les premiers principes de gouvernement, explique comment un petit nombre de personnes peut en gouverner des millions.

« Cela n’est pas la force ; les sujets sont toujours les plus forts. ce ne peut donc être que l’opinion. C’est sur l’opinion que tout gouvernement est fondé, le plus despotique et le plus militaire aussi bien que le plus populaire et le plus libre. » (Premiers principes de gouvernement, David Hume)

Ce que David Hume explique, c’est que les gouvernants doivent tout faire pour dissimuler aux gouvernés que le pouvoir n’est pas dans leurs mains. Pour cela, ils comptent sur le consentement de la population qu’ils fabriquent, grâce aux médias notamment. Dans les faits, on se rend compte que cette « fabrique du consentement » est surtout utilisée dans les régimes les plus démocratiques. Les régimes autoritaires n’ont pas besoin de convaincre par les médias puisqu’ils le font par les armes et les poteaux d’exécution. Cet argument peut sembler discutable dans la mesure où les régimes autoritaires s’appuient aussi sur un très large consensus. Il n’y a qu’à voir la Russie de Poutine. Ce dernier est très populaire et s’appuie sur des médias qui lui sont fidèles, ce qui lui permet d’appliquer une politique autoritaire.

Noam Chomsky considère que plus les masses populaires acquièrent des droits, plus les gouvernants ont intérêt à trouver des moyens sophistiqués de propagande. Par exemple, abrutir le peuple par du “divertissement“ comme les émissions de télé-réalité, est un des moyens de propagande. Celui-ci a un double-intérêt : détourner « l’attention du peuple vers les choses superficielles de la vie telles que la consommation à la mode ». Puis de lui priver ce temps à l’exercice de la pensée et de la réflexion, de la culture. D’une pierre deux coups : le citoyen ne pense pas aux problèmes de la démocratie et en plus il y  pensera de moins en moins car le programme le rend bête.

Pour mieux comprendre cette « fabrique du consentement » est-il aussi nécessaire d’expliquer les structures et les objectifs d’un journal. Premièrement, un journal informe. Bon, c’est acquis de tout le monde. Mais surtout, devenant une structure économique importante, il devient aussi un espace publicitaire. C’est à dire qu’il vend des lecteurs à des entreprises. Plus le journal tire d’exemplaires, plus il a de lecteurs, plus la publicité sera vue. Comme les autres sociétés, le journal a un produit à vendre et un marché. Le produit, ce sont les lecteurs. Et le marché, ce sont les annonceurs. D’ailleurs, on se rend compte que les « Grands Journaux » font souvent partie de conglomérats. Par exemple, Le Monde appartient à Pierre Bergé, Xavier Niel (Free Mobile, Deezer) et Matthieu Pigasse (Huffington Post, Radio Nova, Inrockuptibles, Vice France).

Affiche des Nouveaux chiens de garde
Affiche des Nouveaux chiens de garde

Ces journaux qui sont des « mégasociétés », selon Noam Chomsky, fixent eux-mêmes l’ordre du jour aux autres médias. Ils décident de quoi l’on parlera aujourd’hui dans le pays. Par exemple, on remarque qu’un journal comme Le Figaro, contrairement au journal gratuit Direct Matin, a les moyens d’envoyer des correspondants au Soudan. Donc Direct Matin ne pourra que relayer les informations du Figaro. Pour mieux comprendre l’empire des médias français, le documentaire Les nouveaux chiens de garde, adapté du livre de Serge Halimi, est disponible sur Dailymotion (lien ci-bas).

Noam Chomsky s’intéresse par ailleurs à la figure de Walter Lippman, doyen des journalistes américains. Lippman définissait le peuple comme un « troupeau désorienté ». Selon lui, il fallait que la « minorité intelligente » s’en protège. Et, puisqu’ils ne pouvaient le faire par la force, pouvaient-ils le faire par le consentement, évoqué plus haut. Le « modèle de propagande » a beaucoup de défenseurs parmi les penseurs démocratiques occidentaux. Ce modèle a même un manifeste, écrit en 1928 par Edward Bernays, neveu de Sigmund Freud, sous le nom de Propaganda (« les gens étaient déjà plus honnêtes en ces temps-là », ironise Chomsky).

« La manipulation consciente et intelligente des habitudes organisées et des opinions des masses est une caractéristique centrale d’un système démocratique […] La tâche des « minorités intelligentes » est de réaliser cette manipulation des attitudes et des opinions des masses » (Propaganda, Edward Bernays)

Peut-être que le pire dans ce « modèle de la propagande » est que le grand public tend à l’accepter. Selon les sondages d’opinion, les citoyens trouvent que les médias sont trop serviles à l’égard du pouvoir. C’est bien différent de l’image que les médias se font d’eux-mêmes : ils ne sont pas au service de la classe dominante, ils sont la classe dominante.

 

L’anarcho-syndicalisme ou la nécessité d’une utopie pour y tendre ?

L’engagement politique de Noam Chomsky se réclame de l’anarcho-syndicalisme. Qu’est-ce que l’anarcho-syndicalisme? Le politiste Philippe Braud le définit comme tel :

« [L’anarcho-syndicalisme] pose le primat de la logique syndicale face à l’action politique ou partisane dans le développement du mouvement ouvrier et l’émergence d’une société décentralisée, libre de toute forme de coercition étatique et fondée avant tout sur l’autogestion des unités de production. » (Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, Philippe Braud)

Mikhaïl Bakounine
Mikhaïl Bakounine

La fin du XIXème siècle a éteint les derniers anarchistes, prouvant que la violence ne résolvait rien et ne faisait, qu’au contraire, accroître les problèmes pré-existants. En revanche, dans les années 1920, se développe le mouvement de l’anarcho-syndicalisme. Issu de la pensée de Mikhaïl Bakounine et de Piotr Kropotkine, ce mouvement se structure et devient important au sein de la CGT en France, ou encore dans le Conseil national du travail espagnol où les anarcho-syndicalistes dominent les communistes et les socialistes. Pour autant, si ce mouvement a connu une diffusion idéologique mondiale, ce n’est qu’en Espagne qu’une application pratique a vu le jour. Pendant la guerre civile espagnole (1936-1938), les anarcho-syndicalistes mettent en place leur programme dans les usines barcelonaises, les exploitations agricoles catalanes, et dans les régions de l’Aragon et de Valence.

Concrètement, l’anarcho-syndicalisme met les syndicats au centre même de l’action politique, qu’ils structurent en organismes indépendants. Ces mêmes syndicats, appuyés par les masses populaires, opèrent les transformations sociales. Ce mouvement se veut donc une organisation de la vie en société et promeut une nouvelle éthique. Contrairement à leurs grands frères anarchistes, ils souhaitent l’ordre social et non pas le « désordre social ». Ils veulent l’abolition de l’État et du capitalisme mais, au lieu de supprimer simplement la propriété privée, souhaitent-ils la remplacer par ce qu’ils appellent la « possession individuelle ».  Cette possession garantit des droits sur ce que l’on possède mais pas ce qui nous est inutile et empêche donc la concentration de richesse.

Pour Noam Chomsky, ce mouvement est aussi « décentraliste ». Cela signifie que la prise de décision n’est pas concentrée, centralisée dans les mains d’un petit groupe de personnes. Mais qu’elle s’opère du bas vers le haut et, utopiquement, à l’horizontale. Cette prise de position s’appuie sur des collectifs et non pas une structure hiérarchique. Finalement, l’anarcho-syndicalisme est fédéralisme, démocratie directe et autogestion.

Mais qu’apporte Noam Chomsky à cette doctrine centenaire? Il prend en compte les évolutions technologiques. Selon lui, l’innovation technologiquee permet aux travailleurs d’éviter les travaux ingrats, de les émanciper de ces besognes.

« La technologie a le pouvoir de nous libérer. » (Noam Chomsky)

De même, la décentralisation permet aux travailleurs de s’organiser en collectifs et d’y incorporer des institutions économiques. Cela a pour conséquence de briser la chaine de production, les individus ne sont plus des rouages de la machine capitaliste. Ils deviennent libres de travailler, de s’organiser, de décider, de créer.

En revanche, une société décentralisée, à l’heure de la globalisation, risque d’être inégale. En effet, certaines régions sont plus riches que d’autres. Et certaines décisions doivent être nécessairement prises à une échelle mondiale. Par exemple, pour distribuer efficacement l’aide sociale, une institution centralisée sera bien plus efficace. Pour répondre à ce problème, Noam Chomsky affirme que l’homme, naturellement solidaire, sera à même de réduire ces inégalités structurelles par lui-même. C’est peut-être un argument un peu léger.

Congrès du CNT espagnol, majoritairement contrôlé par des anarcho-syndicalistes
Congrès de la Confédération Nationale du Travail (CNT) espagnole

Pour Noam Chomsky, l’anarchisme est le résultat d’une réflexion philosophique : penser rationnellement à la politique mène forcément à l’anarchisme.

« Le rationalisme éthique, hérité des Lumières, conduit donc naturellement à l’anarchisme, qui n’est pas une préférence politique parmi d’autres, une opinion arbitraire, mais une conséquence du choix de la raison contre l’injustice et la violence » (Noam Chomsky)

Il n’a pas peur de qualifier ce modèle d’utopique. Mais pourquoi n’aurait-on pas le droit d’en rêver et de tout faire pour s’en approcher? Qu’importe si nous y arrivions ? L’important c’est d’y tendre ! On peut ne pas être d’accord avec Noam Chomsky sur le modèle choisi mais pas sur son élan progressiste.


Le film « Les nouveaux chiens de garde » :

Pour aller plus loin, je vous recommande fortement le livre suivant qui résume tout le travail de Noam Chomsky avec érudition et pédagogie, tant son travail de linguiste que d’intellectuel :

  • Les cahiers de l’Herne : Noam Chomsky, collectif, ed. Champs classiques

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Le retour de l’homme au couteau entre les dents

Les caricatures du sans-culotte assoiffé de sang et de l’homme au couteau entre les dents ont encore de beaux jours devant elles. A l’heure de la société médiatique, ces vieux procédés propagandistes ont été adaptés et remis au goût du jour, et servent toujours le même intérêt : discréditer la gauche de transformation sociale. Jeremy Corbyn, Bernie Sanders et Jean-Luc Mélenchon, trois personnalités politiques dont les tempéraments, les parcours et les projets de société sont pourtant bien différents, n’y échappent pas.

La bestialité de l’homme de « gauche radicale »

Jeremy Corbyn, Jean-Luc Mélenchon et Bernie Sanders sont les cibles régulières d’accusations plus ou moins voilées d’agressivité, de hargne, voire d’un penchant pour la violence, de la part de leurs adversaires politiques et médiatiques. C’est ainsi que les cadres du Parti Démocrate du Nevada s’étaient plaints de la violence des partisans de Bernie Sanders lors d’une convention démocrate et en avaient, à mots à peine couverts,  attribué la responsabilité à Bernie Sanders qui conduirait, selon eux, une campagne ayant un « penchant pour la violence » dans le cadre des primaires démocrates. Démenti catégorique de Sanders. S’ensuit un rétro-pédalage de la direction locale du Parti Démocrate… Plus tôt, c’était l’équipe de campagne de sa rivale, Hillary Clinton, qui déclarait s’attendre à un Bernie Sanders « agressif » à la veille d’un des débats télévisés entre les deux rivaux démocrates. Le soupçon ne se dissipera pas autour du sénateur Sanders… La fâcheuse habitude de la presse dominante d’illustrer ses articles de photos qui montrent les impétrants avec le regard hargneux, la bouche grande ouverte et le doigt rageur ou encore avec le cheveu hirsute, concourent à renforcer le soupçon de violence et véhiculent, dans l’opinion publique, une image proprement caricaturale des trois hommes de gauche.

Affiche d'un syndicat de petits et moyens patrons (1919)
Affiche d’un syndicat de petits et moyens patrons (1919)

L’image médiatico-politique qui se construit à leurs dépens nous renvoie inlassablement à l’image d’Épinal de l’homme au couteau entre les dents, la caricature diffamante dont les communistes faisaient l’objet pendant l’entre-deux-guerres. Les clichés ont la vie dure et, malgré la chute du bloc de l’Est, les médias dominants continuent de surfer sur la peur du communisme… Une étude conduite par des chercheurs de la London School of Economics, a, par exemple, montré que pendant les deux dernières semaines de campagne pour le leadership du parti Travailliste en 2015, Jeremy Corbyn avait été assimilé de manière péjorative à un communiste dans 42% des articles des 8 journaux de référence considérés. Jeremy Corbyn s’est pourtant toujours déclaré socialiste.

Affiche du British Conservative Party (1909)
Affiche du British Conservative Party (1909)

L’agressivité, la violence et la hargne sont autant de traits que l’on attribue à la bête sauvage dans l’imaginaire collectif. La bestialisation dont ils font l’objet permet à leurs adversaires de décrédibiliser de manière pernicieuse le courant politique tout entier qu’ils incarnent dans leurs pays respectifs. La colère populaire face aux injustices, dont ils entendent être les porte-parole, est alors présentée et traitée non pas tant comme l’expression politique d’un sentiment humain d’indignation, mais plutôt comme l’expression d’un bas instinct animal qu’il convient de réprimer. Ainsi, les positions anti-impérialistes et anti-OTAN de Jean-Luc Mélenchon et de Jeremy Corbyn leur valent des accusations persistantes d’accointance avec Vladimir Poutine pour le premier et avec le Hamas pour le second de la part du camp atlantiste. Par quel tour de force rhétorique leurs adversaires politiques et médiatiques arrivent-ils à insinuer une proximité idéologique entre ces deux partisans convaincus de la pertinence d’une société multiculturelle, de l’égalité homme-femme et des droits LGBT avec deux partis politiques aussi réactionnaires que Russie Unie et le Hamas ? L’explication est toute trouvée : leur penchant commun pour la violence et son utilisation en politique.

L’image du révolutionnaire sanguinaire associée à la « gauche de la gauche » en France

Au pays de la Grande Révolution de 1789, un imaginaire révolutionnaire sanguinaire s’est forgé depuis la restauration thermidorienne, et perdure encore aujourd’hui. La réduction de la Révolution Française à sa violence ne date pas d’hier et est typique de la pensée libérale comme le rappelle la journaliste Mathilde Larrère d’Arrêt sur images dans une leçon d’histoire à Thierry Ardisson et Karine Le Marchand.

Gravure de l'exécution de Louis XVI
Gravure de l’exécution de Louis XVI

Cet imaginaire fait de têtes sur des piques, de guillotines et de sang dans la Seine sert toujours à discréditer et écorner l’image des Montagnards d’hier et d’aujourd’hui. On peut citer en exemple le bien-nommé magazine “Capital” qui a publié, il y a quelques jours, un article intitulé “Impôt : la “révolution fiscale de Mélenchon s’annonce sanglante pour les plus aisés”. On se souvient également de Laurence Parisot qui, lors de la campagne présidentielle de 2012, n’a pas hésité à dépeindre Jean-Luc Mélenchon en « héritier de la Terreur ». En 2017, c’est au tour de Benoit Hamon de reprendre la vieille rengaine de l’ancienne patronne du MEDEF. En effet, suite à la demande de clarification de la part de Jean-Luc Mélenchon dans l’éventualité d’une alliance, le candidat socialiste a répondu en déclarant qu’il était contre « l’idée d’offrir des têtes » et alimente, par cette allusion, les clichés du révolutionnaire violent qui collent à la peau de Jean-Luc Mélenchon. Tout en faisant mine de continuer à tendre la main au candidat de la France Insoumise, le candidat socialiste marque symboliquement une distinction nette entre la tradition politique dont il est issu et celle dont se réclame Jean-Luc Mélenchon. De manière paradoxale, il avalise inconsciemment la théorie des deux gauches irréconciliables de Manuel Valls par l’image à laquelle il a recours, alors même qu’il n’avait eu de cesse de la pourfendre tout au long de la campagne des primaires du PS.

L’argument ultime de la folie

"Le Labour a choisi Corbyn car c'était le plus fou dans la salle" - Bill Clinton (The Guardian)
“Le Labour a choisi Corbyn car c’était le plus fou dans la salle” – Bill Clinton (The Guardian)

Ces hommes sont régulièrement taxés d’hystérie, de mégalomanie, de paranoïa, de folie des grandeurs, d’égocentrisme… Ce sont autant de termes plus ou moins médicaux qui renvoient à différentes pathologies mentales. C’est l’argument ultime de la folie. Selon des informations Wikileaks abondamment reprises par la presse internationale, Bill Clinton s’est moqué de Jeremy Corbyn, à l’occasion d’un discours privé, en expliquant que s’il avait été élu à la tête du Labour en 2015, c’est parce que les travaillistes avaient choisi « la personne la plus folle dans la salle ».  Si leurs idées paraissent si saugrenues, c’est bien parce que quelque chose ne tourne pas rond dans la tête de ces gens-là! Ces gens-là sont fous ! Ce sont des aliénés ! Étymologiquement, l’aliéné est celui qui est autre que ce qu’il paraît. Sous l’apparence de l’homme de gauche, se cache une bête. Le procès en bestialité, on y revient toujours …

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Ce que les médias passent sous silence à propos de Cuba

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Depuis le décès de Fidel Castro, les mêmes propos sont répétés en boucle par les journalistes et les hommes politiques : Cuba est l’une des dernières dictatures, elle enferme ses opposants, viole les droits de l’homme et affame son peuple. L’occasion est trop belle pour dire tout et n’importe quoi à ce sujet. Réponse aux mensonges et raccourcis à propos de Cuba.

Ségolène Royal, pour avoir osé dire qu’il « n’y a pas de prisonniers politiques à Cuba », a vu un torrent de boue s’abattre sur elle. Simplement parce qu’elle a eu l’outrecuidance de défendre Cuba. Car c’est bien cela qui lui est reproché, puisque personne n’a apporté le moindre élément permettant de démentir son affirmation.

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Vous la voyez l’opposition radicale au régime ? Et la bavure digne de la tyrannie policière la plus arbitraire ? Non ? #HeuresLesPlusSombres

Ah non, pardon, en réalité, seul Amnesty International a tenté un truc. Comme unique exemple à charge, l’organisation cite le cas de l’artiste El Sexto, arrêté pour avoir tagué « se fue » (« il est parti », ce que certains interprètent comme une référence au décès de Fidel Castro) sur le mur d’un grand hôtel de la Havane et de plusieurs bâtiments prestigieux ! (1) Scandaleux ! Il est vrai qu’à Paris, si un artiste avait eu l’idée de taguer le Fouquet’s ou la Cathédrale Notre-Dame, la police l’aurait probablement applaudi et il n’aurait bien sûr encouru aucune poursuite pénale…

Je ne sais pas qui s’occupe de la com’ d’Amnesty International, mais si c’était pour sortir une ânerie pareille, il aurait mieux valu faire comme tous les autres et dénoncer sans preuve, cela aurait été hautement plus crédible… (2)

« Mais peu importe ! » diront les autres. « Cuba est une dictature et rien ne le justifie ! »

Vraiment ? Retour en arrière

De la soumission aux États-Unis à la révolution

Cuba, de 1899 à 1959, était de fait une colonie états-unienne. Connue comme étant « le bordel de l’Amérique », l’île était alors gangrenée par la pauvreté, la prostitution, le jeu, les narcotrafiquants, la mafia et autres malfrats états-uniens venus échapper à la prohibition. Pour se faire une idée, il faut savoir que Miami et Las Vegas n’existaient pour ainsi dire pas avant la révolution cubaine, puisque l’île tenait leur rôle.

1938
Le dictateur Batista (à droite) en visite aux Etats-Unis en 1938.

Lorsque les guérilleros conduits par Fidel Castro rentrent victorieux à la Havane le 8 janvier 1959, ils viennent de renverser la dictature militaire pro-américaine de Fulgencio Batista, responsable de la mort de 20 000 cubains en sept ans. Beaucoup reprochent à Fidel Castro de s’être alors rendu coupable d’un nettoyage politique contraire aux droits de l’Homme. Mais de quoi parle-t-on ?

Fidel Castro avait maintes fois appelé la population à ne pas se livrer à la vengeance et à un « bain de sang », mais à laisser la révolution rendre justice. Il y eut donc des procès qui ordonneront 631 condamnations à mort et amèneront 146 proches de Batista à être fusillés. Il n’y eut aucun lynchage ou exécution sommaire. Comparons ces chiffres à une situation similaire : en 1944, lorsque la France fut libérée, il y eu près de 9 000 exécutions sommaires et plus de 1 500 condamnés à mort (parmi eux on compte des écrivains et des journalistes, ce qui ne fut pas le cas à Cuba). (3) Il ne viendrait à l’idée de personne de remettre en cause le gouvernement de l’époque ou le Général de Gaulle pour ces faits.

La guerre meurtrière des États-Unis contre Cuba

Le nouveau gouvernement cubain se heurte rapidement à l’opposition des États-Unis. Ces derniers sont irrités par ses réformes et les nationalisations. Ils mettent fin à l’importation de sucre en provenance de l’île (qui représentait 80 % des exportations de Cuba vers les États-Unis et employait près de 25 % de la population). En 1962, les États-Unis vont jusqu’à imposer un embargo à Cuba qui rompt les relations commerciales entre les deux pays (même alimentaires), et obligent la majeure partie des pays américains et leurs alliés occidentaux à faire de même.

cuba-embargo
191 pays ont condamné l’embargo des États-Unis sur Cuba. L’ONU a condamné 18 fois ce qu’elle considère comme un « blocus ».

Tout produit élaboré avec des éléments d’origine cubaine est interdit d’entrée aux États-Unis. Les avoirs de l’État cubain aux États-Unis sont gelés. Les transactions financières sont interdites. Tout échange en dollars avec l’île est sanctionné. Pendant des décennies, il sera interdit aux citoyens états-uniens de se rendre à Cuba. Le but affiché des États-Unis est de profiter des difficultés que provoque l’embargo pour provoquer la chute de Fidel Castro. L’embargo n’a cessé d’être renforcé par les États-Unis (jusqu’en 2009). (4)

En 1996, la loi Helms-Burton interdit à toute personne ou entreprise dans le monde de commercer des produits issus de biens américains qui ont été nationalisés par le régime cubain après la révolution. (5)

En 2004, l’administration Bush adopte une loi visant à condamner à dix ans de prison et à un million de dollars d’amende tout citoyen états-unien se rendant à Cuba sans autorisation, ou avec autorisation mais plus de 14 jours, ou qui dépenserait sur l’île plus de 50 dollars par jour, ou qui enverrait de l’argent à un proche adhérent du parti communiste local. (6)

L’embargo a donc condamné Cuba à l’autarcie, la poussant dans les bras des soviétiques. Il est encore en vigueur aujourd’hui. C’est l’embargo commercial le plus long de l’époque contemporaine. En 2014, on estimait les pertes directement liées à l’embargo à 116 milliards de dollars pour l’île. (7)

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Le groupe terroriste Alpha 66 fêtant ses 50 ans à Miami.

Mais quand il s’agit de l’Amérique latine, son « pré carré », les États-Unis ne s’attaquent pas qu’au portefeuille. Ils ont aussi financé à hauteur de plusieurs dizaines de millions de dollars toutes sortes d’activités pouvant nuire à Cuba, terrorisme compris. Ainsi, des groupes comme Alpha-66 et Omega 7, entraînés en Floride, se sont rendus responsables de divers sabotages et attentats (rien qu’en 1960-1961, sur une période de sept mois, la CIA a commandité 110 attentats à la dynamite, a fait placer 200 bombes, et déclenché 800 incendies dans des plantations), faisant de Cuba l’un des pays au monde qui déplore le plus grand nombre de victimes d’attentats (3478 morts et plus de 10 000 blessés dont 2 099 handicapés à vie). (8) En 1971, la CIA fit importer une épidémie de peste porcine africaine sur l’île, à l’aide de ces organisations terroristes. En 1981, l’introduction de la dengue hémorragique toucha près de 350 000 personnes à Cuba, et entraîna la mort de 158 d’entre elles dont 101 enfants. (9) Durant toute sa vie, Fidel Castro aura été la cible de 638 tentatives d’assassinats. (10)

Face à toutes ces menaces, Fidel Castro, qui voulait pourtant la démocratie sur l’île, dut se résigner à accroître la répression, la censure et le poids du parti communiste cubain, qui devint peu à peu le parti unique de l’île.

« Imaginez ce que serait la situation aux États-Unis si, dans la foulée de leur indépendance, une superpuissance leur avait infligé pareil traitement : jamais des institutions démocratiques n’auraient pu y prospérer », résume Noam Chomsky. Il est de bon ton de donner, du haut de sa France stable du XXIe siècle, des leçons à Fidel Castro sur le type d’institutions démocratiques qu’il aurait dû mettre en place pour recevoir un brevet de « pays moralement soutenable par l’Occident ». (11) 238 morts causés par le terrorisme djihadiste nous ont récemment amenés à envisager une remise en cause de l’État de droit : multiplions le nombre de victimes par 15, ajoutons-y un blocus terrible, le financement de partis d’opposition par l’étranger et nous comprendrons ce qui a poussé le gouvernement cubain à mettre en place ces mesures autoritaires.

Les droits de l’Homme à Cuba

Il convient encore de citer Noam Chomsky : « Concernant les violations des droits de l’Homme, ce qui s’est produit de pire [à Cuba] ces quinze dernières années a eu lieu à Guantánamo, dans la partie de l’île occupée par l’armée américaine, qui y a torturé des centaines de personnes dans le cadre de la “guerre contre le terrorisme”. »

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Pour ceux qui pensent le contraire (ce qui montre bien le niveau de désinformation qu’il y a quand il s’agit de Cuba) : il y a des élections à Cuba. Ici, le 19 avril 2015 lors du premier tour des élections municipales.

La censure largement assouplie à Cuba depuis les années 1990. Il n’y a aujourd’hui plus un seul opposant politique ou journaliste en prison à Cuba (or, faut-il le rappeler, les États-Unis étaient en 2005 le 6e pays au monde avec le plus de journalistes en prison, selon le CPJ, le Comité pour la protection des journalistes). (12) (13) Cuba n’a condamné personne à mort depuis 2003 (14) ; même en 2006, lorsqu’il y eut de nouveaux attentats, la peine de mort n’a pas été appliquée. Contrairement à la plupart de ses voisins latino-américains, Cuba n’a recours ni à l’assassinat et aux enlèvements d’opposants, ni à la torture. (15) Cuba ne possède pas de police anti-émeute (les CRS en France). Depuis la création du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies, l’île est réélue régulièrement pour y siéger auprès d’une cinquantaine de pays. (16)

La liste de « prisonniers politiques » fournie par les opposants cubains, sur laquelle les médias occidentaux se basent, ne comprend aujourd’hui plus que des criminels que même Amnesty International refuse de prendre en compte parce qu’elle est composée « de gens jugés pour terrorisme, espionnage ainsi que ceux qui ont tenté et même réussi à faire exploser des hôtels » (rapport d’Amnesty International de 2010).

Bien qu’il se pluralise de l’intérieur, le parti unique existe toujours à Cuba. Il faut cependant noter l’existence d’institutions démocratiques inconnues en France, comme le référendum d’initiative populaire qui permet de révoquer les élus. Une forme de démocratie directe existe à Cuba : les habitants se réunissent en assemblées de quartier pour délibérer sur le choix d’un candidat et peuvent le révoquer à tout instant. Il est interdit au parti communiste de désigner ou de faire campagne pour un candidat ; ainsi la moitié des députés cubains ne sont pas membres du parti communiste. (17) (18)

Le bilan de Fidel Castro : le socialisme concret

Si Cuba n’a pas choisi la voie de la démocratie libérale, c’est avant tout pour préserver l’héritage de la révolution, à savoir celui d’un socialisme concret qui vient en aide aux plus démunis et qui s’est instauré (avec réussite) malgré l’embargo. En voici quelques exemples :

A Cuba, personne ne dort dans la rue. C’est le seul pays d’Amérique latine et du tiers-monde à s’être débarrassé de la malnutrition infantile, selon l’Unicef. (19) L’île a atteint le plein emploi (le taux de chômage y était de 3,3% en 2014). (20) Les inégalités y ont été réduites de près de 30% depuis la révolution (selon l’évolution de l’indice de Gini, qui sert à calculer les inégalités). (21) En 2016, 60% du budget de l’État correspond aux dépenses courantes de maintien des services gratuits de base dont bénéficient tous les Cubains. (22)

Cuba a, en dépit du blocus, et ce, dès 2015, avant même la date prévue, atteint les huit Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) définis par les Nations Unies. (24)

Au niveau de l’Indicateur de Développement Humain (IDH), Cuba se classe 67e selon l’ONU. (23) Devant le Brésil, la Chine, l’Inde, le Mexique, la Turquie, l’Ukraine, l’Afrique du Sud, l’Iran… Hors revenus, Cuba se classe même 26e, devant notamment le Royaume-Uni.

A Cuba, le secteur des travailleurs indépendants et d’autres formes de gestion non-étatique sont aujourd’hui en expansion. 504 613 Cubains travaillent à leur compte : ils sont protégés par le système de sécurité sociale et bénéficient du droit à la retraite – on est donc loin du cliché du pays communiste qui bride la liberté d’entreprendre. (25)

Dès 1961, soit deux ans après la révolution, Cuba fut l’un des rares pays à avoir éradiqué l’analphabétisme. Dans le détail, le taux d’alphabétisation des 15-24 ans atteint aujourd’hui les 100%, et celui des adultes 99,8%, ce qui place Cuba dans le top 5 des pays les plus alphabétisés au monde selon l’ONU.

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Vingt-huit pays bénéficient du programme d’alphabétisation cubain « Moi aussi je peux » qui a permis d’apprendre à lire et à écrire à plus de 8 millions de personnes. (29)

L’accès gratuit et universel à l’éducation est garanti à tous les citoyens à Cuba. Selon l’UNESCO, Cuba est le pays qui affiche le meilleur résultat d’Amérique Latine et des Caraïbes en matière d’éducation. Cuba est le pays disposant du plus grand nombre d’enseignants par habitant et du plus faible nombre d’élèves par classe dans le primaire et le secondaire (19 élèves par maître dans le primaire et 15 dans le secondaire). (26)

En 1959, Cuba ne comptait qu’une seule université. Aujourd’hui l’île compte 52 établissements d’enseignement supérieur. (27) Le taux brut de scolarisation dans l’enseignement supérieur y était de 95,2% en 2011, soit le 2e meilleur score du monde (derrière la Corée du Sud) selon l’ONU. La télévision cubaine diffuse régulièrement des cours du second degré pour la population adulte. (28)

D’après l’ONU, la mortalité infantile à Cuba est de 4,2 pour 1000, soit le taux le plus faible du continent américain, (à titre de comparaison, il est de 5,9 pour 1000 aux USA). Toujours selon l’ONU, celui-ci était de 69,86 pour 1000 avant la révolution.

L’espérance de vie à Cuba est de 79,4 ans selon l’ONU. Soit 0,3 ans de plus qu’aux États-Unis et seulement 1 an et demi de moins qu’en Allemagne. C’est le 3e meilleur chiffre d’Amérique derrière le Canada et le Chili. C’est 5 ans de plus que la moyenne de la zone Amérique latine et Caraïbes (30) et c’est près de la moyenne des pays riches de l’OCDE. (31)

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L’opération « Miracle », lancée en 2004 par le gouvernement cubain, a été à l’origine de 2,6 millions d’interventions chirurgicales pour rendre la vue à des personnes pauvres dans 30 pays d’Amérique latine, des Caraïbes et d’Afrique.

A Cuba, l’accès gratuit à tous les services de santé est garanti. Il y a un médecin pour 147 habitants de l’île, soit le meilleur ratio au monde. C’est plus de deux fois plus qu’en France (1 pour 299). Depuis la révolution, 109 000 médecins ont été formés à Cuba. Avant, il n’y en avait que 6 000, dont la moitié a fui le pays lors de la révolution. (32) Cuba est le seul pays au monde à avoir créé un vaccin contre le cancer du poumon, le Cimavax, (33) et un médicament permettant d’éviter les amputations liées à l’ulcère du pied diabétique. (34)

L’école de médecine de la Havane, « la plus avancée au monde » selon le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon, forme aujourd’hui 11 000 jeunes venus de 120 nations. Depuis la révolution, l’île a même déployé 135 000 soignants à travers le monde, lors de catastrophes naturelles ou humanitaires. En reconnaissance de ses efforts, Fidel Castro fut le premier chef d’État à recevoir la médaille de la Santé pour tous, décernée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En 2014, l’OMS qualifiait le système de santé cubain « d’exemple à suivre ». (35)

Un an après la révolution, Cuba a interdit la ségrégation raciale, soit sept ans avant les États-Unis. La même année, la fédération des femmes cubaines fut crée. L’égalité femme-homme est une réalité sur l’île, notamment du point de vue salarial. En 2013, Cuba occupait le troisième rang mondial du plus grand pourcentage de femmes élues députés. Elles président 10 des 15 provinces du pays. Alors que l’île comptait plus de 150 000 prostituées dans les années 50, la prostitution a été éradiquée en 1967 (pas définitivement, hélas, car elle tend à réapparaître ces dernières années : elles seraient entre 12 et 20 000 aujourd’hui selon les opposants). Les prostituées ont été soignées (30 à 40% d’entre elles souffraient de la syphilis), éduquées, logées et réinsérées.

Cuba promeut la prévention en matière d’éducation et de réinsertion sociale pour éviter la délinquance. C’est l’un des pays les plus sûrs d’Amérique latine : le taux d’homicide volontaire y est de 4,2 pour 100 000 habitants (contre une moyenne de 23 pour 100 000 en Amérique latine). Cuba est le pays d’Amérique Latine qui enregistre le moins de violences contre les enfants.

Libertés individuelles ou libertés collectives ?

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« Hop ! Confisqué ! »

Contredire les mensonges répandus à propos de Cuba n’empêche évidemment pas de jeter un regard critique sur les erreurs commises par le gouvernement, comme pour n’importe quel autre pays, à n’importe quel moment de l’histoire. Mais on ne peut déclarer que la révolution a été volée d’un coup par un « régime dictatorial ». Car le gouvernement cubain a toujours été cohérent dans ce qu’il a accompli. La même logique, le même objectif, ont été poursuivis de A à Z.

Le clivage à propos de Cuba devrait se résumer ainsi : si l’on pense que les libertés collectives priment sur les libertés individuelles, alors on soutient Cuba ; si l’on pense l’inverse, alors on condamne. Les deux ne sont évidemment pas contradictoires, et certains gouvernements ont même décidé de ne pas choisir. Prenons l’exemple de deux d’entre eux : le Chili de Salvador Allende et le Venezuela d’Hugo Chavez.

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Salvador Allende et Fidel Castro.

Salvador Allende, malgré les menaces que faisaient planer les États-Unis depuis son élection en 1971, a décidé de rester démocrate jusqu’au bout, avec la fin qu’on connaît : le putsch de 1973 mené par le général Pinochet, qui fit 3 à 4 000 morts et contraignit Allende au suicide, le Chili devenant alors une dictature militaire ultralibérale pour les vingt années qui suivirent.

Au Venezuela, le même scénario faillit se reproduire : en 2002, un coup d’État eut lieu, et Chavez, élu démocratiquement, aurait dû être fusillé dans la foulée. Mais le peloton d’exécution refusa d’obtempérer et il eût la vie sauve. La révolte des militaires et de la population contraignit les putschistes à renoncer.

Au Chili, les États-Unis ont préparé le terrain pour que le coup d’état se produise, l’ont piloté en sous main et l’ont officiellement soutenu. Au Venezuela, les putschistes furent financés par les États-Unis et la CIA fut directement impliquée.

A l’aune de ces exemples, et de toutes les tentatives de déstabilisation états-uniennes à Cuba citées plus haut, on comprend bien qu’il va falloir prendre en compte le fait suivant : non, Cuba n’avait pas, et n’a jamais eu, le choix d’être une démocratie libérale. C’est à contre-cœur, et contraint et forcé par les agressions états-uniennes, que Fidel Castro a mis en place des mesures liberticides à Cuba. Il faut également prendre en compte un autre élément : beaucoup de démocraties dans le tiers-monde sont des farces. Regardez par exemple la Colombie, où l’on compte depuis le début de l’année, 70 assassinats de proches du parti socialiste, ou le Honduras, où dès qu’un président un peu trop de gauche est élu, hop !, les militaires font un coup d’État avant de réorganiser des élections.

Ce sont tous des pays où une large part de la population est maintenue dans l’extrême pauvreté, où la violence et la corruption sont reines et où les gouvernements pratiquent régulièrement les « disparitions », l’assassinat et la torture. Comme Fidel Castro le rappelait souvent : A quoi sert la démocratie ou la liberté d’expression dans un pays qui compte 50% d’analphabètes ? Dans un pays où une grande partie de la population meurt de faim ou de maladie ? L’éducation, la médecine, la répartition des richesses : toute démocratie n’est que comédie sans ces libertés collectives préalables.

Aristote, dans Les Politiques, avait déjà bien compris que l’objectif d’un État n’est en rien la forme de ses institutions, mais sa capacité à agir ou non dans l’intérêt de son peuple. Il n’aura échappé à personne la façon dont les peuples reçoivent, chaque fois, ceux qui tentent d’imposer la “démocratie libérale” dans leur pays. La première volonté des peuples est d’abord de se libérer des puissances qui les étranglent et de pouvoir vivre par eux-mêmes : ça s’appelle la souveraineté nationale. C’est là que réside la clé pour comprendre Cuba : plus que tout, le génie de Fidel Castro, c’est d’avoir su interpréter, et appliquer, la volonté générale de son peuple. Les Cubains lui en sont reconnaissants, notamment car ils ont été les premiers acteurs de la transformation de l’île. Les centaines de milliers de Cubains à s’être réunis aux quatre coins du pays pour saluer la mémoire du Comandante en sont la parfaite illustration.

« L’homme est né libre, et partout il est dans les fers. » Ainsi débute le Contrat Social de Jean-Jacques Rousseau. Discours de Fidel Castro à l’ONU, sur les « fers » dans lesquels se trouvent les peuples pauvres du monde entier. (Pensez à activer les sous-titres !)

Je vous laisse, je m’en vais taguer « Hollande a renoncé » sur le mur du Ritz, comme mon pays démocratique me le permet. Et si tel n’est pas le cas, si par malheur je me fais embarquer au commissariat, alors il faudra en conclure que je suis un prisonnier politique. Amnesty International, j’attends vos retweets.

En complément :

Ainsi que les divers livres et articles de Salim Lamrani, de loin le meilleur spécialiste de Cuba en France.

Notes :

(1) : http://www.europe1.fr/international/la-reponse-damnesty-international-a-segolene-royal-a-cuba-il-y-a-eu-620-arrestations-en-octobre-2918420

(2) : Ce n’est malheureusement pas la première fois qu’Amnesty International dit des bêtises sur Cuba : https://www.legrandsoir.info/cuba-ou-comment-amnesty-international-saisit-trop-vite-des-batons-visqueux.html

(3) : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89puration_%C3%A0_la_Lib%C3%A9ration_en_France

(4) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Embargo_des_%C3%89tats-Unis_contre_Cuba

(5) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_Helms-Burton

(6) : https://www.legrandsoir.info/Recrudescence-de-l-agression-etasunienne-contre-Cuba.html

(7) : http://www.20minutes.fr/monde/1440187-20140909-embargo-americain-coute-116-milliards-usd-economie-cubaine

(8) : http://www.lapresse.ca/international/amerique-latine/201110/06/01-4454865-cuba-commemore-les-victimes-du-terrorisme-americain.php
Au sujet du terrorisme à Cuba, sujet méconnu et complètement occulté dans la presse internationale, lire notamment le très bon livre de Maurice Lemoine Washington contre Cuba. Un demi-siècle de terrorisme (http://www.monde-diplomatique.fr/2005/12/LEMOINE/13057
)

(9) : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89v%C3%A9nements_cubains_attribu%C3%A9s_aux_%C3%89tats-Unis_par_le_gouvernement_cubain

(10) : http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/11/26/ces-638-fois-ou-la-cia-a-voulu-se-debarrasser-fidel-castro_5038675_3222.html

(11) : https://www.les-crises.fr/ce-qui-a-ete-omis-a-la-mort-de-fidel-castro-par-noam-chomsky/

(13) : Le rapport de 2015 de Reporters sans frontières évoque deux journalistes en prison à Cuba : Yoeni de Jesús Guerra García et José Antonio Torres. Mais ces deux individus ne sont pas en prison du fait de leur profession, mais pour des délits/crimes :

– le premier a été condamné à 7 ans de prison en 2014 pour vol et abatage de bétail ne lui appartenant pas.
– le second a été condamné à 14 ans de prison en 2011 pour espionnage. Il lui est reproché d’avoir envoyé une lettre à un haut fonctionnaire américain où il explique qu’il peut lui offrir “des informations sensibles (sur Cuba), qui peuvent mettre à mal la sécurité du pays”. Il a reconnu à de nombreuses reprises avoir écrit cette lettre.

(14) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Peine_de_mort_aux_Cara%C3%AFbes#Cuba

(15) : Bien que la CIA et l’opposition cubaine aient évoqué des cas de torture, aucun élément n’a jamais confirmé ces accusations, au point qu’Amnesty International n’en a jamais fait mention dans ses rapports.

(16) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Conseil_des_droits_de_l’homme_des_Nations_unies

(17) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Politique_%C3%A0_Cuba

(18) : Sur la question des droits de l’Homme à Cuba, lire l’article de Salim Lamrani “Cuba, la France, les États-Unis, et la question des droits de l’homme”, qui se livre à un comparatif avec la France et les Etats-Unis, et qui démontre ainsi l’exagération dont Cuba est l’objet sur ces questions, notamment de la part de ceux qui relaient en masse les rapports d’Amnesty International sur Cuba : https://www.legrandsoir.info/cuba-la-france-les-etats-unis-et-la-question-des-droits-de-l-homme.html

(19) : UNICEF, Progrès pour les enfants, un bilan de la nutrition, 2011.

(20) : http://knoema.fr/atlas/Cuba/Taux-de-ch%C3%B4mage

(21) : https://es.wikipedia.org/wiki/Anexo:Pa%C3%ADses_por_igualdad_de_ingreso

Sur l’indice de Gini : https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1551

(22) : http://www.cubadebate.cu/especiales/2016/02/18/cuentas-claras-sobre-el-presupuesto-del-estado-fotos-video-e-infografia/#.WIrNWNT_Z_k

http://www.librered.net/?p=45004

(23) : Tous les chiffres de l’ONU donnés dans l’article sont consultables à partir de ce lien : http://hdr.undp.org/en/data

(24) : http://fr.granma.cu/mundo/2015-09-04/cuba-a-atteint-les-objectifs-du-millenaire-pour-le-developpement-malgre-le-blocus

(25) : https://www.cubanet.org/actualidad-destacados/decrecieron-los-pequenos-negocios-privados-en-2015/

(26) : https://ries.revues.org/511

(27) : http://elpais.com/diario/2002/05/09/ciberpais/1020911733_850215.html

(28) : https://www.ecured.cu/Televisi%C3%B3n_educacional

(29) : UNESCO, La crise cachée : les conflits armés et l’éducation, 2011, p. 76. http://unesdoc.unesco.org/images/0019/001917/191794f.pdf

https://es.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9todo_de_alfabetizaci%C3%B3n_%22Yo,_s%C3%AD_puedo%22

(30) : http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/L-esperance-de-vie-augmente-en-Amerique-latine-et-aux-Caraibes-_NG_-2012-09-19-855224

(31) : http://www.lemonde.fr/sante/article/2015/11/04/l-esperance-de-vie-atteint-80-5-ans-selon-l-ocde_4802922_1651302.html

(32) : http://geopolis.francetvinfo.fr/castro-le-succes-de-la-politique-de-la-sante-a-cuba-99099

(33) : http://www.slate.fr/story/101473/traitement-cancer-poumon-prouesses-medicales-cuba

(34) : http://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/cuba-le-traitement-miracle-contre-l-amputation-des-diabetiques-354644.html

(35) : http://www.france24.com/fr/20140919-ebola-epidemie-cuba-sante-medecine-qualite-soins-sierra-leone-

Crédits photo : ©Madden. Cette image est dans le domaine public

Quelle transition écologique ? L’écologie entre en campagne

Carte postale ancienne éditée par AHK, collection “Paris inondé” : Avenue Daumesnil, Scanné par Claude_villetaneuse. L’image est dans le domaine public. 

Chroniques de l’urgence écologique #3

           Le 15 décembre 2016, l’Ecologie et la transition écologique ont fait leur entrée dans la campagne présidentielle. Il était temps, direz-vous ! Dominique Méda et Dominique Bourg, à l’occasion de la sortie de leur ouvrage « Comment mettre en œuvre la transition écologique ? », posaient la même question aux candidats. Les deux intellectuels ont émis avec force et justesse le constat selon lequel l’idéologie du « tout croissance » et l’obsession consommatrice et productiviste comme but économique, ne répondent plus aux besoins humains fondamentaux. Ils nous font courir à notre propre perte. Comment envisagez-vous la transition écologique ? Tout un programme qui permet de faire la lumière sur la viabilité des projets des candidats. Sans aucun doute les échanges les plus instructifs de toute la campagne à venir ! Comme le martèle Jean-Pierre Dupuy, « Il nous faut vivre désormais les yeux fixés sur cet évènement impensable, l’autodestruction de l’humanité, avec l’objectif, non pas de le rendre impossible, ce qui serait contradictoire, mais d’en retarder l’échéance le plus possible. »[1] Personne ne peut plus ignorer les catastrophes écologiques qui s’annoncent et l’ampleur des défis auxquels nous sommes et seront confrontés. Ceux-ci rendent inévitables l’urgence d’une remise en question et un changement radical de système économique et politique. D’une gestion purement utilitariste de l’environnement sans renier le triptyque « croissance – production – consommation », il s’agirait de passer à une vision écologiste qui refonde entièrement le fonctionnement de notre société. Le plus pertinent et censé des candidats serait donc celui ou celle qui s’engagerait dans cette voie, logique non ?

           Il n’y avait finalement pas 9 personnalités politiques en présence. Seulement deux visons du monde et de l’avenir qui s’opposent, et des nuances d’intensité en leur sein. Commençons par les abonnés absents : Emmanuel Macron et Manuel Valls, pas concernés par l’urgence écologique ? Ensuite, si nous saluons le courage de Serge Grouard (représentant de François Fillon), le ton était donné dès l’introduction : « Je vais vous parler d’environnement ». Et non d’écologie donc ? Et la suite sans surprise : refus du principe de précaution, éloge du nucléaire mais quand même quelques petites éoliennes pour faire joli… Les Républicains ont compris qu’il y avait un souci avec l’environnement, bon point, de là à leur en demander davantage… Viennent ensuite ceux que nous appellerons les « opportunistes ». Ceux qui, bien qu’ayant flairé le potentiel de la marque ‘écolo’ ne sont pas vraiment crédibles. Vincent Peillon, tout d’abord, s’est cantonné à une glorification du quinquennat de François Hollande. Dans une logique parfaitement gouvernementale, il s’est évertué à parler de « croissance verte » et de « développement durable ». En parfait « réformiste passionné », il ne faut pas pour lui « que les bobos-écolos fustigent les campagnes qui roulent au diesel ». Oui mais encore ? François de Rugy a martelé que les écologistes doivent abandonner leur rôle de contre-pouvoir pour se placer « au cœur des responsabilités ». Agir au cœur dudit système qu’ils dénoncent donc ? Il a expliqué que la dette et la non-croissance empêchent les investissements écologiques. Pas facile de défendre l’écologie et la majorité tout en étant cohérent ! Arnaud Montebourg, très éloquent, a su montrer son intérêt pour une transition décarbonée. Mais notre œil averti a su déceler un ‘réalisme’ qui fleure bon le nucléaire et la relance économique productiviste. « Il s’agit de faire entrer l’écologie dans chacun des termes de la vie quotidienne, dans l’économie dans son entier ». Intégrer l’écologie dans l’économie, est-ce très écologiste monsieur Montebourg ?

            Trois candidats ont su s’inscrire selon nous dans la perspective réelle de l’écologie. A savoir celle qui revendique d’intégrer l’économie et le social dans l’écologie dans son entier. Celle qui prône de refonder totalement les bases d’un système qui n’est plus viable ni pour l’environnement ni pour l’homme. Nous reconnaitrons tout d’abord la prise de conscience de Benoît Hamon. Citant Habermas, il a pointé du doigt un « problème de légitimité quand le cercle de ceux qui décident ne recouvre pas le cercle de ceux qui subissent ». Il « ne croit plus en un modèle de développement qui se fixe sur la Croissance.” Pour lui, “Il faut changer de paradigme et de modèle de développement. » Cela supposerait donc de repenser notre rapport au travail en intégrant des indicateurs qualitatifs (taux de pauvreté, inégalités, impact de l’activité sur les écosystèmes) autres que le PIB. Mais aussi en sortant du nucléaire et en respectant le principe de précaution. Pour autant, si il a convoqué des choix politiques radicaux, il a protesté contre une brutalité des transformations. Mais la crise écologique nous permet-elle ce luxe ? Yannick Jadot, fidèle à ses idées, a exposé la nécessité d’un changement complet de modèle de société. Il a développé un programme de transition énergétique couplé à une transition démocratique. Evoluant sur son terrain favori, il a martelé que le coût le plus important résidait dans le fait de s’obstiner dans le tout nucléaire, non pas dans le fait d’en sortir. Enfin, Martine Billard, au nom de Jean-Luc Mélenchon, a exposé le programme de la France Insoumise. Dans une perspective écologiste, « l’avenir en commun » implique que l’urgence écologique conditionne toutes les politiques à venir. Constitutionnalisation de la règle verte (c’est-à-dire empêcher de prélever davantage que les capacités de renouvellement des ressources naturelles), planification écologique et démocratique qui encadreraient une relocalisation de l’économie sous le nom de protectionnisme solidaire sont les maîtres mots. Un projet global qui amène à interroger nos besoins autant que nos modes de consommation et de production.

            En tout état de cause, « la terre n’est pas menacée par des gens qui veulent tuer les hommes, mais par des gens qui risquent de le faire en ne pensant que techniquement, […] économiquement et commercialement. Nous sommes donc dans une situation qui correspond à ce que d’un point de vue juridique, on appelle, un ‘état d’urgence’ ».[2] Un état d’urgence qui implique de s’orienter définitivement vers la transition écologique. L’avenir de l’humanité est-il dans nos bulletins de vote ?

 

Crédits photos: Carte postale ancienne éditée par AHK, collection “Paris inondé” : Avenue Daumesnil, Scanné par Claude_villetaneuse. L’image est dans le domaine public. 

[1] D’Ivan Illich aux nanotechnologies, prévenir la catastrophe ? Entretien de Jean-Pierre Dupuy par O. Mongin, M. Padis et N. Lempereur, 2007.

[2] La violence, oui ou non : une discussion nécessaire, Günther Anders, 2014.

L’Union Européenne rappelle à Tsipras qui sont les maîtres

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Alexis Tsipras. ©www.kremlin.ru

Les créanciers viennent de suspendre l’allègement de la dette qu’ils avaient accordé au gouvernement grec. L’Eurogroupe estime qu’Alexis Tsipras a violé l’accord que son gouvernement a passé avec les créanciers en annonçant la mise en place de timides mesures sociales.


Le premier ministre grec Alexis Tsipras a promis il y a une semaine de mettre en place des mesures sociales destinées à soulager les plus pauvres : le versement de quelques centaines d’euros aux 1,6 millions de retraités pauvres gravement touchés par les mesures d’austérité et le report de la hausse de la TVA dans les îles de l’Est du pays les plus frappées par la crise migratoire (les réfugiés et les populations locales paieront cette taxe comme tout le monde). Des mesures qui n’affecteraient pas la situation financière de la Grèce, puisqu’elles seraient subventionnées par un excédent budgétaire de 674 millions d’euros. L’excédent primaire grec, c’est-à-dire l’excédent budgétaire avant que ne soient déduits du budget les coûts engendrés par le remboursement de la dette, est en effet l’un des plus élevés de la zone euro. C’en est trop pour les créanciers, qui ont décidé de suspendre l’allègement de la dette grecque décidée par l’Eurogroupe le 5 décembre ; un porte-parole de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, met en cause les mesures “unilatérales” d’Alexis Tsipras, qui “ne sont pas en ligne avec nos accords”, a-t-il précisé. Le premier ministre grec avait pourtant appliqué toutes les mesures réclamées par l’Eurogroupe et la “Troïka” (c’est-à-dire la Banque Centrale Européenne, la Commission Européenne et le FMI, qui représentent les créanciers de l’Etat grec).

Tsipras avait accepté les mesures des créanciers

Depuis juin 2015, le gouvernement grec a voté les centaines de mesures d’austérité préconisées par la « Troïka » : la TVA et les cotisations des travailleurs ont été fortement augmentées, l’expulsion des locataires endettés a été généralisée, et le gouvernement grec s’est engagé à privatiser l’équivalent de 50 milliards d’euros de biens publics. Pour atteindre cet objectif, il a purement et simplement dû se résoudre à privatiser une partie de son territoire ; Alexis Tsipras a ainsi mis en vente 597 îles grecques, des centaines de plages et de sites archéologiques.

Les mesures sociales annoncées par Alexis Tsipras ne contredisent pas les engagements pris avec les créanciers : rien dans ces accords n’interdit  au premier ministre grec de redistribuer les excédents budgétaires comme il l’entend. Pourtant, l’Eurogroupe a décidé de punir Alexis Tsipras en le menaçant de suspendre l’allègement de la dette prévu le 5 novembre.

Un allègement très relatif

L’accord signé en juin 2015 avec les créanciers prévoit une annulation de 30% de la dette grecque. Cette annulation a sans cesse été retardée par les créanciers, alors qu’Alexis Tsipras a pratiquement mis en place toutes les mesures d’austérité incluses dans l’accord. Bon nombre d’observateurs jugent que cet allègement serait insuffisant ; la dette grecque s’élève actuellement à 175% de son PIB ; même si elle était allégée de 30%, la dette grecque serait toujours supérieure au PIB du pays.

Depuis 2008, la crise de la dette entraîne la Grèce dans une spirale sans fin. Pour rembourser sa dette, la Grèce doit emprunter sur les marchés financiers avec taux d’intérêt ; pour rembourser ces nouveaux prêts, le gouvernement emprunte sur de nouveaux marchés financiers, toujours avec taux d’intérêt, et ce à l’infini. Résultat : la dette grecque, qui représentait l’équivalent de 110% du PIB en 2008, représente désormais 175% du PIB.

Les créanciers acceptent de prêter de l’argent à la Grèce uniquement si celle-ci met en place des mesures d’austérité, ce qu’ont accepté tous les gouvernements grecs depuis 2008. Ces plans d’austérité ont eu des conséquences sociales dramatiques.

La Grèce : l’un des pays les plus touchés par la crise

La situation du peuple grec frôle la crise humanitaire. 35% des Grecs vivent aujourd’hui en-dessous du seuil de pauvreté, et 15% en-dessous du seuil d’extrême-pauvreté, c’est-à-dire avec des revenus inférieurs à 182€ par mois. La mortalité infantile a augmenté de 43% depuis 2008, tandis que le taux de suicide a triplé. Le taux de chômage a doublé, et ce sont actuellement 47% des jeunes qui sont à la recherche d’emplois en Grèce.

La sortie de l’euro ou l’esclavage à perpétuité ?

Alexis Tsipras avait été élu en février 2016 en promettant de “changer l’Europe” pour mettre en place une “Europe sociale”. Pendant six mois, son gouvernement a tenté de concilier la lutte contre les politiques d’austérité préconisées par l’Union Européenne et le maintien dans la zone euro. Il avait finalement cédé à la “Troïka” (Commission européenne + Banque Centrale Européenne + FMI) et appliqué le plan d’austérité qu’elle réclamait. Depuis, la dette a encore augmenté et la situation sociale de la Grèce s’est dégradée. La seule manière pour la Grèce de rompre avec la spirale infernale de la dette résiderait dans la possibilité d’annuler une partie de sa dette et de contrôler son système bancaire ; mais depuis le Traité de Maastricht, interdiction est faite aux Etats membres de l’Union Européenne de contrôler leur banque centrale et d’avoir une quelconque souveraineté monétaire…

Puisque les timides mesures sociales prônées par Tsipras ne contredisaient pas les engagements pris avec la “Troïka”, pourquoi l’Eurogroupe a-t-il décidé de suspendre l’allègement de la dette grecque ? Certains y verront un aveuglement idéologique de la part des créanciers; d’autres une volonté politique de montrer qu’aucune alternative à l’austérité n’est possible. Quoi qu’il en soit, cette décision de l’Eurogroupe pose une fois de plus la question de la compatibilité entre le maintien dans la zone euro et la résistance à l’austérité. Elle montre que le gouvernement grec est pieds et poings liés devant ses créanciers, puisqu’il ne parvient pas à voter la moindre loi sans leur accord. Puisque ce sont l’Eurogroupe et la Banque Centrale Européenne qui décident s’ils doivent débloquer des fonds pour la Grèce, ils sont en mesure de lui imposer toutes les mesures d’austérité qu’ils souhaitent. Une alternative à l’austérité peut-elle se concevoir sans rupture avec l’Union Européenne et la monnaie unique ? La résistance à l’esclavage par la dette est-elle pensable sans rupture avec la Banque Centrale Européenne qui en est l’instrument ?

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