Gisèle Halimi, une vie de refus de la résignation

Gisèle Halimi lors du procès de Bobigny © Capture d’écran : YouTube

« La défense, en tout cas pour moi, c’était une manière de changer le monde » déclarait Gisèle Halimi. Celle qui aimait se désigner comme « l’avocate irrespectueuse » s’est éteinte mardi 28 juillet à l’âge de 93 ans. Animée par une véritable passion de convaincre, unique moyen selon elle de construire un avenir commun, Gisèle Halimi a défendu avec ferveur les combats qui lui tenaient à cœur : défense des droits des femmes, dépénalisation de l’homosexualité, décolonisation de l’Algérie et de sa Tunisie natale, abolition de la peine de mort. Au sein des tribunaux, elle redessina les contours d’un nouveau monde, avec pour unique arme la jurisprudence française. De la petite fille qui refusait de servir ses frères à l’avocate engagée et insoumise, la figure emblématique que représente Gisèle Halimi manquera terriblement au barreau. Retour sur ses combats.


Une figure de proue du féminisme

Figure de proue du féminisme des années 1970, l’avocate a redonné à la cause des femmes un nouveau souffle. Son désir de remettre en cause le modèle patriarcal puise ses racines dans son propre vécu. Elle est née en 1927 en Tunisie dans une famille juive, de condition très modeste. Sa famille cache sa naissance, considérée comme une malédiction, pendant les trois premières semaines de sa vie. Durant son enfance, Gisèle Halimi rompt une première fois avec le modèle patriarcal familial, lors de sa douzième année. Elle refuse de servir ses frères et entame une grève de la faim, qui durera huit jours. Ses parents finissent par céder et cet épisode de sa vie représentera pour elle son « premier morceau de liberté ».

Elle s’oppose une nouvelle fois à ses parents, à quinze ans. Elle refuse de se marier à un marchand d’huile fortuné, de vingt ans son aîné. Avide de savoir et désirant rompre avec « l’inculture » familiale, elle emprunte des livres à une camarade de classe et se « bricole une éducation ». Après son entrée au lycée grâce à l’obtention d’une bourse, elle obtient son baccalauréat. Puis elle part étudier le droit à Paris et prête son serment d’avocate en 1949.

« Gisèle Halimi est inscrite dans la chair de l’histoire de l’anticolonialisme, car elle s’y était engagée corps et âme » – Samia Kassab-Cherfi

Consciente des discriminations que subissent les femmes par le simple fait de leur naissance, Gisèle Halimi fait siennes les revendications féministes des années 1970. Elles appellent notamment à la dépénalisation et à la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Gisèle Halimi est signataire du « manifeste des 343 », pétition française publiée le 5 avril 1971 dans le Nouvel Observateur. En juillet 1971, elle fonde avec Simone de Beauvoir le mouvement féministe « Choisir, La cause des femmes ». Ce dernier se construit autour de trois objectifs. D’abord faire annuler ou modifier les textes répressifs liés à la condition féminine. Ensuite défendre gratuitement les victimes de ces textes répressifs. Enfin, lutter pour le développement d’une contraception féminine.

Lors du procès de Bobigny en 1972, elle est l’avocate de Marie-Claire, une jeune fille de seize ans. Celle-ci est accusée d’avoir avorté clandestinement à la suite d’un viol. A l’issue du procès, Marie-Claire est relaxée. Sa mère, qui avait soutenu et aidé sa fille dans cette épreuve, est dispensée de peine. Gisèle Halimi donne à ce procès une dimension politique pour défendre le droit à l’avortement. Elle y déclare : « Nous voulons en toutes hypothèses, et en dernier ressort, que la femme, et la femme seule, soit libre de choisir. Nous considérons que l’acte de procréation est un acte de liberté et aucune loi au monde ne peut obliger une femme à avoir un enfant si elle ne se sent pas capable d’assumer sa responsabilité ». Elle permet ainsi une prise de conscience de l’opinion publique, alors fortement mobilisée, sur les droits des femmes à choisir « l’acte de procréation ». Ce procès représente une des pierres angulaires du projet de loi sur l’IVG proposé par Simone Veil en 1975.

En 1978, Gisèle Halimi défend au tribunal d’Aix-en-Provence Anne Tonglet et Araceli Castellano, victimes d’un viol collectif. Luttant pour que le viol soit enfin considéré comme un crime, l’avocate, par le biais de ce procès, contribue à l’adoption de la loi de 1980, qui criminalise le viol.

La voix des peuples en lutte

Attachée à sa Tunisie natale, Gisèle Halimi lutte pour son indépendance, ainsi que celle de l’Algérie. En 1960, elle devient l’avocate de Djamila Boupacha, accusée d’avoir posé une bombe dans un commerce d’Alger. La jeune femme de vingt-deux ans est emprisonnée clandestinement, puis violée et torturée par un groupe de parachutistes français. Lors du procès, Djamilia Boupacha se livre sur les actes de tortures dont elle a été victime. Cela permet à son avocate de poursuivre devant la justice le ministre de la Défense Pierre Messmer et le général de l’Armée française en Algérie, Charles Ailleret.

Simone de Beauvoir l’épaule en publiant une tribune dans le journal Le Monde, intitulée « Pour Djamila Boupacha », qui permet la création d’un comité qu’elle préside. Gisèle Halimi met sous le feu des projecteurs les violences perpétrées par l’armée française en Algérie. Le tribunal condamne Djamila Boupacha à mort mais elle obtient son amnistie en 1962 par le biais des accords d’Evian.

Elle résume son engagement anticolonialiste dans une interview par Didier Billion et Erwan Laurent, publiée dans La Revue internationale et stratégique : « À l’origine, ce qui fut le détonateur, c’était ma vie et mon regard. […] Pour moi, le colonialisme, le protectorat, c’est un mot, une chose, et le sentiment qui m’est resté, et qui m’a toujours habité, c’était le mépris. […] Ce mépris des Français de France pour tous ceux que l’on désignait par le terme d’ « Arabes », ceux que l’on appelait les « indigènes ». On croyait d’ailleurs bien faire en prenant une distance qui était censée les favoriser, c’était d’ailleurs assez étrange comme distanciation, comme conception, mais c’était surtout l’expression d’une forme d’arrogance, et c’est cela qui m’a le plus heurtée ».

Samia Kassab-Cherfi a rendu hommage à son engagement anti-colonialiste en ces termes : « Elle a toujours lutté contre les discriminations et le rejet de l’autre. Pour les femmes en Tunisie, c’est une figure primordiale. Elle est inscrite dans la chair de l’histoire de l’anticolonialisme, car elle s’y était engagée corps et âme ».

« La norme sexuelle ne se définit pas »

Le 20 décembre 1981, Gisèle Halimi propose à l’Assemblée Nationale un texte de loi visant à dépénaliser l’homosexualité. L’avocate peut compter sur le soutien de Robert Badinter, alors ministre de la Justice. Debout face à ses pairs, elle prône la liberté sexuelle comme liberté de conscience individuelle. Elle s’oppose catégoriquement à la morale sexuelle criminalisant l’homosexualité. Selon l’avocate, la loi protège les individus des abus sexuels. Mais elle ne peut « intervenir dans le choix le plus intime et finalement le plus fondamental de l’individu », à savoir sa sexualité.

Elle déclare : « La morale religieuse, pour laquelle l’amour ne se trouve justifié que dans sa fin de procréation, relève, comme la liberté sexuelle, de la liberté de conscience de chacun. La norme sexuelle ne se définit pas ». Sa proposition de loi remplit « une double exigence : rigueur juridique et respect scrupuleux de l’égalité devant la loi ». Elle subit une forte opposition de la part de la droite. L’assemblée adopte finalement son projet de loi par 327 voix contre 155 le 27 juillet 1982.

Femme aux multiples combats, Gisèle Halimi dédie une partie de sa vie à la politique, en tant que députée relativement proche du Parti socialiste – elle n’a jamais exprimé le souhait d’appartenir véritablement à un parti spécifique – de la quatrième circonscription d’Isère. Elle parvient à modifier le serment d’avocat, qui permet selon elle à ses pairs d’avoir désormais une plus grande liberté de parole. C’est encore aujourd’hui le serment prêté par les avocats.

En 1985, elle devient pendant un an ambassadrice de France à l’Unesco. L’avocate, dont la seule crainte était « la faiblesse intellectuelle », se consacre aussi à l’écriture. Elle publie des ouvrages dans lesquels elle se livre sur ses combats menés au barreau, mais aussi sur des aspects plus intimes de sa vie, comme sa relation avec sa mère dans Fritna. Elle écrivait ainsi : « Ma mère ne m’aimait pas. Ne m’avait jamais aimée, me disais-je certains jours. Elle, dont je guettais le sourire – rare – et toujours adressé aux autres, […], ma mère dont je frôlais les mains, le visage pour qu’elle me touche, m’embrasse, enfin, elle, ma mère, ne m’aimait pas ». Cette mère est aussi celle dont la vie n’avait été que soumission à l’autorité d’un père puis d’un mari, totalement dépendante, et dont Gisèle Halimi n’a jamais voulu suivre les traces.

La grande militante féministe et anticolonialiste ne s’est jamais résignée et a poursuivi son combat jusqu’à ses derniers jours.