Six ans avant les gilets jaunes : les carrés rouges du Québec

Le mouvement des gilets jaunes en rappelle un autre : celui des carrés rouges, surnommé « printemps érable » au Québec. Cette grève étudiante a embrasé le Québec durant près de huit mois en 2012. Ce mouvement social est sorti victorieux : les étudiants ont bloqué la hausse des frais de scolarité et obtenu la défaite du gouvernement libéral de Jean Charest lors des élections anticipées de septembre 2012. Il paraît donc utile de jeter un regard croisé sur ces deux mouvements sociaux.


Printemps érable : un bref rappel historique

Le printemps érable surgit durant l’hiver 2012, suite à l’annonce par le gouvernement libéral de la province du Québec, de l’augmentation des frais d’inscription à l’Université : +1 625$ canadiens sur cinq ans.

Les premiers débrayages dans les universités ont eu lieu en février 2012. Le mouvement fait tâche d’huile en mars 2012. Au départ, le gouvernement refuse toute négociation et mène une campagne de dénigrement des étudiants, taxés d’« enfants gâtés » refusant de « faire leur juste part ». Il fait également le choix de la répression policière tous azimuts et parie sur l’épuisement de la mobilisation, après le succès de la grande manifestation du 22 mars qui a réuni entre 300 000 et 400 000 personnes dans les rues de Montréal.

Au plus fort de la mobilisation vers la fin du mois de mars 2012, on compte plus de 300 000 étudiants grévistes sur un total de 400 000 étudiants. La mobilisation s’installant dans la durée, le gouvernement de Jean Charest tente d’amadouer les organisations étudiantes en amendant à la marge son projet d’augmentation des frais d’inscription. Ses propositions sont massivement rejetées par les étudiants.

Le mouvement étudiant se politise et dépasse la simple contestation des frais de scolarité. C’est toute la politique du gouvernement Charest qui est contestée en bloc : hausse des tarifs d’Hydro-Québec, exploitation des gaz de schiste etc. Le débat public se cristallise autour du mouvement des carrés rouges. Chacun est invité à choisir son camp. Les opinions s’affichent sur les corps : carrés rouges pour les partisans de la grève, carrés verts pour la hausse des frais de scolarité.

Face à la persistance du mouvement étudiant, le gouvernement fait adopter au mois de mai 2012 une loi spéciale, qui restreint fortement le droit de grève et la liberté de manifester. L’adoption de cette loi marque un tournant dans le mouvement. La CLASSE, principale organisation étudiante appelle à la désobéissance civile. Les appuis à la mobilisation s’élargissent : Amnesty International dénonce une violation des libertés civiles, le barreau du Québec critique également la loi.

La population prend la rue, c’est le « mouvement des casseroles ». Le mouvement étudiant devient un mouvement social, qui mobilise de larges pans de la société civile : syndicats, associations environnementales, professeurs, partis politiques (Parti Québécois et Québec Solidaire). Lancées initialement par un professeur sur Facebook, les casseroles se sont rapidement réunies aux intersections névralgiques de leur quartier. Ces dernières se sont transformées en manifestations spontanées qui regroupent parfois plusieurs milliers de personnes. D’abord limitées aux quartiers centraux de Montréal, ces manifestations se sont peu à peu étendues à toute la province, notamment à la capitale provinciale, Québec. 

Le 1er août 2012, nouveau coup de tonnerre : le gouvernement Charest annonce l’organisation d’élections anticipées. Les élections ont lieu le 4 septembre 2012, dans une ambiance électrique. Le gouvernement Charest perd – de peu –  les élections face au Parti Québécois (PQ) de Pauline Marois. Le gouvernement PQ abroge par décret la hausse des droits d’inscription et la loi spéciale.

Carrés rouges et gilets jaunes : analyse comparée

Le mouvement des carrés rouges et le mouvement des gilets jaunes présentent des différences notables, qui dépassent la couleur de leur emblème.

Les carrés rouges ont mobilisé, pour l’essentiel, les classes moyennes éduquées des grands centres urbains du Québec (Montréal et Québec), tandis que les gilets jaunes sont surtout implantés dans la France périphérique. Le mouvement des carrés rouges a également davantage divisé et polarisé la société québécoise que les gilets jaunes en France. Cela tient au caractère inter-classiste des gilets jaunes et à l’enracinement plus précoce du discours libéral au Québec et au Canada. Enfin, le printemps érable a fait l’objet d’une intense campagne de mobilisation via des pétitions, des argumentaires etc. et ce dès la fin de l’année 2011. Alors que le mouvement des gilets jaunes est apparu de manière spontanée, comme un réflexe de survie.

Pour autant, en dépit des différences entre les acteurs impliqués, les lieux de mobilisations ou leur temporalité, il existe des caractéristiques communes entre ces deux mouvements. Tous deux constituent des moments populistes, où le peuple se construit par la conflictualité sociale. Balint Demers a livré une analyse du printemps érable dont nous restituons plusieurs fragments :

« La grève étudiante, si elle s’appuyait au départ sur une demande particulière (l’annulation d’une hausse des frais de scolarité universitaires), elle opéra bientôt un saut qualitatif : en approfondissant sa confrontation avec le pouvoir en place, elle creusa une frontière antagonique qui permit à un ensemble de demandes (luttes contre des projets d’extraction gaziers, ras-le-bol contre les scandales de corruption) de se condenser en une chaîne d’équivalence que la revendication étudiante en vint à représenter, ce qui fit de cette dernière un signifiant vide. D’ailleurs, le symbole de la grève, le carré rouge allait lui-même tendanciellement se vider de sa signification particulière (la défense de l’accessibilité aux études supérieures) pour incarner de quelque chose de beaucoup plus large, au point où le camp de l’opposition au pouvoir s’appellerait bientôt celui des carrés rouges. »

Le même processus est en œuvre s’agissant des gilets jaunes : au départ le mouvement s’appuie sur une demande particulière qui est le refus de l’augmentation de la taxe sur les carburants et agrège un ensemble de demandes comme le référendum d’initiative citoyenne ou le rétablissement de l’ISF qui lui confère une portée plus générale. Et comme pour le printemps érable, le gilet jaune fonctionne comme un signifiant vide.

Balint Demers ajoute que : « Dans un contexte post-politique où l’ordre libéral en crise demeure hégémonique et rejette toute véritable alternative à la marge, la conflictualité du social se trouve niée et des segments de plus en plus vastes de la population ne se sentent plus représentés. Le populisme apparaît alors comme un passage potentiellement nécessaire pour réactiver la démocratie en réintroduisant la conflictualité dans les espaces institutionnels. »

Les leçons du printemps érable

Les gilets jaunes tout comme les carrés rouges ont dû faire face à une intense répression policière, judiciaire et médiatique d’une ampleur inédite dans les deux cas. Face à cette répression, ces deux mouvements se sont installés dans la durée. Quelles ont été les facteurs qui ont permis aux carrés rouges de se maintenir pendant huit mois ?

Une des explications de la durée, du succès du printemps érable tient à sa capacité à associer la verticalité du mouvement, représentée par les organisations étudiantes (CLASSE, FEUQ, FECQ), leurs leaders (Gabriel Nadeau-Dubois, Jeanne Reynolds, Léo Bureau-Bloin etc.) et l’horizontalité des formes de mobilisations.

Cette association ne s’est pas accomplie sans tensions (les prises de position des portes-paroles de la CLASSE ont été à plusieurs reprises contestées par la base) mais elle a fonctionné. Le mouvement a combiné des actions décidées par les organisations étudiantes – notamment les manifestations des 22 mars, 22 avril, 22 mai, 22 juin – et des actions décidées par des groupes informels, réunis sur des bases affinitaires et relayées sur les réseaux sociaux. La multiplicité des formes d’actions, plus ou moins revendicatives (manifestations à vélo, manifestations de droite, manifestations de nuit etc.) a également permis de ménager des temps de pause et de renforcer la cohésion face à la répression.

Le lipdub rouge ci-après donne à voir plusieurs collectifs ayant joué un rôle important durant le mouvement : les rabbit crew, archi-contre pour ne citer qu’eux.

Devenir son propre média

Le printemps érable a pris appui sur un réseau de médias indépendants permettant de diffuser un récit alternatif à celui développé par les médias mainstream. Là où les médias dominants relayaient complaisamment les éléments de langage du gouvernement ou dénonçaient les violences étudiantes durant les manifestations, les médias alternatifs documentaient les violences policières ou retransmettaient les meetings étudiants. Parmi ces médias alternatifs, on peut citer CUTV, qui est à l’origine une chaîne de télévision située à l’Université de Concordia qui a gagné en visibilité durant le mouvement de 2012, le journal Ultimatum – journal édité par la CLASSE, la revue Fermaille ou 99%Média. Ces médias ont produit avec peu de moyens des vidéos très efficaces sur le plan communicationnel. Ces vidéos articulent des argumentaires rigoureux, étayés par des faits et des images, tout en mobilisant les affects. La vidéo ci-dessous constitue un exemple remarquable du travail accompli durant le printemps érable.

La lutte est (aussi) une bataille culturelle

La force et la durée du printemps érable s’explique également par le fait que ce mouvement social a mené la bataille culturelle. Elle s’est appuyée sur des médias mais également sur d’autres supports comme des affiches, des performances artistiques et d’autres acteurs.

On peut citer l’exemple de l’Ecole de la Montagne Rouge. Fondée par des étudiants en design de l’UQAM, elle se présente comme la branche créative du mouvement étudiant. « Ce sont surtout ses sérigraphies qui ont marqué l’imaginaire du printemps (…). Pour la grande manifestation du 22 mars, le collectif produit plus de 2 000 pancartes, telles l’état sauvage ». L’Ecole de la Montagne Rouge « tire son nom du Black Mountain College, un établissement ouvert dans les années 1930, en Caroline du Sud, aux Etats-Unis, où l’éducation n’était pas abordée de manière conventionnelle ».

On peut souligner le soutien apporté au mouvement par plusieurs artistes : le groupe de rap Loco Locass et sa chanson Libérez-nous des libéraux ou Yann Perreau qui a composé et chanté Le bruit des bottes.

Le mouvement tire également sa force de la réinterprétation de références culturelles québécoises. Ainsi, la vidéo Speak red réinterprète le poème Speak white, écrit par Michèle Lalonde en 1968, et fondé sur l’injure utilisée par les anglophones envers les francophones du Canada quand la langue française était utilisée en public.

Les corneilles et les récoltes

Si le printemps érable a tant polarisé la société québécoise, beaucoup d’étudiants s’attendaient, un peu naïvement, à ce que le mouvement provoque des changements profonds, rapides, sur les politiques menées au Québec. Les faits ont montré que l’hégémonie libérale dispose de nombreux garde-fous assurant sa défense. Après de timides concessions (abrogation de la hausse des frais de scolarité, moratoire sur l’exploitation du gaz de schiste, fermeture de la centrale nucléaire de Gentilly 2), le gouvernement péquiste de Pauline Marois en est rapidement revenu au consensus néolibéral et à ses politiques austéritaires. Il n’a d’ailleurs constitué qu’un intermède d’un an et demi. En 2014, les libéraux sont revenus aux affaires. Toutefois, les élections provinciales de 2018 ont été marquées par la forte progression de Québec Solidaire avec 16% des voix et 10 députés sur 125. La radicalité du mouvement de 2012 a fini par trouver un débouché politique.

Un texte des Zapartistes, intitulé les Les corneilles et les récoltes, illustre bien ce décalage entre les mouvements sociaux et les changements qu’ils provoquent. Il a été publié dans Le printemps québécois, une anthologie.

« Les Zapartistes se forment au tournant des années 2000, dans la mouvance altermondialiste, la Zone de libre-échange américain (ZLEA). Et à ce moment, après des mois de mobilisation de la société civile, des organisations militantes et des syndicats plus de 75 000 personnes venues de partout en Amérique défilent dans les rues de la Vieille Capitale [NDLR : Québec ville] (…). Et après, bien évidemment, on s’est demandé ce qu’il en restait. « Pas grand chose ! » clamèrent en chœur les corneilles perchées sur leurs clôtures. « Il n’y a plus personne dans les rues, on ne voit plus rien, le mouvement est mort ». (…) Et là…2012. Et le printemps que l’on connaît. Et voilà que l’on se questionne encore après les faits, une fois que les manifestants ont quitté la rue, alors que la circulation automobile a repris ses droits…Que reste-t-il de ce mouvement ? Les corneilles, haut perchées sur leur clôture de gérant d’estrade, craillent que si l’on ne voit plus rien, c’est qu’il n’y a plus rien. Que le mouvement est, cette fois, bel et bien mort et enterré. Et bien c’est tant mieux, nous suggère notre voix agricole intérieure. Si tout a été enterré, ça veut dire que tout a été semé. Et si les corneilles ne voient plus les graines, elles ne pourront pas nous les voler. Donc la prochaine récolte sera bonne. Encore meilleure que la précédente ».


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“Nous devons accéder à l’indépendance” – Entretien avec Gabriel Nadeau Dubois

Gabriel Nadeau Dubois

Gabriel Nadeau Dubois (27 ans) est l’ex-leader du mouvement étudiant québécois durant le “printemps érable” de 2012. Il s’est engagé récemment en politique et a rejoint le parti Québec Solidaire, dont il est devenu co-porte-parole avec Manon Massé. Il a également été élu député au sein de l’Assemblée Nationale du Québec, lors d’une élection partielle. Québec Solidaire (QS) est un parti de gauche indépendantiste, qui agit à l’échelle de la province du Québec, qui fait partie du Canada.

Cet entretien a été réalisé dans la perspective des élections provinciales du Québec qui auront lieu le 1er octobre 2018.

LVSL – Le Parti Libéral du Québec (PLQ) est au pouvoir au Québec, presque sans interruption, depuis 2003. Quel bilan tirez-vous de ces quasi 15 années de gouvernement PLQ ?

GND – Un bilan catastrophique, c’est à dire que les 15 dernières années au Québec se résument par l’affaiblissement marqué de ce qu’on a appelé le “modèle québécois”. Le Québec se distinguait du reste du Canada et de l’Amérique du Nord par des politiques sociales beaucoup plus progressistes, par un filet social beaucoup plus développé, par des services publics beaucoup plus forts, si bien que la société québécoise était la moins inégalitaire en Amérique du Nord.

Et cet “avantage québécois” en matière de modèle social a été considérablement affaibli par les 15 dernières années de pouvoir Libéral, où la fiscalité a été largement modifiée. Les services publics ont été affaiblis, notamment le réseau de la santé. Le réseau de santé a été incroyablement centralisé, et d’un certain point de vue privatisé par le pouvoir Libéral. Le système d’éducation a été chroniquement sous-financé pendant ces 15 années là.

Le territoire québécois s’est également désorganisé, le pouvoir Libéral a été très centralisateur. En matière de développement régional, en matière d’occupation du territoire, le Québec a reculé. Il faut comprendre que pour le Québec, qui est une société  installée sur un territoire extrêmement étendu, il est dramatique que des portions complètes de notre territoire aient été affaiblies et désorganisées par les politiques Libérales.

Du point de vue de la culture politique, ces 15 ans ont été très dommageables : les scandales de corruption à répétition ont énormément alimenté le cynisme et la désaffection à l’égard des institutions politiques. Donc je dirais que c’est la conscience politique des québécois qui a été affaiblie par 15 ans de régime Libéral.

LVSL – Parlons à présent de la scène politique québécoise. A l’approche des élections provinciales qui auront lieu le 1er octobre, le Parti Libéral du Québec semble en difficulté.  On perçoit également une recomposition du champ politique. Comment appréhendez vous l’évolution des rapports de forces politiques à l’approche des élections provinciales ?

GND – Ce qui est clair en ce moment, c’est qu’il y a une forte volonté de la population québécoise d’en finir avec le Parti Libéral du Québec. Il y a également une très grande fatigue à l’égard de la classe politique traditionnelle et des partis politiques d’alternance. Ce qui fait que ce double contexte là, “souffle dans les voiles” de la Coalition Avenir Québec, qui est un parti de droite, parfois assez populiste, qui en fait fusionne les politiques économiques néolibérales du Parti Libéral du Québec et les politiques identitaires du Parti Québécois.

C’est une conjoncture qui n’est pas du tout désespérée pour Québec Solidaire. Parce que nous ne sommes pas issus des partis politiques traditionnels, les gens reconnaissent qu’on incarne une option de changement. Le travail qu’on a à faire pour les prochaines élections, c’est de convaincre les québécois et les québécoises que le changement dans lequel se drape la Coalition Avenir Québec n’en est pas un. Et qu’il s’agit des mêmes vieilles recettes que celles du Parti Libéral et du Parti Québécois.

Question : J’ai cru comprendre que la Coalition Avenir Québec (CAQ) a gommé les aspérités de leur programme :  c’était un parti qui était très anti-étatiste à l’origine. Et là, pour oser la comparaison, on a presque l’impression d’une tactique à la Macron, de fusion entre un centre-gauche et un centre-droit…

GND – Cette comparaison n’est pas inintéressante, dans la mesure où la brochette de candidats et de candidates qui se regroupent autour de François Legault [NDLR : François Legault est le leader de la CAQ] sont essentiellement des rescapés des autres formations politiques : des anciens Libéraux, des anciens Péquistes, qui se rassemblent autour d’une espèce d’extrême centre particulièrement difficile à définir, mais dont l’ADN réel est un agenda politique néolibéral.

On peut faire certains parallèles avec la France et Macron. La différence étant peut-être la figure de François Legault, qui est un “vieux routier” de la politique. C’est un ancien ministre du Parti Québécois, qui est en politique depuis plusieurs décennies. Il ne peut pas prétendre incarner la jeunesse et le renouveau comme a pu le faire Emmanuel Macron. Il a été ministre de plusieurs ministères importants, lors du virage néolibéral du Parti Québécois, à la fin des années 90. Il est lui même responsable d’une série de politiques publiques, qui ont fait assez mal au réseau d’éducation et au réseau de la santé. Et c’est d’ailleurs un peu ça son génie. Ce qui est fascinant, c’est cette capacité à se draper des oripeaux du changement, alors que c’est un ancien fondateur de compagnie aérienne, richissime, et qui tourne autour du pouvoir politique au Québec depuis plusieurs décennies.

Question : Québec Solidaire a été fondé en 2006. Québec Solidaire est parvenu, au fur et à mesure, à gagner des députés et détient, à ce jour, trois sièges à l’Assemblée Nationale du Québec, tous élus à Montréal. Ces élections semblent particulières dans l’histoire de votre parti. Elles constituent une sorte de “passage de témoin”, avec le retrait de deux figures importantes (Amir Khadir  et  Françoise David), votre arrivée à la tête de Québec Solidaire en compagnie de Manon Massé, et l’arrivée de nouvelles têtes (Vincent Marissal, Ruba Ghazal). Quels sont les objectifs de Québec Solidaire pour ces élections ? Et quelles sont les principales propositions mises en avant par Québec Solidaire ?

Il est clair que c’est une élection extrêmement importante pour Québec Solidaire. Ce “passage de témoin”, c’est l’arrivée d’une nouvelle génération à l’avant-scène pour notre parti politique, avec les départs de Françoise et d’Amir. Une nouvelle génération prend le devant de la scène. Je mettrais également Catherine Dorion dans la catégorie des nouvelles candidatures qui prennent de plus en plus de place au parti. Et c’est un gros test pour nous qui devons démontrer que nous sommes capables de garder notre pertinence politique et notre place sur l’échiquier, malgré le départ de ces deux figures qui ont été très importantes pour Québec Solidaire, mais aussi pour la politique québécoise en général.

Le test, c’est aussi d’accélérer le rythme de croissance, de passer d’un rythme de croissance assez lent, d’un député par élection, à un saut vraiment significatif en matière de nombre de députés. Ce sont nos objectifs, on veut également faire élire des députés à l’extérieur de la région de Montréal. Il s’agit de confirmer notre statut de force politique de premier plan, de prouver que nous sommes capables de faire élire des députés à l’extérieur de la région métropolitaine.

Campagne de Québec Solidaire pour le salaire minimum à 15$ de l’heure.

En terme de contenus politiques, notre grand défi est de gagner en crédibilité. Quand on fait des sondages d’opinion, les gens connaissent les valeurs de Québec Solidaire. L’enjeu pour nous, c’est de faire la preuve que ces valeurs peuvent s’incarner dans des mesures politiques concrètes. Montrer qu’un Québec sous un gouvernement Solidaire serait différent, et comment il serait différent. Notre campagne va être organisée comme cela. Elle sera centrée sur une série d’engagements qui sont audacieux, qui sont clivants, mais qui sont concrets. Par exemple, l’instauration d’une assurance dentaire publique et universelle au Québec, la fin du financement public des écoles privées, la réduction drastique des coûts du transport en commun, l’augmentation du salaire minimum à 15$ de l’heure. Des mesures qui sont concrètes, qui sont spécifiques et qui distinguent Québec Solidaire des autres formations politiques.

LVSL – J’ai lu que Québec Solidaire s’inspirait de la “méthode Sanders”. En quoi précisément vous inspire-t-elle ? Et est ce qu’il y a des des expériences d’outre-atlantique (Podemos, France insoumise) qui constituent une source d’inspiration ?

GND – L’idée de faire campagne sur un nombre restreint de mesures précises fait partie de la stratégie de campagne de Sanders, et c’est une de nos sources d’inspiration. Sinon, il nous inspire beaucoup en matière d’organisation politique. On tente de plus en plus de nous structurer comme un mouvement, de manière de plus en plus décentralisée, plus ouverte,  en laissant  plus d’autonomie aux militants et aux militantes sur le terrain. C’est le pari qu’on fait. C’est ce qui avait permis à Sanders de déjouer tous les pronostics et de générer une mobilisation sans précédent, notamment chez les jeunes. Cette manière de mener campagne nous inspire. Je pense que cela nous rapproche aussi de certaines expériences européennes que vous avez nommées, qui faisaient aussi le pari d’une implication maximale sur le terrain. Cela leur avait permis de mobiliser la jeune génération. Québec Solidaire est le parti dont l’électorat est le plus jeune au Québec. Alors on se dit qu’il faut profiter de l’avantage de disposer de nombreux militants et militantes dans la fleur de l’âge et qui ont du temps à donner.

Question – La “question nationale” structure, dans une large mesure, le champ politique québécois depuis les années 1960. Historiquement, la revendication de l’indépendance était portée par le Parti Québécois, tandis que le Parti Libéral du Québec incarnait le “bloc fédéraliste”. Or, la revendication de l’indépendance est devenue secondaire dans l’agenda du Parti Québécois (PQ). La CAQ ne défend pas un projet indépendantiste. Au final, seul Québec Solidaire met en avant l’indépendance du Québec dans son projet politique. Est-ce que pouvez expliciter ce que vous attendez de l’indépendance de la province, et de quelle façon vous articulez l’indépendance à la question sociale, environnementale, et à la relation du Québec avec le monde ?

GND – Sur  la question de l’indépendance, il est clair que les temps ont changé. Ce qui était avant un enjeu déterminant pour le choix des électeurs ne l’est plus autant. Pour de plus en plus de gens, la question de l’indépendance n’est plus la question de l’urne, comme ont dit. C’est un fait qui est difficile à nier.

Ceci étant dit, cela ne rend pas, en soi, le projet d’indépendance caduque pour autant. Si on est sérieux dans nos volontés de changement social, dans notre volonté de transformation de la société québécoise, on ne peut que constater que le cadre constitutionnel canadien n’est pas à la hauteur.

Campagne de Québec Solidaire contre l’exploitation des hydrocarbures.

Il n’est pas possible de mettre fin au libre-échange néolibéral pour négocier des accords commerciaux plus justes, tout en restant une simple province à l’intérieur du Canada. Même chose en matière de transition énergétique, il n’est pas possible de faire une transition énergétique au Québec en restant à l’intérieur du Canada. Ne serait-ce que parce que les compétences en matière d’énergie sont détenues par le gouvernement fédéral. Les décisions récentes de Justin Trudeau [NDLR, Premier Ministre du Canada] confirment cela : il est allé jusqu’à financer un projet de pipeline qui permet d’exporter le pétrole des sables bitumineux de l’Alberta via la Colombie Britannique. L’État Canadien reste un État pétrolier, un État dont le développement est essentiellement fondé sur l’exploitation pétrolière Albertaine, qui est la forme de production d’énergie fossile la plus polluante au monde.

Il faut aussi rappeler que le Canada est encore une monarchie constitutionnelle, et même du point de vue de la réorganisation des pouvoirs, il n’est pas possible de le faire à l’intérieur de ce cadre constitutionnel là. Donc, pour des raisons économiques et commerciales, pour des raisons énergétiques, pour des raisons démocratiques aussi, nous devons accéder à l’indépendance. On pourrait continuer la liste longtemps. Je pourrais parler également de l’importance de la protection et de la promotion de la culture québécoise, de la langue française, etc. Les grands changements sociaux et économiques dont le Québec a besoin ne sont pas possibles à l’intérieur d’un cadre constitutionnel aussi archaïque et autoritaire que le cadre Britannique.

LVSL – S’il fallait définir le peuple québécois, sur quelles bases le définiriez-vous ? Quel discours portez-vous vis à vis des minorités anglophones ou des Premières Nations ?

GND – Le peuple québécois, la nation québécoise, pour nous, est définie de manière civique. Ce sont les gens qui occupent le territoire du Québec et qui y vivent. C’est une définition qui est ouverte, inclusive, et basée sur une dimension civique de ce qu’est la nation québécoise du 21eme siècle. Il s’agit d’une nation diversifiée sur le plan des provenances nationales. mais qui s’organise néanmoins autour d’une langue commune, le français. Le français est la langue commune de nos grands débats politiques et de notre avenir politique. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres communautés culturelles. La communauté anglophone, par exemple, est une composante historique importante, dont il faut protéger les droits. Mais le coeur du Québec bat toujours en français, et cela reste la langue autour de laquelle s’organise la vie commune. Ce qui fait la force de l’approche de Québec Solidaire, est justement qu’elle est équilibrée. Il y a à la fois une reconnaissance de l’existence de la nation québécoise, et une volonté de la définir de manière ouverte et inclusive.

L’identité québécoise, c’est deux choses : c’est à la fois un héritage et un projet. Un héritage, bien sûr, parce qu’il y a un parcours historique particulier, qui est celui du peuple québécois, qui est marqué par le fait français, par la conquête, par les luttes des québécois et des québécoises pour leur émancipation, pour leur auto-détermination. Et c’est aussi un projet. Ce n’est pas seulement quelque chose qui est derrière nous, c’est quelque chose qui est devant, et qui est à construire avec les québécois et les québécoises d’aujourd’hui. Cette conception de l’identité québécoise s’incarne aussi dans notre vision de l’indépendance du Québec. Ce n’est pas un projet de repli, ce n’est pas un projet de crispation identitaire. C’est un projet d’ouverture, qui rime avec progrès social, avec inclusion et avec démocratie.

Il y a un sujet qu’il faut aussi aborder qui est la question des Premières Nations. Nous disons souvent qu’il y a la nation québécoise, mais il y a aussi les 11 nations autochtones avec qui nous partageons le territoire du Québec. Notre projet d’indépendance, on souhaite le faire avec les Premières Nations et non contre elles. C’est au cœur de notre stratégie d’Assemblée constituante : l’idée que l’indépendance se ferait en reconnaissant, de manière pleine et entière, l’autodétermination des peuples autochtones et leur droit inaliénable à décider de leur avenir par eux-mêmes.

Notre projet est celui, d’une république sociale et on veut que tout le monde en fasse partie. Cela nous distingue du Parti Québécois et de son tournant vers un nationalisme beaucoup plus conservateur et crispé. Cela nous distingue aussi du Parti Libéral. Le PLQ prétend constamment être le champion de la diversité et de l’inclusion sociale, alors que dans les faits, leurs politiques économiques ont contribué à marginaliser et à appauvrir les communautés issues de l’immigration. Québec Solidaire est le seul parti capable de réconcilier la volonté d’autodétermination de la société québécoise et la volonté que ce projet se fasse en incluant toutes les québécois et les québécoises.


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