MBS : après l’hubris, l’aveu de faiblesse du prince saoudien

Donald Trump et sa femme Melania, en compagnie du général Sissi et du roi Salman d’Arabie Saoudite. © Wikimedia Commons Official White House Photo by Shealah Craighead

Depuis son arrivée au pouvoir il y a deux ans, le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane (abrégé en MBS) a multiplié les démonstrations de force sans obtenir de succès sur la scène internationale. Au contraire, les récentes attaques sur des installations pétrolières saoudiennes démontrent la faiblesse militaire de la pétromonarchie surarmée qui peine à réagir. Alors qu’Abou Dhabi s’est désengagé de la guerre au Yémen, il semble désormais que ce soit les limites de l’alliance avec les États-Unis qui aient été atteintes. Conclure à l’isolement de l’Arabie saoudite serait pourtant excessif.


Une puissance militaire à relativiser

Premier importateur mondial et troisième budget militaire mondial avec 68 milliards de dépenses en 2018, l’Arabie Saoudite ne rechigne devant aucune dépense pour accroître ses stocks d’armes. À tel point que 10% de son PIB y aurait été consacré en 2017, selon les données du SIPRI. Une aubaine pour les fabricants d’armes occidentaux, qu’ils préfèrent le cacher ou s’en vanter ouvertement, comme lors d’une rencontre avec MBS où Donald Trump avait énuméré les montants des commandes conclues. Si le royaume importe autant d’armes, c’est en raison de la faiblesse de son industrie militaire nationale, qui ne couvrait en 2017 que 2% de sa demande. Un chiffre que MBS souhaite faire grimper à 50% en 2030, notamment en regroupant plusieurs entreprises du secteur au sein de Saudi Arabian Military Industries. Cet objectif a toutes les chances de rester un vœu pieux. Malgré les annonces en grande pompe d’une sortie du tout-pétrole sous le nom de “Vision 2030”, l’économie saoudienne reste en effet fondamentalement centrée autour de la rente des hydrocarbures et de la spéculation qui nourrit le secteur du BTP.

Plus généralement, c’est la puissance toute entière de l’armée saoudienne qu’il faut nuancer: malgré un équipement très moderne et l’appui des pays occidentaux pour former ses troupes, les résultats sont encore très décevants. Preuve en est que tous les systèmes de défense n’ont pas suffi à contrer totalement les récentes attaques de missiles courte-portée et de drones contre des installations pétrolières stratégiques pour le royaume. Un spécialiste des ventes d’armes à l’Arabie saoudite interrogé par Mediapart déclare ainsi : « c’est un secret de Polichinelle depuis fort longtemps que l’armée de l’air saoudienne ne vaut pas grand-chose en dépit de ses jets flambant neufs, et que ses officiers, de manière générale, préfèrent les bureaux climatisés au désert ». Cette faiblesse oblige l’Arabie saoudite à compter sur le soutien de ses alliés dans chaque conflit où elle s’engage. Ainsi, les achats militaires faramineux du royaume des Saoud permettent d’acheter le soutien des pays occidentaux. Pour les États-Unis, qui ne cessent de se plaindre du coût de la protection qu’ils offrent à leurs alliés, notamment européens, cela compte.

Ainsi, si la coalition en guerre contre les rebelles houthistes au Yémen est chapeautée par l’Arabie Saoudite, l’aide américaine en matière de renseignements et de ravitaillement aérien est indispensable pour mener les bombardements. Surtout, Riyad pouvait compter jusqu’à récemment sur la présence au sol de troupes émiraties très entraînées. Cependant, après 4 ans de conflit au bilan humain et sanitaire désastreux et en l’absence de perspectives de victoire, Mohammed Ben Zayed (dit MBZ), leader des Émirats arabes unis depuis 2014, a choisi de rapatrier ses troupes. Si la proximité entre MBS et MBZ demeure forte, les Émirats semblent avoir choisi de se contenter d’une partition du Yémen dans laquelle la moitié Sud serait contrôlée par des milices sous perfusion, permettant à Abou Dhabi d’avoir accès au port d’Aden, proche du très stratégique détroit de Bab-el-Mandeb. N’ayant pu empêcher ce retrait, l’Arabie saoudite se retrouve obligée de choisir entre la poursuite d’une guerre ingagnable ou l’acceptation d’une division entre Sud sous influence émiratie et Nord aux mains des rebelles houthis soutenus par son ennemi de toujours, l’Iran. Des négociations secrètes au Sultanat d’Oman pourraient même avoir été initiées. Les rêves de victoire rapide de MBS semblent avoir fait long feu…

Qatar : le frère ennemi

Une seconde décision majeure de MBS a également tourné au fiasco: la confrontation avec le Qatar. Depuis longtemps déjà, la réussite insolente de l’émirat gazier, notamment l’obtention de la coupe du monde 2022 de la FIFA et le succès de Qatar Airways et d’Al-Jazeera, suscitait la jalousie des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite. Mais les printemps arabes ont marqué une rupture: l’émir Tamim Ben Hamad Al-Thani a fait le choix de soutenir les Frères musulmans en leur offrant armes, financements et propagande sur ses chaînes satellites. Un acte inacceptable pour MBS et MBZ puisqu’il s’agit de la principale force d’opposition à leur pouvoir autocratique. Invoquant la relation cordiale que le Qatar entretient avec l’Iran – qui lui permet d’exploiter des gisements sous-marins en commun – MBS et MBZ ont annoncé un embargo et une interdiction de leur espace aérien aux appareils qataris du jour au lendemain et exigé l’impossible pour le lever. Trump, qui connaissait très mal la région, s’est laissé duper par ses partenaires très doués en lobbying et est allé jusqu’à dénoncer publiquement le soutien du Qatar à des groupes terroristes, avant de réaliser que la plus grosse base militaire américaine au Moyen-Orient y est située.

Alors que l’Arabie saoudite et les Émirats préparaient l’invasion de la péninsule qatarie, qui dispose des troisièmes réserves mondiales de gaz, Washington fit marche arrière au dernier moment. Le blocus, lui, demeure. Doha a pourtant su s’y adapter grâce aux moyens illimités dont il dispose, allant jusqu’à importer des milliers de vaches pour satisfaire sa demande intérieure de produits laitiers. La cohésion nationale s’est renforcée et l’émir a bénéficié d’une vague de soutien populaire inespérée. L’augmentation des achats d’armes et des dépenses de lobbying auprès des Occidentaux a fait le reste, garantissant une certaine tranquillité au Qatar dans la période à venir. Humiliée, l’Arabie saoudite est allé jusqu’à menacer de transformer son voisin en île en creusant un canal le long des 38 kilomètres de frontières que partagent les deux pays! Une surenchère verbale qui peine à masquer un nouvel échec, qui a contribué à décrédibiliser MBS aux yeux des Occidentaux.

 

Iran : Trump ne veut pas la guerre (pour l’instant)

Donald Trump et Mohamed Ben Salmane à la Maison Blanche en 2018. © The White House

Or c’est bien un désintérêt des Américains pour le Moyen-Orient que Riyad doit craindre le plus. À la suite des attaques récentes, qui ont interrompu la moitié de la production saoudienne de pétrole, Washington s’est contenté d’annoncer des envois de troupes en Arabie saoudite, de nouveaux systèmes anti-missiles et de nouvelles sanctions contre la Banque centrale et le Fonds souverain de l’Iran. Au vu de la rhétorique extrêmement belliqueuse de l’administration Trump contre l’Iran depuis des mois et de l’ampleur des dégâts, on pouvait s’attendre à une riposte plus violente encore. Alors que Mike Pompeo, “faucon” en charge des affaires étrangères et ancien directeur de la CIA, a parlé “d’actes de guerre”, le président américain est resté très flou sur ses intentions et a rappelé le bilan catastrophique de la guerre d’Irak lorsqu’on l’a interrogé sur la possibilité d’un nouveau conflit. Bien que le Pentagone soit encore truffé de néoconservateurs impatients d’en découdre avec Téhéran malgré le départ symbolique de John Bolton, l’hôte de la Maison Blanche a donc choisi la modération. 

Déstabiliser un état de 80 millions d’habitants, voisins de deux pays en proie à la guerre civile permanente, l’Afghanistan et l’Irak, est extrêmement risqué.

L’Iran, qui exige un retrait des sanctions économiques pour tenir des discussions avec Washington, a pris Trump à son propre jeu. Bien qu’il ait passé son temps à multiplier les gestes offensifs envers le régime chiite, Trump préfère éviter une guerre autant que possible. Celui qui déclarait en 2011 qu’Obama déclarerait la guerre à l’Iran pour se faire réélire sait bien que ce jeu est risqué. Un récent sondage indiquait d’ailleurs que seulement 13% des Américains soutiennent une guerre contre Téhéran, et que 25% souhaitent que leur pays se désengage totalement de la région. Certes, un conflit peut permettre de souder la population américaine derrière son président pendant quelque temps, mais risque surtout de finir en bourbier. Avec une population galvanisée dans son hostilité aux USA depuis longtemps, le renforcement des ultraconservateurs suite au retour des sanctions et des forces militaires tout à fait en mesure de défendre leur pays, une guerre en Iran aurait toutes les chances de terminer en nouveau Vietnam. Déstabiliser un état de 80 millions d’habitants, voisins de deux pays en proie à la guerre civile permanente, l’Afghanistan et l’Irak, est extrêmement risqué.

Or, Trump a fait de la critique de la guerre d’Irak un point majeur de sa critique de l’establishment politique américain, qu’il s’agisse de ses concurrents à la primaire républicaine ou d’Hillary Clinton. Le désengagement total de la guerre d’Afghanistan a certes été compliqué par la multiplication récente du nombre d’attentats perpétrés par les talibans, qui souhaitent renforcer leur poids à la table des négociations, mais les effectifs américains sur place vont fondre de 14 000 à 8 600. Et Trump semble ne pas avoir renoncé à annoncer la réalisation de cette promesse de campagne d’ici l’élection présidentielle de l’an prochain. En Syrie, l’occupant de la Maison Blanche a pris acte d’une victoire à la Pyrrhus de Bachar El-Assad et a renoncé à toute ingérence ou presque, laissant Erdogan et Poutine gérer la situation. Plus généralement, avec une popularité limitée et les menaces de récession économique, le président américain préfère aborder sa dernière année de mandat de façon prudente et parler immigration. Enfin, grâce au développement spectaculaire de la production de gaz de schiste, les USA sont désormais capables de satisfaire leurs besoins énergétiques eux-mêmes, voire d’exporter.

Une pétromonarchie entourée d’alliés fragiles

Conclure à l’isolement de l’Arabie saoudite serait toutefois excessif. Même s’il est contraint de modérer ses ardeurs depuis la révélation de l’assassinat effroyable du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien d’Istanbul, MBS sait que Washington ne l’abandonnera pas. Depuis le pacte du Quincy en 1945, le royaume partage en effet une grande proximité stratégique avec les États-Unis. Bien qu’il ait toutes les chances d’échouer, “l’accord du siècle” préparé par Jared Kushner, gendre de Trump, autour de la question israélo-palestinienne, devrait offrir une nouvelle occasion d’affirmer la solidité de cette alliance. En échange d’une participation financière des Émiratis et des Saoudiens à une “reconstruction” de la Palestine à laquelle personne ne croit, MBS et MBZ scelleraient définitivement leur alliance avec Israël. Ce rapprochement avec Tsahal, qui dispose de la bombe nucléaire et d’une industrie de défense parmi les plus développées au monde, est recherché depuis longtemps par Riyad.

L’Arabie saoudite peut également compter sur l’Égypte du général Al-Sissi, qui a renversé le président Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, en 2013. Néanmoins, l’annonce en 2016 de la restitution par l’Égypte de deux îles de la mer Rouge, Tiran et Sanafir, à son voisin saoudien a été très mal perçue. Malgré les 25 milliards de dollars d’investissements saoudiens obtenus en contrepartie, Sissi a compromis son propre discours nationaliste par cette décision. Plus généralement, les difficultés économiques rencontrées par l’Égypte et l’insurrection dans la péninsule du Sinaï empêchent Le Caire de participer pleinement aux opérations de la coalition saoudienne au Yémen. Plus au Sud, la révolution soudanaise a fait craindre le pire à Riyad et Abou Dhabi. S’ils semblent pour l’instant avoir repris la main en soutenant à bout de bras “l’État profond” soudanais, la situation demeure instable.

En définitive, la stratégie très offensive de MBS et de MBZ a fini par montrer ses limites. Au lendemain d’attaques sur son industrie pétrolière, l’Arabie saoudite va devoir rassurer les investisseurs potentiels dans la future privatisation d’Aramco, et donc éviter la surenchère guerrière. Alors que les escarmouches avec l’Iran sont sérieusement montées en puissance cette année, Riyad a besoin de s’assurer du soutien d’Israël et des États-Unis en cas de conflit. Or, Israël est actuellement en crise politique tandis que Donald Trump doit faire campagne et combattre une procédure d’impeachment. Cela suffira-t-il pour que MBS, grand adepte des jeux vidéo de combat, calme ses pulsions de va-t-en-guerre ?

L’Iran, la nouvelle cible des néoconservateurs

L’ayatollah Khomeiny, fondateur de la République islamique d’Iran, et son successeur Ali Khamenei, représentés sur les murs d’une mosquée de Téhéran © Vincent Ortiz pour Le Vent Se Lève.

L’Iran, qui a fêté le 11 février 2019 le quarantième anniversaire de sa révolution islamique, s’est de nouveau retrouvé au cœur de l’actualité avec la menace d’une guerre américaine qui pèse sur lui comme une épée de Damoclès. Si le pays traverse de réelles tensions internes, accrues par les sanctions unilatérales en provenance des États-Unis, il jouit également de sa position géopolitique la plus confortable depuis 1979. État des lieux de la situation paradoxale dans laquelle se trouve la nouvelle proie des néoconservateurs. Par Léa Meyer et Benjamin Terrasson.


Le mois de mai a été particulièrement tendu dans le Golfe persique. Les États-Unis, guidés par leur doctrine de pression maximale visant à faire chuter le régime iranien, ont annoncé au début du mois leur intention de mettre fin aux passe-droits permettant à certains États d’acheter du pétrole iranien. Ces pays sont au nombre de huit, parmi lesquels la Chine, l’Inde, la Turquie, l’Irak… Une telle décision a des conséquences plus que problématiques sur une économie iranienne déjà exsangue. Le 12 mai, lorsque 4 tankers ont été attaqué dans le détroit d’Ormuz – dont deux saoudiens – les projecteurs se sont braqués sur l’Iran, sans que l’on en sache plus à l’heure actuelle. Deux jours plus tard un oléoduc saoudien était visé par un drone venu du Yémen. Ces prétextes ont été immédiatement saisis par Donald Trump, son secrétaire d’État Mike Pompeo et John Bolton, conseiller à la sécurité nationale proche des néoconservateurs, pour faire monter la pression. La 5ème flotte américaine (un porte-avions, plus de 1500 hommes et des bombardiers) ont été envoyés dans le Golfe, les représentants diplomatiques américains présents en Irak ont été pour partie rapatriés, le tout accompagné de discours en provenance des deux bords soufflant le chaud et le froid sur la perspective d’une guerre. Les tensions ont légèrement décru jusqu’à une nouvelle attaque de tanker, le 13 juin, encore attribuée à l’Iran, qui s’en est défendu. Une étincelle, peut-être celle-là, pourrait suffire pour enclencher une mécanique d’escalade des tensions.

Cet état de tension critique contraste avec la situation géopolitique d’ensemble de l’Iran, relativement confortable.

L’invasion américaine de l’Irak a paradoxalement favorisé un régime désigné membre de « l’axe du mal » par George W. Bush et les néoconservateurs américains.

L’Iran – ce n’est pas la moindre de ses réussites – est parvenu à transformer son plus grand rival régional, l’Irak, en allié. L’intervention américaine de 2003 a bouleversé les relations entre les deux pays et l’équilibre de la région. La chute de Saddam Hussein est celle d’un adversaire personnel de l’Iran. En 2015, lorsque les Gardiens de la Révolution (aussi appelés Pasdaran) récupèrent la ville de Tikrit des mains de l’État islamique, ils atteignent la ville d’origine de Saddam Hussein. Ils plantent alors un drapeau iranien sur le mausolée de l’ancien dictateur. L’invasion américaine de l’Irak a paradoxalement favorisé un régime désigné membre de « l’axe du mal » par George W. Bush et les néoconservateurs américains. Pour l’Iran, un concurrent régional majeur a subitement disparu. Mieux : le nouveau système politique irakien a permis à la population chiite, majoritaire, de prendre le pouvoir. Un rapprochement s’est naturellement opéré. L’Iran a dès lors envoyé ses unités d’élites, les Force Al-Qods, secourir l’Irak chiite contre l’État Islamique, influencé par les généraux sunnites déchus du régime baasiste. Le 11 mars, à l’occasion de la première visite d’État du président iranien Hassan Rohani à Bagdad, son homologue irakien, Barham Saleh, s’est déclaré « chanceux » d’avoir l’Iran pour voisin.

Ces relations de voisinage apaisées ouvrent de belles perspectives à l’Iran, et la porte de la Méditerranée. Bachar el-Assad est un allié historique de l’Iran. En survivant à la guerre civile débutée en 2011 et à l’État islamique officiellement disparu en mars 2019, il représente un atout de choix pour les Iraniens. À proximité de la Syrie, le Liban est lui aussi très attentionné vis-à-vis de l’Iran. Téhéran est le grand argentier du Hezbollah libanais chiite et de sa branche armée, qui constituent pratiquement les seules forces militaires de ce petit pays. La route semble donc toute dégagée pour permettre au pétrole et au gaz iraniens de faire leur chemin jusqu’à la Méditerranée et à l’Europe. Toutefois, rien n’est encore certain. L’assise territoriale de l’EI a disparu mais pas son influence dans la région. La guerre a particulièrement frappé les infrastructures pouvant permettre l’acheminement des ressources.

L’Iran semble également avoir maîtrisé la menace saoudienne, du moins sur le court terme. Par son soutien particulièrement appuyé à la rébellion des Houthis chiites relancée en 2014, le pays des mollahs a contraint les Saoudiens à s’embourber dans une guerre atroce et interminable qui les a considérablement affaiblis. Le Qatar, placé sous embargo par l’Arabie saoudite, l’a en grande partie été pour la relation qu’il entretient avec l’Iran. Le Bahreïn et sa population majoritairement chiite a menacé de basculer avec les printemps arabes. Enfin, les Émirats Arabes Unis et Oman partagent des intérêts économiques et géographiques sur le Golfe Persique et le détroit d’Ormuz avec l’Iran.

Incontestablement, les Iraniens jouissent aujourd’hui des meilleurs atouts géopolitiques de la région. Un état de fait qui a le don d’agacer prodigieusement Donald Trump. La ratification de l’accord de Vienne, qui a mis fin aux ambitions nucléaires de l’Iran, a été particulièrement complexe. Longtemps bloqué par la position ferme du président conservateur Mahmoud Ahmadinejad, un accord de principe est signé en 2013 entre les cinq membres du conseil de sécurité, suivis de l’Allemagne et de l’Iran, suite à de fortes pressions exercées par les États-Unis.

L’objectif avoué de Donald Trump, conseillé par le néoconservateur John Bolton, est de provoquer la chute d’un régime honni des Etats-Unis depuis sa naissance en remettant en cause l’accord sur le nucléaire. La révolution islamique de 1979 a fait perdre aux États-Unis un véritable pays de Cocagne – des contrats d’armement juteux, des ressources pétrolières abondantes, etc. -, un vassal géopolitique dans la région, et lui a infligé un revers diplomatique humiliant. La crise des otages, l’enlèvement sous les yeux du monde entier de 56 Américains pendant plus d’un an, ont infligé une blessure d’orgueil profonde au pays de l’Oncle Sam. Un courant néoconservateur très influent au sein de l’État américain pousse en permanence à une action vengeresse contre l’Iran. Donald Trump, qui y est sensible, a agi pour le rétablissement des sanctions économiques. Elles infligent des dommages généraux à la société iranienne, mais touchent avant tout les foyers les plus modestes. Entre mars et novembre 2018, l’économie iranienne s’est contractée de 3,8%. L’anticipation des sanctions et une politique extérieure très ambitieuse ont eu un impact sur l’économie iranienne dès 2016. Le pays était déjà frappé en 2017 d’un taux de chômage dépassant les 11%. La population, qui a été la première à subir les conséquences des sanctions, doit de nouveau faire face à une inflation galopante et à une pénurie des biens de consommation.

L’élection présidentielle à venir marquera un tournant décisif quant à l’avenir du régime de la République islamique et de sa capacité à répondre aux aspirations de sa population, qu’elles soient sociales ou économiques.

Dès fin 2017 près de Machhad, au nord-est du pays, les manifestations fleurissent, touchant même la cité sainte de Qom, une première sous ce régime théocratique autoritaire. Les mouvements sociaux se multiplient et fragilisent le président Hassan Rohani, déjà très impopulaire depuis sa réélection en 2017. Pourtant, le régime conserve une forme de stabilité que les États-Unis souhaitent mettre à mal en jouant sur le nerf de la guerre : le pétrole. Dès le 22 avril, Donald Trump promet d’empêcher la totalité des exportations iraniennes ; menaces mise à exécution début mai.

L’élection présidentielle iranienne a mis en lumière le clivage entre une élite révolutionnaire vieillissante, nationaliste et conservatrice représentée par l’ayatollah Khamenei, et le réformiste Rohani, réélu en 2017 pour un mandat de quatre ans. Une réélection suivie fin décembre 2017 par une vague de contestations, la plus importante que le pays ait connue depuis 2009 et la réélection du conservateur Mahmoud Ahmadinejad. Rohani semble avoir perdu une grande partie de ses soutiens réformateurs et reste la cible des critiques conservatrices. Les deux camps politiques semblent déconnectés des réalités sociales de leur pays et inconscients des aspirations de la jeunesse iranienne. Les manifestations contre le régime sont violemment réprimées. Selon les chiffres d’Amnesty International, en 2018, 7 000 personnes ont été arrêtées et au moins 26 manifestants ont été tués dont 9 sont morts dans des conditions suspectes pendant leur détention. En cinq ans, le gouvernement de Rohani a exécuté pas moins de 87 femmes. Le 11 mars, l’avocate et militante des droits de l’Homme Nasrin Sotoudeh, emprisonnée pour « rassemblement et collusion contre le régime » a été condamnée par le tribunal révolutionnaire de Téhéran à 38 ans de prison et 148 coups de fouet. Des manifestations en son soutien ont eu lieu, principalement dans la capitale iranienne. Ces tensions représentent une vraie menace intérieure de déstabilisation pour le régime. L’élection présidentielle à venir marquera un tournant décisif quant à l’avenir du régime de la République islamique et de sa capacité à répondre aux aspirations populaires, qu’elles soient sociales ou économiques.

L’autre grande menace pour la stabilité du régime vient de sa force armée, le corps des Pasdaran. Constituée comme une troupe fidèle à la révolution face aux militaires de métier du Chah dont se méfiait l’Ayatollah, elle joue aujourd’hui un rôle de plus en plus important. Les anciens combattants Pasdaran engagés lors de la guerre contre l’Irak, ont une forte influence politique. Mahmoud Ahmadinejad a été élu grâce à eux en 2005 en jouant sur un discours anti-élites, y compris anti-élites religieuses. Aujourd’hui, les gardiens de la révolution continuent de jouer un rôle de contrôle social par leur milice intérieure : les Bassidj. Mais d’après Gilles Kepel, chercheur spécialisé sur le Moyen-Orient une des menaces pour le président pourrait être « la montée de la figure charismatique de Qassem Soleimani [ndlr : chef des forces d’élite des Gardiens de la révolution]. Il pourrait signifier qu’un militaire prendrait l’ascendant sur les religieux ; on assisterait alors à la montée d’une sorte de nouveau Reza Chah, un homme fort, à la fois soutenu par les nationalistes et adoubé par les mollahs ? » Après avoir connu un nationalisme ethnique, arabe, perse, kurde, puis des tensions intimement liées aux questions religieuses, le Moyen-Orient pourrait s’acheminer, à l’image de l’Iran, vers un nationalisme teinté d’une religiosité bien stratégique.

Veillée d’armes au Cachemire

Narendra Modi © India Times

14 février 2019, un camion rempli d’explosifs tue 49 paramilitaires indiens dans la partie du Cachemire administrée par l’Inde. Très vite, l’attentat est revendiqué par Jaish-e-Mohammed, dont le chef, Masood Azhar, opère en toute quiétude depuis le Pakistan. L’Inde réagit coup pour coup. Le 26 février, un raid de 12 Mirage 2000 cible un centre d’entraînement djihadiste situé au-delà de la frontière indo-pakistanaise. 350 terroristes sont neutralisés. Dès lors, cet attentat agit comme un révélateur du jeu géopolitique qui met aux prises les grandes puissances mondiales dans la région. Récit. 


Rapidement, les premières mesures de rétorsion sont prises par l’Inde, qui assure détenir « des preuves irréfutables » de la complicité pakistanaise dans l’attentat. Le Pakistan perd son statut de nation la plus favorisée et les droits de douane indiens augmentent de 20% pour Islamabad. La machine diplomatique indienne se met en ordre de marche pour cibler la République islamique et l’isoler sur le plan international. Les Etats-Unis, quant à eux, demandent au Pakistan de « cesser immédiatement de soutenir et de prêter refuge à tous les mouvements terroristes actifs sur son sol ».

Puis viennent les représailles militaires. Comme en 2016, lorsqu’une attaque terroriste avait fait 18 morts dans un camp militaire indien, le Premier Ministre, Narendra Modi, envoie les Mirage 2000 cibler les camps d’entraînement des groupes terroristes qui opèrent depuis le Pakistan. L’Inde se prépare à la réponse du Pakistan. La surveillance à la frontière est renforcée. Médias et réseaux sociaux laissent paraître un soutien unanime des Indiens, à travers le mot-dièse #Indiastrikesback.

Pendant ce temps, la traque s’organise. Le 17 février, 23 hommes soupçonnés d’être impliqués dans l’attentat sont arrêtés. Le lendemain, deux terroristes présumés sont abattus par l’armée indienne, dans un raid qui cause deux victimes civiles et 4 parmi les militaires indiens. Abdul Gazi, cerveau présumé de cette attaque, est éliminé par les forces de sécurité indienne. Ce dernier avait fait ses classes de terroriste islamiste auprès des Talibans en Afghanistan.

LE CACHEMIRE, ENJEU DE PUISSANCE POUR L’INDE ET LE PAKISTAN

Depuis 1947, attentats terroristes et guerres conventionnelles ont rythmé la vie des populations de la vallée du Cachemire. Toutes furent gagnées par l’Inde. Toutes donnent des frissons aux puissances de la région, eu égard au fait que les deux nations sont nucléarisées. Pourtant, depuis 1947, rien n’a changé, ou presque. L’Inde contrôle les deux tiers du Cachemire, tandis que le Pakistan administre le tiers restant. Dominé militairement, le Pakistan est régulièrement accusé de soutenir des groupes terroristes pour déstabiliser le seul état indien majoritairement musulman tandis que le gouvernement indien est accusé de remettre en cause les droits de l’homme et de laisser les mains libres aux forces armées indiennes pour maintenir l’ordre dans le Jammu et Cachemire.

En Inde, comme en Afghanistan, le Pakistan est accusé de financer des activités terroristes pour déstabiliser ses voisins. L’Inter-Services Intelligence, véritable État dans l’État, aurait pour rôle d’apporter un soutien logistique et financier aux groupes terroristes dans le Cachemire et en Afghanistan. Par ailleurs, le gouvernement pakistanais est accusé de tolérer l’existence de camps, ayant pour fonction d’assurer une base arrière et des centres d’entraînement pour les terroristes opérant ensuite en Afghanistan et dans la vallée du Cachemire.

Selon l’Inde, le Pakistan utilise donc les groupes terroristes qu’il protège et finance pour déstabiliser la partie du Cachemire administrée par l’Inde et remettre en cause la souveraineté indienne dans la région. A ce titre, le groupe djihadiste Jaish-e-Mohammad est particulièrement actif. En septembre 2016 déjà, il a revendiqué l’assaut contre la caserne d’Uri, au cours duquel 18 militaires indiens perdirent la vie. Le même groupe est responsable de l’attentat du 14 février dernier.

Le Pakistan se défend de telles accusations. On doit d’ailleurs à la vérité de reconnaître que le Pakistan a entrepris, depuis l’arrivée au pouvoir de Nawaz Sharif, une lutte plus affirmée contre les groupes terroristes qui opèrent sur son territoire. Ici encore, le nouveau Premier Ministre pakistanais, Imran Khan, a déclaré : « Si vous avez des preuves fermes de l’implication de Pakistanais dans cet attentat, je peux vous assurer que j’ordonnerai une enquête contre eux. Car ces terroristes sont aussi les ennemis du Pakistan, ils agissent contre nos intérêts ».

Le groupe Jaish-e-Mohammad est effectivement interdit au Pakistan depuis 2002. Pourtant, le chef de ce groupe terroriste, Masood Azhar, y vit sans être inquiété par les autorités. Par ailleurs, sous la pression du Pakistan, la Chine a empêché l’inscription du chef djihadiste sur la liste noire des terroristes reconnus par l’ONU en 2017.

L’Inde, elle, a mis en place une législation d’exception pour lutter contre le terrorisme. A cet égard, l’Armed Forces (Special Powers) Act donne de larges pouvoirs aux forces armées pour neutraliser les terroristes mais également pour perquisitionner et détenir qui que ce soit dans la région. Les associations de défense des droits de l’homme ciblent cette législation comme étant responsable de viols des droits humains dans la vallée du Cachemire.

La population du Jammu et Cachemire, seul Etat indien majoritairement musulman, est donc prise en tenaille entre un gouvernement pakistanais qui finance des groupes terroristes qui meurtrissent régulièrement l’Etat, et l’armée indienne qui recourt à une législation d’exception, lui donnant une grande liberté d’action pour maintenir l’ordre.

LE GRAND JEU DES PUISSANCES MONDIALES EN ASIE

L’avenir du monde se joue dans cette région stratégique, entre trois États-puissances : l’Inde, la Chine et les Etats-Unis.

D’un côté, le Pakistan, doté de l’arme nucléaire, joue de sa relation stratégique avec l’Arabie Saoudite et la Chine pour garantir sa sécurité et son développement économique. De l’autre l’Inde, nation nucléaire par ailleurs, jouit de sa supériorité militaire, du soutien de plus en plus affirmé des Etats-Unis et de sa position centrale dans la région pour dominer son dangereux voisin et contenir l’avancée de la Chine dans son pré carré, l’océan indien.

Islamabad noue donc des liens forts avec la Chine, qui prévoit d’investir 46 milliards de dollars dans la construction d’un corridor économique partant du Xinjiang chinois et allant jusqu’au port Pakistanais de Gwadar, de façon à garantir un accès au golfe persique, à la mer d’Arabie et à l’océan indien.

Le corridor économique sino-pakistanais.  ©Javedpk05

Cela lui permettrait d’ouvrir une route commerciale en direction de l’Asie centrale, du Moyen-orient et de l’Europe, sans passer par l’unique voie d’accès – jusqu’à présent -, le détroit de Malacca, aux abords duquel l’Inde a renforcé son contingent militaire par le biais de son implantation sur les îles Andaman et Nicobar.  En outre, une bretelle du corridor devrait rejoindre l’Afghanistan, dont les ressources minières intéressent la Chine.

Les deux pays ont également signé des programmes de coopération militaire notamment dans le domaine nucléaire, mais également pour ce qui concerne les avions de combat.

L’Afghanistan est une pièce centrale des enjeux d’influence dans la région : il donne accès aux ressources minières de l’Asie centrale. C’est la raison pour laquelle la Chine aimerait étendre le corridor sino-pakistanais en direction de l’Afghanistan. Or, un tel mouvement suppose une normalisation des relations afghano-pakistanaises, empêchée par le fait que le Pakistan constitue une base de repli et d’entraînement pour les Talibans. Les négociations entre Pakistanais et Afghans ont échoué sur un point : le Pakistan refuse que les factions djihadistes qui refusent de négocier avec Kaboul soient neutralisées. L’Inde, alliée historique de l’Afghanistan, continue de soutenir Kaboul. Elle compte s’appuyer sur le partenariat stratégique qu’elle a avec l’Iran, qui lui assure une partie de son approvisionnement en gaz et pétrole, pour moderniser le port de Chabahar. Ce dernier lui permettrait d’accéder à l’Afghanistan sans passer par le Pakistan, d’avoir un accès direct en Asie centrale et, par là même, de désenclaver son allié afghan. Par ailleurs, l’Inde a financé le nouveau parlement afghan. Elle livre également des hélicoptères de combat à l’armée afghane, ce qui lui permet de lutter plus efficacement contre les Talibans.

Avec l’Arabie Saoudite, la relation bât de l’aile. Le Pakistan a du mal à se positionner vis-à-vis de la politique d’affrontement frontal que l’Arabie Saoudite a engagé à l’égard de l’Iran. D’un côté, le Pakistan doit beaucoup à son allié sunnite : l’Arabie Saoudite fournit de larges liquidités pour permettre au Pakistan de financer son développement économique et ses écoles coraniques, la minorité pakistanaise qui sert de main d’oeuvre bon marché dans les pays du Golfe assure des transferts financiers importants vers le Pakistan, tandis que l’ancien Premier Ministre Pakistanais, Nawaz Sharif, a été libéré des geôles du général Musharraf grâce à l’aide saoudienne.

Cependant, le Pakistan se refuse à s’engager, de trop près, dans la politique anti-iranienne de l’Arabie Saoudite. Elle a refusé son soutien aux Saoudiens dans leur guerre anti-chiite au Yémen et exprime des réserves vis-à-vis de la coalition formée par Mohammed Ben Salman unissant 34 pays sunnites “contre le terrorisme”. Sharif avait même envisagé la finalisation du gazoduc Pakistan-Iran, avant que le gouvernement américain ne fasse preuve d’une extrême fermeté vis-à-vis du régime des Mollahs et ne rétablisse les sanctions économiques.

Officiellement, cette réserve est liée à la volonté pakistanaise de ne pas diviser le monde musulman. Cependant, les fragilités intérieures de l’Etat pakistanais comptent, tout autant, dans cette position modérée.  En effet, les forces de sécurité pakistanaises ont fort à faire avec le groupe terroriste sunnite Lashkar-e-Jhangvi qui cible régulièrement la minorité chiite du pays.

De son côté, l’Inde cherche à se doter d’alliés et d’une puissance économique, géopolitique et militaire à même de contenir l’avancée de la Chine dans la région. En effet, la stratégie des nouvelles routes de la soie, mise en avant par la Chine, encourage l’Inde à s’affirmer comme une puissance régionale de premier plan. Les nouvelles routes de la soie, vaste projet d’établissement de routes commerciales alternatives, et contrôlées par la Chine, pour relier l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Europe et l’Asie du Sud-Est au géant asiatique passent par des territoires pakistanais revendiqués par l’Inde.

La stratégie du collier de perle, vaste réseau de bases militaires et de facilités portuaires mis en place par la Chine en Asie du Sud-Est et dans l’Océan Indien, inquiète également l’Inde. L’énumération des facilités portuaires et militaires chinoises peut paraître inquiétante : base navale de Yulin (île d’Hainan); bases aériennes dans l’archipel des Parecels et Spratleys, annexés de fait par la Chine; construction d’un gazoduc et d’un oléoduc pour alimenter la Chine en gaz et pétrole birman; implantation dans le port de Gwadar (Pakistan), concession centenaire sur le port d’Hambantota (Sri Lanka), implantations dans le port bangladeshi de Chittagong et dans le port birman de Kyauk Phyu, ouverture de la première base militaire chinoise à l’étranger, au niveau de port de Djibouti. L’objectif de la Chine est assez clair : contrôler la Mer de Chine méridionale par laquelle passe la majorité de son approvisionnement en hydrocarbure, isoler l’Inde dans l’océan Indien et maîtriser les routes maritimes de la Mer de Chine méridionale jusqu’au détroit de Bab-el-Mandeb.

La Chine pousse également son avantage dans l’Himalaya, où elle a des contentieux avec l’Inde. Par conséquent, l’Inde renforce sa présence dans l’Himalaya à travers une modernisation de ses infrastructures et la création d’une force d’intervention de montagne armée de 40 000 soldats.

De son côté, l’Inde a renforcé ses capacités navales et d’aviation de combat à travers la commande de 36 rafales à la France et de 6 sous-marins de classe Scorpène à Naval Group. Malgré les mises en garde américaines, elle a également commandé les systèmes de défense sol-air S 400 au gouvernement russe. Elle tente par ailleurs de renforcer ses facilités portuaires à travers des accords avec les Seychelles et l’île Maurice, qui offrent des ports d’attache pour l’Indian Navy. L’Inde a enfin noué un partenariat stratégique avec la France, puissance asiatique qui s’ignore. L’Inde a désormais accès aux bases navales françaises dans l’océan Indien. La France bénéficie, en effet, d’une capacité de déploiement importante dans l’espace indo-pacifique à travers ses bases militaires à Djibouti, aux Emirats Arabes Unis, à Mayotte, à la Réunion, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie Française. 25% de sa ZEE se situe dans l’Océan Indien et 67% de sa ZEE est située dans l’Océan Pacifique.

En outre, l’Inde bénéficie du soutien de plus en plus appuyé des Etats-Unis. Elle participe, notamment, au dialogue quadrilatéral de sécurité, réunissant les Etats-Unis, l’Inde, le Japon et l’Australie, qui vient de commander 12 sous-marins de classe Barracuda à la France. Ces 4 nations souhaitent contenir l’avancée de la Chine en Mer de Chine méridionale et dans l’Océan Indien. Elles mettent en oeuvre des exercices militaires communs, tandis que l’OTAN met en place des opérations de promotion de la liberté de navigation. L’effet final recherché ? Le respect de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, régulièrement enfreinte par la Chine. Dans cette région, l’enjeu reste le contrôle des routes maritimes entre la Chine et ses alliés d’une part, et l’Inde, les Etats-Unis et leurs alliés d’autre part.

INDE – PAKISTAN : UNE COHABITATION IMPOSSIBLE ?

On ne peut considérer cette affrontement indo-pakistanais sans s’intéresser aux contextes politiques intérieurs de ces deux pays.

L’Inde, État laïc, est portée depuis quelques années par le souffle du nationalisme hindou. Le Premier Ministre Indien, Narendra Modi, en est l’expression.  Ce dernier est issu de la famille politique nationaliste hindoue, unie par l’idéologie Hindutva. Cette famille politique, à l’opposée des congressistes, considère que la Mata Bharat (Mère Inde) doit aboutir au Ram Rajya, société utopique hindoue, et voue aux gémonies les “anti-nationaux” qui considèrent que l’Inde est un creuset de civilisation, où l’Hindouisme a sa place au même titre que l’Islam. L’année 2019 est celle des élections générales pour l’Inde. Narendra Modi tente donc de s’affirmer comme un leader nationaliste, en opposition au Pakistan pour obtenir la faveur des électeurs indiens, comme en témoigne le soutien, presque unanime, qu’il a reçu après les frappes chirurgicales contre son voisin, matérialisé par le mot-dièse #IndiaStrikesBack.

De son côté, le gouvernement pakistanais est toujours prisonnier de l’influence des militaires et de l’idéologie constitutive de l’identité pakistanaise. La naissance du Pakistan provient de la volonté de la Ligue Musulmane de constituer un État musulman, par opposition au Parti du Congrès qui souhaitait une Inde rassemblée. La partition de l’Inde, en 1947, a donné lieu à la migration de 10 millions d’Indiens, les uns, musulmans, migrant vers le Pakistan, et les autres, hindous, se dirigeant vers l’Inde. Ces migrations ont donné lieu à de nombreuses émeutes communautaires et à des viols de masse.

Les militaires s’érigent en gardiens du temple. Jusqu’ici, ils refusent de céder quoi que ce soit sur la revendication d’un Cachemire pakistanais. Issu des milieux d’affaires, Nawaz Sharif avait tenté d’opérer un rapprochement, sans succès. Seule maigre consolation pour les partisans de la paix : l’accord de transport commercial entre l’Afghanistan et le Pakistan qui donne aux camions afghans le droit de rejoindre l’Inde, mais n’autorise pas le trajet retour, et, a fortiori, le trajet de camions indiens vers l’Afghanistan.

A l’heure où ces lignes sont écrites, la tension monte à la frontière indo-pakistanaise. La supériorité militaire indienne conduira probablement le Pakistan a éviter une guerre conventionnelle. Il n’en demeure pas moins que les deux pays sont embarqués dans des systèmes d’alliance et des intérêts géopolitiques radicalement opposés. A n’en pas douter, l’Asie constitue le champ où se jouera la bataille pour l’hégémonie mondiale.