« Un livre est un lieu d’ancrage auquel il faut toujours revenir » – Entretien avec Yann Gomez

Les éditions La Tempête empruntent leur nom à une pièce célèbre de Shakespeare et soufflent sur l’époque avec des vents résolument contraires. Lancées par un groupe d’amis, initialement bouquinistes sur les marchés et devenus éditeurs grâce au pari du possible, elles contribuent à exhumer des textes qui discréditent l’un des puissants motifs de la pensée réactionnaire : tout est fini, il n’y a plus rien à faire. Contre ce défaitisme historique, les alliés intellectuels sont en effet plus nombreux qu’il est d’usage de le croire. À la faveur d’une redécouverte de certains courants hétérodoxes du marxisme, ou encore d’un éventuel « moment » Lukács dont la republication de ses ouvrages constitue l’un des premiers signes, les éditions La Tempête se distinguent dans le paysage éditorial par une démarche privilégiant la rareté des titres publiés. Si les lectures sont parfois difficiles, l’objet-livre est quant à lui fabriqué pour durer – gage est donné qu’il n’est plus un « consommable » parmi d’autres, mais qu’il faudra l’éprouver en annotant patiemment ses marges. Entretien réalisé par Laëtitia Riss.

LVSL – Les éditions La Tempête sont créées en 2015, elles naissent dans les mouvements sociaux et s’accomplissent dans les livres. Quelles sont les raisons qui vous ont conduit à vous lancer dans un projet éditorial et à changer de mode d’intervention politique ?

Yann Gomez – À l’origine, nous sommes un groupe d’amis de Bordeaux. Tous les quatre, nous nous sommes rencontrés dans les mouvements politiques ; ce qui nous a liés, c’était un refus affirmé d’une certaine idée de la vie, qui laissait entendre qu’on ne pouvait « réussir sa vie » qu’à travers une forme de reconnaissance individuelle. On a fait le choix du collectif, en vivant ensemble, et en essayant de rapprocher la sphère politique et la sphère de la vie. De manière très concrète, on a par exemple commencé à travailler tous ensemble comme bouquinistes sur les marchés. On mutualisait aussi bien le travail effectué, que les sommes gagnées. En plus de cela, on partageait un goût de la lecture et une filiation avec une tradition hérétique du marxisme (de l’école de Francfort à l’autonomie italienne) – des auteurs que nous allons être amenés à publier par la suite, en réalisant qu’ils n’étaient pas ou insuffisamment traduits.

Le projet de maison d’édition a donc vu le jour au carrefour de ces deux pratiques : il s’agissait pour nous de concrétiser une activité collective. On s’est lancé sous forme associative et bénévole – c’est toujours le cas aujourd’hui – et on a fait le pari de la non-professionnalisation, même si cela n’a pas été sans poser quelques problèmes. Il fallait que chaque membre de la maison d’édition sache tout faire : édition, relecture, graphisme… On a bénéficié également des conseils d’une amie déjà éditrice, lors des débuts, qui nous a encouragés à poursuivre.

« S’il fallait nommer le geste général qui circule dans nos livres, c’est celui du possible. »

S’il fallait nommer le geste général qui circule dans nos livres, c’est donc celui du possible. C’est possible de créer une maison d’édition, comme c’est possible de faire l’Histoire. On a commencé en faisant de l’auto-édition pendant trois ans, c’est-à-dire qu’on appelait les libraires nous-mêmes pour diffuser nos livres. Ils ont d’ailleurs toujours été à l’écoute et ont souvent bien reçu ce qu’on proposait. D’une certaine manière, La Tempête s’efforce de démontrer que même dans des livres initialement publiés dans le passé, il y a toujours des éléments à réactiver.

À l’inverse du goût nostalgique pour le passé, le nôtre est plutôt tourné mélancoliquement vers le présent. Rien n’est plus faux que le leitmotiv qui voudrait que tout soit fini (philosophie, littérature, métaphysique, poésie…), comme le pensent les réactionnaires ; raison pour laquelle nous nous efforçons de publier précisément ce dont on ne cesse de prédire la fin depuis tant d’années.

LVSL – Le premier livre publié par les éditions La Tempête est un texte de Georg Lukács, intitulé De la pauvreté en esprit (1911), où il est notamment question « du sens d’une existence où se succèdent des tâches inutiles et sans grandeur », comme on peut le lire dans votre présentation. En quoi ce choix est-il révélateur de la ligne éditoriale que vous défendez ?

Y. G. – On souhaitait initialement publier L’âme et les formes (1911) de Lukács, comme premier livre. Ce dernier nous semblait identifier une contradiction actuelle : la nécessité d’une transformation révolutionnaire et le manque de forces disponibles à sa réalisation. Or, comment penser ce moment tragique de l’existence, où s’affrontent grande nécessité et faibles forces ? C’est la tension à laquelle s’affronte Lukács dans ce texte, avant de la résoudre, plus tard, grâce à sa théorie du prolétariat, développée dans Histoire et conscience de classe (1923).

Notre ambition a néanmoins été contrariée par des problèmes de droits de publication. C’est en effet Gallimard qui disposaient du titre dans son fonds. Bien que le livre soit épuisé depuis 1974 et qu’il n’ait plus été réédité, il n’a pas été possible de récupérer les droits. Le legs de Lukács est par ailleurs compliqué : ses ayants droits héritent d’une histoire problématique dès lors qu’on garde à l’esprit que ses archives en Hongrie ont été fermées et que sa statue y a été détruite. Nous avons finalement, pour nous lancer, publié un cours texte de cet auteur : « De la pauvreté en esprit ». C’est un dialogue philosophique très dense, écrit juste après la mort de sa compagne, Irma Seidler. Le caractère tragique d’une vie écrasée par la quotidienneté et qui ne parvient à atteindre une forme y est exacerbé à l’extrême.

Si Lukács est aussi important pour nous, c’est également pour les livres qu’il a rendus possibles à sa suite. De nombreux auteurs peu connu, auxquels nous tenons particulièrement, comme par exemple Giorgio Cesarano (philosophe, poète et traducteur italien du vingtième siècle), ont repris le problème de la centralité du prolétariat dans la théorie de la révolution. Ils en démontrent les limites et interrogent la conjoncture qui peut être la nôtre. Dans le Manuel de Survie, Giorgio Cesarano fait notamment l’hypothèse que ce qu’il reste face au capital, désormais constitué comme communauté matérielle et engagé dans une dynamique de mort, c’est l’espèce humaine en tant que telle, qui doit lutter pour sa propre survie. Une hypothèse discutable, mais qu’on peut juger féconde, surtout aujourd’hui à la lumière de ce qu’on appelle « l’Anthropocène ».

LVSL – Durant les premiers mois des éditions La Tempête, vous aviez fait le pari de proposer une préface d’éditeur pour chaque livre publié. Était-ce une manière de rendre vos livres moins anonymes et de donner une plus grande cohérence à votre catalogue ?

Y. G. – C’est vrai qu’il s’agissait d’une exigence du départ. On voulait inscrire les livres qu’on publiait dans les discussions collectives qu’on menait ensemble et dans l’histoire de ceux qui les produisent – de l’auteur à l’éditeur. C’est une idée qu’on a fini par laisser de côté pour des raisons de rythme éditorial : il était plus facile de préfacer un titre par an que les six qui paraissent aujourd’hui. Aussi, on se laisse une plus grande marge de manœuvre, parfois, il n’y a rien à dire sur un livre, il parle de lui-même ; parfois, il appelle une autre écriture.

« La Tempête se méfie de l’édition « consommable », qui serait toujours chargée de réagir aux débats de l’époque. »

On se méfie à La Tempête de l’édition « consommable », qui serait toujours chargée de réagir à chaud aux débats de l’époque. Nos livres sont fait pour durer et doivent trouver écho dans dix, quinze ou même vingt ans. Le rapport à l’actualité des titres qu’on publie est en ce sens dialectique : il rencontre cette dernière pour mieux s’en distancier critiquement. À mon sens, un livre peut acquérir une valeur stratégique, selon tel ou tel débat qui se pose, mais il n’est jamais une réponse unique et « prêt-à-porter » à une question que lui adresse son temps.

LVSL – Cette actualité « inactuelle » n’est pas sans rappeler les ambitions de la théorie critique, énoncée dans un texte fondateur de Theodor Adorno et de Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique (1937). Ces derniers ont également tenté de penser un nouveau manifeste communiste, bien qu’ils n’aient jamais abouti à un texte définitif. Seuls nous en restent leurs dialogues, que vous avez récemment publié (Vers un nouveau manifeste, 2020), et qui ouvrent à un tout autre héritage du marxisme…

Y. G. – L’équipe de La Tempête entretient en effet une certaine fidélité à la tradition marxiste et à sa formulation dans la théorie critique. Chez Adorno et Horkheimer, on retrouve le refus des modes intellectuelles et le souci de ne pas désavouer le marxisme. Leurs œuvres témoignent de cette volonté de le repenser à la lumière d’une nouvelle donne historique.

Vers un nouveau manifeste est un texte curieux, en ce qu’il propose une pensée « en cours » d’élaboration. Ce sont des bribes de discussions, très « free-jazz » où l’on passe d’un sujet à l’autre, comme c’est le cas dans une conversation habituelle. Mais en creux, se dessine aussi le projet central d’un « nouveau manifeste » après 1956 – c’est-à-dire après la répression des conseils en Hongrie, en pleine crise de l’URSS. Adorno et Horkheimer tiennent de ce point de vue une position singulière après la Seconde Guerre mondiale : ils n’abandonnent pas la question du communisme. Ils posent par conséquent des questions essentielles pour l’avenir du marxisme : comment parler de communisme après l’URSS ? Comment envisager l’articulation du communisme et du progressisme ? Le progrès est-il la meilleure porte d’accès à une transformation de la société ? Ces débats, initiés dès les années 1950, sont encore très présents actuellement et loin d’être tranchés.

LVSL – Vos livres sont aussi particulièrement travaillés par le désir de tenir un discours qui ne soit pas « séparé de la vie ». Comment une maison d’édition parvient-elle à lutter contre la séparation, qu’elle contribue pourtant parfois à fabriquer ?

Nos livres ne sont pas des objets de consommation courante, c’est l’une des spécificités de ce que nous essayons de faire. Par conséquent, cela ouvre à une tout autre temporalité de la lecture : un livre dure presque toute une vie. Pour un certain nombre de nos titres, leur accès est difficile. Ils demandent un travail de long-terme pour en apprécier la portée. Mais symétriquement, c’est aussi la garantie qu’on puisse en tirer vraiment quelque chose – qu’ils soient des livres dont on se souvient et dont la différence critique est remarquable.

Par exemple, Culture de droite, écrit par Furio Jesi, un mythologue italien, est un livre indispensable pour expliquer ce qu’est la culture de droite et sa cohérence dans le temps. Son auteur essaie de la caractériser en démontrant qu’elle relève de la production « d’un langage des idées sans mots ». Il décortique longuement les mythologies de la droite et du fascisme pour comprendre comment elles fonctionnent et, par extension, pour éviter que nous tombions dans les mêmes pièges. Ce qui nous intéresse alors dans un livre, c’est sa dimension politique, mais certainement pas son caractère militant.

« Ce qui nous intéresse dans un livre, c’est sa dimension politique, mais certainement pas son caractère militant. »

Nos livres sont aussi le produit d’une écriture, qui témoigne d’une extériorité à l’écriture philosophique savante. Nous accordons une attention très grande à la manière dont s’entrecroisent littérature et philosophie, à l’élaboration d’un « style » philosophique, imbriqué dans les idées elles-mêmes. C’est pour cela que nous publions très peu de livres « sur » des auteurs, qui adoptent le ton parfois trop docte du commentaire.

Enfin, on s’efforce de répondre matériellement à cette question de la séparation, pour que notre projet intellectuel s’incarne dans une forme. Nos livres sont cousus – et non uniquement brochés, « collés », comme la plupart des tirages standards. Leurs marges supérieures sont aussi plus larges que conventionnellement, afin de permettre aux lecteurs d’écrire à même les ouvrages, à l’inverse d’une tendance actuelle d’édition qui réduit la place disponible sur les pages. C’est un détail pour de nombreux lecteurs, mais qui révèle pourtant une certaine conception de ce qu’est un livre : est-ce un support de passage ou, au contraire, un lieu d’ancrage auquel il faut toujours revenir ?

Disparition de Domenico Losurdo, philosophe humaniste et révolutionnaire

Nous avons appris avec tristesse la disparition de Domenico Losurdo, professeur à l’université d’Urbino, philosophe marxiste éminent et spécialiste de la pensée hégélienne. C’est un théoricien et un militant de premier plan que perd le mouvement progressiste italien et international.


Dans sa Contre-histoire du libéralisme, il a analysé l’histoire violente, coloniale, patriarcale, ayant pieds et mains liées avec la réduction en esclavage de millions d’êtres humains, les exécutions de masse, l’enfermement des pauvres et des vagabonds, d’une idéologie supposément émancipatrice, mais qui ne profite en réalité qu’à une poignée de propriétaires blancs. Il a mis en exergue les « clauses d’exclusions » des droits dont la pensée libérale se glorifie : femmes, ouvriers, hommes de couleurs, nations entières sont mis à l’écart des privilèges de la minorité. On retrouve dans cette histoire, des théories et des techniques de guerres qui seront à l’œuvre dans les fascismes européens. Fascisme qu’il faut comprendre comme un produit endogène du capitalisme en crise et en lutte contre l’ennemi communiste : non comme une monstruosité tombée du ciel, qui n’aurait aucun rapport avec la réalité préalable des sociétés européennes.

Parallèlement à cette critique sans concession du voile idéologique que revêtent les atrocités commises par les centres capitalistes, Domenico Losurdo dénonça ce qu’il a appelé l’ « autophobie communiste » de ceux qui sont appelés à lutter contre cet ordre des choses. Autophobie qu’il distingue du travail essentiel d’auto-critique. L’intériorisation des valeurs des classes dominantes par les dominés en lutte, amènent ceux-ci à se mépriser et à rejeter progressivement ce qui fait la puissance du mouvement pour l’émancipation universelle : « au narcissisme hautain des vainqueurs, qui transfigurent leur propre histoire, correspond l’autoflagellation des vaincus » écrit-il dans Fuir l’Histoire visant ainsi la réaction suscitée par l’effondrement du bloc de l’est. Dans cette perspective, Losurdo remet rigoureusement en cause une lecture facile, intellectuellement et politiquement paresseuse, qui consiste à voir l’étatisme en tant que tel ou l’autorité d’un individu supposément diabolique (Staline) comme raison des échecs de l’URSS. Prenant à contre-pied cet axe de critique libertaire, il voit au contraire dans l’injonction au dépérissement rapide de l’État, dans la difficulté à fonder des institutions juridico-politiques stables, dans les affres de l’utopisme, les principales causes de l’état d’exception permanent qui a marqué l’histoire du « socialisme réel » et qui a pu ouvrir les voies aux violences les plus inacceptables.

“La lutte des classes”, par Domenico Losurdo from Les Films de l’An 2 on Vimeo.

Dans le champ plus strictement philosophique, il nagea à contre-courant – suivant ainsi les pas de Lukacs – dans un travail rapprochant la pensée de Hegel de celle de Marx et Engels. Contre-courant des travaux de Louis Althusser par exemple, cherchant à déshégélianiser les propositions de Marx (en jouant au classique Marx contre Engels), rejetant les concepts d’aliénation, de négation de la négation, d’humanisme, etc. Dans son Hegel, critique de l’apolitisme, Losurdo revient au contraire sur l’intérêt fondamental de la philosophie hégélienne dans son rapport à la politique et la revitalisation qu’elle autorise de certains aspects du marxisme : « La vision nihiliste de la liberté “abstraite” ou “formelle”, qui a prévalu dans la tradition ou dans la vulgate marxiste, représente un incontestable appauvrissement par rapport à celle bien plus articulée de Hegel. ». La dissolution de l’État et de la famille dans la société civile mise en avant par les jeunes Marx et Engels, lui semble théoriquement erronée : l’État doit prendre la main sur cette société civile que Hegel désignait comme une “bête sauvage” .

Dans la lignée de Gramsci, il insista sur la catégorie d’aufhebung – que nous pouvons traduire improprement en français par “dépassement” – qui lui permet de se démarquer de l’illusion de pouvoir, et du danger de vouloir, “faire table rase du passé” en tant que tel. Nous pouvons toujours uniquement nous démarquer d’un passé déterminé, des aspects négatifs d’une époque particulière et non de ce qu’elle laisse de positif. Les mouvements populaires doivent savoir s’approprier les meilleures moments de l’ascension au règne du capital, par exemple l’avènement de la pensée des Lumières qui vient briser les dogmatismes féodaux, qui invite l’homme à penser librement, à se fixer lui-même ses propres règles. Lumières dont la bourgeoisie s’écartera à mesure qu’elle intègrera les restes de féodalisme pour mieux maintenir sa domination sur la classe travailleuse. Il n’existe pas pour Losurdo de coupure absolue dans l’histoire ; c’est faire preuve de fanatisme et d’aveuglement que de désirer une telle coupure. Il ne s’agit pas d’anéantir l’adversaire historique, mais conquérir la domination, l’intégrer, le faire travailler pour l’intérêt général (il prend comme exemple la NEP en 1921 en URSS), jusqu’à ce que sa fonction soit absolument obsolète.

“Le dépassement, ce n’est pas la négation abstraite et totale, c’est hériter de quelque chose. Le dépassement de l’ordre bourgeois n’exclue pas l’héritage des meilleures choses de la révolution bourgeoise.” Domenico Losurdo, “Togliatti, Gramsci, un entretien”

Domenico Losurdo travailla ainsi a peaufiner la dialectique matérialiste dont Marx et Engels jetèrent les premières fondations, de manière à la sortir de toute caricature, tout réductionnisme et toute unilatéralité. Dans son livre sobrement intitulé La lutte des classes, il balaye les lectures naïves, utopiques de cette notion, en montrant la pluralité des formes et des réalités qu’elle peut recouvrir : luttes d’émancipation des femmes exploitées par l’homme, luttes d’émancipation des nations dominées contre les nations dominantes, et non simplement lutte du prolétariat contre la bourgeoisie. Nous n’avons jamais à faire à des luttes de classes pures entre prolétaires et bourgeois dont les figures seraient clairement identifiables et dont nous pourrions nous faire des images stéréotypées.

Il défendit, dans la même perspective, une vision réaliste de l’internationalisme comme solidarité entre nations, opposée à celle, ubuesque, d’une dissolution des nations dans une société communiste planétaire. Prenant l’exemple du continent européen, il citait une phrase d’Engels d’une actualité brûlante : « Une sincère collaboration internationale des nations européennes n’est possible que lorsque chaque nation singulière est pleinement autonome dans le cadre de son territoire national. ». De sorte que le philosophe italien su ne jamais céder aux sirènes de l’immédiateté : il n’a jamais rien concédé aux eurobéats émanant de la destruction du Parti Communiste Italien qui ont annihilé la gauche italienne, et permis la casse austéritaire du pays et la remontée de l’extrême-droite. Il ne s’est jamais laissé tromper par les discours belliqueux toujours plus vigoureux de l’impérialisme1, qu’ils fussent russophobes, sinophobes, serbophobes, etc. Tout cela, dans les pires années de réaction néo-libérale qu’ont été les années 1990 et 2000.

“Le caractère concret n’est pas synonyme d’immédiateté : il peut y avoir une immédiateté “abstraite” et même une vitalité “abstraite”. L’abstraction n’est pas un processus purement mental.”

Domenico Losurdo fut ainsi ce marxiste entreprenant et courageux qui laisse derrière lui une œuvre importante qui nous offre des clefs pour comprendre et agir sur le monde actuel dans le sens de l’émancipation socialiste des peuples. Il nous livre les armes de critique des idéologues libéraux (les rejetons de Bentham, Locke, Constant, Burke, Siéyès, etc.), ou réactionnaires comme Nietzsche et Heidegger. La lecture de Losurdo, plaisante par la clarté de son expression, a la vertu de déciller les yeux sur l’âpre matérialité du monde, de faire tomber les simplismes et les idéalismes, traçant de cette sorte la voie des possibles révolutionnaires sans sombrer dans un conservatisme immoral, ni un utopisme impuissant. Qu’une ample reconnaissance des mouvements progressistes vienne couronner ses écrits : en excellent connaisseur de Hegel, Domenico Losurdo savait que c’est au bout du chemin, lorsque la nuit tombe, que la chouette de Minerve prend son envol.


Quelques ouvrages de référence de Domenico Losurdo :

  • Contre histoire du libéralisme, La Découverte, 2013
  • Gramsci : Du libéralisme au « communisme critique », Éditions Syllepse, 2005
  • La lutte des classes, Delga, 2016
  • Nietzsche. le rebelle aristocratique : Biographie intellectuelle et bilan critique , Éditions Delga, 2016
  • Heidegger et l’idéologie de la guerre, PUF, 1998
  • Critique de l’apolitisme, la leçon de Hegel d’hier à aujourd’hui, Delga, 2012

Les rendez-vous en hommage à Domenico Losurdo à La Librairie Tropiques (63 rue R. Losserand Paris 14e) par son éditeur Aymeric Monville :

  • mardi 3 juillet 19h30 : la présentation prévue de l’Etre et le Code de Michel Clouscard sera étudiée dans une perspective hégéliano-marxiste chère au penseur italien
  • vers le 10 juillet (LA DATE SERA PRECISEE) : nous consacrerons une séance entière à l’étude de la pensée de Losurdo sous toutes ses facettes.
1 A ce sujet , pour comprendre la montée des tensions et l’importance cruciale du dollar dans la forme contemporaine de l’impérialisme qui ne se confond pas avec celle de la première moitié du Xxème siècle, voir le cours EFI de JLM https://youtu.be/KWUbkFy3xYs, sa note de blog https://melenchon.fr/2018/06/25/dette-americaine-etats-unis-encore-solvables/ ou encore l’article en anglais très documenté de Mohamed Dyklan du Parti de la Volonté Populaire (Syrie) : http://kassioun.org/en/statements-documents/item/20988-the-imperialist-spectre-of-russia