Le maccarthysme sévit dans les entreprises et s’abat sur les syndicalistes

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Il y a comme un air de chasse aux sorcières dans les entreprises de France. Une vague de discrimination et de répression antisyndicale s’abat sur le pays. Trop peu documenté, trop souvent tu dans les médias, ce phénomène, qui n’est pas nouveau, prend de l’ampleur ces derniers temps. De la discrimination à la répression, en passant par l’acharnement judiciaire et la vaste campagne médiatico-politique de diabolisation, jusqu’aux « réformes » atomisant le rôle des syndicats, on assiste au triomphe de l’anti-syndicalisme en France.

Il ne fait vraiment pas bon être aux avant-postes de l’engagement citoyen en France. Les exemples ne manquent pas entre les condamnations révoltantes de Cédric Herrou et de Pierre-Alain Mannoni, le sort réservé aux lanceurs d’alerte comme Stéphanie Gibaud et l’assignation à résidence d’une vingtaine de militants écologistes au nom de l’état d’urgence pendant la COP21.  Ou encore l’ambiance de chasse aux rouges qui s’empare des salles de rédaction d’une presse aux mains d’une poignée de patrons du CAC 40, dénoncée par Aude Lancelin et Laurent Mauduit. Sale temps pour les progressistes de tous les horizons …  Il est aussi un maccarthysme qui est encore trop souvent passé sous silence dans les médias : celui qui frappe les travailleurs, et plus particulièrement les syndicalistes, dans les entreprises. Un phénomène qui, s’il ne date pas d’hier, s’est accentué ces dernières années.

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Philippe Martinez, sécrétaire général de la CGT. ©PASCAL.VAN. Licence : Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0).

Une campagne de diabolisation du syndicalisme

Tout est dit pour discréditer les syndicats de travailleurs. Ils ne seraient pas représentatifs, inefficaces voire corrompus. Quid de la représentativité et des malversations du patronat ? Ceci dit, du point de vue des intérêts du capital, on serait tenté de dire que le MEDEF est diablement efficace puisque c’est son agenda qui dicte les « réformes » socio-économiques. Les éditorialistes plus nuancés louent les gentils syndicats « modernes » et « réformistes » comme la CFDT pour mieux déverser toute leur haine de classe sur l’abominable CGT « idéologisée » et « archaïque ». La fachosphère, qui montre là son vrai visage antisocial, est d’ailleurs elle aussi  un des fers de lance de l’anti-syndicalisme le plus virulent. Un nouveau cap semble avoir été franchi lors de la mobilisation contre la Loi El Khomri.

La CGT a été alors la cible d’un déchainement médiatique d’une violence inouïe à grand renfort d’instrumentalisations du contexte post-13 novembre. La CGT ? « Un syndicat ultra-violent qui souhaite mettre la France cul par-dessus terre » (Eric Brunet, BFMTV), qui veut « tout faire péter » (Nathalie Saint-Cricq, France 2), pris dans « une course à la radicalisation » (François-Xavier Piétri, TF1). De Manuel Valls à Bruno Le Maire en passant par Laurent Bergé (CFDT), tous abondent dans ce sens : la CGT se radicalise. Elle prendrait en otage la démocratie, selon le Premier ministre. Quant à Pierre Gattaz, le patron du MEDEF, il n’est pas en reste non plus quand il compare les manifestants à des terroristes. La palme revient sans doute à Franz-Olivier Giesbert qui met carrément les pieds dans le plat : « la France est soumise aujourd’hui à deux menaces qui, pour être différentes, n’en mettent pas moins en péril son intégrité : Daech et la CGT. » Cette antienne est d’ailleurs déjà reprise dans les commentaires sur la mobilisation en cours contre les ordonnances Pénicaud. N’a-t-on pas récemment entendu une « Grande Gueule » de RMC assimiler l’appel à la grève des routiers à du « terrorisme » ?

 

Discrimination salariale, licenciement abusif, procès pour l’exemple

Ces outrances médiatiques contre les syndicats reflètent et alimentent le maccarthysme qui s’installe dans les entreprises et dans les tribunaux du pays. La répression antisyndicale n’est pas un fait nouveau mais tout porte à croire qu’elle s’est intensifiée et amplifiée ces dernières années. On ne compte plus les procès et les condamnations contre les syndicalistes : Conti, Air France, GoodYear … La répression antisyndicale frappe partout et peut-être plus durement encore en Outre-mer avec le procès d’Elie Domota par exemple. Il en va de même pour la discrimination antisyndicale.

On ne dispose pas de chiffres précis tant et si bien que le CESE préconise une amélioration de l’information statistique dans ce domaine. Une enquête diligentée par le Ministère du travail en 2011 montre cependant que le salaire des salariés syndiqués est en moyenne inférieur de 3% à 4% et cette discrimination salariale dépasse les 10% pour les délégués syndicaux. L’Humanité est l’un des rares journaux de presse écrite à relayer régulièrement les cas de discrimination et de répression contre les syndicalistes comme Pierrick, un jeune salarié licencié au moment où la direction de son entreprise a appris sa présence sur une liste CGT aux élections professionnelles. Motif invoqué : « Vous avez été surpris en train de manger des chips dans le laboratoire pendant les heures de travail alors que vous savez qu’il est strictement interdit de se nourrir dans le laboratoire. »

Le collectif Luttes invisibles tente d’établir un décompte avec les moyens du bord et avance le chiffre de 3626 cas de discrimination et de répression à l’encontre de militants, de grévistes et de manifestants (condamnations, poursuites, sanctions, menaces, etc.) en 15 mois au 16 juillet 2017. Combien de salariés n’osent pas se syndiquer par peur de représailles ? Combien sont-ils à ne pas suivre l’appel à la grève des syndicats par crainte d’être mal vus par leur direction ? A taire leurs convictions syndicales face à leurs responsables hiérarchiques et même face à leurs collègues ? L’entreprise est certainement l’un des espaces les moins démocratiques de nos sociétés et l’engagement syndical reste un acte hautement subversif. Face au déni de la violence antisyndicale, la CGT, FO, la FSU, la CFTC, Solidaires, le syndicat des avocats de France, le syndicat de la magistrature et la Fondation Copernic ont créé un Observatoire de la discrimination et de la répression syndicale en 2013.

 

Des « réformes » qui affaiblissent le rôle des syndicats

Manifestation contre la réforme des retraites. ©Clem. Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic license..

Et comment ne pas voir une même logique antisyndicale à l’œuvre dans le projet de réforme du code du travail par ordonnances ? Le gouvernement se targue de mettre les syndicats au centre du « dialogue social » avec leur nouvelle méthode de concertation. Dans les faits, les ordonnances prévoient notamment que les patrons d’entreprises de moins de cinquante salariés puissent dorénavant se passer des syndicats pour signer des accords. Stigmatiser, réprimer, affaiblir. Tout est bon pour mettre à terre les syndicats et les syndicalistes. Eux qui ont, de tout temps, été le fer de lance des grandes conquêtes sociales de notre pays, des lois ouvrières du XIXème siècle au Front Populaire, de la mise en place de la sécurité sociale au « Mai 68 » ouvrier. Eux qui étaient aux avant-postes de la Résistance pendant l’occupation nazie et le nauséabond régime de Vichy.

Ce n’est pas aux syndicalistes mais bien aux représentants pleurnichards du patronat français que de Gaulle aurait rétorqué : « je n’ai vu aucun de vous, Messieurs, à Londres ! » Aujourd’hui, les syndicalistes sont les premiers de cordée face à l’offensive néolibérale qui s’abat sur le peuple travailleur. Même divisés et convalescents suite au passage en force de la Loi El Khomri, ils battent à nouveau le pavé contre les ordonnances Macron-Pénicaud. Le front antisyndical de toujours, lui aussi, est en ordre de marche et de bataille. Il y a toujours deux côtés de la barricade.

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