« Nous avons tout à gagner à opposer le féminisme au néolibéralisme » – Entretien avec Clara Serra

Clara Serra

Depuis les mobilisations spectaculaires du 8 mars 2018, l’Espagne connaît une vague féministe sans précédent. Parallèlement, le pays est confronté à la percée d’une force réactionnaire, Vox, qui s’oppose ouvertement aux politiques d’égalité entre les femmes et hommes. Dernière polémique en date, une proposition du parti d’extrême-droite qui enflamme les débats : le « véto parental », ou la possibilité pour les parents de retirer leurs enfants des ateliers organisés sur le temps scolaire qui pourraient s’avérer « contraires à leurs convictions » : éducation sexuelle, sensibilisation aux violences de genre, etc. Pour amplifier la dynamique féministe et contrer les poncifs réactionnaires, Clara Serra a publié en 2019 Manual ultravioleta, un ouvrage pédagogique destiné à déconstruire les préjugés sur le genre et le féminisme. L’ancienne députée de la Communauté de Madrid pour Podemos puis Màs Madrid était présente à notre université d’été pour débattre avec Clémentine Autain. Nous l’avons interviewée à la suite de cette rencontre. Propos recueillis par Vincent Dain.


LVSL – En juin 2019, le tribunal suprême espagnol a revu à la hausse la condamnation de la « Manada », ce groupe de cinq hommes coupables de viol sur une jeune femme lors des ferias de San Fermin en 2016. Cette affaire avait scandalisé l’Espagne et provoqué de gigantesques manifestations. Peut-on dire que la question des violences faites aux femmes a été l’élément déclencheur de la grande vague féministe que connaît le pays ?

Clara Serra – Je pense que cette question a été un élément très important. La mobilisation féministe en Espagne a atteint son point culminant lors des manifestations du 8 mars en 2018 et en 2019, mais en réalité le détonateur a été la manifestation massive du 7 novembre 2015, qui préfigurait une arrivée en force du mouvement féministe. Cette manifestation s’opposait précisément aux violences machistes, et ce bien avant l’affaire de la Manada. La question de la violence interpellait d’ores et déjà beaucoup de monde en Espagne.

Cela dit, la question des violences n’est pas le seul élément, je pense que la question du care, la prise de conscience du fait que les femmes sont les principales victimes des coupes budgétaires et de la dégradation des services publics, ont eu un immense pouvoir de mobilisation, notamment lors de la grève du 8 mars. Notre devise, « si nosotras paramos, se para el mundo » (« si nous nous arrêtons, le monde s’arrête ») faisait davantage référence au travail invisibilisé du care qu’à la question des violences.

LVSL – La publication de votre livre, Manuel ultraviolet, s’inscrit dans le sillage de cette montée en puissance du mouvement féministe. Elle intervient après la parution d’un autre ouvrage, Leonas y Zorras en 2018. Quel est l’objectif de ce nouveau livre et qu’est-ce qui le distingue du premier ?

C.S. – Le livre précédent était conçu comme une discussion au sein de la gauche. C’était, pourrait-on dire, un ouvrage interne, dans lequel j’essayais de débattre des stratégies possibles sans forcément évoquer leur mise en pratique. L’objectif était plutôt de participer aux débats qui traversent le féminisme, dans le cadre de celles et ceux qui font partie de la gauche, pour déterminer comment agir efficacement en dehors de nos cercles. Disons que ce nouveau livre, Manuel ultraviolet, est davantage un exercice de mise en pratique de ce que je considère être un féminisme accessible à la lecture et à la compréhension de chacun. Il s’agit de fournir des outils indispensables pour l’époque que nous vivons.

Et pas seulement parce que nous sommes au cœur d’une vague féministe : nous sommes aussi confrontés à l’essor d’une réaction contre le féminisme. Ce livre est pensé dans un moment où nous voyons émerger une réponse organisée contre le féminisme et les avancées des dernières années. Il se donne donc pour objectif de contrecarrer les préjugés et les caricatures sur le féminisme, qui sont brandies par la droite et qui pénètrent dans le sens commun. Je crois que beaucoup de gens veulent être féministes mais ne disposent pas des éléments pour répondre à certaines critiques de la droite et de l’extrême-droite à l’égard du féminisme. Ce livre entend donc mettre des outils à disposition de tout le monde.

LVSL – Analysez-vous l’émergence de Vox [ndlr, le parti d’extrême droite qui a réalisé 15% aux dernières élections de novembre 2019] comme une réaction aux mobilisations féministes en Espagne ?

C.S. – C’est l’un des éléments explicatifs, bien que Vox n’existe pas uniquement pour cela. Le féminisme n’est pas sa seule et unique cible. Mais je crois que c’est effectivement l’un de ses principaux ressorts de mobilisation. On peut déceler dans le discours de Vox un appel adressé aux hommes, une invitation à s’engager dans une bataille contre les féministes, en défense de l’identité masculine. Ce n’est pas le cas de tous les mouvements d’extrême droite, mais on l’observe clairement pour Vox. Santiago Abascal le met en scène de la façon la plus caricaturale possible, lorsqu’il plaide par exemple pour l’usage des armes à feu et prône l’idée selon laquelle les « vrais hommes » sont ceux qui sont en mesure de protéger leurs familles avec un revolver. Vox est en ce sens une opération de défense d’une masculinité en crise.

LVSL – Vous plaidez en faveur d’un féminisme hégémonique ou transversal, capable d’infuser dans l’ensemble de la société. Aujourd’hui, de nombreux acteurs de la société espagnole cherchent à se définir comme féministes. C’est le cas du parti politique de centre-droit Ciudadanos par exemple, mais aussi d’entreprises qui s’évertuent à en faire un produit marketing dans une manœuvre de pinkwashing. Faut-il l’interpréter comme l’illustration de l’hégémonie du féminisme, ou comme une dilution de la radicalité du message ?

C.S. – Nous devons interpréter les tentatives d’appropriation comme les effets inévitables et naturels d’un féminisme qui tend à devenir hégémonique. Ces tentatives sont prévisibles, il fallait s’y attendre. C’est ce qui arrive quand une idée gagne du terrain. Les gens sont de plus en plus nombreux à vouloir porter le maillot de l’équipe en vogue. Nous devons nous interroger et nous demander quelle attitude politique adopter face à ces appropriations. Mais ces effets ne peuvent pas être perçus comme une mauvaise nouvelle, dès lors que la gauche entend poursuivre sur la voie de l’hégémonie. Si l’on y voit une mauvaise nouvelle, c’est que nous avons renoncé à livrer la bataille pour la conquête du sens commun. La question est désormais de déterminer comment nous allons continuer à mener cette bataille pour le sens commun alors qu’apparaissent ces tentatives d’appropriation. Il faut tout à la fois éviter que ces acteurs cooptent totalement le féminisme, et faire en sorte que le mouvement continue d’attirer davantage de gens.

En Espagne, on observe en ce sens deux mouvements antithétiques. D’un côté, Ciudadanos tente de se montrer sous un jour féministe, ce qui démontre que le mouvement féministe continue de croître, même si ceux qui disent nous rejoindre ne sont pas précisément ceux que nous attendions. D’un autre côté, Vox cherche à instaurer un duel, une bataille entre deux camps clairement définis : les féministes et les antiféministes. Nous ne souhaitons pas nous laisser enfermer dans ce duel où les deux blocs seraient figés, nous souhaitons élargir notre camp. C’est une période un peu délicate.

Nous devons donc aborder ces tentatives d’appropriation avec beaucoup d’intelligence politique, ce qui exige toujours d’évoluer dans une tension : élargir le mouvement et continuer d’inviter les gens à y participer, et dans le même temps être l’avant-garde qui lutte constamment pour définir ce que signifie être féministe.

Si Ciudadanos souhaite être féministe, alors bienvenue à eux, mais nous les invitons dans la foulée à débattre des demandes que le féminisme met aujourd’hui à l’agenda, et qui sont des demandes que les libéraux de Ciudadanos ne peuvent assumer. C’est une façon d’exacerber les contradictions présentes dans leur camp.

LVSL – Sur quelles demandes faudrait-il dès lors insister ?

C.S. – On peut par exemple mettre l’accent sur le renforcement des services publics, l’arrêt des privatisations, la défense des droits sociaux, l’égalisation des congés paternité et maternité, ou encore l’abrogation des réformes du marché du travail qui impactent en priorité les femmes, etc. Ce sont des thèmes qui mettent immédiatement en difficulté tous ceux qui, du jour au lendemain, ont commencé à se dire féministes.

LVSL – Il s’agirait d’endosser un féminisme résolument opposé au néolibéralisme ?

C.S. – Tout à fait. Plutôt que d’opposer un féminisme radical, anticapitaliste, à un féminisme néolibéral, nous avons tout à gagner à opposer le féminisme en lui-même au néolibéralisme. C’est selon moi la bonne stratégie. C’est la raison pour laquelle on gagne à les affronter sur le terrain du néolibéralisme, qui est au cœur de leur pensée et qu’ils défendront toujours avant tout, afin de faire exploser leurs contradictions internes. Si on les accepte dans le mouvement sous l’étiquette de « féministes néolibérales », on leur fait cadeau du label féministe et on place le débat à l’intérieur du féminisme entre anticapitalistes et néolibéraux. Nous devons chercher à nous placer sur le terrain qui nous est le plus favorable.

LVSL – Dans votre livre, vous insistez particulièrement sur l’importance des mythes dans l’enracinement de la culture patriarcale. En quoi faut-il les prendre au sérieux ?

C.S. – Le problème auquel nous faisons face est profondément enraciné dans notre culture et dans notre civilisation, il en est au cœur même. Le patriarcat est partie intégrante de la construction de la culture occidentale. On considère généralement que notre culture et les éléments qui édifient notre manière de voir le monde naissent en Grèce. Et quand on s’intéresse à la façon dont on se raconte la réalité, dont on établit les divisions fondamentales à partir desquelles on distingue la nature et la culture, on observe à quel point existait d’ores et déjà une manière de concevoir le monde qui assigne les femmes à une place donnée et les hommes à une autre. Ce qui implique que cette division entre les femmes et les hommes ne pourra disparaître qu’au prix d’immenses efforts.

Quand je m’intéresse aux mythes, c’est aussi pour adresser un message à ceux qui considèrent que les inégalités et l’exclusion des femmes a bien existé à un moment de notre histoire, mais que nos sociétés contemporaines auraient surmonté ces affronts. C’est une idée qui revient fréquemment : nos ancêtres traitaient affreusement mal les femmes, mais cette époque serait révolue. Il faut donc prendre conscience que le problème a des racines profondes, que les mythes, les contes, les légendes qui alimentent notre culture, y compris dans ses aspects les plus anciens, nous servent à identifier des fondements du patriarcat.

LVSL – C’est ce qui vous amène à tisser un lien entre la mythologie grecque et la problématique des mères célibataires…

C.S. – Dans le livre, de manière générale, j’ai essayé de mettre en relation un fait actuel avec des récits qui nous semblent plus lointains. Les faits qui sont évoqués peuvent être plus ou moins violents, de l’enfer que subissent les femmes de Ciudad Juarez au Mexique aux difficultés rencontrées par les mères célibataires.

Ces mères célibataires représentent un problème pour le système patriarcal, l’exclusion dont elles sont victimes n’est pas un épiphénomène de notre économie et de notre société. C’est un caillou dans la chaussure de la société patriarcale et de ses fondements millénaires. C’est la raison pour laquelle je me suis intéressée à la place de ces mères célibataires dans les mythes grecs, qui les soupçonnent d’être à l’origine du mal dans le monde. La mythologie grecque nous raconte qu’il existait un temps où les femmes pouvaient avoir des enfants par elles-mêmes, sans l’intermédiaire d’un homme. Mais cette maternité autonome est invariablement associée à la guerre, au désordre et au chaos. Jusqu’au moment où surgit un homme qui, en instaurant le modèle de la famille patriarcale, met de l’ordre dans la société. Les mythes grecs expliquent que pour que cessent la guerre et l’instabilité au profit de l’ordre et de la paix, les femmes doivent renoncer à leur autonomie dans la maternité. Cet exemple me semble éloquent.

LVSL – Dans la continuité des mythes, vous vous saisissez d’exemples issus de la culture populaire contemporaine pour mettre en relief leurs aspects patriarcaux. C’est notamment le cas lorsque vous illustrez la notion d’ « identité des indiscernables » de la philosophe Celia Amoros à travers les Schtroumpfs…

C.S. – En Espagne, la droite affirme que le féminisme est une forme de communautarisme, une manière de réifier et de collectiviser les femmes. À ce prétendu communautarisme, elle oppose un discours sur la liberté individuelle. Mais s’il y a bien un système qui a collectivisé les femmes, c’est le patriarcat ! La culture patriarcale transforme les femmes en un seul objet unifié. La philosophe féministe espagnole Celia Amóros parle à ce propos d’une identité des indiscernables : une femme vaut pour représenter n’importe quelle autre. Dès qu’une femme est mise en scène, elle incarne les attributs dont nous disposons toutes, à la différence des hommes, qui sont quant à eux dépeints dans toute leur diversité. Les hommes conçoivent dès lors très bien la possibilité d’être différents les uns des autres, mais les femmes apparaissent comme interchangeables et par conséquent inégales aux hommes.

De nombreux exemples l’illustrent dans le monde de la culture, les Schtroumpfs en sont un parmi les dessins animés, mais on peut en retrouver dans les contes, dans les films. Bien souvent, les personnages qui révèlent une pluralité de caractères sont les hommes : l’un est sympathique, l’autre est aventurier, etc. Ce sont les hommes qui démontrent qu’ils peuvent être autre chose que seulement des hommes. Les femmes, en revanche, sont cantonnées à leur rôle de femme. Par conséquent, il suffit qu’il y en ait une, pas besoin d’en mettre plusieurs en scène, car elles seraient fondamentalement identiques. De ce fait, dans l’imaginaire de beaucoup d’enfants, ce sont les hommes qui se répartissent les qualités et les caractères. Le cas des Schtroumpfs est assez édifiant : la fille s’appelle Schtroumpfette, alors que les garçons ont des noms qui reflètent leurs traits de personnalité. Mais elle, c’est la Schtroumpfette, car elle est la féminité, et rien d’autre. Il en va de même au cinéma, où l’on en vient parfois à parler de « la fille du film », comme si son rôle se limitait à sa présence en tant que femme.

LVSL – Cet enracinement de la culture patriarcale dans les contes se manifeste aussi dans le petit chaperon rouge. Comment ?

C.S. – Ces dernières années, avant même l’affaire de la Manada, des réflexions intéressantes se sont développées en Espagne sur les violences faites aux femmes, à l’image du travail de Nuria Barjola, qui analyse dans son livre Microphysique sexiste du pouvoir les conséquences d’un fait divers qui a bouleversé le pays : l’enlèvement, la séquestration, le viol et le meurtre de trois petites filles qui faisaient de l’autostop, dans la municipalité d’Alcasser, en 1992. Le traitement de cette affaire est un cas paradigmatique de l’endoctrinement que ma génération a subi, dans les années 1990, pour nous inciter à avoir peur. À la suite de cette affaire, qui a reçu un écho médiatique incommensurable, il est devenu impossible pour les jeunes filles de faire de l’autostop.

C’est un peu comme si l’affaire d’Alcasser avait occupé la même fonction que le conte du Petit chaperon rouge : rappeler aux femmes qu’elles ont des raisons de se méfier, qu’elles doivent avoir peur lorsqu’elles sortent dans la rue. Lorsque ce message passe par le conte, il se normalise, car on le relate aux petites filles comme si de rien n’était : on banalise l’idée que nous vivons dans une société qui fournit des raisons d’avoir peur, on leur apprend qu’il y a des loups en liberté dans la nature, qu’il ne faut pas parler aux inconnus, ni coucher avec des gens que l’on ne connaît pas sous peine d’être dupée car ils ont nécessairement de mauvaises intentions. On leur raconte que les petites filles exemplaires doivent rentrer directement à la maison ou chez leur grand-mère sans faire de détour, sans s’arrêter pour parler au loup.

Si l’on y pense un moment, c’est tout de même curieux qu’une société transmette ce message terrifiant aux petites filles sans même poser les questions féministes qu’il sous-tend : pourquoi y-a-t-il des loups et comment traite-t-on ce problème ? Comment faire en sorte que ce ne soit pas aux filles de se protéger des loups mais aux agresseurs de disparaître ? Le conte du petit chaperon rouge s’inscrit dans une culture patriarcale car il ne soulève pas cette question, bien au contraire, il l’évacue avant même de l’avoir posée.

LVSL – Lorsqu’on évoque les expressions les plus matérielles et les plus manifestes du patriarcat (les inégalités de revenus, par exemple) les solutions à mettre en place sont largement documentées et débattues. Mais lorsqu’entrent en jeu des ressorts culturels plus diffus, solidement incorporés dans les mentalités, les remèdes semblent plus complexes à envisager. La culture peut-elle jouer un rôle central dans une démarche contre-hégémonique ? Peut-on mettre en valeur des références alternatives, pensons à Fifi Brindacier par exemple, en contrepoint du Petit chaperon rouge, pour contribuer à briser les carcans des assignations de genre ?

C.S. – Le terrain des mythes et de la culture est effectivement plus complexe, d’autant plus que lorsqu’on envisage des solutions, on a parfois tendance à vouloir interdire, et c’est un problème. Car si la seule solution qui nous vient à l’esprit consiste à empêcher les petites filles de lire Le petit chaperon rouge, c’est une politique féministe vouée à l’échec. Il en va de même lorsqu’on pense à interdire les chansons machistes, à ne plus lire les auteurs de l’histoire de la pensée qui ont défendu des positions misogynes, c’est le cas de bon nombre d’entre eux.

Je pense que la meilleure solution consiste à adopter une démarche positive : à produire. Les politiques culturelles destinées à faire émerger des contre-exemples, une contre-culture qui vient disputer les modèles traditionnels, me semblent donc particulièrement efficaces. Bien souvent, on ne se rend pas compte à quel point on construit davantage l’hégémonie depuis l’émotionnel que depuis le rationnel. Prenez le cas d’un enfant qui, à l’école, entend dire par sa professeure qu’il ne faut pas traiter les filles comme des êtres inférieurs, mais qui lorsqu’il rentre chez lui regarde des films où joue à des jeux vidéo qui lui présentent le modèle exactement inverse, c’est peine perdue. Investir le terrain culturel me semble donc absolument crucial pour construire un monde différent.

LVSL – L’un des thèmes centraux du livre est le féminisme du care (feminismo de los cuidados). Vous plaidez pour une reconfiguration profonde de notre manière de concevoir l’économie depuis un point de vue féministe. Pouvez-vous nous en dire plus ?

C.S. – Le terrain de l’économie est une illustration du projet radical et profondément transformateur du féminisme. L’économie, telle qu’elle est enseignée dans les écoles, est toujours axée sur le marché. Le travail y est par conséquent défini dans le cadre d’un marché du travail, et il équivaut en ce sens à l’emploi. Le féminisme critique met l’accent sur l’existence d’une autre forme de travail, qui ne se résume pas à l’emploi. Une forme de travail qui n’est pas rémunérée, qui ne fait pas l’objet d’un échange sur le marché du travail, mais qui, pourtant, s’avère indispensable au bon fonctionnement et à la stabilité de la société. Il s’agit du travail du care : l’entraide, le soin apporté à autrui.

Ce travail du care, Aristote considérait qu’il était au cœur de l’économie, car l’économie était alors associée au foyer, à la sphère domestique, à la satisfaction des nécessités matérielles immédiates qui permettait ensuite aux individus de faire de la politique ou d’échanger des biens sur le marché. Il est curieux de constater que les activités proprement économiques selon Aristote, concentrées dans le travail du care, aient été invisibilisées et dévalorisées au point de devenir l’anti-économie dans la théorie classique. Cela nous révèle l’immense cécité d’une société qui relègue dans le domaine de l’invisible une question pourtant centrale.

Je crois donc que l’objet de l’économie d’un point de vue féministe, diffère sensiblement de celui de l’économie classique : le marché. Il en découle une question éminemment politique : quelles sont nos priorités, sommes-nous capables de donner de la visibilité à ces activités du care qui demeurent extérieures à l’agenda politique ? comment faire en sorte que les parlements et les gouvernements s’en saisissent ? La politisation du care, qui ne doit pas reposer uniquement sur les femmes mais devenir l’affaire de tous, me semble révolutionnaire : elle change notre manière de concevoir la société. C’est pourquoi nous en avons beaucoup parlé en Espagne ces dernières années.

LVSL – Le dernier chapitre de votre livre s’intitule « Les hommes peuvent-ils être féministes ? ». Les hommes ont-ils intérêt à s’extraire du patriarcat et des avantages que leur procure leur position de domination ?

C.S. – La philosophe féministe espagnole Celia Amoros dépeint le patriarcat comme un système hiérarchique qui oppose les hommes entre eux. C’est un point de vue un peu différent de celui de Carole Pateman. Pateman adresse une critique aux théories classiques du contrat social et démontre que le contrat social est avant tout un contrat sexuel, passé entre les hommes, pour asseoir leur pouvoir sur les femmes et se les répartir entre eux – un pouvoir qui se cristallise dans des institutions telles que le mariage.  Pour Celia Amoros, il ne s’agit pas tant d’un contrat, mais plutôt d’une compétition, un état de nature pourrait-on dire, qui oppose les hommes les uns aux autres pour déterminer qui accédera au pouvoir sur les femmes. De ce point de vue, les femmes constituent en quelque sorte un butin de guerre, à travers lequel les hommes exhibent et mettent en scène leur pouvoir auprès des autres hommes.

Dès lors, nous vivons dans une société patriarcale qui constitue aussi un terrain de compétition pour les hommes entre eux. Il existe des relations de domination patriarcale parmi les hommes, qui apprennent dès l’enfance qu’il y a des chefs, des dominants, et qu’il s’agit souvent de ceux qui ont le plus facilement accès aux femmes, ou de ceux qui sont les plus présomptueux quant à leurs relations avec les femmes. Il y a clairement une hiérarchie qui s’opère, et c’est pourquoi on devrait inviter les hommes à se demander s’ils n’ont pas tout à gagner à défendre le féminisme. Car je ne crois pas que beaucoup d’hommes soient véritablement heureux de vivre dans une société où ils peuvent constamment être dominés, humiliés par d’autres hommes, une société dans laquelle il faut faire preuve de vigilance à tout instant pour ne pas perdre ses galons de masculinité parce que les hommes sont très vite suspectés et accusés d’être des « pédales », de s’écarter de la masculinité. L’anthropologue féministe Rita Segato, qui est à mon avis une autrice-clé sur ce sujet, a bien analysé en quoi la masculinité n’est jamais acquise une fois pour toutes, elle doit être constamment reconquise et réaffirmée publiquement. Est-ce un monde désirable pour les hommes ? Je pense que beaucoup d’entre eux diraient que non, qu’ils ne veulent pas continuellement démontrer qu’ils ne sont pas « féminins », qu’ils ne veulent pas vivre sous la perpétuelle menace de perdre leur statut. C’est une réalité douloureuse pour beaucoup d’hommes. Nous les femmes sommes soumises à d’innombrables carcans, mais je crois que les hommes y sont eux aussi enfermés. Se libérer des carcans, c’est aussi une libération pour les hommes.

La nouvelle vague du féminisme espagnol

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Les manifestations spectaculaires du 8 mars 2018 et les mobilisations inédites contre la décision judiciaire dans l’affaire dite de « La Manada » inaugurent une nouvelle vague du féminisme en Espagne. La voix des femmes, qui peinait à se faire entendre jusqu’alors, s’est durablement installée dans le débat public. Le féminisme espagnol revendique l’égalité des droits, mais désigne également un coupable direct, l’État, accusé de perpétuer des relations de pouvoir inégales.


 

« Le féminisme s’étend en Espagne », « 8M : le féminisme fait l’histoire », « Le féminisme déclare la guerre a la ‘culture du viol’ suite au jugement de ‘La Manada’» … Voici quelques-uns des titres qui ont fait la une des journaux espagnols et internationaux en cette année 2018. Ces derniers mois, le terme « violence de genre » s’est imposé dans l’actualité espagnole. D’après la loi du 27 juillet 2007 pour la prévention et le traitement intégral de la violence de genre, ce type de violence, intervenant dans l’espace public ou dans la sphère personnelle de la victime, peut se traduire par des dommages physiques, sexuels ou émotionnels.

On parlera tout aussi bien de violences faites aux femmes (en espagnol, « violencia contra las mujeres », dite VCM), car les femmes sont bien entendu les premières victimes. Nos sociétés sont guidées par un système très ancien qui est de nature patriarcal, fondé sur des rôles de genre fermés, qui définissent des « caractéristiques » attribuées tantôt à l’homme, tantôt à la femme. En résultent des inégalités de pouvoir : on considère que les femmes sont, dans tous les aspects de leurs vies, dotées de capacités inférieures aux hommes – physiquement, intellectuellement, psychologiquement, etc. Comme le martèlent aujourd’hui les féministes en Espagne, les violences de genre ne se limitent pas aux agressions physiques, elles englobent aussi bien les abus sexuels, le mariage des enfants, l’excision ou encore la discrimination légale. Elles constituent, plus généralement, une atteinte à l’intégrité, à la dignité et à la liberté d’une partie de l’humanité.

Le féminisme espagnol, une histoire interrompue

Si l’inégalité d’opportunités entre hommes et femmes est un phénomène ancien, il faut attendre le XIXe pour voir éclore le féminisme en tant qu’ensemble de mouvements et d’idées au service de l’égalité, dans des domaines aussi divers que le politique, l’économie, le droit ou la culture. Le concept européen prend d’abord la forme du « suffragisme » anglo-saxon, qui conteste les révolutions libérales-bourgeoises et leur vision d’une citoyenneté excluant les femmes. Le « suffragisme » revendique la reconnaissance de la femme comme citoyen de plein droit – à travers l’élargissement du droit de vote – et oblige les gouvernements à revoir les lois discriminantes à son égard.

En Espagne, le féminisme devait se constituer dans un pays aux caractéristiques bien différentes du reste de l’Europe. Quand la démocratie s’installe dans une Espagne encore dominée par le système des caciques, le vote demeure un instrument de manipulation des électeurs au profit de chefs locaux. D’autre part, l’Espagne ne disposait pas d’une élite bourgeoise et progressiste capable de mener une révolution libérale, ni d’un système d’éducation en mesure de réduire l’analphabétisme, qui concernait les deux tiers de la population féminine. Enfin, le poids de l’Église catholique dans l’histoire de l’Espagne a maintenu le pays dans une forme de retard par rapport à une Europe de plus en plus laïcisée.

Malgré tout, tandis que le féminisme anglais bataillait pour obtenir le droit de vote des femmes et la reconnaissance d’un nouveau concept de femme salariée et émancipée, la pression sociale en Espagne s’accentuait pour obtenir des progrès en matière d’éducation et de protection sociale. Sous la Seconde République (1931 – 1939), le féminisme espagnol obtient pour la première fois des avancées de taille, concrétisées dans un cadre juridique qui donnait à l’Espagne catholique et retardée un visage renouvelé, moderne et démocratique. Parmi ces réformes, le droit de vote, le mariage civil et le droit de divorcer, la dépénalisation de l’adultère féminin, ou encore l’égalité salariale. Mais ces avancées en matière légale, brutalement stoppées par le déclenchement de la guerre civile puis la victoire du franquisme, n’ont pu se traduire en de réels changements sociaux. Les années de dictature (1939–1975) n’ont pas uniquement produit un coup d’arrêt en matière de droits des femmes. Elles ont marqué un retour au passé obscurantiste et ultra-traditionnaliste de l’Espagne, à une conception de la femme exclusivement définie à partir de deux rôles : la conjointe et la mère. Lorsque l’on retrace l’histoire du féminisme en Espagne, on peut parler d’une histoire interrompue par la dictature – au même titre que tous les projets de modernisation – le pays accusant quarante années de retard au regard du reste de l’Europe.

Ce n’est qu’à partir de la transition démocratique que la sphère politique et la société civile ont pu entamer le processus de reconstruction du pays en matière sociale, économique, culturelle ou internationale. Néanmoins, quelle que soit la couleur politique du gouvernement espagnol en place, les sujets de genre n’ont jamais été abordés comme une priorité, et les avancées sociales se sont accompagnées d’une tolérance à l’égard des abus de pouvoir qui affectent la vie quotidienne des femmes.

Mobilisation féministe à Saragosse le 8 mars 2018. ©Gaudiramone

2018 : le début d’une nouvelle force féministe

Au regard de cette histoire tumultueuse, l’année 2018 apparaît comme une étape fondamentale dans le développement du féminisme espagnol. « C’est une année historique […] même les femmes des villages et du monde rural de l’Aragon (Nord-Est de l’Espagne) sont descendues dans les rues pour manifester leur soutien à la cause féministe » nous assure Laura Comin, membre de l’assemblée féministe PURNA (« étincelle » en aragonais). Devant le nombre croissant de victimes de violence machiste et d’agressions sexuelles, dans un pays où la culture du viol s’était normalisée, les médias, les réseaux sociaux et l’opinion publique se sont enfin saisis de ces injustices. En témoigne l’ampleur des mobilisations à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars dernier. Une journée historique au cours de laquelle plus de 5 millions de femmes se sont mises en grève afin d’exiger l’égalité de droits et de conditions de vie. Dans la plupart des capitales régionales, c’est une marée féministe qui a déferlé dans les rues : près d’un demi-million de manifestantes à Madrid, cent mille à Séville et des dizaines de milliers de personnes dans la manifestation de Bilbao, dont les images spectaculaires ont été reprises par The New York Times. Les cortèges du 8 mars ont marqué les esprits par leur caractère transversal et intergénérationnel : aux côtés des militantes plus aguerries défilaient des femmes n’appartenant à aucune organisation féministe, tous âges confondus. Des profils de femmes très divers réunis autour de slogans rassembleurs : « tant qu’il y aura de la rage, il y aura du changement », « la révolution sera féministe ou ne sera pas », « quand je rentre chez moi je veux être libre, pas courageuse ».

Pendant des années, la violence conjugale en Espagne était considérée comme un problème relevant du domaine privé et l’on parlait volontiers de « crime passionnel ». Ce n’est qu’à la fin des années 1990 que les associations de femmes qui travaillent auprès des victimes ont insisté sur la nécessité d’une loi ciblant les violences conjugales. Pour ces associations, il s’agissait d’un problème d’État qui devait être combattu grâce à des politiques spécifiques dans le domaine juridique, social et dans l’éducation. Il faut attendre le 28 décembre 2004 pour voir apparaître la première loi en ce sens : la « Loi organique de mesures de protection intégrale contre la violence de genre » (« Ley Orgánica de Medidas de Protección Integral contra la Violencia de Género »). Cette loi visait à protéger les victimes de possibles agressions, à poursuivre les agresseurs, et à faire de ce type de violence un problème social à dénoncer. Indépendamment du contenu de la loi, le nombre de victimes de violences de genre reste élevé et irrégulier, avec deux grands pics en 2008 (76 femmes assassinées) et 2010 (73 victimes). Parallèlement, le nombre de plaintes déposées continue d’augmenter. Face à un système législatif inefficace qui n’a pas su freiner ces violences pendant de nombreuses années, c’est la société civile qui prend le relai et entame ce que l’on a appelé la « nouvelle révolution féminine » qui, d’après l’avocate féministe et activiste sociale, Emilia Caballero, « ne peut faire marche arrière ».

D’autre part, des faits divers plus récents ont cristallisé la question féministe en Espagne. Le procès de « La Manada » (« La Meute ») a déclenché une vague de contestation inédite. En avril, des juges de Pampelune ont statué que l’agression sexuelle commise par cinq Sévillans sur une jeune femme de dix-neuf ans lors des fêtes de San Fermín en 2016 ne relevait pas du viol en réunion mais de l’« abus sexuel ». Les cinq hommes ont ainsi vu leur condamnation réduite et sont aujourd’hui laissés en liberté dans l’attente de l’appréciation finale. Indignées par cette décision, des associations féministes ont organisé le 22 juin des manifestations de grande ampleur dans les principales villes d’Espagne, au son de « Hermana, yo sí te creo » (« Ma sœur, moi je te crois »). Les femmes se sont mobilisées pour dénoncer la culture du viol intériorisée dans les mentalités masculines et pour revendiquer le droit à l’espace public : « la rue et la nuit nous appartiennent à nous aussi » (« La calle, la noche, también son nuestras »). Mais à l’indignation liée à l’affaire de « La Manada » se mêlent une colère et une volonté plus générale de dénoncer les dysfonctionnements du système judiciaire espagnol, accusé d’être rétrograde. « La violence patriarcale, ça suffit ! », « les juges et les procureurs aussi sont coupables », « État machiste, État terroriste », scandaient à pleins poumons les manifestantes, signe que la société espagnole réclame une vaste modernisation du système. Le constat a rapidement débordé la société civile pour s’immiscer dans l’arène politique. Dans l’émission hebdomadaire de débats « La Sexta Noche », Margarita Robles, ministre de la Défense du gouvernement de Pedro Sánchez, a affirmé ne pas partager le verdict du procès de « La Manada ». La ministre, première femme à avoir présidé une Audience provinciale, celle de Barcelone, et troisième femme à avoir accédé à la fonction de magistrate du Tribunal Suprême, a déploré l’absence de formation des juges espagnols en matière de genre, ce qui limite de fait leurs compétences dans ce type de jugement.

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Ce diagnostic est partagé par Encarnación Bodelón González, docteure en Droit et directrice du Master « Genre et Égalité » à l’Université Autonome de Barcelone. « Avec des mesures économiques et surtout une véritable volonté politique », l’Espagne aurait pu connaître des changements effectifs, souligne-t-elle. Quelle que soit l’orientation politique du gouvernement, les bonnes initiatives impulsées par l’État ne se sont pas traduites par une mise en place effective. Pour la juriste, par exemple, la loi pour l’égalité de 2007, qui prévoyait l’introduction d’une matière d’éducation civique à l’école, « a été appliquée avec timidité au moment de sa création pendant le gouvernement du socialiste Zapatero, et une fois que le Parti Populaire a pris le pouvoir, elle a été interrompue ». Encarnación Bodelón, qui dirige également le centre de recherche Antígona sur les droits des femmes en Espagne, se veut malgré tout optimiste. Ces problèmes structurels pourront être résolus « grâce à la poussée des mouvements sociaux, de la société civile, mais aussi par les politiques publiques ».

Parmi ces problèmes, le manque de préparation des juges face aux affaires liées à la violence de genre est l’un des plus criants. D’après un article publié dans le journal espagnol El Confidencial, les îles Baleares, la communauté de Valence, la Catalogne, l’Aragon, la Navarre, La Rioja et la communauté de Madrid sont les régions où les individus accusés de violence de genre sont le moins souvent jugés coupables. Ce qui ne manque pas de remettre en cause l’objectivité des décisions judiciaires : si le procès de « La Manada » s’était tenu en Galice ou en Extrémadure, où les juges statuent contre les accusés dans plus de 80% des cas, le verdict aurait pu être totalement différent. « En ce qui concerne la violence de genre, les juges perdent l’objectivité et les lunettes de l’impartialité qu’on leur a appris à adopter. Ils ne savent tout simplement pas discerner les différentes situations dans lesquelles peuvent se produire les actes de violence de genre, et se basent sur des arguments préconçus qui démontrent la culture machiste dont ils sont encore imprégnés », souligne Encarnación Bodelón. L’Espagne ne respecte pas non plus la convention d’Istanbul, selon laquelle une femme ayant subi des violences a le droit d’accéder à une aide psychologique ou économique, comme l’accueil dans un foyer municipal de soutien aux victimes. D’après la juriste, la solution consisterait à mettre en place une formation aux questions de genre pour les juges, qui doivent connaître les aspects psychosociaux de la violence. L’amélioration du système pourrait aussi passer par la rotation des juges afin d’éviter la permanence de comportements guidés par leurs convictions personnelles, et par la valorisation des juges spécialisés dans ces questions, qui sont aujourd’hui plutôt mal vus dans la profession.

Malgré l’existence d’un système de protection sociale supposé offrir à tous les mêmes opportunités et les mêmes droits sociaux, l’État demeure largement androcentrique, et tous les citoyens ne sont pas jugés de la même manière. Nos sociétés ont adopté une structure patriarcale qui a conditionné la construction d’un État dont l’organisation est, elle aussi, patriarcale. Les institutions qui composent cet État – le système judiciaire, l’éducation – conservent une composante sexiste qui contribuent à invisibiliser les femmes. D’après Bodelón, ce n’est pas tant l’histoire des mentalités qui explique la spécificité des violences de genre en Espagne que la sclérose de l’État, qui doit opérer des changements fondamentaux. La juriste, qui a étudié les questions de genre en Europe du Nord, remarque qu’à travers des politiques publiques, comme l’égalisation des congés maternité et paternité en Suède, les pays scandinaves véhiculent un puissant message d’égalité à la société. En Espagne, plutôt que de préconiser ce type de mesures sociales, l’État continue de faire primer « l’aspect capitaliste qui considère que la priorité consiste à générer de l’argent par son travail ». Les premiers pas de Pedro Sánchez en la matière s’avèrent pour le moment timide. Dans le cadre des négociations avec Podemos sur l’adoption du prochain budget, le gouvernement socialiste s’est engagé à augmenter progressivement la durée du congé paternité (de cinq semaines actuellement à 16 semaines en 2021, soit la même durée que le congé maternité), mais uniquement pour les salariés du secteur public.

Les initiatives sociales, associatives, voire parfois étatiques sont nombreuses, mais leur mise en pratique laisse aujourd’hui encore à désirer, et le changement tarde à se faire ressentir. L’Espagne est néanmoins submergée par une révolution menée par la société civile qui a commencé à ouvrir les yeux des espagnols par rapport aux failles du système institutionnel qui les entoure, une révolution qui a débuté mais qui n’a pas l’intention de faire marche arrière.

 

Elena García