Parasite ou le triomphe de la Nouvelle vague coréenne

Parasite / DR

Palmé d’or à Cannes pour Parasite, le cinéaste Bong Joon-ho incarne le triomphe de la Nouvelle Vague sud-coréenne, née dans les cendres de la dictature. Un cinéma hautement politique, corrosif, qui ne se refuse aucun genre et n’oppose pas succès critique et triomphe commercial.


Lors de la 72ème édition du Festival de Cannes, justice a été rendue. En offrant la récompense suprême à Bong Joon-ho et Parasite, le jury a réparé un terrible affront : la Corée du Sud n’avait jamais reçu de Palme d’or ! Impensable, tant le cinéma sud-coréen est, depuis plus de vingt ans et la naissance de sa Nouvelle vague , l’une des industries les plus rafraîchissantes du cinéma mondial.

La Nouvelle vague naît en Corée sur les ruines de la dictature militaire, au milieu des années 1990. L’heure est à la libéralisation de la culture : le cinéma, autrefois sous tutelle ministérielle et soumis à une forte censure, s’ouvre à une génération de nouveaux réalisateurs. Biberonnés à la culture cinéphile, souvent issus de la Korean Academy of Film Arts (KAFA) dont ils vont faire exploser les codes, ces jeunes cinéastes – Bong Joon-ho donc, mais aussi Park Chan-wook, Lee Chang-dong ou encore Kim Jee-won – vont bénéficier d’un contexte favorable.

Tous ont la rage au fond du ventre, une colère revendicatrice à déverser sur les bobines, mais ils refusent le classicisme dans lequel un certain cinéma social tend à s’enfermer. Cela tombe bien, en ces années de libertés nouvelles, les coréens sont avides de nouveauté, de jamais-vu, de grand spectacle et boudent le conformisme. C’est cette alliance entre le cinéma de genre, dans sa fonction première de divertissement, et un cinéma radicalement politique, qui va fonder la Nouvelle vague.

À la conquête de l’Ouest

Films de monstre (The Host), thrillers sanguinolents (J’ai rencontré le diable), fables féeriques (Okja), drames horrifiques (Dernier train pour Busan)… Ce cinéma-là digère Claude Chabrol comme George Romero et s’autorise tout, ou presque. Il faut dire qu’il en a les moyens. Les chaebols, ces méga-entreprises qui structurent l’économie du pays, sont enclines à investir massivement dans le cinéma national, garantissant des budgets à la hauteur des imaginations des réalisateurs. D’un autre côté, la politique de protectionnisme culturel pratiqué par l’Etat (les cinémas doivent avoir un film maison à l’affiche au moins 40 % de l’année) limite la concurrence nord-américaine. Résultat : là où en France le box-office semble se réduire à un triste affrontement entre blockbusters américains et comédies françaises interchangeables, en Corée du Sud, ce sont les champions locaux qui font la pluie et le beau temps.

Alors que le Nouvel Hollywood semble bien loin aux Etats-Unis, que les grands cinéastes s’effacent devant les grandes franchises (on ne va plus voir un Spielberg, on va voir un Marvel), la Corée du Sud réaffirme la possibilité d’un cinéma d’auteur tout à la fois accessible et exigeant. Et finit, enfin, par être reconnue à l’international.

C’est là sans doute une des grandes forces de la Nouvelle vague sud-coréenne : ces thématiques, bien que fortement influencées par la société sud-coréenne, sont facilement exportables. Un témoignage de l’érudition cinéphile de ses ambassadeurs, capables de traduire en langue cinématographique universelle des préoccupations très coréennes ; de leur talent de conteurs, aussi : leur film ne sont jamais théoriques, ont toujours le souci d’accrocher le spectateur à travers une bonne histoire (le principe même de la fiction).

Un cinéma peuplé de marginaux

Quasi-thèse sociologique, Parasite en est un très bon exemple. Une famille très pauvre, acculée par la misère et le chômage, contrainte de vivre dans un entre-sol de Séoul, au-dessous du niveau de la rue, décide de monter une arnaque. Tour à tour, faisant mine de ne pas se connaître, ils vont se faire embaucher dans une famille bourgeoise du sommet de la ville, pour pouvoir vivre confortablement avec eux et « parasiter » leur quotidien. Comme Bong Joon-ho préfère prophétiser des lendemains qui flambent que des surlendemains qui chantent, la suite leur prouvera qu’il faut bien plus qu’une simple combine pour s’extraire des carcans qui enserrent la société. Et que la lutte des classes ne fera pas l’économie de la violence.

C’est le message répété film après film par Bong et ses camarades de la Nouvelle vague : ce monde bout, se contorsionne en attendant d’exploser, et nourrit la violence ultra-graphique de leur cinéma. Si la critique prend particulièrement bien dans une Corée ultra-inégalitaire, elle sonne tout aussi juste en Occident. Peut-on faire plus universel que la misère, les inégalités, l’espoir du changement ?

D’autant qu’il y a chez ces cinéastes un amour sincère pour les personnages prolétaires, les marginaux, ceux qui sont dépassés par les événements et sont condamnés à le rester. Chez Bong, c’est la mère d’un fils malade mental face à la justice (Mother), une petite fille de campagne confrontée à l’industrie agro-alimentaire (Okja), un commerçant et sa famille seuls face à un scandale sanitaire impliquant l’armée américaine (The Host). Des figures rarement représentées, ou alors mal, singés grossièrement dans les comédies françaises de droite, ou condamnés à un cinéma de critique sociale plus confidentiel (Ken Loach, les Dardenne, Stéphane Brizé…). Les cinéastes sud-coréens entretiennent un amour profond de leurs personnages miséreux, en faisant de véritables héros.

Cannes ne s’y est donc pas trompé. La Nouvelle vague coréenne est peut-être ce qui se fait de mieux en cinéma politique. Parce qu’elle ne prend jamais le grand public pour un idiot. Parce qu’elle met en avant des auteurs complets et talentueux. Parce qu’elle épouse l’intégralité du spectre cinéphilique, ne se refusant ni aucun goût ni aucune couleur. Parce qu’elle a compris la nécessité de proposer autre chose face à la machine hollywoodienne et pour cela, d’y mettre des moyens économiques et politiques. À bon entendeur…