« Simplifier le Code du travail ne signifie pas le déréglementer ! » – Entretien avec Gilles Auzero

https://www.youtube.com/results?search_query=gilles+auzero
Gilles Auzero

Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017, de nombreuses réformes autour du Code du travail ont été lancées ou sont déjà votées. On citera pèle-mêle la loi Pénicaud, qui fait suite à la première loi Travail instaurée par Myriam El-Khomri, la réforme de l’apprentissage, de la formation professionnelle ou encore des allocations chômage, qui s’est soldée par un échec entre les partenaires sociaux fin février. Pour mieux cerner la philosophie générale de ces réformes et comprendre ce que dit véritablement le droit du travail, nous avons interrogé Gilles Auzero, professeur agrégé des universités à l’Université de Bordeaux et co-auteur du précis de Droit du travail aux éditions Dalloz. Entretien réalisé par Valentin Chevallier.


LVSL : Après la loi El Khomri puis la loi Pénicaud, tout devait concourir, grâce à une flexibilité accrue, à ce qu’il y ait une réelle amélioration sur le front du chômage en France. Or, rien ne semble réellement l’attester aujourd’hui. Quelles en sont les raisons profondes d’après vous ?

Gilles Auzero : En vérité, il n’y a pas de lien de cause à effet avéré et scientifiquement démontré entre le droit du travail et la courbe du chômage, contrairement à ce qu’affirment certains économistes. Les réformes actuelles vont toutes dans le sens de davantage de flexibilité. Or, il ne semble pas y avoir d’amélioration, même s’il faut rester prudent. D’ailleurs, l’argument donné est que c’est trop tôt pour tirer des conclusions. On peut citer en exemple dans les ordonnances Macron le poids qui est donné à la négociation décentralisée. Or, cela ne peut être fait du jour au lendemain. Il faut donc laisser du temps au temps. En revanche, je ne suis pas du tout certain, pour ne pas dire que j’ai des doutes importants, qu’il y ait un effet sur la courbe de l’emploi en France. Certes, cela peut améliorer le fonctionnement des entreprises en leur donnant de la souplesse. Mais il ne faut pas s’arrêter à l’accord en lui-même mais regarder attentivement ce qui a été négocié entre les parties.

« S’il y a une amélioration prochaine de l’emploi dans les années à venir, bien malin celui qui pourra parfaitement montrer que c’est uniquement grâce aux réformes votées et non suite à une cause exogène, comme l’amélioration générale de la situation économique. »

Alors oui, il est urgent d’attendre, même si, au risque de me répéter, je doute d’un changement majeur. Mais regardons un petit peu ce qui a été fait dans le passé. Lorsque nous sommes passés des 39 heures aux 35 heures, il y a eu des créations d’emplois. Mais étaient-elles dues à la réforme ou à une embellie de la situation économique ? Jusqu’à présent, aucun consensus n’a été établi sur la question. Peut-être parce que l’économie n’est pas une science exacte. Certains arguent du contraire et ne cessent de souligner que parce qu’il y aura une réforme, il y aura créations d’emplois. On peut citer en exergue ce qui s’est également passé antérieurement, en 1986 avec la suppression de l’autorisation administrative de licencier pour motif économique. Là encore, il a avancé que cela entraînerait la création de nombreux emplois. Or les attentes ont, de ce point de vue, été déçues. S’il y a une amélioration de l’emploi dans les années à venir, bien malin celui qui pourra parfaitement montrer quelle part dans cette amélioration revient aux réformes juridiques et quelle part revient à la situation économique.

LVSL :  Le code du travail, tel qu’il est conçu aujourd’hui, permet-il d’améliorer l’existant ou n’est-ce pas tant l’objet de celui-ci ? Beaucoup soulignent que son épaisseur jouerait en défaveur de l’emploi.

GA : Tous les codes sont épais et tous les codes sont compliqués. Ce n’est pas propre au Code du travail. Regardez le Code civil, qui concerne l’ensemble des Français, il est compliqué. Le Code général des impôts est particulièrement ardu à comprendre. Alors pourquoi y-a-t-il ce marqueur sur le Code du travail ? Ce n’est pas tant sa longueur qui importe, que sa simplification, sans d’ailleurs que celle-ci aille nécessairement de pair avec une déréglementation. À l’évidence, certaines choses pourraient être soustraites du Code du travail et nombre de ses dispositions mériteraient d’être réécrites. Mais rappelons que le Code du travail est fondamentalement là pour protéger la partie faible du contrat. Cela doit rester son marqueur. Même si effectivement, et je suis le premier à le dire, il y a trop de contraintes sur les entreprises.

Ce qui est assez étonnant, c’est que ce sont ceux-là même qui adoptent au fil des années des lois qui viennent ensuite nous dire : « Oh c’est trop compliqué ! ». Jusqu’à preuve du contraire, ce sont eux qui les ont écrites, ces lois ! Donc d’une certaine manière, ceux qui qualifient le droit du travail de complexe y ont contribué. La question, finalement, est d’ailleurs éminemment politique. On peut avoir l’impression qu’à chaque changement de majorité, il faut une réforme du droit du travail. À peine les entreprises et partenaires sociaux ont-ils eu le temps de comprendre, de digérer, de se saisir d’une réforme qu’une nouvelle est mise en œuvre. Il y a cet effet stroboscopique, qui consiste à toujours modifier, parfois hélas pour le plaisir de dire que ce fut modifié.

« Tous les codes sont épais et tous les codes sont compliqués. Ce n’est pas propre au Code du travail. »

Il conviendrait d’attendre qu’une réforme ait été appliquée suffisamment longtemps pour en mesurer les qualités et les défauts, déterminer ce qui doit être conservé de ce qui doit être modifié. Enfin, ce que je voudrais souligner, c’est qu’on observe depuis quelques années que, peu importe la couleur politique à la tête de l’État, toutes les réformes portent la même philosophie consistant à donner plus de place à la négociation, au niveau décentralisé. Avec, en filigrane, l’idée que seule une politique néolibérale a la faveur de ceux qui nous gouvernent.

LVSL : Vous parliez du Code du travail comme garant des droits de la partie faible du contrat. N’y a-t-il pas justement un affaiblissement de cette partie au profit de la partie forte ?

GA : Non, pas directement. On ne peut pas dire automatiquement que les réformes des dernières années ont enlevé des droits aux salariés dans le Code du travail. Clairement, la négociation collective d’entreprise peut réduire les droits et avantages que la loi et les conventions de branches reconnaissent aux salariés. Mais rappelons que ce n’est pas direct car cette procédure relève d’un accord. Accord qui est signé, pour faire simple, entre les responsables de l’entreprise et les représentants des salariés. Ce qui importe d’ailleurs, plus que l’accord, c’est la qualité de la négociation et donc à la racine le rapport de force. Si le rapport de force est déséquilibré, il y a fort à parier que l’accord soit négocié au détriment des salariés.

« Ce qui importe c’est la qualité de la négociation et donc à la racine le rapport de force. Si le rapport de force est déséquilibré, il y a fort à parier que l’accord soit négocié au détriment des salariés. »

En revanche, si le rapport de force est équilibré, chacun peut faire des concessions raisonnées et raisonnables. Par exemple, les accords de performance collective qui ont été institués par les ordonnances Macron, mais qui ne sont que le prolongement de dispositions antérieures, peuvent relever au fond d’une idée plutôt bonne : une entreprise confrontée à des difficultés économiques d’ordre structurel. Pour y faire face, une négociation est menée afin, par exemple et pour faire simple, de réduire les coûts salariaux pendant une durée déterminée. Il s’agit, en économisant quelque sorte, de passer le mauvais cap et d’éviter, le cas échéant, des suppressions d’emplois.

Mais si c’est une question de rapport de force, c’est aussi une question de culture de la négociation. Très clairement, c’est bien de négocier, mais faut-il encore le vouloir ! En France, nous n’avons pas véritablement la culture de la négociation. D’ailleurs, cela avait été pointé dans le rapport Combrexelles, établi en 2015, et dans lequel les réformes législatives postérieures ont largement puisé. On voit apparaître à ce sujet, dans les grandes écoles, des cours de formation à la négociation. En France, nous sommes plus dans une tradition de grèves puis de négociations. En Allemagne, on négocie, et si cela ne débouche pas sur un accord, alors une grève est lancée. Attention toutefois aux effets de langage, car il y a de moins en moins de grèves en France. D’ailleurs, elles sont peut-être plus médiatisées justement parce qu’il y en a moins. Le taux de grève est en chute vertigineuse.

LVSL : N’y a-t-il pas un paradoxe justement quand on constate le taux de chômage chez nos voisins, en Scandinavie, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni ou en Allemagne ? Ont-ils un meilleur Code du travail ?

GA : Il faut absolument se méfier de la comparaison et être extrêmement prudent lorsqu’on s’y engage. De manière générale, la comparaison ne doit pas s’arrêter à une question précise, déterminée et être replacée dans un contexte plus large. Ainsi, en Allemagne, le taux de chômage est inférieur à celui de la France. Mais il faut regarder aussi la qualité de l’emploi. Une personne qui travaille par exemple 2h par semaine n’est pas considérée comme étant au chômage, mais la qualité de l’emploi est équivalente à zéro ! Le phénomène des travailleurs pauvres est une réalité en Allemagne. Qu’est-ce qui est le mieux ? Avoir peu de chômage et beaucoup de travailleurs pauvres ? Un peu plus de chômage mais avec des emplois de qualité ? Il faut choisir.

« Le phénomène des travailleurs pauvres est une réalité en Allemagne. Qu’est-ce qui est le mieux ? Avoir peu de chômage et beaucoup de travailleurs pauvres ? Un peu plus de chômage mais avec des emplois de qualité ? »

Il ne faut pas oublier qu’un système juridique s’insère, permettez-moi de le répéter, dans un ensemble plus vaste. On ne peut pas d’un claquement de doigts importer des systèmes juridiques qui sont propres à chaque culture, à chaque société.

Réfléchissons donc plutôt nous-mêmes, en prenant le cas échéant ce qui est fait de bien à l’extérieur, mais en regardant bien comment c’est pensé et réalisé à l’extérieur. Ce qui fait que les propos, souvent énoncés sur les plateaux, consistant à dire, telle une vérité absolue : « Regardez ce qui est fait en Allemagne, c’est mieux que chez nous ! En Allemagne, au moins, c’est mieux ! Etc. », sont hors de propos si on ne regarde pas à quel étiage, par rapport à comment c’est conçu et appliqué.

Autre exemple, au Royaume-Uni, il y a ce que l’on appelle des contrats à zéro heures. Interdits par le Code du travail en France, je tiens à le préciser. On vous embauche et vous ne savez pas combien d’heures vous allez travailler. Vous travaillez au sifflet. Alors, oui, vous pouvez considérer qu’une personne qui conclut ce contrat n’est pas chômeuse. Est-ce mieux ? Je vous en laisse juge.

Enfin, je crois qu’en France il faut arrêter cette culture de l’auto-dénigrement. Nous avons un système qui reste solide, avec des amortisseurs importants. Nous avons à cet égard peut-être relativement mieux résisté à la crise que nos voisins lorsqu’elle fut à son apogée. Nous avons un système de protection sociale qui est certes onéreux mais qui assure un amortissement social également important pour ceux qui en ont besoin. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas réformer, mais attention à la raison pour laquelle on souhaite réformer, d’autant plus si cela ne consiste qu’à prendre ce qui semble marcher ailleurs. Comparaison n’est pas raison !

LVSL : Au sujet de la formation professionnelle, antienne de nos politiques, quels sont les éléments qui peuvent expliquer qu’on reste sur un échec ? Est-ce vraiment mieux ailleurs, là encore, comme certains aiment le répéter, en pensant à l’Allemagne ?

GA : Un discours facile consiste à expliquer que si nous avons des chômeurs, c’est parce qu’il y a une mauvaise organisation et un fonctionnement déficient de notre formation professionnelle. Pourtant, c’est peu dire que ce système a été réformé à de nombreuses reprises depuis la loi fondatrice de 1971. Mais à chaque fois, c’est le même constat d’échec. Cela ne tend-il pas à démontrer que le problème n’est pas juridique ?

« La formation est importante pour l’évolution de l’emploi, mais ce n’est pas la panacée. »

L’apprentissage, qui fonctionne si bien en Allemagne, connaît un développement plus difficile chez nous. Pourtant, là encore, ce n’est pas faute de l’avoir réformé à de multiples reprises. De mon point de vue, la difficulté majeure en matière de formation professionnelle tient à la complexité des dispositifs existants ; complexité à laquelle le législateur n’est évidemment pas étranger. Il faut impérativement aller vers plus de simplicité en la matière. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a réalisé d’importantes améliorations en ce sens, spécialement sur les aspects institutionnels. Mais beaucoup reste à faire. En outre, il faut encore que les salariés et demandeurs d’emplois apprennent à se saisir des possibilités que la loi leur offre.

Je reviens enfin sur la vision de l’apprentissage en France. Réellement, dans notre pays, quel parent souhaite pour son enfant qu’il fasse d’abord de l’apprentissage ? Très peu. Alors qu’en Allemagne c’est une filière comme une autre, avec des entreprises qui ont leur propre centres d’apprentissage. L’apprentissage est une très belle voie, encore faut-il communiquer à ce sujet. Arrêtons de penser qu’être apprenti c’est être en situation d’échec. Le lycée professionnel est injustement dénigré en France comme le repère de ceux qui ont échoué au collège. Tout cela n’est pas lié à la règle de droit et au Code du travail.

LVSL : Patronat et syndicats se sont quittés sans parvenir à un accord sur la réforme de l’assurance chômage et des contrats courts. Le bonus/malus promis par le gouvernement est-il selon vous une solution ou n’est-ce qu’une mesure cosmétique ? Plus généralement, quel regard portez-vous sur les sujets discutés par cette réforme (allocations chômages, notamment ceux des cadres etc.) ?

GA : Ce qui gêne fondamentalement les partenaires sociaux est le fait que le gouvernement fixe, dès l’abord de la négociation, une lettre de cadrage. Certes, cela n’est pas forcément très contraignant mais il y a des passages obligés. Sur la question des contrats courts, je ne crois pas que cela soit un enjeu fondamental pour l’emploi en France. Oui, il y a beaucoup de contrats courts, en fonction des secteurs, mais si un employeur conclut un CDD court, c’est bien parce que la loi l’y autorise. Il faudrait donc sanctionner quelqu’un parce qu’il respecte la loi ! Il vaudrait mieux changer les dispositions prévues dans la loi plutôt que de taxer. Je peux comprendre qu’un employeur ne veuille pas entendre parler de cela, surtout si justement, pour son activité, il a besoin d’un CDD court.

« Quand vous avez besoin de quelqu’un pour une semaine, vous n’allez pas l’embaucher pour huit mois »

Après, qu’entend-on par contrat court ? À quel moment ce contrat devient-il long ? À quel moment doit-on taxer ? Qui taxe ? Pour qui ? Cela risquerait, de nouveau, de créer une usine à gaz dans un Code du travail déjà complexe. Quand vous avez besoin de quelqu’un pour une semaine, vous n’allez pas l’embaucher pour huit mois.

Les partenaires sociaux regrettent cette situation d’échec car la main revient au gouvernement. D’ailleurs, c’est un mouvement de fond. L’assurance chômage, qui était gérée autrefois par les partenaires sociaux, parce que financée exclusivement ou quasi-exclusivement par les cotisations sociales, intéresse de plus en plus le pouvoir exécutif. C’est aussi parce que ce ne sont plus les cotisations salariales qui vont la financer mais la CSG. Or, si c’est l’impôt, à juste titre, c’est le gouvernement qui reprend la main.

Plus généralement, on assiste à un paradoxe. Emmanuel Macron entretient d’ailleurs l’ambiguïté sur le sujet avec des relations très compliquées avec les partenaires sociaux. Laurent Berger, de la CDFT, se plaint de ne plus avoir de contacts aussi faciles avec l’exécutif. Les corps intermédiaires ont tendance à être mis de côté. Mais avec les gilets jaunes, on voit que les corps intermédiaires sont importants car ils structurent. Beaucoup d’employeurs se satisfont d’ailleurs du fait d’avoir des syndicats ou des représentants du personnel car ils viennent structurer les revendications. Là, on est en face d’une atomisation de revendications. On cherche des interlocuteurs mais ceux-là, immédiatement, sont considérés comme illégitimes pour représenter les gilets jaunes. Le problème vient aussi du fait que les gilets jaunes ne se sentent pas représentés par les syndicats, qui sont très faibles en France. On assiste à une remise en question profonde de l’organisation collective.

« Les gilets jaunes, ce n’est finalement que l’agglomération de revendications individuelles. La chute vertigineuse du taux de syndicalisation s’explique aussi pour cette raison. »

Mais ce qui est le plus dangereux est le triomphe de l’individualisme, qui porte un coup fatal aux corps intermédiaires et aux mouvements collectifs. Les gilets jaunes, ce n’est finalement que l’agglomération de revendications individuelles. La chute vertigineuse du taux de syndicalisation s’explique aussi pour cette raison. « Moi, en tant que salarié, qu’est-ce que cela va m’apporter d’être syndiqué, quel est mon intérêt ? ». Certes, en France, soyons réalistes, cela n’apporte pas énormément. Mais n’oublions pas ceux qui ont mené des batailles, parfois au détriment de leur carrière. L’action collective a du sens.

LVSL : Les prud’hommes et le gouvernement semblent se renvoyer la balle concernant la légalité des indemnités de licenciement, qui ont été amoindries depuis les dernières réformes du travail. Au regard du droit de l’OIT, qui se rapproche le plus de la vérité d’après vous ?

GA : Il y a très clairement un risque d’inconventionnalité même si les dispositions pertinentes en cause sont sujettes à interprétation. La convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) exige, en substance, qu’un licenciement injustifié soit assorti d’une réparation adéquate. Toute la question est de savoir ce qu’il faut entendre par là. Il n’est pas du tout acquis que réparation adéquate soit synonyme de réparation intégrale. Pour autant, le plafond qu’impose la loi ne permet pas nécessairement et systématiquement d’aboutir à une réparation adéquate.

Aujourd’hui, on est dans l’attente d’une prise de position de principe de la Cour de cassation qui va prendre du temps, compte tenu des délais judiciaires. Cela n’est guère satisfaisant. Car, outre l’insécurité juridique qui en résulte, c’est faire peser un bien grand poids sur les épaules des magistrats, à la place de qui je n’aimerais pas être. Remarquons toutefois qu’ils ont su par le passé prendre leurs responsabilités dans ce genre de situation. Il suffit à cet égard de songer au contrat première embauche.

« Le problème du barème Macron est que l’on a certes un plancher, mais on a surtout un plafond. Un juge ne peut aller au-delà du plafond, même s’il est établi que le salarié a eu un préjudice qui est supérieur au plafond. »

On en revient à une question plus générale, qui est celle de la peur de l’employeur d’embaucher. Il n’embauche pas car il ne sait pas à combien il va être condamné par le Conseil des prud’hommes. Comme si ce dernier s’amusait à condamner à verser des mois et des mois de salaires. Or, est-ce que le barème va réellement jouer sur l’emploi ? N’est-ce pas plutôt le fait que, si j’ai de l’activité, j’ai besoin de quelqu’un pour la soutenir, donc je vais embaucher ?

LVSL : Croyez-vous aux méthodes de négociations concertées, vantées par la CFDT ainsi que par les gouvernements successifs depuis 2012 au vu du paysage syndical en France ?

GA : J’ai l’impression que le gouvernement actuel ne le souhaite pas. Pourtant, ce genre de  négociation a, par le passé, bien fonctionné. Ainsi, la rupture conventionnelle, dont le succès ne se dément pas – plus de 450 000 cas en 2018 -, a été inventé par un accord national interprofessionnel de 2008, avant d’être reprise par un texte légal. De même, la réforme de la représentativité syndicale a d’abord été le fait d’un accord interprofessionnel. Après, ce n’est pas non plus une règle automatique. Le gouvernement ne semble pas spécialement vouloir être dans la concertation, ni avec les syndicats, ni avec les employeurs.

LVSL : Vous qui êtes spécialiste du droit du travail, à la différence de bon nombre d’économistes qui interviennent sur la question dans les plateaux, ne trouvez-vous pas justement que ces derniers ont pris une place beaucoup trop importante ?

GA : Il y a en effet une certaine injustice à l’égard du Code du travail. Pour le critiquer, il faut dans un premier temps le connaître. En exagérant à peine, j’ai entendu certains expliquer sur les plateaux de télévision ou à la radio qu’en France, il est impossible de licencier. C’est évidemment faux. Certains voudraient aussi nous faire croire que, dans notre pays, on ne peut pas travailler plus de 35h par semaine. Il y a là une méconnaissance de la règle de droit et donc des souplesses qu’elle offre. Le Code du travail est certes complexe mais pas si contraignant. Le droit du travail actuel offre beaucoup de flexibilité aux entreprises.

« On pourrait créer des services dédiés au conseil, notamment auprès des petits entrepreneurs. Il faut davantage communiquer, au lieu de dire que le droit du travail est trop compliqué. »

Il faudrait, sans mise en avant quelconque, que sur les plateaux de télévision ou de radios, on fasse intervenir plus de juristes. Le problème c’est que le droit n’est pas sexy, disons-le clairement. Le droit nécessite du temps, qui est une denrée rare. Généralement, dès que les questions juridiques sont abordées, elles sont balayées par les animateurs. J’entends parfois : « Vous n’allez pas nous faire un cours. » Justement, si ! Il est possible d’expliquer, simplement, si on le veut, le droit du travail, sans rentrer dans les mécanismes complexes. Mais on ne peut pas le faire en trois phrases.

Je crois à la simplification, notamment pour les petites structures. On devrait sincèrement faire une étude des conséquences du discours économique sur les réformes de l’emploi. Mais attention, la simplicité n’équivaut pas forcément, bien au contraire, à davantage de dérèglementation. Il faut peut-être justement aller réellement vers plus de simplification, mais moins de déréglementation. Personne ne niera que le Code du travail est compliqué, tout comme les autres codes. La fusion des représentants du personnel dans les ordonnances Macron apporte davantage de simplicité. Mais je n’ai pas l’impression qu’on cherche réellement à simplifier, malheureusement.

Réforme de la SNCF : quand “modernité” rime avec retour au siècle dernier

Creatives commons
Locomotive à vapeur

A l’hiver 1995, Alain Juppé et son gouvernement s’étaient heurtés, après avoir annoncé une réforme des régimes spéciaux de la SNCF, à une mobilisation d’une ampleur inédite depuis mai 68, rythmée par trois semaines de grève. Le Premier ministre avait ainsi été contraint de céder face à des grévistes largement soutenus dans l’opinion publique. Il est aujourd’hui intéressant de rappeler cet épisode, alors que le gouvernement actuel promet lui aussi une réforme de la SNCF, qui comprend notamment la remise en cause du statut des cheminots. « En 1995 nous avons fait sauter Juppé, en 2018 on fera sauter Philippe », a d’emblée averti la CGT-Cheminots, pointant du doigt un « passage en force » du gouvernement, après l’annonce par le Premier ministre Édouard Philippe d’un nouveau recours aux ordonnances. Si les syndicats tiennent à cette analogie, qu’en est-il vraiment ?

Le rapport Spinetta, un texte inquiétant

Le 15 février dernier, le Premier ministre Édouard Philippe a en effet rendu public le « rapport Spinetta », qui vise à préparer une « refonte du transport ferroviaire » en profondeur. Si le gouvernement s’est estimé satisfait de ce « diagnostic complet et lucide », pour les syndicats CGT-Cheminots et SUD-rail, il annonce tout simplement la fin du « système public ferroviaire ».

Parmi les 43 propositions avancées par l’ancien PDG d’Air-France, ce rapport préconisait notamment la fin du statut des cheminots, la transformation de la SNCF en société anonyme privatisable, l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire et la fermeture de 9 000 km de lignes, jugées non-rentables.

La CGT-Cheminots a dénoncé d’emblée ces préconisations, qui « constituent une attaque inédite contre le transport ferré public et contre celles et ceux qui, au quotidien, font le choix du train, quelle que soit la région ou le territoire. », ajoutant que « le gouvernement s’apprête à confisquer à la nation son entreprise publique ferroviaire », avant d’appeler à la grève et à une journée de mobilisations le 22 mars.

Le gouvernement contraint à agir rapidement

Édouard Philippe a donc, une dizaine de jours seulement après la remise du rapport Spinetta, annoncé les principaux axes pour bâtir ce nouveau « pacte ferroviaire ». Celui-ci repose sur la fin du recrutement au statut de cheminot à la SNCF, le Premier ministre suivant ici à la lettre les recommandations du rapport. Pour boucler la réforme avant l’été, l’exécutif a lancé dans la foulée une concertation avec les syndicats, les élus locaux et les représentants d’usagers. Les discussions concernant l’ouverture à la concurrence pour les TGV et les TER ont déjà commencé. Puis, à partir de mi-mars, elles porteront sur l’organisation future de la SNCF, et enfin, à partir de début avril, sur l’avenir du statut des cheminots.

Comme cela avait déjà pu être le cas avec la réforme du Code du Travail, la présentation de ce rapport, délibérément offensif et extrême dans ses préconisations, permet au gouvernement de passer a posteriori pour modéré dans ses mesures. Édouard Philippe a insisté en ce sens sur sa décision de renoncer au projet de suppression des 9 000 km de lignes non-rentables, mesure la plus décriée avec 79% d’opinion négative selon le baromètre Odoxa de février, remettant en cause la mission d’intégration des territoires au cœur du service public ferroviaire. Une manière habile, il faut l’avouer, de désamorcer une contestation potentiellement mobilisatrice sur ce thème.

Le gouvernement n’a donc pas tardé à préparer ce plan de réforme de la SNCF, conscient que la mise en marche rapide de réformes permet à Emmanuel Macron d’asseoir son capital politique, tant auprès de ses électeurs que des sympathisants de droite. Cette posture de président mobilisé, en ordre de bataille, dégainant ordonnance sur ordonnance, renvoie certes à une forme assez classique de bonapartisme, mais peut aussi comporter en même temps (sic) une forte dimension populiste, en cela que le gouvernement, et ses relais médiatiques, stigmatisent une catégorie de la population – accusée d’être « privilégiée » – sous prétexte que ses acquis sociaux nuiraient au reste de la population du pays. La mise à l’écart des corps intermédiaires que sont les syndicats et la représentation nationale, à travers le recours annoncé aux ordonnances, fait donc partie intégrante de sa stratégie d’un pouvoir politique vertical et efficace, d’une forme de populisme néo-libéral, qui s’appuie ici sur la représentation stéréotypée de cheminots « privilégiés » et « tout le temps en grève », hélas très ancrée au sein de la population.

Le statut des cheminots, bouc-émissaire de la réforme ?

Concentrer la communication autour de la réforme de la SNCF sur cette suppression du statut des cheminots présente donc un avantage que l’exécutif espère décisif, à savoir isoler les cheminots dans la défense de leurs acquis  sectoriels, conservateurs et égoïstes.

Les cheminots auront sur ce point certainement plus de mal qu’en 1995 à rallier l’opinion publique à leur cause. Selon un autre sondage Odoxa publié le 1er mars, « les Français sont unanimement favorables à la suppression du statut de cheminot : cette décision est très largement approuvée (72%) et fait consensus au niveau sociologique et même politique. » Logiquement dès lors, « près de 6 Français sur 10 (58% contre 42%) estiment injustifiée la mobilisation envisagée par les syndicats pour s’opposer à la réforme de la SNCF ». Des chiffres qui peuvent rassurer Édouard Philippe, dont le mentor, Alain Juppé, avait justement trébuché sur ce même sujet il y a près d’un quart de siècle …

Il faut dire que la situation sociale a changé depuis cette période. La crise économique de 2008, avec la flambée du chômage et de la précarité, semble avoir joué un rôle indéniable dans cette désolidarisation de l’opinion publique, dans un contexte d’affaiblissement de la qualité des prestations de l’entreprise, entre retards et hausse des prix.  De quoi interroger les moyens de mobilisation auxquels pourront avoir recours les syndicats.

Avec Macron, retour en 1920

Pour saisir l’ampleur du recul historique que représente cette réforme, encore faut-il rappeler les conditions de la naissance de ce statut des cheminots. En effet, lorsque celui-ci est créé en 1920, le transport ferroviaire est un marché concurrentiel disputé par des compagnies privées. Le statut des cheminots apparaissait dès lors comme un moyen d’harmoniser les conditions de travail et de vie des travailleurs de ce secteur stratégique, exposés à une forte pénibilité. Or, le gouvernement annonce la mise en concurrence de la SNCF, en supprimant son monopole sur le transport ferroviaire, tout en supprimant dans la foulée ce statut historique.

Comme si Marthy MacRon prenait le train de Retour vers le futur, pour revenir à cette époque. C’est en effet un retour en arrière, antérieur à 1920, que prépare le gouvernement, qui compte faire d’une pierre deux coups : libéraliser le transport ferroviaire en l’ouvrant à la concurrence, et renier le statut des cheminots qui ne s’appliquerait plus qu’à la SNCF, en pointant du doigt un potentiel handicap pour l’entreprise, en situation de concurrence.

Creative commons
Un groupe de cheminots du PLM devant une locomotive Pacific, en 1912.

Certes, si l’on en croit Charles Consigny, on peut se dire qu’« à la SNCF ils vous disent que leur quotidien c’est Germinal alors qu’ils finissent à 17h ». Si l’on peut tout d’abord s’étonner de cette affirmation, puisqu’il peut arriver de voir passer parfois des trains après cinq de l’après-midi, on peut également se dire que c’est justement grâce à ces acquis, que le quotidien des cheminots n’est plus – tout-à-fait – celui des mineurs décrits par Zola. Peut-être que Charles Consigny aimerait en revenir à ce temps, remarque, cela n’est pas inenvisageable. Mais les prochaines semaines risquent d’avoir davantage un air de Bataille du rail …

Vers une société anonyme privatisable ?

Car les syndicats apparaissent en ordre de bataille, pour lutter contre une autre mesure prévue par cette réforme : la transformation de SNCF Mobilités, la branche de la SNCF gérant les trains, en société anonyme « à capitaux publics détenue en totalité par l’État », afin de satisfaire les exigences européennes. Un statut qui la rendrait tout simplement privatisable, si une nouvelle loi en décidait ainsi.

L’entretien du réseau et son développement, secteurs qui génèrent le plus de dépenses et le moins de bénéfices, resteraient bien sûr à la charge du contribuable. Dans le même temps, nul besoin de prévenir que l’introduction de compagnies privées pour concurrencer l’opérateur public réduira de façon dramatique les recettes générées par le trafic pour la compagnie jusqu’ici en situation de monopole. Un énième moyen de privatiser les profits et de socialiser les pertes.

De même, rappelons que c’est la construction des LGV qui a essentiellement contribué à augmenter la « dette » de la SNCF, tout en bénéficiant largement au privé, à travers des partenariats public-privé juteux pour les géants du secteur. Dans un article intitulé « LGV Tours-Bordeaux : Vinci nous roule à grande vitesse ! », ATTAC révélait les dessous de ce genre de partenariats : Lisea, une filiale de Vinci, qui devait intégralement financer la ligne, n’a finalement investi que 2,4 milliards d’euros sur les 7,6 de coût total. Pourtant, cette entreprise touche bel et bien l’intégralité des taxes de péages, à chaque fois qu’un TGV emprunte ces lignes.

Plus que le statut des cheminots, qui apparaît avant tout comme un acquis social historique défendu par des acteurs stratégiques du service public, ce sont donc ces partenariats public-privé, facilités par la politique du « tout-TGV », qui apparaissent comme la source principale de l’endettement de la SNCF. Autant dire qu’assainir les comptes de cette entreprise publique ne passera pas par une libéralisation du transport ferroviaire, qui privatiserait sensiblement les activités rentables, tout en faisant porter le poids des dépenses d’entretien et d’investissement dans de nouvelles infrastructures sur la collectivité. Une utopie libérale pourtant bientôt réalisée ? À quelques ordonnances près, manifestement.

 

 Crédits photo :

Un groupe de cheminots du PLM, 1912, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cheminots_du_PLM.jpg

 

Ordonnances : le PS tente de faire oublier sa loi Travail

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Fourcade_El_Khomri_2.JPG
Myriam El-Khomri © Chris 93

Bien décidé à se refaire une santé après la débâcle du quinquennat Hollande, le PS tente de se redonner une image « de gauche » en s’opposant à la « réforme » du code du travail par ordonnances portée par Muriel Pénicaud. Un périlleux numéro d’équilibriste pour un parti qui a commis les lois Macron et la loi El Khomri, de la même veine libérale, lorsqu’il était aux affaires. Les représentants du PS ont beau jeu de fustiger aujourd’hui une politique qu’ils appliquaient, approuvaient et justifiaient il y a quelques mois encore. Quitte à prendre quelques libertés avec la vérité … Car si différence il y a entre les gouvernements de François Hollande et d’Emmanuel Macron, il s’agit tout au plus d’une différence de degré mais certainement pas d’orientation politique.

 

Une posture de « gauche » pour se refaire une virginité politique

Les députés Luc Carvounas, Stéphane Le Foll et leur président de groupe Olivier Faure font en ce moment le tour des plateaux pour dire tout le mal qu’ils pensent des ordonnances Pénicaud. Ils critiquent tant la méthode que le contenu des ordonnances. Ils martèlent que Macron est un président « et de droite, et de droite » et tentent de réactiver un clivage droite-gauche qu’ils ont eux-mêmes complètement brouillé en menant une politique antisociale à laquelle la droite ne s’est opposée que par opportunisme politique et par calcul électoral. Macron n’est-il pas un pur produit du PS de François Hollande ? Emmanuel Macron, après avoir conseillé Hollande pendant la campagne de 2012, est nommé secrétaire adjoint de l’Elysée de 2012 à 2014 puis ministre de l’économie de 2014 à 2016. Emmanuel Macron a été l’un des personnages clé du quinquennat de François Hollande et il a joué les premiers rôles sur les dossiers économiques et sociaux. C’est, en quelque sorte, la créature du PS qui lui a échappé des mains et qui a fini par se retourner contre lui. Une partie conséquente de la technostructure du PS a d’ailleurs migré vers LREM, dans les valises de Richard Ferrand.

Le groupe « Nouvelle Gauche » réunissant les députés PS rescapés de la gifle électorale de 2017, s’est du reste largement abstenu, lors du vote de confiance au gouvernement d’Edouard Philippe. Seuls 5 d’entre eux dont Luc Carvounas aujourd’hui très en verve contre la ministre du travail, ont voté contre.

 

L’enfumage de Luc Carvounas sur son soutien à la loi El Khomri

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Luc_Carvounas_-_1.jpg
Luc Carvounas © Clément Bucco-Lechat

Le 28 août, dans l’émission News et compagnie (BFM TV), Bruno Jeudy pose à Luc Carvounas la question suivante : « Quand on a soutenu la loi El Khomri il y a encore 2 ans, vous allez maintenant dire tout le mal que vous pensez des ordonnances Macron ? » Luc Carvounas rétorque : « Alors, Bruno Jeudy, je suis désolé, vous êtes un très grand observateur politique. Je suis sénateur, je n’ai pas voté la loi El Khomri. Voilà, je suis désolé. »  Suite aux objections du journaliste  (« D’accord mais vous avez soutenu le pouvoir qui était en place. Vous étiez un proche de Manuel Valls. Comment on passe de la situation de “je suis derrière la loi El Khomri” à “je suis contre les ordonnances Macron” ? »), Luc Carvounas persiste et signe : « Bon si vous voulez me faire dire que j’étais derrière la loi El Khomri, ce n’est pas le fait. J’appelle celles et ceux qui veulent vérifier sur internet le cas (sic). » Formulé ainsi, on pourrait tout à fait croire que Luc Carvounas était l’un des parlementaires PS “frondeurs” qui se sont opposés à la loi El Khomri et, plus largement, à l’orientation de plus en plus libérale de François Hollande.

Vérification faite : Luc Carvounas, à l’époque sénateur, a bien voté contre l’ensemble du projet de loi El Khomri le 28 juin 2016. Il omet cependant soigneusement de rappeler ce qui a motivé son vote. Et pour cause. Si Luc Carvounas n’a effectivement pas voté le texte final sur la loi travail présenté au Sénat, ce n’est certainement pas par opposition à la philosophie de la Loi Travail ni même à la dernière mouture du projet défendu par le gouvernement. Les sénateurs PS avaient en réalité tous voté contre la version du projet présentée par la majorité sénatoriale de droite qu’ils jugeaient « complètement déséquilibrée ». D’ailleurs, Myriam El Khomri elle-même y était opposée ! Elle fustigeait, dans un tweet datant du jour du vote,   « la majorité sénatoriale de droite [qui]  a affirmé sa vision de la Loi Travail : un monde sans syndicats, un code du travail à la carte. » Une question de degré en somme. Le sénateur Carvounas a également voté contre presque tous les amendements déposés par le groupe communiste  et par ses collègues socialistes frondeurs comme Marie-Noël Lienemann.

Luc Carvounas  appartient à l’aile droite du PS. Il a été un fervent défenseur de la loi Travail et, plus largement, de la ligne de Manuel Valls dont il était l’un des principaux lieutenants au Sénat comme dans les médias et qu’il a activement soutenu aux primaires du PS de 2011 et de 2017 avant de prendre ses distances. C’est lui qui s’exclamait, le 10 mai 2016, sur le plateau de France 24 (8’45) : « Il est où le problème pour celles et ceux qui nous écoutent, de ce texte [loi el Khomri, ndlr]? Il n’y en a pas en fait ! ». C’est toujours lui qui ne comprenait pas pourquoi une partie  jeunesse manifestait contre la loi El Khomri. C’est encore lui qui reprochait à ses collègues frondeurs « d’être plus jusqu’au-boutistes que la CGT ». Cette CGT qu’il accusait d’être une « caste gauchisée des privilégiés. » Et le voilà maintenant qui annonce qu’il participera, avec ses collègues du PS, à la manifestation organisée par la même CGT le 12 septembre contre les ordonnances Pénicaud ! La direction de la CGT n’a pourtant pas changé entre temps et elle s’oppose aujourd’hui aux ordonnances Pénicaud pour les mêmes raisons qu’elle s’opposait hier à la Loi El Khomri.

 

LR, LREM et PS : les 50 nuances du libéralisme économique UE-compatible

 La véritable ligne de démarcation se trouve-t-elle entre LREM et le PS ou entre le PS et la CGT ? En réalité, LR, LREM et PS ne sont aujourd’hui que des nuances d’une seule et même grande famille politique et intellectuelle : le libéralisme économique UE-compatible. Les uns et les autres s’accusent d’être « trop à gauche » ou « trop à droite » et de « ne pas aller assez loin » ou « d’aller trop loin » dans le démantèlement progressif des droits sociaux conquis auquel ils contribuent tous lorsqu’ils gouvernent.

Tous inscrivent leur politique dans le cadre de la « règle d’or » budgétaire européenne et entendent suivre bon an mal an les Grandes Orientations de Politique Economique de la Commission européenne, demandant çà et là des reports ou des infléchissements à la marge lorsqu’ils sont en exercice. La loi El Khomri était d’ailleurs une loi d’inspiration européenne. Rappelons aussi que c’est la majorité socialiste de l’Assemblée Nationale qui a permis, en octobre 2012, la ratification du « traité Merkozy » qui n’avait pas été renégocié par François Hollande, contrairement à sa promesse de campagne. Quant à Emmanuel Macron qui se faisait introniser au Louvre sur l’air de l’Hymne à la joie, il entend bien devancer les attentes des dirigeants européens euphoriques depuis son élection.

 

Se faire élire à gauche, gouverner à droite

 

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:François_Hollande_-_Janvier_2012.jpg
François Hollande © Matthieu Riegler

Le PS veut incarner aujourd’hui la gauche du capital face aux « Républicains » et à la « Grosse coalition » à l’allemande de Macron qu’il juge trop à droite. C’est ce qu’ils appellent la « gauche responsable » ou « la gauche de gouvernement ». Les socialistes surjouent cette posture de gauche maintenant qu’ils sont repassés dans l’opposition. Difficile de démêler la part de calcul, d’opportunisme et de conviction au regard de leur passé gouvernemental récent …

François Hollande s’est rappelé à notre mauvais souvenir cet été en exhortant son successeur à ne pas « demander des sacrifices aux français qui ne sont pas utiles » car il estime qu’il « ne faudrait pas flexibiliser le marché du travail au-delà de ce que nous avons déjà fait au risque de créer des ruptures. » Différence de degré encore une fois. François Hollande et le PS estiment qu’ils en ont déjà fait assez, les macronistes estiment qu’il en faut encore plus et Les Républicains estiment qu’il en faut toujours plus. Tous sont donc d’accord pour « flexibiliser », c’est-à-dire précariser, le travail et se disputent quant à la dose à administrer aux travailleurs. Le Medef et la Commission européenne, eux, jouent les arbitres et distribuent les bons et les mauvais points.

Du reste, François Hollande a beau jeu de jouer la modération aujourd’hui, ne se rappelle-t-il pas des premières versions de la Loi Travail ? Quant à sa version finale, elle prévoit qu’en matière de temps de travail, un accord d’entreprise puisse remplacer un accord de branche même s’il est plus défavorable aux salariés ; elle généralise la possibilité de signer des accords d’entreprise ramenant la majoration des heures supplémentaires à 10%, elle introduit les « accords offensifs », c’est-à-dire la possibilité de modifier les salaires à la baisse et le temps de travail à hausse dans un but de « développement de l’emploi », elle élargit les cas de recours au licenciement économique entre autres joyeusetés. Et les premiers dégâts se font déjà sentir … Modéré, vous avez dit ?

Le PS crie sur tous les toits qu’il faut « réinventer la gauche ». En réalité, ici, il n’est question ni de gauche, ni de réinvention. Il s’agit de se faire élire à gauche pour gouverner à droite comme François Hollande qui désignait en 2012 la finance comme son ennemi pour s’empresser de gouverner avec elle et pour elle. Le « retour » d’un François Hollande à la réputation « de gauche » bien trop ternie, pourrait compromettre cette opération de ravalement  de façade que tout le monde appelle de ses vœux à Solférino.

Crédits photo :

© Chris93 (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Fourcade_El_Khomri_2.JPG)

© Clément Bucco-Lechat (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Luc_Carvounas_-_1.jpg)

© Matthieu Riegler (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:François_Hollande_-_Janvier_2012.jpg)

Réforme du marché du travail : les entreprises aussi seront perdantes, par David Cayla

Emmanuel Macron va-t-il réformer le marché du travail par ordonnances malgré une majorité écrasante à l’Assemblée ? Oui, probablement, car c’est son projeeeeet !! David Cayla, économiste de plus en plus atterré, nous explique ci-dessous pourquoi.

Si l’on sait que les salariés seront, une fois de plus, les grands perdants de la réforme, il se pourrait que les entreprises, notamment les TPE-PME, soient durement “impactées” (comme on dit dans les Start up nations) elles aussi. Il se pourrait aussi que le dialogue social en sorte, contrairement à ce qu’on nous dit et redit, durement affaibli. 
***
Fort d’une majorité pléthorique, le gouvernement En marche devrait très vite s’atteler à la première des grandes réformes du quinquennat, celle du marché du travail. Les ordonnances sont-elles toujours d’actualité ? Rien dans le discours gouvernemental ne laisse présager que sa très large victoire aux législatives l’amène à réviser sa méthode. Car la procédure par ordonnances permet d’empêcher le Parlement de déposer des amendements en ne lui laissant la possibilité que d’approuver ou de rejeter en « bloc » l’ensemble du projet tel qu’il aura été conçu durant l’été. C’est un double avantage pour le président. D’une part cela accélère et simplifie la procédure, d’autre part cela interdit toute dénaturation parlementaire du projet gouvernemental.
UNE MÉTHODE AUTORITAIRE
Il faut dire que lorsqu’il était conseiller à l’Elysée, Emmanuel Macron a pu mesurer la difficulté pour un gouvernement de faire passer ce genre de textes. Moins d’un an après son élection, la majorité socialiste s’était alors déchirée pour transposer dans la loi l’accord national interprofessionnel (ANI) signé en janvier 2013 entre les organisations patronales et trois organisations syndicales (CFDT, CFE-CGC et CFTC). La question des accords « compétitivité-emploi » avaient entrainé une bataille de tranchée entre les députés socialistes dont certains furent affublés du sobriquet de « frondeurs ». L’un d’entre eux, Jérôme Guedj raconta par la suite dans Mediapart comment la bataille d’amendements avait fini par faire que« l’ANI ne soit plus tout à fait l’ANI ».
Il est clair qu’Emmanuel Macron ne souhaite pas prendre un tel risque. C’est la raison pour laquelle il y a tout lieu de penser que quelle que soit l’étendue et la docilité supposée de sa majorité il réformera bien le droit du travail par ordonnance.
Sur le fond, le gouvernement prétend que rien n’est acté et que tout dépendra des discussions et des rencontres qui se tiendront au cours de l’été avec les syndicats et le patronat. Mais le fait même de parler de « concertation » et non de « négociations » signifie bien que le gouvernement ne s’engage pas à déboucher sur un accord. On peut donc légitimement penser qu’il sait parfaitement ce qu’il veut imposer comme réforme et que l’objet des discussions estivales n’est pas de permettre aux « partenaires sociaux » de « co-construire » la loi mais de trouver jusqu’où le gouvernement pourra aller dans la libéralisation. Les discussions serviront à tester les limites de l’acceptable afin, espère-t-il, de désamorcer le pouvoir de nuisance des organisations syndicales. En somme, le choix de la procédure et la manière dont le gouvernement entend mener les discussions témoignent d’une logique bien plus autoritaire que ce qui est affiché.
 
DÉPLACER VERS L’ENTREPRISE LE CHAMP DE LA NÉGOCIATION SOCIALE
Mais à force d’habiletés tactiques Emmanuel Macron risque d’oublier de se poser d’autres questions pourtant bien plus fondamentales, et en premier lieu de se demander si la réforme qu’il envisage est vraiment nécessaire et souhaitable pour les entreprises. La philosophie du projet est relativement claire : il s’agit d’élargir la capacité des employeurs à négocier des accords d’entreprise en allégeant les contraintes qui les encadrent aujourd’hui strictement. Parmi les pistes envisagées, les caractéristiques du CDI pourraient être négociées au niveau de l’entreprise en prévoyant par exemple des conditions de licenciement plus larges que celles qui existent. L’employeur pourrait également, par accord d’entreprise, suspendre certaines dispositions des contrats de travail existants sans avoir à passer par un avenant c’est-à-dire sans l’accord formel des salariés concernés. Un refus de leur part permettrait ainsi à l’entreprise de procéder à un licenciement automatiquement justifié. Par ces dispositifs, l’accord d’entreprise pourrait imposer ses normes au contrat de travail, ce qui signifierait qu’une grande partie du pouvoir de négociation serait transférée de l’individu vers l’entreprise.
Un autre volet de la réforme concerne l’inversion de la hiérarchie entre les négociations de branche et les négociations d’entreprise. Aujourd’hui, des rémunérations et des conditions de travail minimales sont négociées au niveau de la branche c’est-à-dire entre les représentants des salariés et des employeurs d’un même secteur. Ces négociations sont essentielles pour deux raisons. Tout d’abord parce qu’elles simplifient les négociations d’entreprise, notamment pour les TPE / PME qui ne disposent pas forcément de représentants syndicaux pour nouer des accords d’entreprise. Pour ces dernières, la branche prend à sa charge le poids des négociations, parfois complexes, sur lesquels salariés et employeurs doivent s’entendre. L’autre rôle des accords de branche est de suspendre la rivalité entre des entreprises en concurrence en leur permettant de s’entendre sur des normes sociales communes.
 
UN PROJET QUI AFFAIBLIT LES ENTREPRISES
Le gouvernement prétend qu’en privilégiant l’accord d’entreprise sur le contrat d’une part et sur la branche d’autre part, il ouvre le champ de la négociation entre employeurs et employés. Mais c’est exactement le contraire qui risque de se produire. À quoi bon négocier un accord de branche si une entreprise du secteur peut à tout moment y déroger ? Comment faire confiance à un employeur au moment de négocier son contrat si à tout moment certaines dispositions de ce contrat peuvent être suspendues ? Au lieu d’étendre le champ de la négociation, on le déplace. Mais on ne le déplace pas n’importe où : on le met précisément là où l’employeur se trouve en situation de force, c’est-à-dire dans l’entreprise.
Or, remplacer un système où la plupart des relations employeurs / employés se négocient collectivement dans le cadre des branches professionnelles par un système où l’essentiel des négociations se trouve relégué au niveau des entreprises est particulièrement inefficace. D’une part cela oblige toutes les entreprises à négocier des accords complexes là où auparavant elles pouvaient mandater des représentant aguerris le faire au niveau de la branche ; d’autre part c’est la porte ouverte à des stratégies de dumping qui risquent de favoriser les entreprises qui parviendront le mieux à s’affranchir des normes de branches.
Imaginons par exemple que la loi permette à chaque entreprise de négocier librement ses horaires et ses dates d’ouverture. Deux commerces concurrents s’affrontent pour une clientèle précise. L’un des deux (a priori celui qui va le moins bien), négocie avec ses salariés la possibilité d’ouvrir tous les dimanches afin de capter une partie de la clientèle de l’autre magasin. La stratégie fonctionne, il gagne quelques clients que perd son concurrent. Ce dernier est alors contraint lui aussi d’ouvrir les dimanches et récupère la clientèle perdue. Au final aucun magasin ne gagne quoi que ce soit dans l’affaire. Au contraire, en ouvrant davantage de journées ils augmentent tous les deux leurs frais de fonctionnement sans augmenter globalement leur chiffre d’affaire. Les deux entreprises sont donc perdantes. Si la branche professionnelle avait pu imposer une norme claire sur les dates et les horaires d’ouverture cela aurait permis d’éviter que les entreprises s’enferment elles-mêmes dans une concurrence destructive.
 
LES GRANDES PERDANTES : LES PME ET TPE
On le voit, les entreprises n’ont pas forcément intérêt au contournement des accords de branche. Mais le plus grave c’est aussi qu’elles ne sont pas toutes à égalité dans la capacité de conclure des accords d’entreprise. Les grandes entreprises disposent de ressources RH et de la présence de permanents syndicaux avec lesquels il est possible de conclure rapidement des accords. Pour les PME, et en particulier pour les entreprises de moins de dix salariés, récupérer la charge de la négociation auparavant déléguée à la branche constitue un véritable problème. En l’absence de représentants syndicaux elles ne peuvent négocier des accords et doivent se contenter des dispositifs de branche. Le danger a été souligné jusque dans les milieux patronaux puisque certains estiment même que cette réforme risque de donner un « avantage concurrentiel aux grandes entreprises ».
Pour éviter que cette réforme ne pénalise les PME le gouvernement envisage donc d’élargir la possibilité du recours au référendum d’entreprise. Depuis la loi El Khomri, les employeurs peuvent déjà nouer des accords par référendum à condition que ceux-ci aient été préalablement ratifiés par des syndicats quireprésentent au moins 30% du personnel. L’une des pistes envisagée par le ministère du travail serait de permettre aux employeurs d’organiser des référendums en l’absence de tels accords, c’est-à-dire à leur seule initiative. Pour comprendre la portée de cette mesure, il suffit d’imaginer le pouvoir que cela confère à l’employeur. Au cours d’une négociation celui-ci pourrait à tout moment décider de rompre les discussions en interrogeant directement les salariés. Or, dans un référendum, il n’est plus possible de discuter du contenu de ce qui est proposé. On doit trancher de manière binaire en votant « oui » ou « non ». C’est le contraire de la démocratie sociale qui elle, implique d’aller dans le détail des sujets en élargissant le champ des discussions non seulement aux besoins de l’employeur mais aussi aux revendications des salariés. Permettre au patron d’organiser des référendums revient donc à lui accorder un pouvoir plébiscitaire qu’il pourra utiliser pour court-circuiter des négociations avec les représentants des salariés. Concrètement, cela revient à un affaiblissement considérable du dialogue social au sein des entreprises.
 
DESTRUCTION PROGRAMÉE DU DIALOGUE SOCIAL
Au final on voit bien ce que l’ensemble du projet implique. Il s’agit non pas d’élargir le champ de la négociation sociale mais au contraire de le restreindre au niveau de l’entreprise et de le dénaturer en donnant à l’employeur des pouvoirs considérables qui vont structurellement affaiblir le pouvoir de négociation des syndicats. N’oublions pas que le projet prévoit par ailleurs, comme l’a rappelé la nouvelle ministre du travail, de faire disparaitre de nombreuses instances représentatives des salariés qui constituent autant d’espaces de discussion (CE, CHSCT…). Si les employeurs peuvent avoir l’impression de s’y retrouver à court terme, la disparition du dialogue social dans les entreprises risque d’entraîner une véritable catastrophe économique. Les spécialistes des entreprises et des organisations le savent depuis longtemps : une entreprise qui fonctionne bien a besoin de s’appuyer sur des salariés impliqués dans la démocratie sociale. Le risque est que les dirigeants, à force de ne plus parler aux représentants du personnel, finissent par se couper de la réalité de leur propre organisation et en viennent à prendre des décisions désastreuses. On ne compte plus les entreprises françaises dirigées par des équipes de direction autistes qui ont fini par pousser leur propre groupe dans l’abîme.
Si le capitalisme français souffre d’une chose ce n’est certainement pas de trop de dialogue social. On peut à ce titre rappeler que les entreprises industrielles allemandes doivent justement une partie de leurs performances à leur modèle de cogestion qui donne de larges pouvoirs aux syndicats, ce qui contraint les employeurs à négocier avec les représentant du personnel la plupart de leurs décisions stratégiques. En portant un projet qui va à rebours de ce modèle et qui vise à faire des patrons français des autocrates dans leur propres entreprises, le gouvernement prépare en fait l’affaiblissement durable du système productif français. Mais il démontre aussi, par sa méthode autoritaire, par le choix de court-circuiter le débat parlementaire, par l’absence de véritables négociations avec les organisations syndicales, qu’il ne fait en fait que généraliser aux entreprises sa propre méthode de gouvernement.