Avec son franc-parler et son attitude déterminée, Olivier Mateu est devenu l’une des figures emblématiques de la mobilisation contre la réforme des retraites. Assumant une ligne radicale et un syndicalisme de lutte des classes, ce natif de Port-de-Bouc, issu d’une famille communiste qui a lutté contre le franquisme en Espagne, est depuis 2016 secrétaire de l’Union départementale de la CGT des Bouches-du-Rhône. Se démarquant d’une direction cégétiste plus modérée, Olivier Mateu prône l’auto-organisation à la base pour s’opposer au gouvernement et au patronat, mais aussi une certaine conception de la lutte syndicale, renouant avec l’ambition de construire une société nouvelle. Dans cet entretien, il revient sur l’actualité de la mobilisation contre la réforme des retraites, à la veille d’une nouvelle journée de mobilisation, sur la stratégie de la grève reconductible, sur la lutte menée à Fos-sur-Mer contre les réquisitions de grévistes, sur son parcours militant ou encore sur le congrès de la CGT qui aura lieu du 27 au 31 mars. Entretien réalisé par Léo Rosell.
LVSL – Alors que le texte vient d’être adopté par défaut, à la suite de l’échec des motions de censure, quel bilan faites–vous de cette première phase de mobilisations contre la réforme des retraites ?
Olivier Mateu – C’est une déroute complète pour le président de la République et son gouvernement. Après des semaines à essayer d’acheter une majorité face à un mouvement social d’une ampleur inédite depuis 1995 voire 1968, leur incapacité à créer une majorité autour de cette réforme est un échec retentissant, alors même qu’ils ont mis des millions sur la table pour convaincre les députés de la défendre dans leurs circonscriptions…
Durant cette séquence, l’attitude des ministres et des responsables politiques du camp présidentiel a relevé de l’ignoble. Il s’agit d’un personnel politique qui n’est non seulement pas à la hauteur de ses fonctions, mais qui ne parvient pas non plus à cacher qu’il est au service d’intérêts différents des travailleurs et du peuple français.
Du point de vue de la stratégie syndicale, je pense que l’on n’en est pas encore au moment du bilan. En règle générale, rien ne marche mieux que quand ce sont les travailleurs et les travailleuses qui décident et s’organisent à la base. D’ailleurs, le fait que depuis deux mois et demi l’intersyndicale survive dans sa forme résulte de cette unité des travailleurs et des populations mobilisées à la base, puisqu’il y a également des jeunes et des personnes éloignées du monde du travail qui viennent prêter main forte.
LVSL – À la veille d’une nouvelle journée de grève et de manifestations, quelle suite attendez–vous pour ce mouvement ? Que lui manque–t–il pour faire définitivement battre Macron en retraite ?
O. M. – Très concrètement, je pense que nous n’avons jamais été aussi prêts de remporter une victoire interprofessionnelle et intergénérationnelle qu’aujourd’hui. Il faut organiser et réussir ces journées d’action, même si elles peuvent sembler trop espacées, et en même temps travailler partout à installer la grève reconductible, qui selon nous ne doit pas être « 24h ou rien ».
« Quiconque peut mettre une heure, deux, quatre, huit heures par jour, une, deux ou trois fois par semaine participe à gagner cette bataille. »
Notre stratégie de grève reconductible est liée y compris à la structuration de l’économie, voulue par le patronat et les gouvernements qui le servent depuis des décennies. L’accumulation de toutes les modalités de grève reconductible fera qu’à un moment donné, l’économie fonctionnera tellement mal et sera tant affectée que ce sera le MEDEF lui–même qui demandera au président de retirer sa réforme.
En ce sens, tout le monde a une part à prendre au combat. Quiconque peut mettre une heure, deux, quatre, huit heures par jour, une, deux ou trois fois par semaine participe à gagner cette bataille. Et ce, dans tous les secteurs, que l’on soit dans le public ou le privé. À titre d’exemple, si les personnels des crèches qui accueillent les enfants le matin, démarrent avec une heure de retard la journée, cela se répercute sur les parents qui doivent garder une heure de plus leur enfant, de telle sorte que les effets de cette heure de grève sont multipliés au moins par deux. Qu’on le veuille ou non, on pèse aussi sur l’économie de cette façon.
LVSL – On vous a vu en première ligne contre les réquisitions de grévistes, notamment dans les raffineries. En quoi ces pratiques constituent–elles selon vous des atteintes au droit de grève, et quels moyens existent pour lutter contre ?
O. M. – Très souvent, ces réquisitions, que le gouvernement et les médias à sa solde estiment légales, se trouvent battues dans les tribunaux. Le problème étant que ces jugements se font a posteriori, alors que sur le moment, cela met un coup au moral des grévistes. C’est d’ailleurs comme cela qu’ils ont évité le mouvement en octobre, en imposant une forte pression médiatique et des réquisitions.
Dans mon département des Bouches-du-Rhône, les réquisitions n’ont pas concerné les raffineries mais le dépôt pétrolier de Fos–sur–Mer, qui est le plus gros dépôt de carburant du pays. Quelle a été la réaction des salariés à l’intérieur, pour ceux qui n’étaient pas réquisitionnés ? Ils ont décidé de maintenir la grève, ce qui a empêché de réaliser la moitié du programme qui était prévu. Ces réquisitions ont donc davantage créé du « buzz » qu’elles n’ont eu d’efficacité réelle. Une autre conséquence est que certains secteurs, comme les remorqueurs qui jusqu’ici n’étaient pas en grève, le sont depuis hier.
Cela rajoute donc du monde dans la lutte, comme les « opérations escargot », notamment une il y a quelques jours vers l’aéroport de Marignane qui a finalement convergé vers le dépôt pétrolier de Fos. Certes, on s’est fait gazer, mais cela a bien perturbé le fonctionnement du site. Encore aujourd’hui, et à la veille de la journée du 23 mars, nous sommes mobilisés sur plusieurs points dans tout le département, ce qui fait que le chargement des camions et l’ensemble des activités économiques du département sont très perturbés.
« Contraindre en les réquisitionnant des travailleurs qui ont accepté de perdre des jours de salaire pour défendre leurs droits, et ce sous le contrôle des policiers, est absolument inacceptable. »
J’insiste à nouveau sur le fait que ces réquisitions sont bien souvent jugées par la suite illégales, mais ne serait–ce que du point de vue moral, contraindre en les réquisitionnant des travailleurs qui ont accepté de perdre des jours de salaire pour défendre leurs droits, et ce sous le contrôle des policiers, est absolument inacceptable. S’ils veulent se servir de policiers, qu’ils les mettent à la frontière suisse et qu’ils arrêtent les évadés fiscaux.
LVSL – Vos positions et votre ton combatifs ont été mis en lumière lors de cette mobilisation. Quel a été jusqu’ici votre parcours militant et syndical ? Quelle est votre conception de l’engagement syndical ?
O. M. – J’ai adhéré à la CGT quand je n’avais pas encore 22 ans, en 1996. Depuis, je ne l’ai jamais quittée. Je suis devenu secrétaire de l’Union départementale des Bouches–du–Rhône en 2016. Ma conception de l’engagement militant se situe donc à la fois sur un plan personnel – chacun s’engage comme il l’entend –, et sur le plan collectif, pour décider d’avancer ensemble vers autre chose que ce système dans lequel nous sommes aujourd’hui enfermés. Partant de là, je ne considère pas qu’il y ait de petites ou de grandes luttes. Tout ce qui vient mettre un coup au capitalisme est bon à prendre et doit aller à son terme.
Dans le même temps, pour ne pas reproduire les mêmes erreurs, nous devons penser très concrètement la société nouvelle dans laquelle on souhaiterait vivre, en dehors du capitalisme. Ce qui me pousse personnellement à m’engager, pour le dire très franchement, c’est le refus de laisser un monde à nos enfants dans lequel ils ne connaîtront que la souffrance et la frustration, pendant que d’autres continuent de se gaver de caviar et de champagne.
Voilà ce que je trouve insupportable et ce qui me pousse au combat. Quand on voit les richesses produites, il y a quand même de quoi faire en sorte que chacun puisse vivre bien, en harmonie, sans que quelques privilégiés sur la planète maintiennent des milliards de personnes dans la misère.
LVSL – En parlant de vie en harmonie sur la planète, et de meilleur avenir pour vos enfants, comment articulez–vous l’action syndicale avec les préoccupations en matière environnementale ?
O. M. – C’est fondamental. Il faut que l’on sorte ensemble du piège dans lequel certains veulent nous faire tomber, à savoir le choix entre mourir les poumons tout noirs ou le ventre vide. Il y a largement matière dans le pays – pour rester à notre échelle – de produire afin de répondre à nos besoins, sans abîmer la planète, à un point qui est devenu inacceptable.
« La logique à imposer est donc celle de reprendre la main sur la définition des besoins et sur les outils de production pour faire en sorte qu’ils répondent à l’intérêt général. »
De façon très concrète, il faut donc penser de nouveaux processus de production et sortir des logiques capitalistes. En revenir à une définition des besoins par les populations elles–mêmes, et plus généralement pour défendre le pays tout entier, non pas pour s’opposer au reste du monde mais parce que, si l’on conquiert une indépendance réelle en matière de production, cela nous permet de sortir du chantage et de la concurrence que les capitalistes nous imposent, et de parler davantage de coopération entre les peuples.
La logique à imposer est donc celle de reprendre la main sur la définition des besoins et sur les outils de production pour faire en sorte qu’ils répondent à l’intérêt général et pas aux intérêts particuliers de quelques capitalistes.
LVSL – La semaine prochaine aura lieu le congrès de la CGT. Comment l’appréhendez–vous, et comment faire en sorte que les lignes qui s’y opposent ne divisent pas l’action syndicale, dans un contexte social aussi tendu ?
O. M. – Je l’aborde de la façon la plus sereine qui soit. C’est le congrès de mon organisation et je n’ai pas d’ennemi en son sein. Si l’on veut s’éviter la division, il faut simplement redéfinir ensemble notre objectif final et créer les conditions nécessaires à la réalisation de cet objectif, en termes de stratégie, de démarche et de structuration de l’organisation.
Au sortir du congrès, l’équipe qui sera désignée doit être la plus à même de porter ces objectifs, pour mettre toutes nos organisations sur le terrain dans la meilleure disposition et redonner confiance aux travailleurs et aux travailleuses de ce pays, dans la pratique de leur travail, dans leur action collective et dans la nécessité de s’organiser face au gouvernement et au patronat. Voilà selon moi l’objectif auquel devraient s’assigner tous les responsables de la CGT et tous ceux qui seront délégués à ce congrès.
« Par-delà la couleur des gilets ou des drapeaux, nous sommes arrivés à faire des choses tous ensemble qu’il faut mener à leur terme, c’est-à-dire à la victoire, au retrait de la réforme. »
Pour finir, je dois avouer que je suis très enthousiaste face aux mobilisations que l’on est en train de vivre. On a déjà vu des choses extraordinaires dans ce mouvement, et cela va continuer. Par-delà la couleur des gilets ou des drapeaux, nous sommes arrivés à faire des choses tous ensemble qu’il faut mener à leur terme, c’est-à-dire à la victoire, au retrait de la réforme. Nous allons reconquérir tout ce qui nous revient. Je pense sincèrement, et je n’applique pas la méthode Coué, que nous aurons prochainement l’occasion de fêter une victoire historique.
Congrès extraordinaire en novembre prochain, grève à la SNCF, rapports avec la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon et Génération·s de Benoît Hamon, stratégie pour les européennes : dans cet entretien, le secrétaire national du Parti Communiste Français, Pierre Laurent, fait le bilan de l’élection présidentielle et parle de ses ambitions pour l’avenir.
LVSL – Le PCF connaîtra un congrès extraordinaire en novembre 2018, deux ans après le précédent, qui avait vu votre parti faire le choix du rassemblement, avant de décider de soutenir Jean-Luc Mélenchon pour la présidentielle de 2017 lors d’une consultation des militants. Pourquoi ce nouveau congrès ?
Il y a deux raisons à ce congrès. Les élections présidentielle et législatives ont changé en profondeur le paysage politique. Emmanuel Macron est parvenu à constituer une rupture dans le processus de recomposition politique du pays ; il a donné des ailes – comme on le voit avec l’offensive quasi quotidienne contre les droits sociaux – aux forces libérales pour tenter de redonner le pays aux forces de la finance. Et pourtant, nous sommes convaincus que si le hold-up de Macron sur l’élection présidentielle a réussi, il ne témoigne pas d’une adhésion en profondeur du pays aux thèses libérales. Il y a donc bien, à la sortie de ces élections, une situation qui nous interroge. Pourquoi, alors qu’il y a tant de forces sociales, populaires, attachées à une issue progressiste à la crise sociale et politique du pays, ces forces ont été une nouvelle fois mises en échec et écartées du second tour présidentiel ? Nous pensons donc que la contre-offensive de ces forces doit être organisée.
“Emmanuel Macron a donné des ailes aux forces libérales pour tenter de redonner le pays aux forces de la finance. Et pourtant, nous sommes convaincus que si le hold-up de Macron sur l’élection présidentielle a réussi, il ne témoigne pas d’une adhésion en profondeur du pays aux thèses libérales.”
La deuxième raison, c’est que le Parti Communiste a besoin d’une relance politique de son projet ; il a besoin de faire un bilan critique des initiatives politiques qu’il a prises. Nous avons cherché, depuis la création du Front de Gauche en 2009, à ouvrir une perspective positive et renouvelée à gauche après la dérive que nous sentions inéluctable du Parti Socialiste vers les thèses sociales-libérales. Cette stratégie a marqué des points, mais elle a été traversée par des divisions et par l’impossibilité d’offrir une perspective gagnante majoritaire. Le PCF, qui a soutenu Jean-Luc Mélenchon, a subi aux élections législatives un recul important, même si nous avons conservé un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale et au Sénat. Pour toutes ces raisons, nous pensons nécessaire d’effectuer une revue d’ensemble de notre stratégie, de notre bilan, de l’analyse de la situation française, européenne, mondiale qui est la nôtre, et de conduire des changements importants dont nous parlons depuis plusieurs années, et que nous devons aujourd’hui pousser beaucoup plus loin pour répondre à ces nouveaux défis politiques. Je souhaite que ce congrès ne soit pas seulement un congrès de bilan, mais un congrès d’initiatives politiques nouvelles pour les transformations du Parti Communiste, pour la relance de son projet politique, et pour de nouvelles innovations stratégiques qui répondent à la situation actuelle.
LVSL – Quelles sont les priorités de votre congrès ? Dans quel sens votre organisation doit-elle se réformer ?
Il y a trois grandes questions qui sont discutées. Premièrement, l’actualité de notre combat communiste. Nous pensons que la crise de civilisation dans laquelle est désormais entré le système capitaliste mondialisé le conduira à être incapable de faire face aux grands défis du monde contemporain au XXIème siècle. Il ne saura plus relever le défi des inégalités sociales dans notre pays et dans le monde, et non seulement il ne le relèvera pas, mais la poursuite des logiques capitalistes mondialisées actuelles, sous domination de la finance, va accroître ces inégalités, avec des déstabilisations croissantes, politiques et démocratiques.
Deuxièmement, ce système ne sera pas capable de répondre aux grands défis écologiques de notre période, ni à la lutte contre le réchauffement climatique, ni à une vision plus solidaire et plus respectueuse des biens communs de l’humanité, absolument nécessaire pour faire face à ces défis. Enfin, dans une période où les possibilités émancipatrices pourraient être très importantes, avec le niveau des connaissances atteint, avec la révolution numérique, avec un niveau de maîtrise potentiel par les travailleurs de la richesse de leur travail, le système capitaliste, lui, va livrer ces possibilités à la mainmise de multinationales de plus en plus puissantes, et on voit bien que le projet des GAFA n’est plus seulement un projet de domination économique, mais est un projet de contrôle social bien plus vaste et bien plus dangereux pour la démocratie. Nous considérons que face à ces enjeux-là, la réponse communiste, qui au fond est la recherche d’un dépassement des logiques capitalistes – c’est la vision anticipatrice de Karl Marx qui fonde ce mouvement – trouve aujourd’hui une très grande actualité. Mais cette actualité doit être réénoncée dans les conditions du XXIème siècle, à partir de défis qui sont en grande partie nouveaux. Le congrès doit donc être un congrès qui énonce avec beaucoup plus de force, de modernité et de clarté, le projet communiste que nous portons.
La deuxième question discutée par le congrès, c’est la réévaluation de nos stratégies de transformation révolutionnaire. Pour conduire ces stratégies, il ne faut pas d’abord des alliances électorales. Il faut d’abord un mouvement de lutte et d’appropriation de ces objectifs de transformation, un mouvement populaire le plus large possible. Comment donc conduire de nouvelles initiatives stratégiques, qui nécessitent des politiques unitaires, des politiques de rassemblement ? En favorisant, beaucoup plus que nous n’avons réussi à le faire, cet investissement populaire de la transformation sociale. Il faut donc réinventer les luttes, les pratiques politiques, et l’articulation de ces luttes populaires à de nouvelles constructions politiques unitaires, qui ne délaissent pas le mouvement populaire, et qui ne conduisent pas à la délégation de pouvoir vers les seules échéances électorales. C’est d’autant plus un défi que le système institutionnel actuel réduit de plus en plus la cristallisation des changements politiques à la seule élection présidentielle. Or, le mouvement de transformation sociale que nous visons ne peut pas se réduire seulement aux présidentielles. Il faut un mouvement beaucoup plus diversifié, beaucoup plus continu, qui intervient sur la question de la conquête des pouvoirs, à toutes les échelles – nationale, européenne, mondiale. La deuxième question est donc la réinvention stratégique, dans les conditions actuelles, de notre mission de changement.
“Le système capitaliste, lui, va livrer ces possibilités à la mainmise de multinationales de plus en plus puissantes, et on voit bien que le projet des GAFA n’est plus seulement un projet de domination économique, mais est un projet de contrôle social bien plus vaste et bien plus dangereux pour la démocratie.”
Enfin, nous avons besoin de procéder à des transformations du Parti Communiste pour porter beaucoup plus haut cette capacité transformatrice. Nous ne pensons absolument pas que le Parti Communiste soit dépassé, nous croyons dans l’avenir du Parti Communiste, et de formations politiques qui organisent l’intervention populaire. Mais nous avons plusieurs défis à relever de manière nouvelle.
D’abord, nous voulons devenir un mouvement beaucoup mieux organisé dans la proximité. Par exemple, dans le monde du travail qui s’est totalement transformé et qui va continuer de se transformer, la politique a été évacuée. Elle est monopolisée par le patronat et les forces libérales. Il faut donc refaire de la politique dans le travail, réintervenir dans le monde du travail. Le Parti Communiste a été un parti très organisé dans le monde de l’entreprise, qui ne l’est plus aujourd’hui, et c’est une question que nous devons repenser. Cette proximité doit être aussi une proximité beaucoup plus transversale sur des enjeux de société qui ne sont pas territoriaux, qu’on organiserait seulement à échelle locale, mais qui sont des modes d’intervention nouveaux sur les questions écologiques, sur les questions d’alimentation, sur les questions du pouvoir, des pouvoirs dans la société. Notre organisation ne peut donc être seulement une organisation verticale et territoriale. Elle doit être une organisation de réseaux thématiques, qui organise de manière transversale la créativité politique de milliers de citoyens et de militants.
Et puis enfin, nous croyons qu’il faut, tout en utilisant les nouveaux outils numériques, les utiliser au service de la créativité militante décentralisée, et pas au service de structures verticales.
LVSL – Vous envisagez la création d’une plateforme numérique ?
Oui, je pense qu’il faut aller vers un parti plateforme, qui puisse être un parti de mouvement, un parti des mouvements. On oppose souvent « parti » et « mouvement ». Nous croyons à la nécessité des partis, c’est-à-dire d’espaces d’organisation citoyenne et populaire, mais il faut que les pratiques politiques que nous développons soient beaucoup plus ouvertes à la mobilité, à la transversalité, à l’inventivité militante et populaire. Nous avons donc beaucoup de changements à faire. Ces changements, nous les conduirons aussi avec un effort d’éducation populaire, de formation militante beaucoup plus important qu’avant, pour les militants mais aussi dans la société. Je pense qu’il y a un appétit d’appropriation des grandes questions contemporaines, des questions théoriques et des modes d’intervention militante.
LVSL – Sous quelle forme ? Envisagez-vous le retour des « écoles du Parti » ?
Nous voulons redévelopper l’offre de formation du Parti Communiste. Il faut développer des modèles d’université populaire plus décentralisés, favoriser une rencontre nouvelle entre les milieux universitaires, les chercheurs, les intellectuels, et le monde militant. La revue que nous avons relancée (Cause Commune) est l’un des lieux de ces échanges, mais on veut démultiplier ces moyens-là. Nous travaillons à une refonte complète de la plateforme numérique du Parti.
LVSL – Vous avez parlé tout à l’heure des élections législatives. On observe un paradoxe, dans le sens où le PCF recule à échelle nationale, mais voit son nombre d’élus augmenter. Est-ce que le PCF est condamné à une forme de dénationalisation, et à la mutation en un parti de bastions ?
Pas du tout. Non seulement nous ne devons pas être condamné à cela, mais ce serait mortifère. Je pense qu’il faut au contraire renouveler notre ancrage de proximité, qui reste une des forces du Parti Communiste. A gauche aujourd’hui, le PCF est le parti qui a le plus d’adhérents, (plus de 100,000, 60,000 cotisants réguliers), et puis il y a autour de cette force militante des centaines de milliers de citoyens qui sont au contact de celle-ci. Cette force est vraiment organisée de manière décentralisée. Son ancrage principal est celui du terrain. Je pense qu’il faut au contraire conserver cela comme la prunelle de nos yeux, parce que je crois que la reconstruction d’une initiative militante et de luttes de transformations se mènera justement de plus en plus à partir de la créativité citoyenne et populaire. Donc cette dimension militante, cette présence sur l’ensemble du territoire, c’est quelque-chose que nous devons non seulement garder, mais continuer à développer. La réélection des députés communistes, des sénateurs communistes, présents au Sénat contre toutes les prévisions, est le témoignage que le savoir-faire militant dans cet ancrage de proximité reste l’un des atouts du Parti Communiste. Donc il faut le développer. Mais il faut le développer avec une plus grande efficacité dans la visibilité nationale de cette activité. Et donc nous avons besoin de penser cette initiative militante décentralisée plus en lien avec l’organisation de nos réseaux d’intervention nationaux, qui pour le Parti Communiste ne peuvent pas passer seulement par la présence nationale de quelques porte-paroles. Notre force centrale doit plutôt venir d’une effervescence d’idées, de propositions, de notre capacité à projeter sans cesse dans le débat public de la société des idées nouvelles sur la transformation sociale.
LVSL – Pour revenir sur cette thématique de la dénationalisation, on a pu entendre parmi vos militants que l’absence du PCF aux dernières élections présidentielles, échéance qui cristallise les enjeux politiques dans ce pays, a contribué à son effacement. Qu’en pensez-vous ?
C’est en grande partie vrai. Moi qui me suis prononcé dans le débat que nous avons eu pour le soutien à Jean-Luc Mélenchon, pour favoriser des dynamiques populaires de rassemblement dans la société, je constate avec d’autres que ce processus a effectivement un effet d’effacement de notre parole politique nationale. Dans une vie politique qui s’est outrageusement présidentialisée, cette question doit nécessairement être traitée. Comment résoudre ce problème de l’effacement de la parole politique nationale des communistes ? Est-ce que c’est par la présentation systématique d’un candidat à la présidentielle ? est-ce que ça passe par d’autres formes d’intervention dans la vie politique nationale ? Ce sont les questions que doit résoudre le congrès. Ce qui est certain, c’est que le Parti Communiste a vocation à présenter son projet politique dans toutes les grandes échéances, donc aussi l’élection présidentielle. Il y a donc une contradiction à résoudre qui n’a jamais été bien résolue, sur notre présence à l’élection présidentielle, dans un paysage où cette élection est devenue une échéance majeure. Il faut donc à la fois faire reculer la présidentialisation excessive des institutions, mais aussi des consciences, parce qu’il n’est pas sain que les forces sociales démocratiques, politiques, qui veulent transformer la société, se concentrent sur cette seule échéance. La conquête des pouvoirs par la société passe par bien d’autres luttes que la seule élection présidentielle. En même, temps, oui, il faut réfléchir de manière nouvelle à la présence du Parti Communiste dans cette échéance. Il faut organiser notre visibilité dans cette échéance sans nous faire aspirer par la logique présidentialiste. Je ne dis pas que la réponse est simple. Ce serait intéressant que le congrès du Parti Communiste travaille cette question de manière dialectique.
LVSL – Le grand événement politique de cette présidentielle, c’est l’irruption de la France Insoumise au détriment des deux forces qui structuraient jadis le champ progressiste anti-libéral, c’est-à-dire le Parti Communiste et le Parti Socialiste. Comment analysez-vous cette irruption de la France Insoumise ? Pensez-vous qu’elle est durable, qu’elle va devenir hégémonique ? Comment analysez-vous cette stratégie politique ?
Je pense qu’aucun des mouvements politiques qui s’est manifesté dans l’élection présidentielle de 2017 n’est installé durablement. Tout reste pour le moment encore très instable. Je crois que c’est vrai pour toutes les forces politiques. Ce que je pense de cette irruption, c’est deux choses. Je crois qu’on a connu dans les dix dernières années un déclin accéléré du Parti Socialiste – causé par sa dérive sociale-libérale – parce que la grande masse des électeurs de gauche ne se reconnaissait pas dans cette dérive. La chute de ce parti qui avait marqué la gauche depuis les années 80 a partiellement entraîné avec elle le discrédit de l’idée de « gauche ». Nous en avons subi les conséquences, parce que nous avons été un parti de la gauche, et bien malgré nous, bien que nous ayons construit le Front de Gauche précisément parce que nous ne voulions pas laisser la gauche aller à sa marginalisation. Nous avons donc apporté une réponse à cette question avec la création du Front de Gauche. Notre ambition était que ce Front de Gauche devienne la gauche nouvelle dont le pays avait besoin, débarrassée de ses débris sociaux-libéraux, ceux du Parti Socialiste. C’est ce qui nous a convaincu, après notre soutien en 2012 à Jean-Luc Mélenchon et malgré les désaccords qui avaient surgi, qu’il fallait aller au bout de cette logique de la présidentielle de 2017. Je continue à considérer que le résultat de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle est le résultat de cette dynamique collective, qui n’appartient pas uniquement à la France Insoumise. D’ailleurs les résultats, dès les élections législatives, sont différents.
“Cela ne disqualifie pas la « gauche », l’idée de « gauche » à mes yeux : la gauche comme point de repère face à la droite, comme expression politique de l’affrontement capital-travail, et comme point de repère dans l’espace républicain, la gauche étant le camp de la République démocratique et la droite subissant la tentation anti-républicaine autoritaire.”
Deuxièmement, je pense qu’il y a, en France comme en Europe et dans le monde, la montée de courants populistes et dégagistes, qui sont la conséquence de la crise démocratique dans laquelle le système capitaliste s’enfonce. La démocratie elle-même, ses institutions représentatives, sont discréditées par ces processus de plus en plus autoritaires des forces libérales. Le sentiment gagne qu’on ne changera pas les choses avec ce système démocratique, puisque malgré les alternances, c’est toujours le système libéral qui gagne. Cette crise démocratique profonde permet la réémergence de formes de droites radicalisées, autoritaires, fascistes ; elle conduit aussi, dans la gauche, à l’émergence de courants qui pensent que seule l’émergence de nouvelles formules politiques, loin des systèmes de représentation et des partis anciens, résoudra ces problèmes-là.
Il y a en Europe plusieurs mouvements qui émergent aux frontières de la gauche et d’autres mouvements aux tendances plus floues, des mouvements de ce type. Je pense que la France Insoumise a cristallisé une partie de ce courant-là, qui est un courant qui se détourne des repères traditionnels de la gauche, de la référence principale à l’affrontement entre le capital et le travail, et des repères qui ont fondé l’histoire de la gauche. Nous avons aujourd’hui une géographie des forces de gauche qui est tout à fait nouvelle, dans laquelle la structuration n’est plus principalement entre un courant social-démocrate et un courant communiste, mais entre des courants politiques plus divers : des courants communistes, un courant social-démocrate affaibli, mais aussi de nouveaux courants, qu’on nomme parfois « populistes », parfois « dégagistes »… Tout cela traduit au fond la recherche de nouveaux modèles politiques dans la crise démocratique. C’est un défi nouveau, et probablement le périmètre des alliances de ces forces, demain, ne ressemblera pas au périmètre qu’on a connu durant les décennies précédentes avec l’ « union de la gauche ». Ça ne disqualifie pas la « gauche », l’idée de « gauche » à mes yeux : la gauche comme point de repère face à la droite, comme expression politique de l’affrontement capital-travail, et comme point de repère dans l’espace républicain,. La gauche étant le camp de la République démocratique et la droite subissant la tentation anti-républicaine autoritaire. Mais cela signifie que nous allons probablement vers une représentation politique de cette gauche très différente de celle qu’on a connue jusque-là. Bien évidemment, cela interroge les pratiques du Parti Communiste.
LVSL – Les élections européennes semblent être centrales dans l’agenda de votre prochain congrès. C’est aussi un point de clivage entre vous et Jean-Luc Mélenchon. D’une certaine façon, votre programme européen semble plus proche de celui de Benoît Hamon et de Génération·s. Envisagez-vous la possibilité d’une liste commune ?
Nous envisageons cette élection à partir de ses défis. Il y a un très grand besoin de transformation démocratique, sociale, à l’échelle nationale, mais aussi à l’échelle européenne. Nous considérons que pour pouvoir engager des transformations profondes dans notre pays et dans d’autres pays européens, il faut mener le combat de transformation sociale à l’échelle européenne, et même à l’échelle mondiale. Notre première approche de cette question, c’est l’importance de cette échéance, que nous ne considérons pas comme une parenthèse dans laquelle devrait s’exprimer simplement l’opposition à Macron. Plus profondément, nous voulons aller à cette élection avec une ambition de conquête sur la possibilité de gagner dans toute l’Europe.
Deuxièmement, il y a le risque, dans cette situation que nous connaissons, que la scène européenne ne soit pas dominée par ces forces démocratiques qui chercheraient des issues sociales progressistes, mais par les forces de droite et d’extrême-droite. L’évolution politique d’un certain nombre de pays européens, à l’Est, mais aussi en Italie par exemple, rendent malheureusement cette perspective crédible. Il faut donc non pas se replier face à ces risques, mais au contraire aborder l’élection de manière offensive. Nous l’abordons donc avec une proposition de rassemblement la plus large possible des gauches en France, c’est-à-dire visant à redonner leur périmètre à toutes celles qui aujourd’hui souhaitent s’engager dans la lutte contre la réforme de la SNCF, ou contre l’attaque plus globale contre les services publics. Cette perspective est aujourd’hui difficile à réaliser, parce qu’on voit bien que par exemple, la France Insoumise souhaite aller à cette élection sous ses propres couleurs, et en portant un projet ambigu à nos yeux. Comme nous, ce mouvement porte la volonté de transformer très profondément la politique européenne ; mais contrairement à nous, il envisage le fait que l’on puisse se retirer de ce combat européen, en pensant que ne pouvant pas être gagné, on mènera la lutte à l’échelle nationale. Nous ne croyons pas à ce scénario ; la bataille européenne est inéluctable pour transformer aussi les politiques en France. Nous avons une discussion d’une autre nature avec Benoît Hamon et Yanis Varoufakis, avec qui il s’est rapproché en vue de ces élections. Nous avons un autre débat, sur le fait qu’il pourrait être tenté, à l’inverse, de privilégier une bataille qui ne s’enfermerait pas dans le cadre actuel de l’Union européenne. Mais nous discutons avec Benoît Hamon, ce que nous ne faisons pas avec la France Insoumise ; cela ne tient pas à notre offre politique.
LVSL – Avec le Parti Socialiste, envisagez-vous une discussion ?
Non. Il n’y a eu aucune discussion avec le PS durant la dernière période. Il maintient beaucoup d’ambiguïtés sur sa ligne. J’entends dire que Pierre Moscovici va être l’un des chefs de file du Parti Socialiste lors des élections européennes. Cela en dit long.
LVSL – La mobilisation actuelle semble dessiner de nouvelles convergences. On vous a notamment vu aux côtés de Benoît Hamon, de François Ruffin et d’Olivier Besancenot. Souhaitez-vous voir se former un nouveau front ?
Je pense que les démarches unitaires qui ont été entreprises ces dernières semaines sont plutôt réjouissantes et encourageantes. Quand se lèvent des mouvements sociaux importants, ils poussent dans le sens de cette unification politique. Il faut donc encourager ce mouvement, multiplier les occasions de ces rapprochements, d’abord pour les luttes en cours, c’est-à-dire avec l’objectif de faire gagner ces luttes en faisant reculer Macron sur la réforme de la SNCF. Mais aussi des victoires dans d’autres services publics, par exemple contre la privatisation des barrages hydrauliques. Pour aider à ce mouvement, on vient de proposer, comme nous l’avons fait, devant des barrages hydrauliques, de multiplier dans tout le pays les chaînes humaines qui symboliseraient la mise sous protection citoyenne des services publics, et de faire de ces chaînes humaines des occasions de rassemblement citoyen et populaire. Dans ces luttes, il faut construire à chaque fois que c’est possible des progrès vers une plateforme qui pourrait unir un nouveau front social et politique. Nous savons que ce chemin va prendre du temps à être parcouru. Il faut donc être tenace, y aller progressivement, saisir toutes les occasions d’avancer vers cela. Ce front ne trouvera pas forcément à chaque fois la traduction électorale que l’on pourrait souhaiter, mais il faut marquer des points à chaque fois que l’on peut le faire et progresser vers cet objectif. C’est comme cela que l’on pourra construire une possibilité d’alternative majoritaire au pouvoir de Macron.
LVSL – Dans la mobilisation actuelle, l’une des personnalités qui émerge particulièrement est François Ruffin. Il a obtenu un large soutien de la part des communistes lors des élections législatives. Est-il un point d’appui potentiel pour le PCF dans la recomposition en cours ?
On travaille bien avec François Ruffin, on l’a vu avec l’élection législative de la Somme, puisqu’on a dès le départ construit cette candidature avec lui. Je pense qu’il ne faut pas renouveler à chaque étape la même erreur, c’est-à-dire penser qu’à chaque fois qu’une personnalité s’affirme elle doit devenir le point de référence unique de ce rassemblement. Il faut en permanence garder en tête que la pluralité du rassemblement que nous avons à construire doit additionner toutes les forces. François Ruffin, avec la culture politique qui est la sienne, les nouvelles pratiques politiques qui sont les siennes, qu’il a expérimentées, a beaucoup à apporter à ce mouvement. Les communistes ont aussi beaucoup à apporter. Notre recette politique devrait être en permanence l’addition de ces cultures politiques, et pas la domination de l’une sur l’autre. C’est selon moi la recette gagnante. Je vois bien que c’est un débat qui ressurgit régulièrement, parce que dès qu’un rassemblement naît, on voudrait qu’il devienne uniforme.
“Nous pensons qu’une marche du 5 mai réussie est une marche qui additionnerait toutes les forces. Manifestement, à l’heure où nous parlons, les syndicats ne sont pas présents dans cette marche.”
Mais la pluralité reste l’une des dimensions centrales du mouvement à construire, avec bien sûr de la cohérence. Ce sont des conditions essentielles, surtout dans un pays comme le nôtre qui est un pays de grande culture politique et un pays dans lequel on est très attaché à sa liberté de penser. Beaucoup de cultures politiques, beaucoup de liberté de penser, cela produit nécessairement des mouvements démocratiques, des mouvements de transformation qui sont pluralistes. Tous les mouvements qui ont marqué l’histoire populaire et sociale du pays ont été marqués par cette diversité. Le Front Populaire, Mai 68, 1995… Ces mouvements ont mêlé culture ouvrière, culture populaire, cultures de transformation sociale… Il ne faut pas avoir peur de cette diversité, mais en faire une force.
LVSL – Serez-vous présent le 5 mai à la marche à laquelle François Ruffin a appelé ?
Nous sommes en train de discuter de cette question. Nous participons aux réunions unitaires qui en débattent. Nous pensons qu’une marche du 5 mai réussie est une marche qui additionnerait toutes les forces. Manifestement, à l’heure où nous parlons, les syndicats ne sont pas présents dans cette marche. Ils tiennent à leur agenda syndical, à commencer par la journée du 19 avril dont ils veulent faire une occasion d’élargissement du mouvement de lutte et de renforcer la convergence des luttes. Ils tiennent au 1er mai. Nous sommes donc favorables au principe d’un temps fort national, qui permettrait à des gens très engagés comme à des gens qui le sont moins de converger. Il faut créer pour cela les conditions d’une addition de toutes ces forces. Pour le moment elles ne sont pas réunies, nous y travaillons. Philippe Martinez vient de déclarer que la CGT n’y sera pas présente car le 1er mai est trop proche du 5 mai. Il faut donc poursuivre cette discussion. Nous tentons de verser au-delà des idées qui nourrissent ces processus d’élargissement – j’ai parlé de chaînes humaines, nous soumettons aussi l’idée d’une grande consultation populaire et citoyenne -. Nous cherchons la bonne formule, et nous sommes dans la discussion. Cet objectif n’est pas atteint pour le moment.
LVSL – Jean-Luc Mélenchon considérait en septembre que les luttes syndicales n’aboutissaient pas parce qu’il existait une division entre le politique et le syndical. Il considère aujourd’hui que la condition du recul du gouvernement, c’est que cette division cesse. Qu’en pensez-vous ?
Les causes sont multiples. Au moment des ordonnances Macron, nous étions encore très proche des élections présidentielles. Le niveau de rejet de la politique de Macron n’était pas ce qu’il est devenu aujourd’hui. La prise de conscience s’est faite au cours des mois qui ont suivi, au moment du budget, quand la dimension « président des riches » a commencé à émerger dans la conscience populaire. Cela s’est accentué avec la multiplication des réformes anti-sociales et les attaques contre les services publics. A l’automne, le principal obstacle a été l’échec de l’élargissement du mouvement, pas seulement à cause du manque d’unité, mais aussi parce que le mécontentement que nous connaissons n’était pas encore là. La prise de conscience de la nature profondément anti-sociale, autoritaire, du pouvoir, est beaucoup plus partagée dans le pays aujourd’hui. Il y a donc beaucoup plus de catégories sociales qui entrent dans l’action : des travailleurs du secteur privé, les étudiants, les salariés de différents services publics… Cela favorise l’unité d’action, parce que la pression populaire se fait plus grande. On voit donc des secteurs dans lesquels cette unité n’existait pas à l’automne exister et tenir. Elle favorise donc l’unité politique, parce que ce que nous avons réussi à faire ces dernières semaines avec Olivier Besancenot, Benoît Hamon, la France Insoumise et d’autres, nous ne réussissions pas à le faire à l’automne. Il y a donc aujourd’hui des conditions qui sont meilleures. Mais la clef est dans un mouvement populaire qui peut encore beaucoup grandir dans l’action et dans les grèves, et de réponse unitaire des organisations syndicales et des organisations politiques. Enfin, n’oublions pas une leçon de l’histoire : les grands mouvements ne sont jamais décidés par un mot d’ordre. Ils sont l’agrégation de facteurs multiples, qui à un moment donné se généralisent sans que personne n’ait appuyé sur un bouton. Nous travaillons à la généralisation de cette contestation. Il faut additionner tous ces critères-là.
Propos recueillis par Lenny Benbara
Crédit photo Une et entretien : Ulysse GUTTMANN-FAURE pour LVSL