À l’occasion de la récente COP24, alors que l’Union européenne se targue d’être le leader mondial en matière de défense du climat, il convient de s’interroger sur la place accordée à cet enjeu primordial dans les politiques de l’Union. Qu’il s’agisse de négociations à l’échelle internationale ou bien au sein même de l’UE, l’histoire des politiques qui visent à protéger la planète des changements climatiques et de leurs dangers se présente comme tumultueuse et non linéaire.
« L’homme a été doué de raison et de force créatrice afin de multiplier ce qui lui a été donné. Mais jusqu’à présent il n’a fait… que détruire ! Il y a de moins en moins de forêts !… Les rivières se dessèchent ! Le gibier disparaît ! Le climat se détériore !… De jour en jour la terre devient de plus en plus pauvre et de plus en plus laide… », peut-on lire dans la pièce de théâtre Oncle Vania d’Anton Tchekhov. Bien que le texte soit paru en 1897, ces propos semblent faire écho à la situation actuelle : le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié le 8 octobre 2018, confirme que la température mondiale a augmenté de 1 °C en moyenne par rapport à l’ère préindustrielle et expose les risques tragiques d’une augmentation au-delà de 1,5 °C (qui devrait intervenir d’ici 2030-2052).
L’urgence de réduire les émissions de dioxyde de carbone de 45 % d’ici 2030 et d’atteindre la neutralité carbone avant 2050 est par conséquent de plus en plus pressante. Les scientifiques tirent – encore ! – la sonnette d’alarme, en rappelant que ce sont les activités humaines qui sont responsables du réchauffement climatique, tandis que les opinions publiques s’approprient cette lutte – face à l’inefficacité des décideurs politiques – en multipliant les initiatives citoyennes (à l’instar des Marches pour le Climat). Il nous semble pertinent, dans ce contexte, de nous pencher sur la place historique de la lutte contre le changement climatique dans les négociations politiques de l’Union européenne : longtemps (auto-)présentée comme leader mondial en matière de climat, l’Union européenne s’est-elle montré à la hauteur du drame malheureusement déjà en cours qu’est le changement climatique ?
La politique de l’Union européenne mise en œuvre pour limiter le changement climatique s’inscrit d’abord dans des négociations à l’échelle internationale. En 1972, la Conférence de Stockholm réunit les États des Nations Unies qui, pour la première fois, envisagent une coordination politique internationale en matière de protection de l’environnement et de la planète. Mais la question climatique ne sera discutée en tant que telle que 20 ans plus tard. En effet, au cours du sommet de la Terre de Rio de Janeiro (3 juin-14 juin 1992), 154 pays et l’Union européenne signent la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. La CCNUCC réunit annuellement 197 parties depuis 1995 au cours des fameuses COP (Conferences of the Parties). Ces conférences se tiennent à chaque fois dans une ville différente et rassemblent les dirigeants des parties ainsi que des acteurs non-gouvernementaux (ONG, scientifiques, etc.). Leur objectif est de dresser un état des lieux climatique et de s’accorder sur les impératifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Notons que sur les 24 COP qui ont d’ores et déjà eu lieu, 11 se sont déroulées dans des villes de l’Union, ce qui témoigne d’une forte implication.
« La première pierre d’un régime juridique de la protection du climat » est posée à l’occasion de la COP3 qui s’est déroulée à Kyoto en décembre 1997. À l’issue de cette COP, le Protocole de Kyoto est signé le 11 décembre 1997. Cependant, il n’entrera en vigueur que le 16 février 2005, après que 55 parties de la Convention responsables d’au moins 55 % des émissions de CO2 aient ratifié le texte. Il s’agit du premier engagement ambitieux, parce que supposé juridiquement contraignant – bien que l’on puisse parler ici de « droit mou » -, sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les parties signataires de l’annexe 1 s’engagent à une réduction des émissions de 5 % en moyenne au cours de la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2012 (par rapport au niveau d’émissions de l’année 1990). Notons que l’engagement de réduction de l’Union Européenne (-8 %) est le plus élevé, avant les États-Unis (-7 %), le Canada et le Japon (-6 %).
Le fait que l’Union se soit présentée comme une partie en soi au cours des négociations n’empêche en rien des divisions entre les États membres (et même au sein de ces États). Cela n’a également pas permis aux positions de l’UE de s’imposer face à celles défendues par les États-Unis, notamment en ce qui concerne les objectifs quantitatifs et les mécanismes de flexibilité qui s’articulent autour d’un système de quotas de droits à polluer. L’article 4 du Protocole permet cependant, comme le souhaitait l’Union Européenne, que des pays de l’annexe 1 puissent s’organiser en « bulle » – c’est-à-dire en organisation collective et solidaire – pour remplir les objectifs du Protocole, selon un principe d’application conjointe. Finalement, l’Union apparaît comme la bonne élève si l’on doit la comparer aux États-Unis qui ont refusé de prendre part au Protocole, bien que responsables alors de 20 % des émissions de CO2. Le 31 mai 2002, l’Union Européenne ratifie le document, tandis qu’un accord communautaire répartit les objectifs de réductions entre les différents États membres.
Plus récemment, c’est la COP21 (qui s’est tenue à Paris du 30 novembre au 12 décembre 2015) qui a fait couler beaucoup d’encre : l’accord de Paris sur le climat, signé par les 196 délégations de l’ONU (195 États et l’Union Européenne, compétente pour la ratification), entre en vigueur le 4 novembre 2016. Il fixe la limite du réchauffement climatique nettement en dessous des 2 °C d’ici à 2100, avec 1,5 °C comme objectif. Mais encore une fois, c’est seulement lorsque l’on compare l’UE avec les États-Unis (Donald Trump ayant annoncé le retrait des États-Unis de l’accord de Paris le 1er juin 2017) qu’elle semble agir selon la ligne fixée par l’accord. En réalité, aucun pays membre de l’UE ne respecte à ce jour les objectifs fixés, si l’on en croit le classement du Climate Action Network (CAN), daté du 18 juin 2018. Sept pays européens se sont rassemblés à Paris fin avril 2018 pour encourager l’UE à se montrer plus ambitieuse sur ses objectifs pour l’année 2030, mais le CAN affirme qu’ils ne se montrent pas assez rigoureux quant à leur réduction nationale d’émission de gaz à effet de serre. La déception est d’autant plus grande que l’Union s’était présentée comme chef de file au moment de l’accord de Paris.
L’histoire des politiques communes au sein de l’UE concernant le changement climatique est également récente : le traité de Rome ne donnait aucune compétence à la Communauté Européenne en matière d’environnement. De plus, l’Acte unique européen de 1986 est généralement considéré comme le point de départ de la politique européenne environnementale, mais les enjeux du changement climatique deviennent une compétence de l’Union européenne seulement avec la signature du Traité de Lisbonne, le 13 décembre 2007 (en vigueur le 1er janvier 2009). Un nouvel objectif commun aux États membres voit alors le jour, à savoir « la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement, et en particulier la lutte contre le changement climatique » (article 191 du TFUE). Pour ce qui est de l’institutionnalisation nécessaire à la mise en œuvre de cet objectif, un poste de commissaire à l’Action pour le Climat est créé à la Commission européenne en 2010. Une direction générale Climat est, de plus, chargée de proposer des politiques de lutte contre le changement climatique et de représenter l’Union dans les négociations internationales pour le climat.
Concernant les dispositifs législatifs, le Paquet Énergie-Climat est signé lors du Conseil européen de Bruxelles les 11 et 12 décembre 2008 et adopté ce même mois par le Parlement européen et le Conseil des ministres. Il s’articule autour de l’objectif dit des « 3×20 », selon lequel d’ici à 2020, la part des énergies renouvelables européennes doit passer à 20 %, les émissions de CO2 doivent être réduites de 20 %, tandis que l’efficacité énergétique doit être améliorée de 20 % (ce dernier objectif n’ayant pas de nature contraignante, contrairement aux deux premiers). Cet ensemble de mesures a été complété par de nouveaux objectifs fixés pour la période 2020-2030 qui s’inscrivent dans le Cadre d’action en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030. L’UE s’engage alors à réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, à porter la part d’énergie renouvelable à 27 % et à améliorer l’efficacité énergétique de 27 %. Notons que seul le premier de ces objectifs a une nature contraignante.
Dans le cadre de la ratification du Protocole de Kyoto, un marché européen de quotas de CO2 (Système communautaire d’échange de quotas d’émission, SCEQE-UE) a été mis en place au sein de l’Union Européenne (à partir de 2005). Cet outil propose que les entreprises de certains secteurs vendent et achètent des quotas d’émission de CO2. Il rencontre de très nombreuses critiques : comment peut-on faire confiance aux mécanismes du marché pour réduire drastiquement les émissions de carbone ? Le SCEQE s’est d’ailleurs montré inefficace à dissuader les entreprises à limiter rigoureusement leurs émissions de carbone.
Notons, pour conclure, que les négociations de la COP24 ont témoigné d’un nivellement par le bas au sein de l’UE, dont se rendent notamment responsables l’Allemagne et la Pologne, qui continuent d’investir dans le charbon. Certes, faire un détour par l’histoire nous permet de constater une volonté de l’UE de s’imposer dans les négociations internationales climatiques, tout en fixant des objectifs communs et en mettant en œuvre des dispositifs pour ses États membres. Cependant, au-delà de ce cadre purement théorique dans lequel « les dirigeants européens se sont engagés à transformer l’Europe en une économie à haute efficacité énergétique et à faible émission de carbone », il reste à voir ce qui est effectivement mis – ou non – en œuvre.
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