“Les ouvriers sont les grands oubliés du gauchisme culturel qui domine l’univers médiatique” – Entretien avec Jack Dion

Jack Dion, directeur-adjoint de Marianne

Jack Dion est directeur adjoint de l’hebdomadaire Marianne et l’auteur de l’essai, Le mépris du peuple : Comment l’oligarchie a pris la société en otage, paru en 2015 aux éditions Les Liens qui Libèrent. Dans cet ouvrage, il pointait la manière dont les catégories populaires ont été rendues invisibles et suspectes par une caste qui dispose de tous les leviers de pouvoir.


LVSL – Est-on revenu à l’image très XIXème siècle des « classes dangereuses » ?

Jack Dion – Il y a un peu de ça, mais le contexte est très différent. Marx disait : un spectre hante l’Europe, le communisme. Aujourd’hui, on pourrait dire : un spectre hante le monde, le populisme.  On emploie ce mot valise pour tout et n’importe quoi. On l’évoque aussi  bien pour le Brexit que pour la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis, pour la défaite de Renzi en Italie que pour la percée de Poutine sur la scène internationale. En France, on l’utilise pour jeter dans le même sac d’opprobre ceux qui se trompent de colère en votant FN et ceux qui sont sensibles à la musique alternative d’un Jean-Luc Mélenchon, par exemple. Ce concept fourre tout est devenu le mot favori de ceux qui ne comprennent pas les dérèglements politiques contemporains. On le retrouve sous toutes les plumes, on l’entend dans toutes les bouches.

Le populisme est ainsi devenu l’idée référence, le mantra agité en permanence. Il est asséné comme une formule magique qui revient à dire que le peuple fait sécession – sans que l’on sache pourquoi – ou qu’il ne comprend rien à rien, ou qu’écouter ses doléances est un crime contre la pensée correcte.

De fait, les ouvriers, les employés et les techniciens (pour dire vite), qui représentent encore une part substantielle de la population active sont marginalisés. On a l’impression qu’ils n’existent pas ou qu’ils forment une espèce en voie de disparition.

Certains vont même jusqu’à théoriser qu’il n’est nul besoin de s’intéresser aux couches populaires puisqu’elles fournissent les bataillons des abstentionnistes aux élections. A quoi bon écouter des gens qui sont en dehors du système validé par les élites, que ces dernières soient de droite dure ou de gauche molle ?

La mise en rencart des couches populaires est ainsi devenue la donnée politique dominante de la société française. Tout le monde (ou presque) semble s’en accommoder, soit en considérant que c’est inévitable, soit en spéculant sur d’hypothétiques jours meilleurs pour en sortir. C’est sur cette réalité que le FN fait sa pelote politique, utilisant ainsi les douleurs et les frustrations pour avancer ses thèses.

De fait, les ouvriers, les employés et les techniciens (pour dire vite), qui représentent encore une part substantielle de la population active sont marginalisés. On a l’impression qu’ils n’existent pas ou qu’ils forment une espèce en voie de disparition. Ils sont absents de l’Assemblée nationale et du Sénat. Ils sont inexistants aux postes de direction des partis politiques. Ils sont caricaturés par les principaux médias, souvent présentés comme des beaufs racistes sensibles au discours xénophobe. Leur parole n’est jamais prise en compte alors qu’ils sont les premières victimes des politiques néolibérales menées ces trente dernières années, soit par la gauche soit par la droite. Ils sont les grands oubliés du gauchisme culturel qui domine l’univers médiatique.  D’où un décrochage durable qui fait du peuple le trou noir de la scène publique.

L’UNION EUROPÉENNE, TELLE QU’ELLE FONCTIONNE, EST UNE MACHINE À CRÉER DES EUROPHOBES À LA PELLE

LVSL – Qu’avez-vous pensé du traitement médiatique du Brexit et de la façon dont son résultat a été contesté ?

J.D. – Il a été aussi caricatural que l’est toute analyse incapable de comprendre la réalité complexe en raison d’une grille de lecture préétablie dont il est impossible de sortir. Les élites avaient décidé que l’hypothèse du Brexit était une abomination, une perversion intellectuelle, quasiment un blasphème, et qu’il fallait donc diaboliser quiconque évoquait la possibilité d’une telle perspective. Elles se sont donc trompées, avant, pendant et après le choix souverain du peuple britannique. Avant, en ne voyant pas que l’Union Européenne, telle qu’elle fonctionne, est une machine à créer des europhobes à la pelle, pour de bonnes et parfois pour de mauvaises raisons. Pendant, en croyant les sondages qui assuraient que les défenseurs du Brexit étaient isolés. Après en n’imaginant même pas qu’il puisse y avoir une vie possible pour la Grande-Bretagne en dehors de l’Europe, alors même que ce pays a parfaitement survécu à son maintien en dehors de la zone euro, profitant de la marge de manœuvre que lui confère l’existence d’une monnaie nationale.

La France a connu un phénomène similaire en 2005 à l’occasion du référendum sur le Traité Constitutionnel Européen (TCE). A l’époque, déjà, quiconque osait contester la logique du TCE était traité de populiste, ou de national-populiste (version plus sophistiquée), voire de fasciste en herbe. Quand Manuel Valls, qui avait d’abord pris partie pour le Non se rallia au Oui, il le fit en expliquant, dans une tribune publiée par Le Monde, que l’Europe était menacée par une vague de « populisme » (déjà). Serge July, alors directeur de Libération, restera comme l’auteur d’un éditorial destiné à figurer dans les annales de l’analyse politique en voyant dans le résultat du référendum « un désastre général et une épidémie de populisme qui emportent tout sur leur passage, la construction européenne, l’élargissement, les élites, la régulation du libéralisme, le réformisme, l’internationalisme, même la générosité ». En somme, les Français n’avaient pas voté en connaissance de cause, mais par peur, par réflexe animal.

Le débat européen était déjà ramené à un clivage entre les gens de biens, membres d’une avant-garde éclairée, et les gens de peu, ignorants. C’est ce qui s’est passé pour le Brexit. Certes, une partie de l’élite britannique a appelé à voter contre l’Europe pour des raisons xénophobes, mais ce n’est pas une raison pour faire de tous ceux qui ont voté en faveur du Brexit des racistes avérés refermés sur eux-mêmes et décidés à bouffer de l’étranger à la place du porridge.

LVSL – Des partis, des hommes et des femmes politiques cherchent à incarner une forme d’insurrection populaire. Parfois sous un verni de droite avec Donald Trump et l’AfD en Allemagne, parfois sous un verni plus progressiste avec Podemos et Jean-Luc Mélenchon, enfin sous des traits assez flous, avec le Movimento Cinque Stelle en Italie. Est-ce que l’on vit actuellement un « moment populiste » ?

J.D. – Je suis assez réservé sur l’usage de cette formule pour des raisons développées précédemment, et tenant au fait que le terme de « populiste » est très insultant vis-à-vis des milieux populaires. De plus, la formule peut aboutir à mettre dans le même sac des réactions et des comportements politiques qui sont antinomiques. Il est clair que l’on ne peut comparer les différentes formes d’insurrection populaire que vous avez évoquées. Entre Trump et Podemos ou entre L’AfD et Mélenchon, c’est le jour et la nuit, ou l’eau et le feu. Reste un point commun qui est le rejet des politiques austéritaires menées au fil des ans par des partis politiques qui suscitent un véritable phénomène de rejet, et des élites qui en sont devenues les symboles en chair et en os, comme l’a été Hillary Clinton aux Etats-Unis.  Cette dernière a quand même réussi à se faire battre par un représentant de Wall Street mieux à même de faire entendre un discours en prise sur les angoisses de la classe ouvrière américaine, aussi surprenant que cela puisse paraître. Au lieu de se demander si la main de Moscou est derrière la victoire de Trump, ce qui est du plus grand ridicule, mieux vaudrait tirer les leçons de la débâcle de Hillary Clinton et de Barack Obama réunis, ces deux chouchous des bobos de San Francisco et de Brooklyn. Toute la question est de savoir si l’insurrection civique qui couve débouchera sur une voie sans issue, telle la victoire de Trump aux Etats-Unis ou un éventuel renforcement du FN en France, ou si ce sont des forces et des courants porteurs d’une vision émancipatrice qui l’emporteront. Bien malin qui pourrait le dire.

LVSL – Certaines choses semblent avoir changé depuis la parution de votre ouvrage. Les candidats du « système » se revendiquent ouvertement du peuple et partent à l’assaut des médias. On pense ici à certaines déclarations de Manuel Valls, à la posture d’Emmanuel Macron qui critique le « vieux système », ou encore à François Fillon, qui avait ouvertement taclé Pujadas au cours d’un des débats de la primaire de la droite. Que pensez-vous de ce renversement ?

J.D. – Ce renversement illustre le phénomène qui est au cœur de mon livre, à savoir la coupure, la fracture même, entre le peuple et les élites, phénomène qui dépasse de loin le clivage traditionnel droite/gauche puisqu’une partie de la gauche a sombré corps et biens dans la gestion pépère du capitalisme financier. Du coup, certains sont obligés de prendre en compte cette réalité, ne serait-ce que pour ne pas se couper d’une partie majoritaire de l’électorat sans laquelle il est illusoire de prétendre être élu. Mais ils le font avec des stratégies différentes. Manuel Valls ne veut pas porter le poids du bilan de François Hollande, qui risque de le plomber en raison de son parcours de Premier ministre d’un Président ultra minoritaire dans l’opinion. Emmanuel Macron perçoit certains des blocages institutionnels mais vise un rassemblement « ni gauche ni droite » sur la base d’un néolibéralisme intégral. Quant à François Fillon, s’il a été plébiscité lors de la primaire par la crème d’un électorat de droite CSP+, il a un programme d’inspiration thatchérienne qui peut le handicaper dans la dernière ligne droite. Cela dit, il faut reconnaître que sur certains points, comme le rapport à la Russie ou la condamnation de l’islamisme, il a un discours qui rompt avec le droit-de-l’hommisme en vigueur dans les médias et dans la gauche bourgeoise. D’où une impression de parler vrai et une hauteur de vue qui ont tranché lors des débats de la primaire, y compris lors des échanges avec des journalistes en tous points conformes à leur propre caricature.

LVSL – On pointe régulièrement le fait que le FN s’implante de plus en plus chez les ouvriers, les employés précarisés et les inactifs. Le « peuple » est-il passé à l’extrême-droite ? Quel rôle va-t-il jouer pendant l’élection présidentielle de 2017 ?

J.D. – Non, le peuple n’est pas passé à l’extrême-droite, mais il faut se demander pourquoi il est sensible à sa petite musique. Plusieurs causes sont à prendre en considération. La première est que le FN apparaît comme le seul parti non concerné par le rejet des équipes ayant exercé le pouvoir ces dernières années.  C’est un fait objectif qui permet au FN de se présenter comme un parti ayant les mains propres, ce qui est un comble quand on connaît son histoire, ses liens douteux et les gamelles que traînent certains de ses représentants. Mais l’alternance de pacotille qui a permis aux partis dits de gouvernement, de droite comme de gauche, de se relayer aux affaires pour mener une politique similaire (au détail près) a ouvert un boulevard à l’extrême-droite. Le second élément à prendre en considération, plus structurel, est l’échec historique du communisme tel qu’il a existé du temps de l’URSS. La conséquence en a été l’effondrement du PCF qui a longtemps été le porte voix des exclus, et qui a été en partie remplacé dans ce rôle par le FN. Ce disant, je ne mets pas le PCF et le FN sur le même plan. Loin de moi cette idée saugrenue qui traîne parfois de ci de là, et qui est passablement injurieuse pour les communistes, quoi que l’on pense de leurs errements passés et de leurs choix d’aujourd’hui. Mais force est de constater que le vote contestataire a été récupéré en partie par le FN. Dans les quartiers populaires, le rôle social, culturel et politique naguère assuré par les communistes l’est par d’autres, qui n’ont pas le même attachement (c’est un euphémisme) aux valeurs républicaines, à commencer par la laïcité et l’émancipation féminine. Enfin, le dernier élément à prendre en compte est l’abandon par les forces se réclamant de la gauche, de bien des terrains de combat, permettant ainsi au FN d’apporter des réponses au mieux illusoires au pire dangereuses.

Ainsi, a-t-on oublié le rôle de la nation, les vertus de la laïcité, la nécessaire régulation de l’immigration pour ne pas nourrir la guerre des pauvres contre les pauvres, la lutte contre toutes les formes d’insécurité (sociale, civile culturelle), ou la question européenne, jugée intouchable par les Eurobéats de tous poils.  Résultat : sur tous ces sujets comme sur d’autres, on a laissé le FN avancer ses pions, aussi critiquables soient-ils. Pourtant, il n’y a aucune fatalité à ce qu’il en soit ainsi. Contrairement à ce qu’on lit dans la Pravda des bobos, titre que se disputent Le Monde et Libération, les Français ne sont pas des racistes invétérés, insensibles aux autres. On n’en est pas revenu aux « heures les plus sombres de notre histoire », comme disent ces esprits qui se croient encore à l’époque des Républicains espagnols en lutte contre le fascisme. Simplement, à oublier de regarder la réalité telle qu’elle est, à remplacer la politique par la morale permanente, on se coupe de ceux qui ont les deux pieds dans la glaise de la vraie vie, et qui attendent des réponses à leurs questions, non des sermons culpabilisants. D’une certaine manière, tout l’enjeu de la prochaine présidentielle est là.

Danielle Simonnet : “La bataille culturelle est première”

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Danielle Simonnet ©Thomas DIPPE

On a parlé réseaux sociaux, humour, uberisation et populisme avec la Conseillère de Paris et coordinatrice du Parti de Gauche, Danielle Simonnet…

LVSL – Vous réalisez des vidéos courtes pour attirer l’attention sur différents problèmes, comment combinez-vous votre savoir-faire politique classique et cet usage des réseaux sociaux ?

Danielle Simonnet – Ma première tâche politique c’est d’éveiller les consciences. A travers ces vidéos courtes, j’essaye, en partant de problématiques concrètes de démontrer la logique néolibérale à l’œuvre, d’aborder un sujet d’actualité, pour faire réagir. C’est une tâche essentielle que de mener ce type de bataille culturelle, car il ne faut pas oublier que la bataille culturelle est première.

LVSL – Vos vidéos vous donnent accès à une large audience. La vidéo sur La Poste ou vous dénoncez les fermetures de bureaux, a récemment fait 500 000 vues sur Facebook…

DS – Oui, je me suis rendue compte qu’un communiqué de presse est moins souvent repris par les médias, alors même que la plupart des médias disposent d’une audience qui est limitée. Une vidéo peut dire tout autant, et aussi bien qu’un article dans la presse, tout en étant partagé des milliers de fois, et vues par des centaines de milliers de personnes. Une vidéo à fait plus d’un million de vues (Ndlr : 1,2 million), c‘est celle d’une intervention à la mairie de Paris sur les liens financiers entre le groupe Lafarge et l’Etat islamique, alors que Lafarge fournissait le sable de Paris Plages.

C’est un sujet grave : comment lutter économiquement contre les terroristes, mais pris avec un exemple concret, et avec l’objectif de dénoncer un pouvoir public hypocrite. Une vidéo avec autant de personnes qui la regardent, je pense que ça peut permettre d’éveiller des consciences .

« Il faut casser le sentiment d’incompétence entretenu par la technocratie actuelle »

LVSL – Est-ce que ça vous permet de sortir d’une zone de confort politique (celle où l’on s’adresse à des convaincus) et ainsi de vous adresser à des publics, des électorats, différents de celui de la gauche radicale ?

DS – Tout à fait, je le vois dans les commentaires sur les réseaux sociaux. Ma page Facebook est passée de 4000 j’aime à presque 22 000 en 6 mois depuis que je fais des vidéos courtes. Et je vois bien dans les commentaires, quand j’explique pourquoi il faut voter pour Mélenchon à la fin de mes vidéos, même si beaucoup de personnes apprécient mes idées ils ne sont pas forcément d’accord avec cette conclusion. C’est que l’objectif est réussi.
J’ai touché un public plus large que les gens de la France Insoumise (Ndlr : Mouvement de soutien à la candidature de Jean-Luc Mélenchon et au programme L’Avenir en Commun) ou PG-compatibles (Ndlr : PG, Parti de Gauche, cofondé par J-L Mélenchon) . C’est ça qui m’intéresse : avoir un auditoire beaucoup plus large, ce qui me force à synthétiser un propos.
Par exemple, la vidéo sur La Poste qui a fait énormément de vues, devant un bureau de poste qui transfère ses activités aux petites supérettes, je dis : « Il n’y a pas écrit La Poste ici mais carrefour ». Une telle manière de dénoncer ce gouvernement qui casse la poste publique peut enclencher une réflexion sur le devenir du service public mieux qu’un propos désincarné.


Il est nécessaire de s’exprimer tels que nous sommes : des citoyens comme tout le monde. et mes vidéos ne font pas la leçon, j’assume d’être une citoyenne comme tout dans le monde qui interpelle sur un problème concret et largement ressenti. C’est aussi un moyen de casser le sentiment d’incompétence entretenu par la technocratie actuelle qui véhicule l’idéologie dominante. C’est une bataille essentielle pour que le peuple reprenne le pouvoir.
Voilà pourquoi je me suis filmée dans mon plumard (rires) pour dénoncer le travail le dimanche ! Et puis ce sont aussi les femmes qui vont subir cette remise en cause d’un acquis essentiel. Là c’est du concret et c’est de l’universel : tout le monde à envie de faire la grasse mat’ le dimanche ! Il faut montrer que la politique concerne tout le monde et cela implique de se mettre dans un rapport d’égalité.

« Le peuple doit se réapproprier sa souveraineté. L’humour et l’émotion peuvent être les meilleures portes d’entrée de la conscience politique. »

LVSL – Ça rentre dans une stratégie populiste de s’adresser au-delà de l’électorat de gauche ?

DS – Il faut se méfier du terme “populiste” qui est souvent utilisé à tort et à travers. Mais oui je veux permettre au peuple de se réapproprier sa souveraineté, dans une démarche populaire, en suscitant, avec de nouvelles façons de faire (les criées dans le métro, les réseaux sociaux…) l’envie de reprendre en main notre destin collectif. Si c’est du populisme je l’assume avec fierté. Je suis convaincue qu’avec de l’humour, avec le rire on peut aussi atteindre une subversion absolue. La politique du spectacle s’en sert, à nous de le retourner pour contester le système, avec ceux qui ont confiance dans l’avenir, parce qu’ils sont dans cette insolence là, d’essayer de changer le cours de l’histoire. L’humour et l’émotion peuvent être les meilleures portes d’entrée de la conscience politique. L’humour dans ce qu’il a d’insolent est une arme contestataire.

LVSL – Vous animez aussi une “conférence gesticulée” intitulée « Uber, les Salauds et mes Ovaires »…

DS – L’invention des conférences gesticulées de Franck Lepage, vient de la volonté de montrer que tout le monde, par ses engagements personnels, syndicaux, associatifs, citoyens, est en capacité d’être médiateur, de produire du savoir, de donner une incarnation à du savoir froid. Plutôt que de faire des conférences avec des sachants, où l’on déverse un contenu froid, la conférence gesticulée s’appuie sur une dynamique de groupe. Dans la méthode d’élaboration, c’est vraiment de l’éducation populaire. Ça m’a permis notamment d’assumer l’aspect féministe sur Uber, de raconter les anecdotes drôles que j’avais pu vivre. Ensuite, les gens viennent à un spectacle, donc je n’ai effectivement pas les mêmes gens que j’aurais à un meeting politique. Et ça c’est intéressant. Et ensuite il s’agit de savoir comment on raconte une histoire dans laquelle tout le monde peut se projeter, avec des gens qui s’ouvrent au contenu qui est transmis.

LVSL – Pouvez-vous nous rappeler les dangers de l’uberisation ?

DS – L’uberisation c’est le développement de plate-formes qui mettent en relation clients et autoentrepreneurs pour un service, et elle se développe dans plusieurs secteurs. C’est une façon pour le capitalisme d’exploiter des nouvelles technologies, et d’imposer des salariés sans droits. C’est un grand remplacement ! Pas celui des fachos, mais le grand remplacement des entrepreneurs qu’on substitue au salariat, où les plates-formes s’exonèrent des cotisations salariales, du droit du travail, et où on peut entre autre déconnecter d’une plate-forme comme Uber sans procédure de licenciement. La logique de la plate-forme est de ponctionner de l’argent, et de s’exonérer des cotisations fiscales, parce que ça va directement dans les paradis fiscaux, en passant par les Pays-Bas. L’uberisation, en s’appuyant sur le consumérisme, en proposant un service a priori moins cher, plus pratique et moderne, rend complice d’un suicide social collectif. Les consommateurs sont invités à utiliser l’uberisation et à devenir complices de la casse de l’État social, et d’un système d’évasion fiscale.

Donc c’est vraiment la grosse merde. (Rires)

LVSL – On a vu que Mélenchon était l’homme politique avec le plus d’abonnements sur Youtube, est-ce que cela peut avoir une influence sur l’élection présidentielle cette présence sur les réseaux sociaux ?

DS – Bien sûr ! C’est la capacité d’être son propre média, de mener sa campagne de manière autonome par rapport aux médias structurellement liés à des logiques oligarchiques. Maintenant il n’y a pas que ça, il y aussi un excellent programme, des mobilisations sur le terrain… Il ne faudrait pas croire que les réseaux sociaux peuvent se substituer à la présence sur le terrain, d’où l’intérêt de grands rassemblements humains, physiques. Le 18 Mars nous faisons une grande marche qui permet à la force citoyenne de se vivre comme force et de se retrouver physiquement. Et ça augmente sa capacité à se construire elle même et à exister en tant que force qui peut prendre le pouvoir.

Pour conclure, le travail sur internet vient en complément du travail militant !

(Propos recueillis par Paul Ajar)

Photo : ©Thomas DIPPE