« Les violences policières n’ont été que le détonateur des soulèvements aux États-Unis » – Entretien avec Alex Vitale

Manifestation contre les violences policières et le racisme devant la Maison Blanche le 3 juin à Washington D.C. © Ted Eytan

Pendant des années, les seules réponses à la brutalité de la police aux États-Unis ont été les caméras-piétons et des formations sur les préjugés pour combattre le racisme. L’embrasement généralisé du pays après le meurtre de George Floyd par un policier de Minneapolis prouve que ces dispositifs sont loin d’être suffisants. Alex Vitale, professeur de sociologie, coordinateur d’un projet articulant police et justice sociale au Brooklyn College et auteur de « The End of Policing » (La Fin du maintien de l’ordre) estime que la seule manière d’avoir une meilleure police est d’en avoir moins. Il prône le « définancement » de la police. Interview par notre partenaire Jacobin, traduite par Romeo Ortega Ramos et éditée par William Bouchardon.


Meagan Day (Jacobin) – On constate le retour des manifestations contre la brutalité policière en ce moment, alors que la pandémie COVID-19 bat son plein (les États-Unis ont enregistré plus de 100.000 décès liés au coronavirus, ndlr) et qu’une grande partie du pays est toujours théoriquement en confinement. C’est très surprenant. Je ne m’attendais même pas à voir des gens manifester massivement contre la gestion inadéquate du coronavirus et encore moins protester contre les violences policières liées au racisme. Comment interpréter tout cela?

Alex Vitale – C’est assez déroutant, oui. Je pensais moi aussi que les impératifs de distanciation sociale réduiraient considérablement les manifestations de rue. Mais nous traversons une période de crise profonde qui va bien au-delà de la police. La crise du coronavirus et la récession économique à venir (à la date du 21 mai, 39 millions d’Américains avaient déjà perdu leur emploi suite aux conséquences de l’épidémie, ndlr) jouent un rôle dans ce à quoi nous assistons. C’est la convergence d’un tas de facteurs différents. La brutalité de la police, phénomène qui n’a jamais été résolu, n’en est que le catalyseur. Cela a déclenché une sorte d’activisme générationnel en réponse à une crise plus profonde, dont la police fait partie et est emblématique.

Jacobin – Je vois tous types de personnes aux manifestations : des noirs précaires ou pauvres, mais aussi des jeunes blancs, dont beaucoup sont probablement issus de la classe moyenne. Cela semble valider ce que vous dites, à savoir que les manifestations sont motivées par une colère à la fois vis-à-vis des violences policières envers les noirs en particulier, et contre une plus grande diversité de phénomènes sociaux.

Alex Vitale – Je pense que nous avons sous les yeux les vestiges d’Occupy Wall Street, de Black Lives Matter et de la campagne Sanders, des mouvements unis par le sentiment que notre système économique ne fonctionne pas. Même les personnes qui n’ont pas personnellement subi de violence policière sentent venir un avenir d’effondrement économique et environnemental. Ils sont donc terrifiés et en colère. Si nous avions une économie en plein essor ou un leadership crédible à Washington, les évènements n’auraient pas eu une telle ampleur. Mais non seulement Trump est à la Maison Blanche, mais en plus personne n’a confiance en Biden pour régler ces problèmes.

Quand on pense aux soulèvements urbains des années 1960, on ne les associe pas uniquement aux méthodes policières. On comprend que les incidents policiers ont été un détonateur mais qu’ils étaient avant tout une réponse à un grave problème d’inégalité « raciale » et économique en Amérique. C’est ainsi que nous devons comprendre ce qui se passe aujourd’hui. La police est le visage de l’incapacité de l’État à subvenir aux besoins fondamentaux des gens et à vouloir masquer cet échec par des solutions qui ne font que nuire davantage.

Jacobin – C’est un peu surprenant mais ces manifestations semblent avoir une intensité supérieure aux précédentes manifestations « Black Lives Matter ». Il se passe la même chose qu’à Ferguson et à Baltimore mais dans des centaines de villes. Comment l’expliquer ?

Alex Vitale – L’une des raisons pour lesquelles ces contestations soient plus intenses aujourd’hui qu’il y a cinq ans, c’est qu’il y a cinq ans, on a dit aux gens : « Ne vous inquiétez pas, nous allons nous en occuper. Nous allons former les policiers à la question des préjugés implicites. Nous allons avoir des réunions de quartier. Nous allons équiper les policiers de caméras-piétons et tout ira mieux. » Et cinq ans plus tard, ce n’est pas mieux qu’avant. Rien n’a changé. Les gens n’écoutent plus ces niaiseries sur les réunions de quartier.

Minneapolis est une ville libérale au meilleur et au pire sens du terme. Il y a cinq ans, ils ont pleinement adhéré à l’idée qu’il suffirait de réunir les gens pour parler ensemble du racisme pour régler les problèmes de leur police. Tout ce genre de tactiques pour rétablir la confiance de la communauté dans la police, ils les ont essayées. Et en même temps, les policiers pouvaient continuer à mener la guerre contre les drogues, une guerre contre les gangs et le crime et criminaliser la pauvreté, les maladies mentales et les sans-abris.

Ce n’est pas juste Minneapolis. On a beaucoup entendu parler de cette idée qu’il fallait emprisonner les flics qui tuent. Mais c’est une stratégie sans issue. Déjà, tout le système juridique est conçu pour protéger la police. Ce n’est pas un accident ou un bug, c’est une caractéristique. Et après, lorsque des policiers sont poursuivis, le système les expulse et dit : « Oh, c’était une brebis galeuse. Nous nous en sommes débarrassés. Vous voyez, le système fonctionne. »

Les gens se rendent donc compte que ce type de réforme procédurale ne changera rien au fonctionnement de la police. Vous voulez des preuves de ce que j’avance ? Nous avons emprisonné un flic qui avait commis des meurtres à Chicago l’année dernière. Et vous ne voyez personne dans les rues de Chicago en ce moment se féliciter de la qualité des services de police.

Jacobin – De plus en plus de gens sont en train de prendre conscience que la police est ce qui nous reste quand nous ne disposons pas d’un État-providence décent. Êtes-vous d’accord que les gens associent de plus en plus leurs sentiments négatifs à l’égard de la police au désir positif d’un programme de réforme économique de grande ampleur ?

Alex Vitale – Absolument. Par exemple, nous avons vu des panneaux dans la rue la semaine dernière où était écrit « Defund the police » (« Ne financez plus la police », ndlr). Ce slogan incarne à merveille cette idée que nous n’allons pas rebâtir la police, mais bien que nous devons plutôt la réduire de toutes les façons possibles et la remplacer par des solutions démocratiques, publiques et non policières. Cette idée s’est construite depuis cinq ans, car plus les gens ont suivi les problèmes dans la police et de criminalisation (de la consommation de drogues par exemple, ndlr), plus ils se rendent compte directement à quel point ces réformes sont inutiles. De plus en plus de gens sont en train de réaliser que la voie à suivre est celle de la réduction de l’appareil policier et de son remplacement par des alternatives financées par l’État.

Par ailleurs, tout effort pour bâtir un mouvement populaire multiracial doit intégrer dans son programme la réduction de la machine carcérale de l’État. L’incarcération et la criminalisation de masse constituent une menace directe pour tous nos projets politiques. Cela fomente la division raciale, sape la solidarité, sème la peur, réduit les ressources à notre disposition, place les militants dans des positions précaires et mettra toujours à mal nos mouvements.

« Tout effort pour bâtir un mouvement populaire multiracial doit intégrer dans son programme la réduction de la machine carcérale de l’État. L’incarcération et la criminalisation de masse constituent une menace directe pour tous nos projets politiques. »

Les réformateurs procéduriers sont enfermés dans une vision mythifiée de la société américaine. Ils croient que l’application professionnelle et neutre de la loi est automatiquement bénéfique pour tout le monde, que l’état de droit nous rend tous libres. C’est une méconnaissance flagrante de la nature des structures juridiques dans lesquelles nous vivons. Ces structures ne profitent pas à tous de la même manière. Il existe un célèbre dicton du XIXe siècle qui parle de « la majestueuse égalité des lois, qui interdit au riche comme au pauvre de coucher sous les ponts, de mendier dans les rues et de voler du pain ». Mais bien sûr, les riches ne font pas de telles choses. Seuls les pauvres le font.

En fin de compte, le maintien de l’ordre consiste à maintenir un système de propriété privée qui permet de poursuivre l’exploitation. C’est un outil pour faciliter les régimes d’exploitation depuis la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle. Lorsque la plupart des forces de police modernes ont été formées, il s’agissait du colonialisme, l’esclavage et l’industrialisation. La police a émergé pour gérer les conséquences de ces systèmes – pour réprimer les révoltes d’esclaves, pour réprimer les soulèvements coloniaux, pour forcer la classe ouvrière à se comporter comme en main-d’œuvre stable et docile.

C’est la nature fondamentale du maintien de l’ordre. C’est une force qui n’a jamais été intéressée par l’égalité, bien au contraire. Elle a toujours existé pour réprimer nos mouvements et permettre à l’exploitation de se poursuivre.

Jacobin – A quoi ressemblerait le « définancement » de la police concrètement ?

Alex Vitale – Dans la pratique, au niveau local, cela signifie essayer de construire un bloc politique majoritaire en allant sur le terrain pour obliger un conseil municipal à voter la réduction du budget de la police et réinvestir autant d’argent que possible dans les besoins des citoyens.

Par exemple, à New York, les Democratic Socialists of America (DSA, parti de gauche américain qui a connu un fort essor depuis les campagnes de Bernie Sanders et compte aujourd’hui environ 60.000 membres, ndlr) mènent un plaidoyer sur les questions de criminalisation depuis un certain temps. En ce moment, ils s’organisent pour que les élections municipales de l’année prochaine soient l’occasion d’un test décisif : que tous les candidats prennent position et se déclarent en faveur ou non d’une réduction du budget des services de police d’un milliard de dollars. Ils sont en train de mettre cette question en avant de façon pratique. Et cette semaine, quarante candidats aux élections municipales ont signé un engagement à définancer le NYPD, le département de police de New-York. C’est incroyable.

Je suis le coordinateur du Policing and Social Justice Project (projet sur la police et la justice sociale, ndlr), qui fait partie d’un mouvement à New York pour la justice budgétaire. Nous avons fixé cet objectif d’un milliard de dollars. D’autres groupes comme les Communities United for Police Reform et Close Rikers (mouvement pour fermer la prison de Rikers Island, ndlr) ont appelé à des réductions substantielles des services de police et à réinvestir cet argent dans les besoins locaux. Ensemble, nous participons tous à des auditions budgétaires, nous écrivons des éditos, nous avons publié une vidéo qui circule sur les réseaux sociaux et même acheté des créneaux publicitaires pour appeler à cette réduction d’un milliard. Nous menons un vrai effort pour définancer la police non pas en théorie mais en pratique.

Ensuite, il est important de faire pression pour réaffecter cet argent dans des initiatives qui peuvent réellement remplacer la fonction de la police. Par exemple, à New York, le Public Safety Committee (Comité de sécurité publique, ndlr) a donné une recommandation sur l’usage du budget de la police et d’autres comités recommandent des réallocations de ce budget à d’autres services, le tout avec un président du Comité du budget qui peut demander des conseils à différents sous-comités. Par exemple, le président du Comité du budget sur lequel nous faisons pression à New York pourrait dire au Comité de la sécurité publique : « Nous voulons que vous retiriez deux cents millions du budget de la police », puis il pourrait dire au Comité de l’éducation : « Vous avez une centaine de millions supplémentaires à investir mais je veux que vous les investissiez dans des conseillers et la justice réparatrice. »

Jacobin – Les sondages montrent systématiquement que même si de nombreuses personnes, en particulier les personnes de couleur et notamment les noirs, se méfient de la police, ils ne veulent pas nécessairement que le nombre de policiers dans leur quartier soit réduit. J’ai l’impression que ce paradoxe s’explique par l’association automatique entre police et sécurité : les gens veulent se sentir plus en sécurité et la police est la seule solution à la sécurité publique qui existe. Que pensez-vous de ce paradoxe et comment y remédier?

Alex Vitale – Je pense que c’est semblable à la situation de Bernie Sanders. Vous avez vu les sondages de sortie des urnes montrant que les gens aimaient les idées de Sanders mais ont voté pour Biden. Ils ont peur, ils ne sont pas prêts. Ils ont un intérêt à la conformité et ils ne font pas confiance à cette nouvelle donne, même s’ils la comprennent et y croient jusqu’à un certain point.

En ce qui concerne la police, nous avons affaire aux conséquences de quarante ans de discours expliquant aux gens que la seule chose qui peut régler un problème dans leur quartier – chiens errants, nuisances sonores, adolescents turbulents – c’est davantage de police. C’est la seule option. Donc, les gens ont été conditionnés à penser : « Si j’ai un problème, c’est un problème que la police doit résoudre. » Quand les gens disent qu’ils veulent plus de police, ils disent en fait qu’ils veulent moins de problèmes.

Nous devons vraiment sortir de cette façon de penser. Nous devons donner aux gens confiance en eux pour qu’ils exigent ce qu’ils veulent et leur fournir plus d’exemples de choses qu’ils pourraient exiger et qui rendraient leur voisinage plus sain et plus sûr. Beaucoup de gens admettent par exemple qu’un nouveau community center (lieu en commun pour tout un quartier, où sont organisés tous types d’activités, similaire à une MJC en France, ndlr), mais ils ne croient tout simplement pas que cela soit possible. Ils se disent : « C’est inutile de le demander, ils ne nous le donneront jamais. »

Nous devons proposer des alternatives concrètes. Par exemple, les appels en cas de crise de santé mentale sont devenus une partie importante de l’action quotidienne de la police à New York. Il y en a 700 par jour. Nous n’avons pas besoin de policiers pour faire ce travail, et en soit nous ne voulons pas que des policiers armés fassent ce travail parce que c’est dangereux pour les gens qui ont des crises de santé mentale. Nous devons créer un système non policier d’intervention pour ce genre de problème qui soit disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Jumaane Williams (politicien américain porte-voix de la ville de New York) a demandé exactement cela à New York dans un excellent rapport très détaillé. La proposition consiste à prendre l’argent dépensé pour les appels de police en cas de crise et à le dédier à la prestation de services de soin des troubles mentaux.

Voilà une idée concrète pour une alternative au maintien de l’ordre. Nous avons besoin de plus d’idées de ce type pour inculquer un sentiment de possibilité et d’optimisme, et accroître l’imagination collective.

Les cinq faces du discours pro-Bolsonaro

Sessão Extraordinária Plenário Ulysses Guimarães Dep. Jair Bolsonaro Foto: Beto Oliveira 30.06.2011

A l’approche des résultats d’une élection présidentielle cruciale pour le Brésil, le collectif Lyon – Brésil pour la démocratie met en lumière les principaux ressorts du discours du grand favori, Jair Bolsonaro, candidat d’une extrême-droite décomplexée aux accents autoritaires, oligarchiques et ultra-conservateurs. 


Ouvertement raciste, misogyne, homophobe et autoritaire, le candidat d’extrême-droite, Jair Bolsonaro (Parti Social Libéral – PSL) est le grand favori du second tour des élections présidentielles face à Fernando Haddad (Parti des Travailleurs – PT). Après une écrasante victoire au premier tour (il a recueilli 46% des suffrages), ce nostalgique de la dictature militaire fait craindre le pire pour les minorités, promises à vivre sous le diktat de la majorité auto-proclamée.

Ses déclarations, toutes plus choquantes les unes que les autres, ne l’ont pas empêché d’acquérir une forte popularité auprès de la population brésilienne. Mais Bolsonaro n’est pas arrivé là par hasard, il a su regrouper et séduire grâce à des discours qui illustrent bien les conflits qui tourmentent le Brésil depuis le début de son histoire.

Cet article cherche à mettre en perspective ces discours qui ont réussi à trouver écho dans la société brésilienne, propulsant le député fédéral de Rio aux portes du poste suprême de la première puissance économique d’Amérique du Sud.

I – La revanche de l’homme blanc

Sans pouvoir le réduire à cela, le vote Bolsonaro est en partie un vote masculin, blanc et conservateur. Les études montrent une importante popularité du candidat auprès de la bourgeoisie agro-industrielle, de l’agropecuaria (propriétaires agraires) ou encore des classes laborieuses urbaines. Bolsonaro a su séduire cet électorat par un discours faisant appel à son intérêt de classe et de genre, mais surtout grâce à une instrumentalisation habile des affects et des émotions. Les émotions, cette élection en est particulièrement chargée. Elles sont exacerbée par des réseaux sociaux qui favorisent cette polarisation des opinions politiques. Bolsonaro s’appuie sur le fort ressenti de cette population qui n’a pas directement profité des programmes sociaux mis en place par le PT au cours de ses 14 années de pouvoir. Cette frange de la société s’est montrée particulièrement sensible au discours viriliste du bon mâle blanc, Jair Bolsonaro, prêt à prendre sa revanche…

Cette analyse fait directement écho à celle du sociologue américain Michael Kimmel. Dans son ouvrage Angry White Men: American Masculinity at the End of an Era (2013), l’universitaire américain décrit la réaction des mâles blancs face à l’évanescence de leurs avantages sociaux et sociétaux. Du droit de cuissage sur les esclaves noires de la senzala aux inégalités de revenus, les hommes blancs ont perpétué leurs avantages socio-économiques à travers l’histoire du Brésil. Ces derniers se sentent pourtant menacés entre autres par les revendications des minorités, l’intégration des femmes au marché de l’emploi et l’accès des classes les plus populaires à un certain pouvoir d’achat, par le biais des programmes sociaux.

La réhabilitation de l’homme blanc dans la société brésilienne se traduit alors par la sauvegarde des emplois dits “masculins”, industriels ou agricoles. On retrouve cela dans le discours nationaliste protecteur du candidat d’extrême droite, comme en témoigne son cri de ralliement “Brasil acima de tudo” (“Brésil avant tout”). Cette revalorisation passe également par la remise en cause de la régulation environnementale, notamment pour intensifier le travail dans les mines et relancer l’exploitation des énergies fossiles – un choix économique incertain au vu de la baisse du prix des matières premières, en partie à l’origine de la crise économique brésilienne. En dépit des accords internationaux sur le climat, cette dernière arrange évidemment l’agro-business, lobby ultra-puissant au Brésil.[1]

Ces électeurs coutumiers de la droite traditionnelle, déçus du PSDB décrédibilisé par sa participation au gouvernement Temer, se tournent désormais vers le candidat adoubé par les marchés internationaux. Le Wall Street Journal a en effet légitimé le “Trump tropical”, comme le surnomme la presse étrangère, auprès des acteurs financiers. Le journal américain poursuit ainsi sa tradition d’institution de légitimation économique des régimes autoritaires sud-américains après avoir vanté les mérites de Videla, Fujimori ou encore Pinochet. Grâce à son conseiller ultra-libéral Paulo Guedes, Bolsonaro s’est ainsi assuré du soutien de l’élite économique brésilienne, essentiel pour être en mesure d’accéder au pouvoir.

II – Un discours ultra-sécuritaire qui séduit les classes populaires

Dans un pays miné par les inégalités sociales, économiques et raciales, l’on aurait pu s’attendre à un rejet massif du candidat d’extrême-droite, qui a multiplié les déclarations violentes à l’égard des plus modestes et des minorités, affirmant entre autres que « les pauvres ne savent rien faire », qu’il serait « incapable d’aimer un fils homosexuel », qu’il ne laisserait « pas un centimètre de terre aux indigènes » ou encore qu’il ne violerait pas une députée « parce qu’elle ne le mérite pas ». Cependant, un sondage réalisé par l’Institut de recherches sociales, politiques et économiques (IPESP), publié le 11 octobre, a révélé que le soutien apporté à Bolsonaro a grandi chez les femmes, la population noire et les personnes moins scolarisées. Comment expliquer un tel phénomène ?

Bien que 53% de la population brésilienne se déclare noire, l’intégration à l’Etat de droit ne correspond pas à la composition raciale du pays[2]. Selon les données de l’Institut brésilien de géographie et statistiques (IBGE), les noirs représentent 76% de la population la plus pauvre, et seulement 17,6% des classes économiques les plus aisées. Autre chiffre alarmant : sur les 56 000 personnes assassinées en 2012, on en comptait 30 000 âgées entre 15 et 29 ans, dont 77% de noires. Au Brésil, l’exclusion sociale a bien une couleur.

À vrai dire, la démocratie brésilienne n’a jamais été en mesure de permettre à ces populations d’accéder aux avantages du monde moderne. Le fait que, de nos jours, plus de la moitié de la population brésilienne exerce des emplois semi-qualifiés en est une conséquence. En outre, les couches moins aisées ne subissent pas seulement la répression de l’État et des autorités, elles sont aussi les premières victimes de l’insécurité en général. Promettant de l’éradiquer, Bolsonaro propose des mesures radicales : libéralisation du port d’armes pour la population civile, rétablissement de la peine de mort, prison à perpétuité, réduction de la majorité pénale, castration chimique pour les violeurs, entre autres. Des solutions simplistes, pour des problèmes complexes.

« Les droits de l’homme sont pour les hommes « droits » (corrects) » est devenue l’une de ses maximes. Mais pour une grande partie de la population brésilienne, la loi en vigueur est déjà la loi du « chacun pour soi », et tant que l’État ne sera pas en mesure de protéger la population, l’adhésion aux discours de haine se renforcera, alimentant parallèlement la peur et l’insécurité.

III – Dieu et la politique au-dessus de tout

La religion est, tout au moins dans les termes employés, omniprésente dans le discours du candidat d’extrême droite. Son slogan, rabâché au cours des meetings, en est la parfaite illustration : « Le Brésil au-dessus de tout, Dieu au-dessus de tous ». Le terme « Dieu » est par ailleurs utilisé à 82 reprises dans le programme du PSL, qui contient même une citation tirée de la Bible. Voilà de quoi séduire les plus fervents chrétiens et plus particulièrement les Eglises évangéliques.

En l’espace de quarante ans, les Eglises évangéliques ont connu une expansion fulgurante au Brésil, la proportion de croyants au sein de la population est passée de 5% à 22%. Mais cette expansion au sein de la société brésilienne s’est également accompagnée d’une forte présence dans la sphère politique, où elle fait actuellement figure de véritable force politique (en atteste les 91 sièges glanés lors des élections législatives d’octobre).
Conscient de la popularité et de l’influence rampantes des évangélistes dans le pays, l’équipe de campagne de Bolsonaro aura bien compris l’importance d’adapter son discours, tant dans le langage que par les thématiques abordées, à ces communautés religieuses. La recette est simple et les ingrédients bien connus. Bolsonaro n’invente rien : il se base avant tout sur un discours de droite, très conservateur, qui fait de la défense des valeurs et de la morale de la famille traditionnelle chrétienne ses priorités.

Les ennemis, eux aussi, sont bien connus. Ce sont celles et ceux qui défendent les droits des LGBT, qui promeuvent les différents modèles de famille, le droit à l’avortement ou qui proposent un débat public sur la décriminalisation des drogues. Face à cet ennemi qui menace directement la famille traditionnelle et les valeurs chrétiennes, Bolsonaro s’érige en sauveur, en rempart contre la décadence. Et ses propos extrêmement violents à l’égard des féministes, des gays ou de celles et ceux qu’il désigne comme des « théoriciens » du genre, font mouche.

Mais il faut souligner que si ce discours ultra-conservateur utilise la religion, à travers le pouvoir d’influence des pasteurs, c’est surtout pour mieux défendre des intérêts politiques et économiques. L’exemple de l’évêque Edir Macedo est sans doute le plus criant. Edir Macedo, fondateur et évêque autoproclamé de l’Eglise universelle du royaume de Dieu, est aujourd’hui milliardaire et PDG d’un des plus grands médias brésiliens. Le religieux est aussi accusé de blanchiment d’argent, d’organisation criminelle, d’évasion de devises et de fraude (2009, 2011 et 2013).

IV – “Tout sauf le Parti des travailleurs” et le piège anti-gauche

Le discours anti-PT (anti-Parti des Travailleurs) est souvent décrit comme la principale raison de la vague extrémiste. Pourtant, ce discours, et l’hostilité à l’égard de ce parti, ne sont pas nouveaux sur la scène politique brésilienne. En réalité, le discours anti-PT, populaire au sein de l’élite économique brésilienne, existe depuis la fondation de ce dernier. Un parti qui, lui, trouve ses origines dans les mouvements ouvriers et syndicalistes du pays.

Aujourd’hui, le discours anti-PT a pris d’autres formes et d’autres proportions. Les affaires de corruption du PT et ses alliances avec le centre traditionnel, mais aussi le fait qu’il soit systématiquement associé à la corruption de la classe politique dans les médias, auront bel et bien contribué à renforcer le climat anti-PT. Celui-ci est aussi exacerbé par l’éloignement du parti de la base sociale qui l’avait soutenu (et qui lui avait permis d’accéder au pouvoir), et par l’égoïsme des classes plus aisées, qui n’ont pas supporté de voir le niveau de vie des classes populaires s’améliorer. Enfin, la crise politique, sociale et économique, qui a durement touché le pays sous le gouvernement Dilma Rousseff, n’arrangent rien à l’affaire. Pire encore, le PT est devenu le coupable idéal, premier responsable des malheurs qui ont frappé le pays.

La droite traditionnelle, représentée par le parti de l’ancien président Fernando Henrique Cardoso (PSDB), a toujours utilisé et encouragé ce discours. Mais c’est bien Bolsonaro qui en profite le plus cette année. Récemment, ce discours s’est fortement popularisé au sein de la classe moyenne et chez les modérés. Ils se sont de plus en plus éloignés du centre, pour se diriger vers les extrémités de la droite.

Le discours anti-PT de Bolsonaro, qui a récemment appelé à « rayer de la carte du Brésil ces bandits rouges », prend la forme d’un discours anti-gauche, extrêmement caricatural, aux tonalités fortement maccarthystes, et se propage massivement sur les réseaux sociaux au moyen de Fake News toutes plus aberrantes les unes que les autres. La menace d’une transformation du Brésil en Venezuela de Maduro, en cas de victoire de Haddad est ainsi répétée à longueur de prises de parole publiques. Cette rhétorique n’est pas sans rappeler la menace de l’instauration d’un régime communiste comparable à Cuba, brandie par les militaires lors du coup d’état de 1964.

V – La nostalgie de la dictature

Ancien capitaine de l’armée et nostalgique de la dictature, Jair Bolsonaro défend ouvertement le régime militaire et les pratiques de torture qui l’ont accompagné. En 2016, au Congrès, lors de son vote pour la destitution de l’ancienne présidente Dilma Rousseff, le candidat d’extrême droite était fier de dédier son vote “À Dieu, à la famille, aux forces armées, contre les communistes et à la mémoire du colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra.”  Prétendant vouloir défendre le Brésil d’une menace communiste, Bolsonaro est un grand admirateur de la dictature militaire (1964 – 1985) et du tortionnaire Ustra. À la tête de l’organisation civile et militaire de Sao Paulo, ce dernier est responsable de plus de soixante-dix morts et disparitions. Il a également conduit de nombreuses sessions de torture, y compris celle de Dilma Rousseff en 1970.

Le discours réactionnaire et décomplexé de Bolsonaro encourage la libération d’un discours pro-dictature porté par ses électeurs. Le « mito » (surnom auto-proclamé de Bolsonaro auprès de ses électeurs) ravive une idéalisation des années de dictature et décrit cette période comme « une époque de plein emploi, de sécurité et de respect ». Une vision partagée par ses supporters, qui voient en cette dictature l’âge d’or du Brésil.

Ce discours nostalgique rencontre un large succès auprès des plus jeunes : parmi les électeurs du PSL, 60% ont moins de 35 ans. N’ayant pas connu le régime militaire, leur vision est directement liée aux discours véhiculés par la société et au manque de reconnaissance de l’histoire du pays. Jusqu’à aujourd’hui, aucun responsable n’a été jugé pour les crimes commis pendant ces années obscures et cela participe directement à cette absence de reconnaissance.

Le « miracle économique », terme utilisé encore aujourd’hui par les nostalgiques de la dictature, s’est produit seulement au cours de quatre des vingt-et-une années de dictature (1969 – 1973). Ce dernier a été porté par de grands projets dans les capitales du Brésil au prix d’un endettement record et d’une exploitation de la classe ouvrière. En 1970, celle-ci travaillait 56 heures par semaine et le Brésil était alors le pays qui comptait le plus d’accidents du travail. La répression des syndicats et l’interdiction des grèves auront participé à la violation des droits humains et sociaux.

Selon la Comissao Nacional da Verdade (CNV), 432 personnes ont été tuées ou ont été victimes de disparitions forcées au cours de la dictature militaire. Jusqu’aux années 1960 (avant le début de la dictature), la taux d’homicide au Brésil était de 5,7 pour 100 000 habitants. À la fin de la dictature, en 1985, il avait grimpé à 31,2. Les militaires ont “réglé” le problème de la sécurité au Brésil en censurant les médias. Cela explique le fantasme sécuritaire entretenu par la bourgeoisie brésilienne. Encore aujourd’hui, le Brésil reste le pays le plus meurtrier du monde avec un taux d’homicide record de 25,5. Cette idéalisation de l’autoritarisme nourrit la volonté d’une partie de la population d’un retour à la dictature.

Dans une société frappée par une crise profonde, l’opportuniste Bolsonaro a su surfer sur la vague de dégagisme exprimée par les électeurs et les électrices, sur l’essoufflement de la démocratie représentative et le discrédit du personnel politique. Dans ces cinq discours légitimés par une grande partie du peuple brésilien, Bolsonaro est considéré comme la seule solution autoritaire, morale et éthique à tous les maux du Brésil.

Il est important de souligner qu’il a pu se présenter comme tel grâce à la diffusion de mensonges. Cette stratégie symptomatique de l’ère de post-vérité, a favorisé la libération des discours de haine et les incitations à la violence. Mais au-delà de l’urgence démocratique face à laquelle est aujourd’hui confrontée le Brésil, ces élections ont avant tout révélé de profondes fractures ancrées dans l’histoire du pays.

 


[1] L’actuel ministre de l’Agriculture n’est autre que Blairo Maggi, le PDG de Amaggi, le premier groupe mondial de production de soja, également accusé de corruption dans le scandale Odebrecht.

[2] La catégorie de race employée dans cet article ne s’appuie pas sur une définition prétendument biologique. Même si la catégorie n’a aucun soutien scientifique, le fait qu’elle soit encore employée comme catégorie native au Brésil fait d’elle un objet d’étude des sciences sociales. D’après le sociologue brésilien Antônio Sérgio Guimarães, les races sont, du point de vue scientifique, une construction sociale et doivent être étudiées par une branche de la sociologie ou des sciences sociales, qui traite des identités sociales. Nous sommes donc dans le domaine de la culture et de la culture symbolique. (GUIMARÃES, 2003 : 96).

Comédies françaises : dites bonjour à l’humour de droite décomplexé

La bande-annonce du prochain film de Philippe de Chauveron (réalisateur de Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?), intitulé A bras ouverts avec Christian Clavier en tête d’affiche, dans lequel ce dernier est « forcé » d’accueillir des Roms chez lui, fait déjà parler de lui. Le film ne sortira que début avril, mais on sent déjà le racisme décomplexé à des kilomètres. Rien de surprenant cependant, tant la comédie française s’est droitisée tranquillement sous le mandat Hollande, surfant sur la vague nationale-conservatrice qui rapporte gros au box-office.

Extrait de Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu (2014)
Extrait de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? (2014)

« Le racisme, quand il y en a un peu, ça va… »

On se dit souvent que le cinéma français est doucement de gauche, animé de bons sentiments. Pourtant, le succès récent de comédies clairement ancrées à droite viennent nuancer ce tableau et briser les clichés.

Avec 12,3 millions de spectateurs, le phénomène ciné au succès sur-proportionné de 2014 s’appelait Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?. L’histoire, vous la connaissez probablement, du couple Verneuil (C. Clavier et C. Lauby), bourgeois catholiques de province (héros fillonistes avant l’heure, sans doute), qui se retrouve à marier leurs quatre filles respectivement à, ô malheur, tenez-vous bien c’est choquant, un Chinois, un Juif, un Arabe et un Noir. A la lecture du pitch, ça commence comme une vilaine blague de bistrot, et ça tombe bien, c’est à peu près ce que c’est.

Car sous couvert de vouloir se moquer de l’intolérance et du racisme, et de défendre une vision cosmopolite de la société française, le film est totalement complaisant sur son couple de héros, racistes sympathiques qui seront les vainqueurs idéologiques à la fin, puisque David « Le Juif » Benichou – voyez comme le film est critique envers les clichés… – ira même jusqu’à avouer : « On est tous un peu racistes… ». Et il est vrai que tout le long du métrage, pas un seul personnage n’échappe à son petit moment Michel Leeb. Mais comme c’est une comédie, tout le monde finit par s’entendre autour d’un bon repas. C’est aussi ça la France, le racisme ordinaire qui se partage en famille. Tant que c’est juste « un peu » de racisme, ça va, c’est quand il y en a beaucoup que ça pose problème.

Garanti sans cliché, vraiment...
Garanti sans cliché, vraiment…

Voilà à peu près le message de Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, dont le scénario aurait pu être secrètement écrit par Brice Hortefeux. Si le triomphe du film doit beaucoup à son casting mêlant sang neuf (Ary Abittan, Medi Sadoun) et vétérans du genre (Clavier et Lauby, évidement), il a su aussi capter les nouvelles tendances qui commençaient à se développer en France en réaction au quinquennat socialiste. La droite a arrêté les complexes, faire un film raciste sur le racisme devient possible, et on rigole franchement en salle devant une blague sur la circoncision ou le pénis des Asiatiques. Les Blancs, eux, ne seront jamais moqués par Philippe de Chauveron, bien entendu. Quand on est né dans le XVIème arrondissement de Paris, on ne marque pas contre son camp.

« Le Grand Partage » : La gauche ridicule et le bon sens de droite

A l’hiver 2015, le Père Noël a posé un merveilleux cadeau au pied du sapin de la droite décomplexée : Le Grand Partage, d’Alexandra Leclère, qui a eu certes un succès moindre, mais qui a passé la symbolique barre du million de spectateurs, ce qui n’est pas rien. Après le mariage mixte, voilà le tour de mettre en scène un autre cauchemar de la droite : héberger des pauvres. Leclère imagine une France qui, en proie à un hiver terriblement vigoureux, passe un décret qui oblige les appartements insuffisamment habités à héberger des personnes mal-logées. Vous faites peut-être partie de ceux qui pensent, comme moi, que ça s’appelle de la solidarité et que c’est du bon sens, mais pas Alexandra Leclère. Non, le bon sens de la réalisatrice est résolument de droite. Voyons plutôt.

Le film suit un immeuble assez bourgeois (ça, c’est une constante), où cohabitent une galerie de personnages censés représenter une partie du spectre politique français : un couple de bobos de gauche (car qui dit de gauche, dit bobos parisiens, forcément – François Fillon est au scénario, cette fois) campé par Valérie Bonneton et Michel Vuillermoz, un couple « Figaro approved » réac’ interprété par Didier Bourdon et Karine Viard, et enfin une concierge frontiste (Josiane Balasko), issue des classes populaires donc raciste, bien entendu. Merci, Alexandra, pour tout ce beau travail.

Le Grand Partage (2015)
Le Grand Partage (2015)

Le Grand Partage cherche, de l’aveu de cette dernière, à confronter tout ce beau monde à la « contrainte » de l’hébergement. Alors, en soit, pourquoi pas ? Il n’y a rien de mal à vouloir ironiser sur l’hypocrisie d’une certaine gauche socialiste petite-bourgeoise, enfermée dans sa bulle de confort (le Saturday Night Live l’a très bien fait après l’élection de Trump aux États-Unis). Le problème c’est que le film ne s’arrête pas là. Car c’est un festival de clichés racistes, homophobes et méprisants : le Moldave hébergé par le couple de « gauche » est un voleur, les « clochards » sentent la vinasse, le voisin homosexuel (P. Chesnais) est ambigu voire malsain, l’Africaine est une mama qui fait des tresses et ne parle pas français… C’est bien simple, ce film ressemble à une chronique d’Eric Zemmour. Et devant tout ça, le public doit être amené à penser qu’on a bien raison de ne vouloir héberger personne. Or, si l’immeuble se veut représentatif de la société française, alors c’est l’immigration en général qui est visée à travers la thématique de l’hébergement.

Le lecteur du Figaro, le cœur de cible du film ?
Le lecteur du Figaro, le cœur de cible du film ?

Pire encore, avec la fin, qui donne le ton : le couple bobo s’avère être ridiculisé dans ses convictions (après s’être comporté comme les pires enfoirés du monde, essayant d’échanger leur pauvre contre un autre sur Internet), le couple de droite a finalement le beau rôle et a ouvert son esprit en côtoyant les SDF, et comble de tout, la concierge frontiste est heureuse et bien moins raciste maintenant que les Noirs que l’immeuble héberge bossent pour elle (!!!). Comprendre : la gauche est hypocrite et ridicule, la droite a raison et peut très bien être ouverte d’esprit, tant que ça ne bouleverse en rien les rapports de classe et ethniques. Merci pour ce moment.

Le Grand Partage, c’est le cran au-dessus par rapport à Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?. Le film fera réagir jusqu’aux États-Unis, où le Hollywood Reporter parlera d’un « fourre-tout comique assez médiocre » aux « clichés fastidieux » qui « conforte le public dans les opinions qu’il est censé condamner ». Slate.fr écrira quant à lui que le film est un symbole de la « Hollandexploitation », un joli néologisme pour désigner un « cinéma des déçus de la gauche, un mélange de riches débrouillards qui deviennent pauvres, de punchlines de lecteurs du Figaro et probablement un peu de racisme ordinaire ». Ou comment le cinéma comique illustre et préfigure la droitisation de la société.

« A bras ouverts » : tapons sur les Roms, personne ne les défend

C’est dans ce contexte qu’interviendra donc le prochain film de Chauveron. Sachez que le film devait s’appeler à la base Sivouplééé. Sans commentaire. Dans ce film, C. Clavier, encore lui, joue un élu de gauche prônant l’accueil et qui, mis au défi en direct à la télévision de montrer l’exemple, se retrouve à héberger des Roms. La bande-annonce donne un avant-goût de la façon dont cette minorité sera traitée.

Tout est là. Les névroses de la droite : héberger des étrangers chez soi comme métaphore de l’immigration. Névroses d’autant plus exacerbées dans le contexte de la crise des migrants. Un homme de gauche pris au piège de son hypocrisie. Et, cerise sur le gâteau, du racisme ordinaire qui ne choque plus personne… surtout quand ce sont les Roms qui sont visés.

Le film n’étant pas sorti, on se gardera bien de faire d’autres critiques par anticipation, et on se contentera de citer Tony Gatlif, réalisateur gitan (Transylvania, Geronimo), interviewé sur BFM à propos de A bras ouverts : « C’est un film dégueulasse. On ne peut pas faire des choses comme ça avec des gens. On ne peut pas rire avec ça, ce n’est pas possible ». Rien à ajouter, si ce n’est que malheureusement, ce genre de comédies est appelé à se multiplier, dans un contexte où la droite décomplexée est de plus en plus populaire, culturellement et politiquement.

Crédits :

  • Images issues des captures d’écran des films mentionnés.