Retraites : en marche vers la régression

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Emmanuel_Macron_en_meeting_à_Besançon.png
Emmanuel Macron en meeting ©Austrazil pour Wikimedia

Le 2 Décembre dernier, Bruno le Maire, ministre de l’Économie  a de nouveau marqué son soutien envers la réforme des retraites prévue par le gouvernement et visant à remplacer le système actuel par un système à points. Réaffirmant que cette réforme n’entraînerait aucun perdant, elle serait par ailleurs le meilleur moyen d’assurer la « justice et l’égalité » d’un régime de retraite aujourd’hui « à bout de souffle ». Pour autant ces deux affirmations sont largement erronées pour une réforme bien plus idéologique que pratique.


 

UNE RÉFORME, DES RECULS SOCIAUX

Il est tout d’abord nécessaire de se rendre compte de l’aspect socialement rétrograde de cette réforme. Si elle n’entend théoriquement pas toucher à l’âge légal de départ à la retraite, l’âge légal auquel celle-ci peut être perçue à taux plein passe néanmoins à 64 ans avec 5% de pénalité par année manquante, ce qui constitue donc immanquablement une augmentation déguisée de l’âge de départ à la retraite à taux plein. Par ailleurs, dans la mesure où le taux d’emploi des 60-64 ans n’est à l’heure actuelle que de 32,5%, il y a fort à parier que ces obligations de cotisations supplémentaires ne puissent dans les faits pas être tenues par une part importante de la population, ce qui entraînerait mathématiquement une baisse de leur pension de retraite et une augmentation du taux de pauvreté. Contrairement à l’imaginaire façonné par les médias, les fins de carrière des plus de 50 ans ne sont dans de nombreux cas pas choisies mais subies. Les difficultés pour retrouver un emploi après 50 ans – près de 40% des demandeurs d’emplois de plus de 50 ans le sont depuis plus de deux ans – poussent toute une catégorie de la population à partir à la retraite avant l’âge légal, et donc, à ne pas avoir une retraite à taux plein. Le recul de cet âge ne fera que renforcer cette situation. De même, la promesse d’une pension de 1000 euros minimum cache la nécessité d’avoir cotisé tous ses semestres, ce qui est particulièrement compliqué en contexte de chômage de masse, en particulier pour les femmes.

Par ailleurs concernant l’argumentaire gouvernemental du refus d’une réforme « qui fasse des gagnants et des perdants », force est de constater que cette réforme fera très peu de gagnants. À terme, cette réforme conduira nécessairement à une baisse des pensions de retraite, pour deux raisons. Tout d’abord, alors qu’auparavant la retraite était calculée sur la base des 25 meilleures années dans le privé et des 6 derniers mois d’activité (donc forcément les plus rémunérateurs) dans le public, c’est désormais l’ensemble du parcours professionnel qui servira à établir le montant de la pension de retraite. Si la valeur du point était ainsi fixée à 0,55€, la retraite de certains fonctionnaires, tels que les enseignants, baisserait de 300 à 1000€ par mois. Le rapport Delevoye propose ensuite de plafonner à 14% du PIB les dépenses de retraite. Si à l’heure actuelle, la croissance économique permet d’absorber l’augmentation des dépenses due à l’accroissement du nombre de départs à la retraite, une baisse de la croissance ou une modification de la démographie entraînerait une baisse mécanique des pensions de retraite. Plutôt que de soutenir l’activité économique – et donc l’emploi – et la natalité par de meilleurs salaires, le gouvernement préfère donc poursuivre la spirale austéritaire.

Cette réforme est par ailleurs largement créatrice d’incertitudes majeures quant au futur et porte les germes de l’individualisation de la protection sociale. Dans les faits le rapport Delevoye remet entre les mains du gouvernement et du Parlement, à travers la loi de financement de la Sécurité sociale, l’ensemble des décisions stratégiques, laissant ainsi la possibilité au système des retraites de devenir une variable d’ajustement budgétaire.

Plus fondamentalement encore, le fait que la valeur du point puisse évoluer au fil du temps, place le salarié devant l’incertitude la plus totale concernant le montant futur de sa pension.

Enfin si l’on reste avec cette réforme dans un système par répartition, les prémices d’un système de retraites par capitalisation sont bien présents. D’une part le plafonnement des cotisations retraite à 120 000€ de revenus annuels contre plus de 320 000€ aujourd’hui va indéniablement pousser ces hauts salaires à se tourner vers des formes additionnelles de retraites par capitalisation. Cela peut par ailleurs être également le cas pour des salariés moins bien payés mais craignant, à juste titre, que le système de base ne leur fournisse pas une retraite suffisante. Or le système par capitalisation n’en finit plus de nous montrer des exemples de problèmes de fonctionnement, comme tout récemment aux Pays-Bas. Dans le contexte d’une politique monétaire expansionniste, comme c’est le cas en Europe depuis la crise des dettes souveraines, les taux d’intérêt des actifs considérés comme sûrs (les titres de dettes souveraines par exemple) ne sont plus suffisamment rémunérateurs et poussent ainsi les fonds de pension à puiser dans leurs réserves pour continuer à verser les retraites aux cotisants. Pourtant, comme le démontre une note produite par le laboratoire d’idées L’Intérêt général, d’autres projets égalitaires et justes sont envisageables, tout en maintenant le système par répartition à l’équilibre

L’INDIVIDUALISATION DE LA PROTECTION SOCIALE

Mais plus fondamentalement encore, en créant de l’incertitude sur le futur plutôt qu’en la supprimant, cette réforme revient sur les fondements même du système de protection sociale. En effet, le but de la Sécurité Sociale, au sens large du terme, était de réduire l’inégalité fondamentale existant entre les individus richement dotés en capitaux de toutes natures et ceux ne l’étant pas. Alors que les premiers avaient toutes les ressources personnelles pour se confronter aux aléas de l’existence, les seconds se trouvaient dans l’incapacité d’y faire face. Cette réforme s’inscrit ainsi pleinement dans la dynamique de décollectivisation analysée dans les travaux de Robert Castel.

L’ère du néolibéralisme est avant tout celle de la responsabilisation forcée de l’individu, obligé de gérer son existence en dehors des institutions créées jusque-là pour assurer sa protection.

Car c’est bien sur cet aspect idéologique que se joue cette réforme, et non sur un terrain uniquement technique et pragmatique comme le gouvernement le prétend. D’une part, celui-ci pointe largement du doigt l’iniquité du système de retraite actuel, composé de 42 régimes spéciaux, dont certains, il est vrai, sont plus avantageux que d’autres. Cela masque largement le fait que 90% des citoyens rentrent dans le régime général, le « problème » des régimes spéciaux n’est donc pas seulement minoritaire, il est marginal. D’autre part, les problèmes financiers mis en scène par le gouvernement sont largement fantasmés. Si l’on se fie aux prévisions du Conseil d’Orientation des Retraites, dans un contexte de croissance économique équivalente à celle que nous connaissons aujourd’hui, la part des retraites dans le PIB n’est pas amené à augmenter dans les prochaines décennies. Quant aux recettes, ces dernières ont été amputées ces dernières années par des décisions politiques telles que le non-remplacement des fonctionnaires (qui cotisent davantage) ou le non remplacement des exonérations sur les heures supplémentaires. Autant de mesures qui pourraient donc être défaites. D’autre part, comme le révélait l’économiste Gilles Raveaud, le Fond de Réserve des retraites mis en place sous Lionel Jospin, possède 35 milliards d’euros de réserve, les caisses complémentaires Agirc-Arco possèdent pour leur part un excédent de réserve de 116 milliards, une manne financière pouvant à coup sûr compenser les déséquilibres passagers d’un système qui jusqu’à l’année dernière était toujours à l’équilibre !

UNE MOBILISATION CONTRE LA RÉFORME « ET SON MONDE »

Si la réforme ne revêt donc pas un aspect technique mais idéologique, celui du néolibéralisme économique, qui depuis les années 1980 n’en finit plus de frapper les différents secteurs de la société, la mobilisation qui démarre ce 5 décembre semble être bien davantage qu’une contestation de points techniques d’une réforme. De la même manière que les mobilisations du printemps 2016 étaient dirigées contre la loi El Khomri « et son monde », il est frappant de constater à quel point de nombreux secteurs de la société appellent à se mobiliser sur cette réforme : SNCF, RATP, membres de la fonction publique hospitalière, membres de la fonction publique territoriale, justice, éducation nationale, pompiers… Si chaque secteur, pris individuellement, était déjà en proie à des problématiques particulières mais sectorielles (et quel meilleur exemple à ce niveau que celui des personnels hospitaliers), « l’intérêt » de cette réforme est qu’elle n’isole pas dans la mobilisation les champs d’activité comme c’est traditionnellement le cas.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Nuit_Debout_-_Paris_-_41_mars_01.jpg
Nuit Debout au printemps 2016 ©Olivier Ortelpa, Wikimedia Commons

Dès lors, l’espoir d’une convergence des luttes semble permis. À l’heure actuelle le mouvement est d’ailleurs soutenu par une large partie de l’opinion – les deux tiers des Français si l’on en croit le dernier sondage de l’IFOP – et par des profils sociologiques extrêmement divers. Gageons que les différents acteurs à l’origine de ces mobilisations ne perdent pas de vue l’intérêt collectif et supérieur de cette lutte.

 

Tribune : J’ai 28 ans et je me bats pour nos retraites

Les retraités dans la rue le 18 octobre 2018, à Paris pour dénoncer la hausse de la CSG et le quasi gel de leurs pensions.

J’ai 28 ans et je suis engagée pour défendre nos retraites solidaires contre la réforme Macron. Loin d’être un « truc de vieux », les retraites sont pour moi un combat d’avenir et une histoire de famille. Par Agathe, porte-parole du collectif Nos retraites.


Quand je réfléchis à cette question je pense à la vie de mes grands-parents et à celle de mes parents. Les premiers ont bénéficié d’une retraite d’un montant suffisamment élevé pour qu’ils n’aient pas à dépendre de leurs enfants. Ils sont aussi partis à la retraite à un âge qui leur a permis de profiter de belles années sans trop subir les souffrances physiques qui résultent de près de quarante années de travail. De leur côté, mes parents sont toujours actifs et seront les premiers touchés par le projet Macron de réforme des retraites.

Mon grand-père, Mathieu, jeune et heureux retraité du chemin de fer, et moi en 1992.

Malgré un dévouement sans faille à leur travail, mes parents ont le sentiment d’être sur la sellette depuis une dizaine d’années. On leur fait comprendre qu’ils sont trop vieux, qu’il faudra peut-être qu’ils trouvent « autre chose ». Cela fait aussi quelques temps qu’ils se disent qu’ils ne sont plus adaptés au rythme de travail qu’on leur impose, que même s’ils aiment ces métiers dont ils sont devenus des experts, leur travail les épuise.

Je ne me sens ni meilleure que mes grands-parents, ni meilleure que mes parents. Avoir grandi au XXIème siècle ne fait pas de moi une personne plus solide qu’eux. Quand j’aurai 50 ans on cherchera aussi à me faire quitter mon emploi et on me plongera dans les mêmes doutes, sur ma valeur professionnelle et mon endurance dans le monde du travail. Si ce dernier reste tel qu’il est, je serai aussi fatiguée qu’ils le sont depuis qu’ils ont dépassé l’âge de la cinquantaine.

Or cette réforme va non seulement nous conduire à travailler plus longtemps que nos grands-parents et nos parents, mais aussi à vivre dans l’incertitude la plus totale sur la date à laquelle nous pourrons partir à la retraite et sur le montant de celle-ci. Le gouvernement l’a annoncé clairement : son « âge pivot » ou « âge d’équilibre » sera en décalage permanent, selon l’évolution de l’espérance de vie, sans qu’on n’ait de prise démocratique sur cette décision. Les projections que le gouvernement a publiées en la matière font froid dans le dos : pour ma génération, cet âge d’équilibre serait de 66 ans et 4 mois.

Cette société a décidé de rendre notre avenir incertain de tellement de manière qu’il devient difficile de ne pas en avoir le tournis. Un emploi stable et sécurisé après mes études ? « Oui tu pourrais peut-être en avoir un, mais il faudrait que tu fasses d’abord tes preuves avec des stages, des services civiques, de l’intérim, des CDD ». Des enfants dont la société prendra soin à mes côtés ? « Cela sera possible si tu as les moyens de payer pour une santé et une éducation privées ». Sans parler de l’urgence écologique qui rend l’avenir de ma génération et des générations suivantes chaque jour plus inquiétant.

Or la Sécurité sociale, et son système de retraites, ont justement été créés pour faire sortir l’ensemble de la société de l’insécurité sociale, pour que chacun puisse envisager son avenir, ses rêves, sans s’inquiéter d’avoir sans cesse à travailler pour vivre. Avec une réforme des retraites où ces dernières seraient « le reflet de la carrière », avec ses chaos, ses incertitudes et ses accidents, le gouvernement tourne le dos au projet d’avenir de la sécurité sociale.

« Une retraite digne pour pouvoir vivre mes dernières années en bonne santé sans dépendre de mes enfants et petits-enfants, ou devoir reprendre le travail ? » Rien n’est moins sûr avec ce que nous préparent Macron et son gouvernement.

Leur volonté de nous placer dans l’incertitude sur l’avenir de nos retraites s’exprime depuis plusieurs mois. À l’heure où j’écris, le gouvernement n’a présenté aucun chiffre concret sur nos futures pensions de retraites. Ou plutôt si, il nous a livré un seul chiffre, comme un couperet : 14%.

Il s’agit de la part de nos richesses que nous consacrons aujourd’hui à nos retraites. Pour le gouvernement et son obsession de la baisse des dépenses publiques, ce 14% devra être un plafond. Or on projette déjà que d’ici 30 ans, le nombre de personnes de plus de 65 ans augmentera de 6 millions. Elles représenteront un quart de la population. Les conséquences sont dangereuses et mécaniques : une part croissante de la population qui se partage une part constante de nos richesses, cela signifie une diminution drastique du niveau de vie des retraités de demain.

 

J’ai rejoint le collectif Nos retraites pour que le débat public porte sur le futur de notre système de retraites et donc sur les ressources que la société décide de lui allouer pour qu’il en ait un. Cependant, aujourd’hui peu de médias font le choix de questionner le gouvernement sur sa décision catégorique de limiter à 14% du produit intérieur brut (PIB) les ressources destinées à notre avenir après le travail. Je ne pense pas que les gens souhaitent travailler plus longtemps, ou épargner chacun dans leur coin, pour pouvoir s’assurer une retraite d’un niveau similaire à celles de leurs parents et de leurs grands-parents. Je suis convaincue qu’il n’y a pas de fatalité à l’individualisation rampante de notre protection sociale. Le débat du partage des richesses et donc de la possibilité de financer davantage notre système de retraites doit être posé.

Il m’est souvent arrivé que des personnes plus âgées que moi me disent qu’il n’est pas sérieux de s’inquiéter de sa retraite quand on est adolescente ou jeune adulte. Comme si souhaiter avoir une prise sur mon avenir, même le plus lointain, était un caprice. Or je constate qu’aujourd’hui plus que jamais, ce sont les jeunes qui se mobilisent pour un futur digne et solidaire. Sur ce sujet comme sur les autres, ce sera à nous de nous mobiliser : que nous soyons au collège, au lycée, en formation, au chômage ou au travail, c’est à nous de nous battre, ensemble, pour notre avenir. Dans ce projet de réforme des retraites, c’est de notre futur dont on discute sans nous. Il ne tient qu’à nous d’imposer notre voix dans cette bataille.