Darmanin, une nomination qui ne passe pas et pour cause

Rassemblement Hôtel de Ville Paris © Marion Beauvalet

Gérald Darmanin était déjà ministre. Le 6 juillet 2020, il a été promu ministre de l’Intérieur, en remplacement de Christophe Castaner. Cette promotion ne passe pas et pour cause. Nommer chef de la police quelqu’un accusé de viol alors que l’enquête est en cours pose problème à plusieurs niveaux. Quid du respect de la présomption d’innocence ? Que veut dire cette promotion ? C’est ce que cet article va tenter de décrypter.


Pour qu’une enquête puisse être menée, il faut que la hiérarchie ne soit pas impliquée dans l’affaire. Le capital symbolique qui auréole la fonction et son statut direct de chef de la police ne poserait aucun problème si l’on suivait la logique gouvernementale qui a présidé à sa nomination…

Des mobilisations sur l’ensemble du territoire

Ces dernières semaines, les mobilisations se sont multipliées pour dénoncer les nominations d’Éric Dupond-Moretti et de Gérald Darmanin. Le premier, devenu garde des Sceaux est critiqué pour différentes sorties très critiques à l’égard du mouvement MeToo. Si ces propos semblent naturels pour certains observateurs du point de vue de la situation de son discours – celle d’un avocat qui déplore que Twitter se soit un temps apparenté à un tribunal, position qui revêt en effet une certaine cohérence – il n’avait pas non plus manqué de donner son avis. Selon lui, certaines femmes apprécieraient ainsi le fait de se faire siffler dans la rue… Les femmes remercieront le nouveau garde des Sceaux qui, s’il a en effet donné à la France de très beaux plaidoyers, pourrait s’abstenir de dire ce qui plaît aux femmes ou non.

Rassemblement Hôtel de Ville Paris
Rassemblement Hôtel de Ville Paris
© Marion Beauvalet

Un article publié le 7 juillet sur le site de France Inter intitulé « Éric Dupond-Moretti, l’anti-MeToo » recense les prises de position du nouveau ministre : concernant DSK et le Carlton, « n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une affaire de copains qui s’offrent du bon temps » (2015), sur MeToo « Le mouvement #MeToo a permis de libérer la parole et c’est très bien. Mais il y a aussi des ‘follasses’ qui racontent des conneries et engagent l’honneur d’un mec qui ne peut pas se défendre car il est déjà crucifié sur les réseaux sociaux » et enfin pour ne pas plus étendre la liste « il y a aussi des femmes que le pouvoir fait bander » à propos de #BalanceTonPorc. Si l’opinion n’est pas un délit, il paraît ici difficile de considérer la colère des personnes mobilisées comme illégitime.

De très nombreux rassemblements ont ainsi été organisés le vendredi 10 juillet, l’un des plus impressionnants en termes d’images étant celui du parvis de l’Hôtel de Ville à Paris. Des pancartes, des chansons, des chorégraphies et surtout une place plus que remplie. Le Gouvernement affirmait que la cause des femmes serait la grande cause du quinquennat, qu’en est-il aujourd’hui ?

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Marlène Schiappa : quel bilan ?

Passons tout d’abord au crible le bilan de Marlène Schiappa. Son féminisme est un féminisme revisité par le macronisme : éminemment libéral et dépourvu de structuration idéologique. Ses grands repères sont ceux que nous avons toutes et tous en tête, pour autant il n’y a aucun projet, aucune vision politique qui en découle. Et pour cause, quand on ne met pas de moyens dans des sujets pour lesquels la tâche est immense, la prophétie se réalise : rien ne change, tout continue comme avant. Son secrétariat d’État a été celui du storytelling, des effets d’annonce avant tout.

La seule avancée notable est celle de l’allongement du délai de prescription de vingt à trente ans pour les crimes sexuels commis sur des mineurs, avec pour bémol le fait que cela ne concerne que les mineurs. Pour dresser un bilan honnête de son action, regardons du côté des coupes budgétaires. Celles-ci avaient été actées dès 2017 avec le rapport relatif au décret n° 2017-1182 du 20 juillet 2017 portant ouverture et annulation de crédits à titre d’avance. Dans un article pour Marianne, Floriane Valdayron analysait : “La réserve de précaution permet de rendre une fraction de crédits indisponible dès le début de la gestion d’un budget, une façon de mettre de côté en cas d’urgence. Cette partie est totalement rognée. Restent 4,2 millions à chercher ailleurs”.

Dans une allocution à l’Assemblée nationale, Clémentine Autain déclarait que “le tissu associatif de proximité est aujourd’hui en danger en raison de votre choix de l’austérité pour les comptes publics. De la même manière, les femmes victimes de violences conjugales sont confrontées au défaut de places en hébergement d’urgence. En Seine-Saint-Denis, je viens de l’apprendre, l’État a annoncé, pour 2018, une coupe sèche de 9 % du budget réservé à l’hébergement d’urgence”.

Espérons donc que le bilan d’Élisabeth Moreno sera davantage porteur d’avancées pour les femmes, quitte à ce que sa communication soit moins flamboyante. On peut en douter au regard du discours de la nouvelle secrétaire d’État lors de sa prise de fonction, qui évoque la « complémentarité entre les sexes ». Son féminisme est tout aussi libéral que celui de sa prédécesseure, centré sur la réussite sans questionner les conditions qui créent des situations d’inégalité. Un discours fade et potentiellement dangereux car il intègre les logiques d’austérité au détriment de la possibilité immédiate dont pourraient disposer des femmes en danger de quitter par exemple le domicile conjugal pour fuir des actes de violence.

En réalité, son féminisme est assurément conservateur, la complémentarité impliquant une forme d’essentialisation du féminin et du masculin. Cela naturalise les rapports sociaux et inscrit dans le marbre des rapports de domination, des habitudes qui doivent être combattues, déconstruites ou dépassées.

Outre ces deux nominations ministérielles, c’est toute la promesse de ce quinquennat (si certains y croyaient encore) qui se trouve une fois de plus malmenée et oubliée. Revenons maintenant au nœud de cette affaire, une fois les éléments du décor fixés.

Le cas Darmanin, au-delà de la présomption d’innocence

L’Élysée a fait savoir très rapidement que les enquêtes en cours ne faisaient pas obstacle à sa nomination. Il est juridiquement incontestable que le respect de la présomption d’innocence s’impose au justiciable Darmanin. En revanche, la situation politique et morale a cependant considérablement changé depuis les précédents quinquennats : lorsqu’un des ministres de François Hollande voyait une enquête ouverte contre lui, il quittait sa fonction par principe pour ne pas entacher l’ensemble du Gouvernement ou voir sa légitimité affaiblie et par la même sa tâche plus dure à accomplir.

Lors du précédent quinquennat, ce sont cinq ministres qui avaient fait le choix de laisser leur portefeuille après l’ouverture d’enquêtes : Kader Arif, Thomas Thévenoud, Yamina Benguigui, Bruno Le Roux et Jérôme Cahuzac. Sans remonter plus loin, François Bayrou, Sylvie Goulard et Marielle de Sarnez, les ministres issus du MoDem avaient également quitté leurs fonctions au début du mandat d’Emmanuel Macron pour que l’instruction puisse se mener librement.

La défense de Gérald Darmanin au plus haut de l’État est donc un choix tout sauf évident, et entraîne des conséquences politiques graves que le gouvernement actuel ne pouvait pas ne pas anticiper. Doit-on comprendre ici que des accusations de viol sont moins graves ou moins compromettantes que des détournements de fonds ou des emplois fictifs ? Chacun est libre de son interprétation mais force est de constater que le choix de renoncer à une fonction pour des raisons d’intégrité éthique et politique face à la justice est une coutume républicaine qui aurait pu être invoquée en la présente circonstance.

C’est en ce sens qu’a réagi Ségolène Royal : « Est-ce qu’une enquête judiciaire sur un ministre pour emploi fictif aurait empêché à la nomination de ce ministre ? C’est évident. Donc une enquête judiciaire pour soupçon de viol est considérée moins grave qu’une enquête judiciaire pour emploi fictif ? ». Elle n’est pas la seule à avoir souligné cela : après des semaines de tribunes appelant à l’union de la gauche, les colonnes se sont remplies de tribunes pour ou contre la nomination de Gérald Darmanin. Sans étonnement, les défenseurs du ministre sont essentiellement, si ce n’est exclusivement issus des rangs de la majorité présidentielle.

Capture d'écran de la tribune des 167 parlementaires

« On ne combat pas une injustice par une autre injustice. Nous sommes engagés pour les droits des femmes et nous avons pleinement confiance dans ce nouveau gouvernement pour continuer à œuvrer comme nous le faisons depuis le début du quinquennat » : voilà la grande idée des signataires de cette tribune co-signée par des parlementaires qui affirment leur confiance dans le gouvernement. S’ils estiment cette mandature satisfaisante concernant l’action en faveur du droit des femmes, il ne faut pas s’étonner qu’ils ne voient aucun souci à nommer Gérald Darmanin ministre de l’Intérieur.

Face à ce texte, deux autres tribunes : la première portée par 91 intellectuelles et militantes féministes, notamment Svetlana Alexievitch, Prix Nobel de littérature : « Le remaniement ministériel en France est une expression supplémentaire de la recrudescence des attaques dont nous faisons l’objet partout dans le monde. Il appelle à une union de nos voix et de nos efforts. Nous ne tolérerons ni reculs ni marginalisation de nos luttes. Notre colère ne faiblira pas car nos droits et notre dignité ne sont pas négociables. Face au backlash, la solidarité internationale doit s’intensifier aux quatre coins du monde. Nous nous y employons », peut on lire.

La seconde est née sous la plume de l’ancienne ministre et maire du 7ème arrondissement Rachida Dati. Elle accuse directement Emmanuel Macron d’instrumentaliser les questions sociétales à des fins électorales tout en franchissant allègrement des « lignes rouges ».

Dans cette seconde tribune, Rachida Dati ne manque cependant pas de ré-affirmer qu’elle est une femme de droite : « J’ai toujours assumé que l’on puisse se poser des questions sur les sujets liés à la famille, à la procréation, à la fin de vie. Ils appellent une réflexion éthique, philosophique, parfois spirituelle et religieuse ». Son texte, partagé sur Twitter par Valérie Pécresse dessine ainsi un front des femmes qui dépasse les clivages politiques.

Pour autant, lorsque les contours des combats sont flous, il convient de se rappeler que si dans la période un grand nombre de femmes font bloc contre cette nomination, la conquête de l’égalité est plus le fait de la gauche que de la droite, si on entend la gauche comme le camp des luttes sociales et du progrès.

Aussi, s’il faut collectivement se féliciter de l’ampleur de la réaction à l’égard de cette nomination, il ne faut pour autant être dupe sur les raisons qui poussent certaines personnes à prendre position : défense de son propre camp politique, peinture féministe à peu de frais dans des organisations en recomposition et dans une période un peu creuse en termes de scrutin. Pour certains, la prise de position peut également être le fait d’un certain opportunisme ou tout du moins ne pas faire oublier que si La République En Marche ne défend pas la cause des femmes, ce n’est pas non plus chez Les Républicains qu’elle est servie.

Rappelons-les ici : les chiffres concernant les violences et agressions sexuelles sont incroyablement élevés. Sur France Culture (émission du 16 janvier 2018), la psychiatre Muriel Salmona expliquait que « c’est jusqu’à 16 % de femmes qui subissent des viols et des tentatives de viols ». Elle précisait ensuite qu’en 2017, 93 000 femmes avaient été violées. Pour autant, 10 % d’entre elles portent plainte et 10 % de ces plaintes déposées atteignent la cour d’assises. Ces données sont souvent très proches d’enquêtes réalisées par des instituts de statistiques publiques.

De même, le pourcentage de condamnations a considérablement diminué entre 2007 et 2016 et 70 % des plaintes pour viol ont été classées sans suite en France en 2016. Alors oui, la proportion de femmes qui a été agressée ou se fera agresser est incroyablement élevée et la traduction devant la justice de ces actes est incroyablement faible. Pour cause ? La difficulté de témoigner et de fournir des preuves, la peur, le jugement, l’attitude des policiers lors d’un dépôt de plainte. Le harcèlement au travail touche quant à lui une femme sur cinq selon un rapport du Défenseur des Droits (2015).

On ne trouve finalement que peu de crimes aussi banalisés que le viol et qui soient si faiblement punis. Chaque année ce sont des dizaines de milliers de femmes qui le subissent et qui ne pourront pas emmener leur agresseur devant la justice. C’est ici qu’il faut agir pleinement en continuant à travailler les mentalités, en facilitant les procédures.

Rendre la parole aux victimes pour changer les comportements

Un des moyens de changer cela serait qu’un nombre plus important de personnes agressées sexuellement parvienne à porter plainte, en changeant notamment la manière dont les questionnaires et l’enquêtes sont menés. La méthode de Philadelphie a permis d’améliorer de manière drastique cela dans les espaces où elle est appliquée.

En quoi consiste cette méthode ? Elle a été mise en place par l’avocate Carol Tracy : depuis l’année 1999, des groupes de défense des droits des femmes et des enfants révisent chaque année des plaintes d’agressions sexuelles qui ont été faites auprès de la police pour évaluer la qualité des enquêtes. Il s’agit d’une collaboration entre les policiers et les associations de défense des droits des femmes afin que les autorités fassent évoluer leur comportement et gagnent la confiance des victimes.

Dans une interview , Carole Tracy indique qu’un tiers des plaintes pour crimes sexuels « ne faisait pas l’objet d’une enquête ». Depuis, un groupe constitué de dix avocats et travailleurs sociaux de groupes de défense des droits des femmes révise plusieurs centaines de cas (entre 400 et 500) en moins d’une semaine. Il s’agit de regarder si les témoins ont été interviewés, si les victimes ont vraiment été interrogées et quelle était la nature des questions posées (notamment si elles contenaient des préjugés sexistes comme des questions concernant la tenue de la victime), si les preuves ont été recueillies…

Quand un problème est détecté, un capitaine de police est informé et des recommandations sont effectuées. Avec cette méthode, le taux de plaintes pour viol jugées non fondées par la police est passé de 18 % en 1998 à 6 % en 2016. Le nombre de plaintes déposées a quant à lui augmenté de 50%.

La Sûreté de Québec a également adopté cette méthode. À Montréal et à Québec, il s’agit de policiers et non de civils qui mènent les enquêtes, ce qui avait été déploré par les organismes d’aide aux victimes. Pour résumer, cette méthode consiste en une inversion du paradigme qui recentre l’enquête sur l’accusé et non sur la victime.

Tant que des solutions concrètes qui dépassent le storytelling et les grandes déclarations d’intention ne seront pas proposées, tant que 90% des victimes n’iront pas porter plainte, tant que le nombre d’agressions demeurera aussi haut alors oui, il peut sembler indécent de nommer un homme ministre sous le coup d’une enquête pour laquelle lui-même ne nie pas l’enjeu d’abus de position.

Cela est d’autant plus violent pour les personnes concernées ou non par des agressions que le traitement médiatique de la situation fait la part belle aux défenseurs de l’ordre établi. C’est encore une fois la parole des femmes qui se trouve diminuée, dé-légitimée dans la parole publique par l’exacerbation ces derniers jours d’une parole masculiniste.

De la solidarité masculine

“J’ai eu une discussion avec lui parce que c’est un responsable politique qui est intelligent, engagé, qui a été aussi blessé par ces attaques. Donc, il y a aussi une relation de confiance d’homme à homme, si je puis dire” : voilà ce que répondait Emmanuel Macron à Léa Salamé et Gilles Bouleau concernant la nomination de Gérald Darmanin.

Doigt d’honneur aux femmes mobilisées ou manifestation d’un inconscient pétri des codes de la masculinité ? La journaliste Laure Breton écrit dans Libération à ce propos : « La violence des mots présidentiels ne s’arrête pas là : décrédibilisant la victime présumée du désormais ministre de l’Intérieur (elle aurait tardé à faire éclater l’affaire, ce qui prouverait l’instrumentalisation politique), Emmanuel Macron confie que Gérald Darmanin a été «blessé» par les attaques de celles et ceux qui contestent sa promotion. C’est l’inversion du fardeau de la preuve, la victimisation de l’accusé, la confiance accordée sur le genre. Soit la triste routine dans les affaires de violences faites aux femmes, routine que des policiers et des magistrats de mieux en mieux formés essaient de faire mentir chaque jour sur le terrain ».

À cette analyse très juste vient tristement s’ajouter le lamento de Gérald Darmanin : celui-ci se dit victime d’une « chasse à l’homme », une déclaration allant dans le sens de ce que Laure Breton analyse en inversant la position du suspect et de la victime. Que le ministre de l’Intérieur ne s’en fasse pas, l’ensemble de l’exécutif vole à son secours : « Nous assistons à des dérives qui sont inadmissibles » a quant à lui répondu Jean Castex à la sénatrice socialiste Murielle Cabaret.

Cette défense pose un énorme problème puisqu’être accusé de viol implique qu’une enquête soit ouverte. Si une enquête est ouverte, alors un juge d’instruction doit être nommé et celui-ci aura à charge de commander des actes d’enquête à des policiers qui même dans le cas de la police judiciaire travailleront sous l’autorité de Gérald Darmanin. Comme l’explique Ugo Bernalicis dans une émission d’Arrêt sur Images à propos de l’affaire Fillon, « toute information sensible ayant une tendance irrépressible à ”remonter” la chaîne hiérarchique, ces informations remonteront à Gérald Darmanin ».

Si la présomption d’innocence existe, ce cas exceptionnel où il est probable que malgré la confiance « d’homme à homme » (rectifié en d’homme à femme par Elisabeth Moreno) entre le Président et son ministre l’enquête ne pourra pas se dérouler correctement, devrait à elle seule justifier de ne pas nommer cet homme à ce poste. En faisant ce choix, celles et ceux qui justifient la place de Gérald Darmanin font soit preuve d’une méconnaissance de la Justice soit d’un mépris pour une institution de plus en plus fragilisée et défaillante quand il s’agit des questions d’agressions ou de viols.

À celles et ceux qui pensent que défendre un ministre accusé de viol est une attitude subversive et un peu punk, entendons-nous : il n’y a rien de subversif à être du côté des dominants, qu’il s’agisse du pouvoir en place ou des hommes qui font front contre les « féministes ». Quand on voit la difficulté à porter un viol devant la justice, défendre un ministre au prétexte du respect de la procédure judiciaire témoigne avant tout d’une forme de cynisme qui – sous-couvert d’être une opinion marginale (à gauche peut-être) – ferait de ceux qui la proclament de meilleurs citoyens, capable de dépasser l’émotion et les affects pour respecter la justice, avec tout ce qu’elle a de sacré.

Cependant, c’est une institution qui dans le cas des viols et des agressions est clairement dysfonctionnelle. À quoi bon dès lors l’encenser, la défendre et que rien ne change ? Depuis quand le manteau de Créon est devenu plus dur à porter que celui d’Antigone ?

Jouer la mesure comme s’il y avait une posture qui n’était pas respectable dans le cadre de combats qui peinent à s’imposer, ce n’est pas être un meilleur citoyen, c’est défendre l’ordre établi sans le dire, en préférant se ranger du côté des dominants plutôt que des personnes mobilisées en faveur du changement. Dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Karl Marx écrit : « Pendant les Journées de juin, toutes les classes et tous les partis s’étaient unis dans le ”parti de l’ordre” en face de la classe prolétarienne, du ”parti de l’anarchie”, du socialisme, du communisme. Ils avaient ”sauvé” la société des entreprises des ”ennemis de la société” […] La société est sauvée aussi souvent que le cercle de ses maîtres se rétrécit et qu’un intérêt plus exclusif est défendu contre un intérêt plus large ». Ce mouvement permet à l’ordre de se maintenir en agrégeant autour de lui différents groupes face à une forme perçue comme subversive et ce qui était vrai avec les sujets économiques se re-dessine aujourd’hui avec les luttes dites sectorielles.

À l’opposition manichéenne de deux camps vient s’ajouter le relativisme de Gérald Darmanin qui expliquait le 18 juillet aux journalistes de La Voix du Nord qu’il “faut quand même mesurer ce que c’est que d’être accusé à tort, de devoir expliquer à ses parents ce qu’il s’est passé parce que, c’est vrai, j’ai eu une vie de jeune homme”. Ces propos n’ont pas manqué de faire à nouveau réagir les militantes féministes et personnalités qui ont dans l’ensemble pointé du doigt le décalage entre la gravité de ce qui se joue et la désinvolture de son propos.

Cela ne semble pas déranger, Claude Askolovitch s’interrogeant dans un papier publié sur Slate à propos de la jeunesse de Gérald Darmanin renommé pour l’occasion “le jeune D.” : « Je ne sais pas les circonstances du jeune D., quand une femme d’expérience vint lui solliciter une faveur politique qu’il échangea contre du sexe. Était-il, bambin cravaté, un heureux séducteur, ou un demi-puceau attardé et d’autant plus anxieux de goûter à la chair? Était-il collectionneur de bonnes fortunes ou bien confiné en misère sexuelle et y échappant d’une occasion bienvenue? Quel garçon fut cet homme dont des militantes féministes exigent la démission ? ». Dans cet article encore, la légèreté du propos peut surprendre si ce n’est choquer, Askolovitch nous rappelant là le “troussage de domestique” de Jean-François Kahn il y a quelques années.

Continuons la lecture attentive de cette tribune : “Au-delà même d’un viol dont je doute, et donc de l’infamie que porte ce mot s’il est mal employé, ce sont des complaisances mâles qui se trouvent éventées. L’escapade de Gérald D. me rappelle de pauvres ruses. Elle m’évoque le début d’un vieux roman de Bernard Frank, cet écrivain qui inventa l’expression ”les hussards” pour Nimier et Blondin. La scène est pénible de crudité. Un homme a levé une fille patraque et l’enrobe de mots jusqu’à sa jouissance ».

Claude Askolovitch, grand enquêteur sur l’enquête, se complaît à esthétiser les accusations dont le ministre fait preuve en faisant référence à un bref extrait du roman Les Rats de Bernard Frank (1953). L’extrait dont nous nous passerons ici décrit un viol et le plaisir qu’en tire celui qui le commet.

Dans les lignes qui suivent, le journaliste associe l’abus de position qui est au coeur de cette affaire avec la puissance. Tout ici est bon pour un scénario d’une série Netflix : le lien entre le pouvoir, la sexualité et les abus que cela peut engendrer, le tout sous la plume d’une personne reconnue qui dédramatise, explique et excuse en évacuant sous couvert de sublimation la dimension criminelle du viol, des rapports non-consentis et (ce qui serait peut être trop demandé) de la dimension problématique de rapports sexuels obtenus dans le cadre de rapports de domination évidents. Il s’agit ici d’une énième preuve du traitement spécifique réservé aux agressions sexuelles, de l’attouchement au viol.

Si cette nomination et les critiques qui l’entourent ne sont qu’une énième illustration du faible intérêt du Gouvernement pour la défense des femmes, elle témoigne aussi de manière plus structurelle du dysfonctionnement de la justice sur ces sujets. Les discours sont une fois de plus éloquents : un exécutif dont les têtes les plus importantes sont masculines (la promesse du Président concernant le choix d’une femme au poste de Premier ministre semble enterrée) fait bloc pour défendre un homme dont la position va pourtant entraver une enquête dans laquelle il est impliqué.

Ce choix est une violence faite aux femmes, une insulte à celles qui en plus d’être victimes doivent faire face à un chemin de croix pour déposer plainte et espérer un jour que leur agresseur soit condamné. Ce qui se joue ici, c’est la possibilité que les comportements changent un jour : tant que le viol demeurera un acte impuni, rien n’arrêtera les agresseurs. Laisser Gérald Darmanin ministre de l’Intérieur, c’est envoyer le pire signal qui soit à celles et ceux qui se battent pour que cesse un jour, enfin, l’impunité et la banalité des agressions sexuelles et du viol.

La castration chimique obligatoire : une proposition dangereuse

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Tarquin en Lucrèce, 1575, Rijksmuseum, Amsterdam

La castration chimique est devenue une antienne de la sphère politique, surtout à droite, dès qu’un fait divers de mœurs est saisi par les médias. Pourtant, loin d’être efficace pour prévenir la récidive et protéger les victimes de viol et d’agression sexuelle, cette proposition est à la fois inhumaine et dangereuse.


Le 2 mai 2018, Laurent Wauquiez, président des Républicains, déclarait dans une interview à 20 Minutes, suite au viol et au meurtre d’Angélique, vouloir rendre obligatoire la castration chimique pour les violeurs. Il assurait même que les Républicains allaient déposer une proposition de loi afin de faire évoluer la législation.

Tout d’abord, il convient de préciser que le terme « castration chimique » n’est pas utilisé par les médecins : il serait trop violent, rappellerait une forme de contrition et induirait un caractère définitif, alors que ce traitement est réversible. Les professionnels prescrivant ces injections trimestrielles ou ces comprimés préfèrent l’appellation « traitement inhibiteur de libido ».

Toutefois, le terme de « castration chimique » semble approprié pour qualifier la violence et la dimension expiatoire de cette disposition dans notre droit pénal, prouvant encore une fois, si c’était nécessaire, qu’il faut se méfier des volontés politiques qui se prétendent protectrices des femmes lorsqu’elles émanent de l’aile droite de la droite. En effet, cette proposition apparaît non seulement d’une utilité réduite, mais elle est encore inhumaine voire dangereuse.

La castration chimique obligatoire, une proposition à l’utilité contestable

La proposition de M. Wauquiez semble peu pertinente car cette disposition est déjà présente dans notre droit, sous une forme différente. En outre, la castration chimique transformée en peine se verrait critiquée en tant que telle. Enfin, elle n’est efficace que pour de rares profils d’agresseurs.

Une proposition peu utile car déjà existante

La castration chimique est d’ores et déjà possible dans notre droit. La loi du 10 mars 2010 « tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle » a modifié l’article 706-47-1 du code de procédure pénale (CPP), désormais rédigé ainsi : « Les personnes condamnées pour l’une des infractions mentionnées à l’article 706-47 peuvent être soumises à une injonction de soins prononcée soit lors de leur condamnation, dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire, […] soit postérieurement à celle-ci, dans le cadre de ce suivi, d’une libération conditionnelle, d’une surveillance judiciaire ou d’une surveillance de sûreté […]. Lorsqu’une injonction de soins est ordonnée, le médecin traitant peut prescrire un traitement inhibiteur de libido […] » Le prononcé d’une injonction de soins pouvant être un traitement inhibiteur de libido est donc soumise à deux conditions : la condition de fond relative à la nature de l’infraction et une condition de procédure.

Concernant la condition relative à l’infraction, cet article ouvre le chapitre dédié à « la procédure applicable aux infractions de nature sexuelle et de la protection des mineurs victimes » et recouvre les dossiers où des mineurs (enfants de moins de dix-huit ans) sont victimes d’infractions allant du délit d’atteinte sexuelle (pénétration avec consentement de la victime punie de cinq ans d’emprisonnement) au crime d’assassinat accompagné de tortures ou d’actes de barbarie passible de la réclusion criminelle à perpétuité en passant par le proxénétisme.

En somme, tous les auteurs d’infractions aux mœurs commises sur des mineurs sont susceptibles de se voir prononcer une injonction de soins par un juge. M. Wauquiez compte-t-il l’étendre à tous les auteurs de viol, même pour les victimes majeures ? Faute de précisions supplémentaires, impossible d’écarter ce scénario.

« tous les auteurs d’infractions aux mœurs commises sur des mineurs sont susceptibles de se voir prononcer une injonction de soins par un juge »

La condition de procédure recouvre quant à elle deux situations. Si on imagine que la procédure pénale suit une chaîne temporelle allant de la commission de l’infraction à la purgation de la peine en passant par le jugement, la castration chimique intervient soit au milieu de la chaîne soit vers la fin. En effet, le juge peut, lors du jugement de condamnation, en complément d’une peine de prison et/ou d’amende ou à titre principal, prononcer une injonction de soins, commuée par le médecin en traitement inhibiteur de libido.

Mais cette injonction peut être prononcée par un autre juge que celui qui a prononcé la condamnation : le juge d’application des peines (JAP). Cette injonction fait l’objet de ce qu’on pourrait qualifier de contrat entre le JAP et le condamné : « soit vous suivez ce traitement, et dans ce cas-là vous pourrez sortir de prison plus tôt, soit vous ne le suivez pas et vous exécutez les neuf mois qu’il vous reste à purger en prison. Si vous interrompez le traitement, je vous replacerai en détention. » Le choix est donc possible en théorie, mais les possibilités limitées.

La castration chimique existe donc déjà dans notre droit, et sur la base d’un volontariat… limité, car il conditionne pour certains la sortie anticipée de prison, procédure habituelle en fin de peine. On ne peut toutefois pas reprocher à M. Wauquiez d’avoir oublié l’existence de cette procédure : en 2009, lors de l’élaboration de la loi, ses collègues de l’UMP avaient réussi à faire voter par l’Assemblée Nationale la castration chimique obligatoire. Cela avait été modifié par le Sénat, où l’UMP était pourtant le premier groupe parlementaire (147 sièges sur 343, le second étant le PS avec 115 sièges) et où la droite plus généralement détenait 55% des sièges. Encore une preuve que le Palais du Luxembourg, régulièrement critiqué pour son conservatisme, a le mérite d’être moins sensible que les élus directs du peuple au chant des sirènes de la démagogie pénale.

Une proposition peu utile en tant que peine alourdie

Dans l’esprit de M. Wauquiez, la castration chimique obligatoire inspirerait une telle crainte dans l’esprit du violeur ou agresseur potentiel que cela le dissuaderait de commettre l’infraction. Pourtant, il est reconnu depuis le siècle des Lumières que la lourdeur de la peine n’a qu’un effet dissuasif minime, contrairement à la certitude d’être puni. Cesare Beccaria l’avait déjà remarqué concernant la peine capitale : « Quand l’expérience de tous les siècles ne prouverait pas que la peine de mort n’a jamais empêché les hommes déterminés de nuire à la société ; […] il suffirait de consulter la nature de l’homme, pour sentir cette vérité. […] La terreur que cause l’idée de la mort, a beau être forte, elle ne résiste pas à l’oubli si naturel à l’homme, même dans les choses les plus essentielles, surtout lorsque cet oubli est appuyé par les passions. […] La peine de mort infligée à un criminel n’est pour la plus grande partie des hommes qu’un spectacle, ou un objet de compassion ou d’indignation. Ces deux sentiments occupent l’âme des spectateurs bien plus que la terreur salutaire que la loi prétend inspirer. […] Il arrive au spectateur du supplice la même chose qu’au spectateur d’un drame ; et comme l’avare retourne à son coffre, l’homme violent et injuste retourne à ses injustices. » (Des délits et des peines, 1764)

« Comme l’avare retourne à son coffre, l’homme violent et injuste retourne à ses injustices. » (Cesare Beccaria, Des délits et des peines, 1764)

S’il faut chercher une cause de fond pour la commission des infractions sexuelles et du sentiment d’injustice inspirant la soif de vengeance de nos concitoyens, il s’agira plutôt d’aller chercher du côté du sentiment d’impunité des agresseurs.

Une proposition peu utile car ne traitant que partiellement les causes des agressions

Le traitement inhibiteur de libido permet de tempérer les pulsions sexuelles des individus. Cela apaise donc la composante purement physique voire physiologique de l’acte du viol ou de l’agression. Mais ce traitement sur le corps du condamné est indispensablement doublé d’une thérapie sur sa personnalité. Ainsi, dans un entretien donné à Ouest France le 3 mai 2018, le psychiatre Roland Coutanceau précise que les médecins « utilise[nt] l’effet du médicament qui permet au patient d’être moins obsédé par ses fantasmes et permet d’installer une thérapie qui vise à leur permettre de contrôler eux-mêmes leur comportement. » La castration chimique n’est donc qu’une première étape vers un véritable traitement visant à éradiquer les causes de long terme des agressions.

« L’agression sexuelle n’est pas qu’une question d’hormones, c’est un comportement humain. L’agression sexuelle, c’est aussi, par exemple, une affaire de toute puissance. […] La castration chimique donne de la sexualité humaine une image fausse : « je fantasme, donc je ne peux pas me contrôler ».

En outre, ce traitement déjà partiel n’est intéressant que pour un profil très particulier d’agresseurs : ceux soumis à des pulsions irrésistibles. M. Coutanceau est le premier à souligner cette incomplétude : « L’agression sexuelle n’est pas qu’une question d’hormones, c’est un comportement humain. L’agression sexuelle, c’est aussi, par exemple, une affaire de toute puissance. […] La sexualité transgressive, c’est un comportement dont seulement l’une des composantes est liée à un excès de fantasmatique ou à un non-contrôle d’une obsession sexuelle. La castration chimique donne de la sexualité humaine une image fausse : “je fantasme, donc je ne peux pas me contrôler” ».

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Barbe Bleue, figure mythique du monstre tueur de jeunes filles. Gravure de Gustave Doré, 1862.

Enfin, les psychiatres précisent que ce traitement ne peut être pris à vie car il peut entraîner des effets secondaires pouvant nuire à la santé du condamné : ostéoporose, risques d’embolie pulmonaire, dépression, incompatibilité avec les traitement pour la psychose… Or, l’Observatoire International des Prisons estime que les personnes incarcérées ont six fois plus de risques de suicider que le reste de la population, et vingt fois plus de risques d’être atteint d’une pathologie psychiatrique.

Ce traitement pose donc un sérieux dilemme aux médecins : ne créerait-il pas plus de mal que ce qu’il n’en règle, contrairement au principe fondamental du serment d’Hippocrate primum est non nocere (« avant tout, ne pas nuire ») ? Ce traitement est d’autant plus susceptible d’entrer en contradiction avec le code de déontologie des médecins qu’il est inhumain et pose de sérieuses questions sur sa conformité avec les droits fondamentaux.

La castration chimique obligatoire, une proposition peu respectueuse des droits fondamentaux

La castration chimique est déshumanisante car elle revient à nier la capacité des individus à contrôler leur corps. En soi, toute action sur le corps même du condamné est une violence inacceptable. En France, comme dans tous les États de droit, les peines de prison ne devraient être que la privation de la liberté d’aller et venir et seulement la privation de cette liberté. Malheureusement, nos concitoyens semblent attendre de la peine qu’elle humilie le condamné, qu’elle le prive non seulement de sa liberté, mais aussi de sa dignité.

D’où les discours récurrents sur « la prison [infestée par les rats, les puces, les cafards, la gale et avec un siège de toilette pour quatre détenus], c’est pas le Club Med ! », qu’une enquête de la fondation Jean Jaurès en collaboration avec l’Ifop publiée le 10 avril 2018 ne fait qu’attester : 50% des personnes interrogées estiment que les détenus bénéficient de trop bonnes conditions de détention, contre 18% en 2000.

Dans le même ordre d’idées, quoique moins rigoureux statistiquement, à la question « Êtes-vous favorable à la castration chimique pour les coupables de viol(s) ? » posée par le chatbot Messenger du vidéaste Hugo Travers le 3 mai 2018, sur les 6722 participants (très probablement, sans qu’il soit possible de le prouver, dans la sphère jeune, progressiste et éduquée de la population française), 43% ont répondu « oui », pour une minuscule majorité (50%) de « non » et 7% de personnes « sans opinion ».

« 50% des personnes interrogées estiment que les détenus bénéficient de trop bonnes conditions de détention »

Si le caractère déshumanisant de la castration chimique ne semble pas émouvoir plus que ça nos concitoyens, la proposition de loi, si elle venait à se concrétiser, apparaît toutefois difficilement conciliable avec de nombreux droits protégés par notre Constitution et par nos engagements internationaux.

Une conciliation difficile avec nos exigences constitutionnelles et conventionnelles

Il semble que la castration chimique porte atteinte à la prohibition des traitements inhumains ou dégradants, à la dignité humaine, et au droit au respect de la vie privée.

L’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention ESDH) de 1950 prohibe la torture, les peines ou les traitements inhumains ou dégradants. La Cour européenne des droits de l’homme adopte une interprétation large des comportements des autorités publiques susceptibles de constituer des traitements inhumains. Le 1er juin 2010, réunie en grande chambre, elle n’a pas hésité à condamner l’Allemagne sur ce fondement dans un cas où des policiers avaient simplement menacé un individu soupçonné de commettre des mauvais traitements sur lui afin d’obtenir son aveu. Comment imaginer que la Cour, qui condamne de simples menaces, puisse accepter l’administration forcée d’un traitement ?

La dignité de la personne humaine, consacrée par le Code civil (article 16), a acquis le statut de principe à valeur constitutionnelle par la décision du Conseil Constitutionnel rendue le 27 juillet 1994 sur les lois bioéthiques. Or, infantiliser une personne adulte et responsable pénalement en le forçant à prendre un traitement hormonal sans son consentement apparaît irréconciliable avec le droit de chacun au respect de sa dignité.

Le droit au respect de la vie privée et familiale est protégé par plusieurs normes. La loi française, via l’article 9 du code civil proclame que « Chacun a droit au respect de sa vie privée ». Au niveau conventionnel, supérieur à la loi selon notre hiérarchie des normes, l’article 8 de la Convention ESDH encadre aussi le droit à une vie privée et familiale normale. Enfin, ce droit a acquis une protection suprême avec la décision du Conseil constitutionnel du 18 janvier 1995 qui lui accorde le statut de principe à valeur constitutionnelle. Or, la castration chimique, en privant l’individu de ses pulsions, affecte nécessairement sa vie sexuelle, composante de sa vie privée.

Toutefois, les droits des détenus n’émeuvent que modérément nos concitoyens et nos décideurs politiques. C’est pourquoi il faut insister sur la dangerosité de cette proposition pour notre société.

La castration chimique obligatoire, une proposition dangereuse

La castration chimique obligatoire ne répond pas du tout aux causes sociales, morales ou culturelles du viol.

Ces causes sociales sont évidemment présentes lorsque les victimes sont des femmes adultes. Quid du viol lors d’une soirée ? Quid du « droit de cuissage » sur les nouvelles venues dans certains milieux associatifs et/ou étudiants ? Quid du viol entre conjoints / concubins / partenaires de PACS ? Quid d’un certain producteur de cinéma profitant de sa toute-puissance pour faire du chantage sexuel à de jeunes artistes en situation de précarité ?

Ces situations sont-elles vraiment causées par les pulsions des agresseurs ? Ou par leur sentiment d’impunité ? Une expérimentation menée en 2016 par Massil Benbouriche, docteur en psychologie et en criminologie, révèle que près d’un tiers des hommes interrogés seraient prêts à commettre un viol s’ils étaient absolument certains de ne pas être poursuivis.

Outre l’incapacité de la castration chimique à répondre à la dimension psychologique de l’agression, elle ne permet pas de mettre fin au phénomène nommé par les théories féministes « culture du viol », c’est-à-dire l’acceptation, la relativisation, la banalisation du viol permises par la société. Espérer répondre aux violences sexistes et sexuelles par la castration chimique évoque surtout la volonté d’enlever la paille dans l’œil du voisin sans voir la poutre dans le nôtre. La castration déresponsabilise les violeurs – « je n’y peux rien, c’est les pulsions ! » – au lieu au contraire de les responsabiliser – « je peux contrôler mes pulsions par respect pour la victime potentielle et je n’outrepasserai pas son consentement ».

Enfin la castration chimique peut certes constituer une délivrance pour les pédophiles. Mais si on levait le tabou de la pédophilie afin de prévenir le crime plutôt que d’alourdir la répression ? Ne serait-ce pas in fine plus favorable aux potentielles victimes ?  Comme le précise Latifa Bennari, présidente de l’association « L’Ange Bleu » et elle-même ancienne victime de pédocriminalité : « En France, la prévention se limite à celle de la récidive. […] C’est attendre que des pédophiles commettent des infractions sexuelles et que certaines d’entre elles soient signalées à la police et que certains de leurs auteurs soient condamnés à suivre un traitement. »

C’est pourquoi l’association organise des groupes de paroles entre d’anciennes victimes et des pédophiles abstinents ou « ex-criminels ». En effet, « le dialogue avec les victimes permet une prise de conscience des dégâts potentiels, en cas de premier passage à l’acte pour les uns ou d’une récidive pour les autres. Une méthode révolutionnaire qui a fait ses preuves et a constitué un vrai garde-fou pour des milliers de pédophiles. »

Ce n’est donc pas en castrant vingt « monstres » qu’on va éviter aux femmes ou aux enfants de se faire violer par leur proche. Sans doute vaudrait-il mieux prévenir que guérir. Éduquer plutôt que déresponsabiliser. Dialoguer plutôt que réprimer. Il est bon que la castration chimique existe, car cela permet à certains auteurs de se libérer de leurs pulsions. Mais l’imposer entre outrepassant le consentement du condamné semble inhumain, inutile et dangereux si cela permet au législateur tel Ponce Pilate de se laver les mains en négligeant la prévention du crime.

La proposition de M. Wauquiez est tellement inquiétante en matière de droits et libertés pour nos concitoyens qui se sont écartés du droit chemin et de sexisme à l’œuvre dans notre société qu’on en vient à espérer qu’il ne s’agisse que d’un effet d’annonce.

Crédits :

Tarquin et Lucrèce, 1575, Rijksmuseum, Amsterdam.  https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Tarquinius_en_Lucretia_Rijksmuseum_SK-A-1287.jpeg#/media/File:Tarquinius_en_Lucretia_Rijksmuseum_SK-A-1287.jpeg

Barbe Bleue, par Gustave Doré, 1862. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Barbebleue.jpg

 

Congé paternité : pourquoi tout le monde y gagnerait

©PublicDomainPictures. Licence : CC0 Creative Commons.

Fin octobre, le magazine Causette publiait une pétition intitulée « Pour un congé paternité digne de ce nom ». Directement adressée au chef de l’État, à la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les hommes et les femmes Marlène Schiappa et à la ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn, la pétition demande, en substance, la fin du caractère optionnel du congé paternité et son allongement à six semaines, contre onze jours actuellement.

Son écho s’est trouvé décuplé par la souscription d’une quarantaine de personnalités, dont l’économiste Thomas Piketty, le rappeur Oxmo Puccino, l’acteur Jean-Pierre Darroussin ou encore l’animateur radio Guillaume Meurice. De plus, cette pétition s’inscrit dans un mouvement plus vaste qui déborde la seule question du congé paternité : on se souvient notamment de la bande dessinée d’Emma, Fallait demander !, sur la répartition des tâches ménagères, ou encore de l’annonce des deux mois de travail qu’accomplissent bénévolement les femmes, par le collectif Les Glorieuses.

C’est donc dans ce contexte de visibilisation croissante du travail gratuit des femmes – qu’il soit domestique ou professionnel – qu’intervient cette pétition, qui souligne l’inégale répartition du travail familial au sein du couple, et sa naturalisation par les politiques publiques. Car, en n’accordant aux pères que onze jours bien dérisoires, comment créer un lien affectif avec l’enfant, participer pleinement à son accueil et son éveil, et assumer toutes les charges, mentales comme physiques, que son arrivée implique ?

 

Les Français, si « bien lotis » ?

Selon Le Figaro, « les pères français sont plutôt bien lotis » comparés au reste du monde. Mais comment faire moins bien que l’Allemagne ou que les États-Unis, qui ne prévoient strictement aucun jour de congé paternité, ou que l’Arabie Saoudite et l’Italie qui n’en proposent qu’un ? On relativisera tout de même la chance des pères français et leurs 11 jours de congés en comparaison d’autres voisins européens à qui sont donnés bien plus de moyens d’exercer leur paternité : les Islandais (90 jours), les Finlandais et les Slovènes (54 jours) semblent en effet bien mieux lotis que les pères français.

Il faut dire qu’une telle bigarure de particularismes législatifs est permise par l’absence de la moindre disposition légale européenne en la matière, quand, inversement, la question du congé maternité est clairement investie par l’Union Européenne, qui prévoit 14 semaines d’arrêt de travail, dont deux obligatoires. En France, le congé maternité est même de 16 semaines, dont 8 obligatoires.

Un congé parental peu incitatif pour les pères

Certes, on pourrait objecter que d’autres possibilités sont offertes aux pères français : un congé parental existe en effet, et semble a priori les encourager à participer davantage au travail familial. Dans la dernière version du congé parental (la Prestation Partagée d’éducation de l’enfant, aussi appelée PreParE, mise en place en 2014), les parents peuvent bénéficier d’une aide financière pendant un an –3 ans à compter du deuxième enfant – afin d’accueillir l’enfant. Cette aide est tout de même soumise à condition : chaque parent ne peut prendre que 6 mois de congé parental au maximum.

Ainsi, si le couple souhaite disposer d’un an de congé parental, il faut que la mère comme le père prennent chacun 6 mois de congés : la mère ne peut pas prendre la totalité des 12 mois. Il s’agit donc d’une mesure incitative en droit, mais qui est de fait économiquement prohibitive au vu des montants de l’aide versée aux parents. En 2017, l’aide pour une cessation totale d’activité s’élève à 392 euros par mois par parent, et 253 euros si le parent choisit de conserver son emploi à mi-temps. Comme trois femmes sur quatre ont un salaire inférieur à celui de leur conjoint, il apparaît rapidement que cette mesure est vouée à demeurer en grande partie formelle, la majorité des couples n’ayant aucun intérêt économique à ce que ce soit l’homme qui prenne le congé.

C’est d’ailleurs le reproche principal qui a été fait au congé parental : sous couvert d’œuvrer pour une meilleure répartition du travail familial, il s’agit surtout de réduire le montant des aides versées – la précédente version du congé parental accordait un demi-SMIC au parent qui en bénéficiait, contre un tiers de SMIC en 2017. Et lorsqu’on s’avise que dans la précédente version du congé parental, plus avantageuse sur le plan économique, seulement 1 à 3% des hommes choisissaient d’en bénéficier, on peut douter de l’efficacité présumée de la nouvelle version. Début 2016, l’OCDE montrait qu’un an après la mise en application de PreParE, seulement 4,5 % des congés parentaux étaient pris par des hommes.

« Faire accepter les congés paternité »

Puisque le congé parental mis en place en France reste somme toute bien frileux, et économiquement peu avantageux, on comprend que la pétition s’oriente vers un congé paternité bien mieux rémunéré (80% du salaire) et de fait bien plus pratiqué (68% des hommes y ont recours).

L’OFCE a d’ailleurs déjà estimé les coûts qu’entraîneraient les propositions de la pétition : l’étude de Hélène Périvier montre qu’un congé paternité de onze jours obligatoires impliquerait un coût supplémentaire pour l’État de 129 millions d’euros, et de 1.26 milliards d’euros pour l’alignement de sa durée sur celle du congé maternité (soit six semaines obligatoires après la naissance). Malgré les différentes estimations chiffrées, qui balisent possiblement un dialogue politique, et alors que certains candidats à la présidentielle s’étaient emparés de la question, le gouvernement actuel semble assez indifférent à cette problématique.

L’interview SMS de Marlène Schiappa par le magazine Neon (juillet 2017) est à ce titre symptomatique d’un tel désintérêt :

Extrait de l’interview de Marlène Schiappa par Neonmag

Que dire d’un programme qui refuse de s’emparer de cette question au prétexte que les quelques pères rencontrés au hasard d’une rue ne sont pas tous en faveur d’un allongement du congé paternité ? Outre cette stratégie, confondante de simplisme, l’interview révèle en creux l’asymétrie du dialogue social, que l’on a beau jeu de nous faire passer pour l’ignorance des salariés : ici, les pères « n’osent pas » demander un congé paternité, ou ne connaissent pas leurs droits.

Aucune mention n’est faite des pressions exercées sur les salariés pour les dissuader de prendre leur congé. Depuis la mise en ligne de la pétition, plusieurs témoignages de pères ont été relayés, qui font état du chantage subi lors de leur demande de congé. D’ailleurs, si 68% des pères français prennent un congé paternité, ce taux s’élève à près de 90% pour le secteur public, qui est mieux rémunéré et où les pressions sont faibles.

Et puis, il faut parler de cette remarque avisée : les hommes n’accouchent pas, quel serait donc l’intérêt d’allonger leur congé paternité ?

« En effet les hommes n’accouchent pas je crois »

Malgré la puissance d’analyse de Marlène Schiappa dans cette interview, on pourra objecter d’une part que certes, les hommes n’accouchent pas, mais que cette donnée biologique ne les confine pas fatalement en dehors du processus d’éveil infantile. Après tout, les hommes aussi ont le droit de développer leur « instinct paternel ». D’autre part, il est en soi absurde que la mère, souvent épuisée par son accouchement, assume seule l’ensemble des tâches familiales et écope, seule toujours, des retombées négatives sur sa vie professionnelle.

Ces retombées sont réelles. Une enquête de Cadreo de mars 2016 montre que pour 47% des femmes cadres interrogées, le fait d’avoir un enfant est cité en premier parmi les événements qui ont bouleversé leur carrière, contre 25% pour les hommes. Cette même étude est d’ailleurs révélatrice quant aux pressions subies par ces femmes cadres : 30% de leurs employeurs ont selon elles mal accueilli la nouvelle de leur grossesse. Ainsi, si le congé paternité se hissait à six semaines, comme le demande la pétition, il n’y aurait plus a priori de discrimination justifiée par la maternité, puisque hommes et femmes seraient susceptibles de la même durée d’interruption de travail.

Un autre argument est souvent mis en avant contre le congé paternité obligatoire : celui-ci constituerait une immiscion sacrilège dans la sphère privée, une ingérence au sein des familles qui auraient trouvé un « équilibre dans une répartition qu’elles estiment plus complémentaire qu’inégale », comme l’écrit Le Figaro, qui concède tout de même qu’il « existe de nombreux cas pour lesquels ces inégalités [professionnelles] sont inacceptables et injustes ».

Mais pourquoi la sphère privée ne saurait être investie par des questions politiques, en l’occurrence féministes ? Comme l’explique Hélène Périvier dans son rapport, les choix des couples au sein de la sphère privée ont également une dimension sociale : « les représentations des rôles des femmes et des hommes dans la société et l’état des inégalités économiques entre les sexes poussent les femmes vers la famille et les hommes vers le marché du travail ». On aurait donc tort de cloisonner le privé et le public, et de postuler leur foncière extériorité. Quant à dire que ce congé obligatoire deviendrait une contrainte pour les hommes, c’est présupposer qu’il n’y avait nulle contrainte auparavant : or cela ne revient-il pas à naturaliser le rôle maternel des femmes, qui sont les seules à se voir imposer un congé obligatoire ?

Ce dernier, certes, est nécessaire au bon rétablissement des mères, mais n’étant obligatoire que pour les femmes, il les confine absurdement, et elles seules, au travail familial, entraînant de fait la fatigue qu’il était censé pallier : triste tautologie aux effets contre-productifs, qu’un congé paternité obligatoire et surtout allongé dans sa durée pourrait un tant soit peu équilibrer.

par Marine de Rochefort et Quentin Morvan

 

Crédits :

Interview de Marlène Schiappa par Neonmag, capture d’écran : https://www.neonmag.fr/video-linterview-texto-de-marlene-schiappa-489989.html.

©PublicDomainPictures. Licence : CC0 Creative Commons.

 

 

Harcèlement de rue : de l’importance de nommer pour commencer à agir

Marlène Schiappa, Secrétaire d’Etat à l’égalité hommes-femmes s’implique personnellement dans la lutte contre les inégalités entre les hommes et les femmes. Si son action lui a valu un certain nombre de critiques (entre autres: l’installation d’un buzzer dans Touche Pas à Mon Poste, ses écrits qui se veulent humoristico-érotiques jugés grossophobes), celle-ci illustre aussi les dégâts et l’inadéquation entre la nécessité de faire vite et de faire parler avec des sujets qui imprègnent la société à l’heure où son secrétariat d’État va être amputé de 25%, soit plus de 7 millions d’euros qui seront retranchés du budget qui lui est alloué.

Le tweet polémique posté lundi 12 juin était composé de trois photos prises lors de sa visite à La Chapelle-Pajol, quartier devenu le symbole par excellence du harcèlement de rue laisse sceptique. Il avait été supprimé peu de temps après sa publication et son entourage avait reconnu un « bug communicationnel ». Cet exemple illustre la difficulté et l’importance de bien nommer un phénomène afin de commencer à agir sur lui.

Par la formule « Les lois de la République protègent les femmes, elles s’appliquent à toute heure et en tout lieu », une ambiguïté peut d’abord être soulevée : considère-t-elle que les lois de la République doivent protéger, ce qui reviendrait à convenir qu’elles ne protègent pas systématiquement et qu’il n’y a pas adéquation entre les lois et valeurs proclamées et le réel ?

Ou alors – ce qui aurait été vérifié et confirmé de manière expérimentale par sa petite promenade nocturne – que les lois qui existent protègent bel et bien les femmes ? Cette dernière hypothèse reviendrait dès lors à diminuer le poids de la parole des femmes qui dénoncent tant individuellement qu’au sein d’associations la banalité du harcèlement de rue et l’existence d’espaces où les femmes ne peuvent se déplacer en toute quiétude.

Si cet événement a fait réagir la « fachosphère » et que les commentaires à son propos se cantonnent désormais à une opposition entre « pro » et « anti »-Schiappa, cela tend à faire oublier le vrai sujet et surtout les principales victimes, à savoir les femmes. En effet, si un certain nombre de critiques à son encontre sont imprégnés de sexisme, ce n’est pas pour autant qu’il faut fermer les yeux sur les remarques qui lui sont adressées.

En 2015, une étude menée en Seine-Saint-Denis avait révélé que sur les 600 femmes interrogées, toutes avaient subi au moins une fois dans leur vie du harcèlement voire une agression dans les transports en commun. Une enquête menée par Holleback ! et l’Université de Cornell parue la même année dévoilait quant à elle que 82% des femmes en France ont été victimes de harcèlement de rue avant l’âge de 17 ans. A ces données préoccupantes, quelles solutions, quel diagnostic opposent la majorité présidentielle et le Président de la République?

Dans son programme, Emmanuel Macron avait associé le « harcèlement de rue » à des « incivilités » au même titre que le fait de cracher par terre. Harceler est dès lors passible d’une amende, chose peu aisée à mettre en œuvre dans les faits. Seulement, harceler une femme dans la rue, l’accoster, l’insulter, est-ce une simple incivilité ?

Ainsi, le « bug communicationnel » de Marlène Schiappa – s’il ne prouve rien empiriquement – témoigne aussi du peu d’importance accordé à ce type de harcèlement défini par le collectif Stop Harcèlement de Rue comme « les comportements adressés aux personnes dans les espaces publics et semi-publics, visant à les interpeler verbalement ou non, leur envoyant des messages intimidants, insistants, irrespectueux, humiliants, menaçants, insultants en raison de leur sexe, de leur genre ou de leur orientation sexuelle » (attitudes distinguées de la « drague »).

Quelles solutions ?

Si l’agrandissement des trottoirs ne changera pas la donne, que le phénomène ne peut être corrigé dans l’immédiat, la complexité de la question doit-elle pour autant autoriser des réponses hâtives ou caricaturales ? Probablement pas. Cela ne fait qu’ajouter au sentiment de l’absence de considération et d’impuissance de la part des autorités. Ainsi, dans un communiqué paru le 13 juin, la Secrétaire d’Etat annonçait qu’elle s’était entretenue « avec François Bayrou, Ministre d’Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice, notamment pour évoquer la verbalisation immédiate des auteurs d’agression sexistes comme de discriminations ».

A une volonté de penser la question sur le long terme, a été ajoutée une action très cosmétique de communication, symptomatique d’une volonté de faire le « buzz », ce qui n’apporte rien aux femmes qui subissent le harcèlement et qui tend à faire oublier l’enjeu fondamental, sous couvert de progressisme.

Commencer par nommer le harcèlement de rue tel qu’il est, le considérer comme un délit, une violence et pas comme un simple manque de politesse est un moyen de se placer du côté de celles qui le subissent, au lieu d’en faire un acte marginal. Le Président se voulait « en prise avec le réel » pendant sa campagne, nommer les choses et le harcèlement de rue, sujet certes très complexe, ne doit pas y déroger.

Cependant, comment agir quand un secrétariat d’Etat qui permet de faire vivre des infrastructures et un tissu associatif efficace sur l’ensemble du territoire se voit amputé de 25% de son budget? Si les structures nationales seront moins touchées (même si Le Planning familial par exemple n’avait toujours pas reçu à la fin du mois de juillet la première moitié de son budget public pour l’année en cours) et que les associations de lutte contre les violences ne seront pas affectées, les organisations et structures locales ont quant à elles plus de craintes.

Ainsi, les associations qui mènent entre autres des actions de sensibilisation dans des écoles et qui ne sont pas subventionnées par des fonds privés se trouvent directement menacées.

Le choix politique qui est celui des coupes dans le budget de l’État remet en cause l’efficacité même d’un secrétariat qui est pourtant essentiel et qui se retrouvera davantage encore cantonné aux déclarations et autres opérations de communication, faute de moyens suffisants.

Crédit photo :

http://www.stopharcelementderue.org/wp-content/uploads/2014/05/Visuel3_RVB.jpg