Les services publics sont plus que jamais au cœur du débat citoyen : des volontés réformatrices aux mobilisations sociales, cette actualité nous rappelle la place centrale que cette notion occupe dans notre démocratie. Le service public à la française a en effet longtemps été perçu comme une spécificité, un trésor national durement acquis, intimement lié à l’idéal républicain. Tout service public est de fait une action d’intérêt général, qui recoupe des activités aussi essentielles que stratégiques, dont l’État doit être le responsable. Pourtant, ce principe fondamental a été balayé par les logiques néolibérales, qui ont déresponsabilisé l’État, et importé la vision gestionnaire et comptable des entreprises privées dans les services publics. Loin d’être une simple évolution économique, ces choix traduisent une véritable mutation civilisationnelle, qui doit être questionnée au nom de nos principes démocratiques.
Un état des lieux alarmant
Après trois décennies de mise en concurrence, de privatisation, et de course à la rentabilité, le constat est sans appel : les services publics français sont exsangues, avec des personnels de plus en plus sous pression qui ne trouvent plus de sens dans leur métier. On pense bien sûr aux hôpitaux, et notamment à la longue grève menée par les urgences, mais aussi au corps enseignant, ou encore aux forces de l’ordre, aux fonctionnaires de la Poste ou de la SNCF. Aucun secteur n’est épargné par cette logique de mise en concurrence et de démantèlement, qui passe par des coupes budgétaires, le non-renouvellement des postes, ou une accélération de la cadence de travail au nom de la rentabilité. La logique de marché a donc bel et bien triomphé des services publics, au travers d’un mode de gestion fondé sur des logiques managériales et comptables. Cette situation est d’autant plus critique qu’elle a non seulement engendré la désorganisation des services publics, mais qu’elle leur a aussi fait perdre leur essence. En effet tout service public repose sur les principes d’égalité, de continuité, d’adaptabilité et de clarté dans les comptes publics, ici durement malmenés par les logiques de privatisation.
Cette mutation sans pareil est due en grande partie à l’introduction du nouveau management public dans les années 1980. Cette méthode d’administration, tout droit héritée des grands principes néolibéraux, va progressivement s’imposer comme nouveau paradigme structurel et organisationnel du service public. Le contexte économique joue aussi en faveur de sa mise en application, alors que le modèle de l’État providence ne parvenait pas à résorber le chômage de masse, ni la crise économique de la deuxième moitié des années 1970. L’idée que les services publics sont trop coûteux, trop archaïques et manquent de transparence s’impose alors, et on imagine que ceux-ci doivent copier le fonctionnement des entreprises privées, plus flexibles, plus rentables et plus performantes. Cette politique économique d’origine anglo-saxonne est très rapidement mise en application par les administrations de Margaret Thatcher et Ronald Reggan. Ce programme conservateur érigeant le secteur privé en norme s’accompagnait nécessairement d’un désengagement notoire de l’État et d’une baisse des cotisations sociales et des impôts. Cette doctrine a été très vite importée en France, dès les années 1990, notamment avec la thématique de l’État stratège, introduisant ainsi la notion d’objectif dans la gouvernance étatique. L’État providence a donc sensiblement muté en État stratège, inaugurant ainsi un vaste mouvement de privatisations et de désengagement étatique, cristallisé par la célèbre formule de Lionnel Jospin en 2001, selon laquelle « L’État ne peut pas tout ». Pourtant, le démantèlement progressif depuis des années du service public est vécu comme dégradation continue : on ne peut que rappeler les privatisations controversées des PTT, de France Télécom, de la gestion de l’eau, ou encore des autoroutes.
L’État providence a donc sensiblement muté en État stratège, inaugurant ainsi un vaste mouvement de privatisations et de désengagement étatique.
L’autre corollaire de cette logique est le désengagement progressif de l’État français de ses territoires. En effet, la présence de l’État se manifeste par la présence des services publics, censés mailler le pays afin de garantir le fonctionnement républicain, qui s’incarne dans des terminaisons nerveuses, que ce soient un bureau de poste, une école, un hôpital ou une gendarmerie. Or, ceux-ci ne cessent de disparaître, et les territoires les plus déshérités sont les premiers touchés, qu’il s’agisse des zones rurales, des espaces enclavés ou des banlieues. Les grandes métropoles concentrent désormais tous ces services au nom de leur plus grande rentabilité. Alors que le service public est le seul patrimoine de ceux qui n’en ont pas, le dernier rempart des citoyens dépourvus de capital, – qu’il soit culturel, économique, ou social – celui-ci a abandonné sa mission fondamentale d’émancipation. La compétitivité l’a encore une fois emporté sur la solidarité et la redistribution, car la déstructuration du service public ne peut qu’engendrer l’augmentation des inégalités entre les citoyens et les territoires. Ainsi, le projet néolibéral aujourd’hui mis en œuvre en France propose une vision très réduite du service public, qui resserre l’État autour de ses fonctions régaliennes. Dans le contexte actuel, quelles sont donc les alternatives à la privatisation et à la marchandisation des services publics ? Il s’agit alors de repenser l’essence de celui-ci à travers son histoire, afin de le défendre et de le protéger au nom de nos principes démocratiques.
Le projet néolibéral aujourd’hui mis en œuvre en France propose une vision très réduite du service public, qui resserre l’État autour de ses fonctions régaliennes.
Le service public est « notre écosystème républicain »
L’histoire de la formation du service public est en effet une construction très ancienne, dont les prémices remontent à la Révolution française. On voit alors apparaître l’idée que l’État doit avoir le contrôle sur des secteurs essentiels relevant du bien commun. L’idée se consolide ensuite au début de la IIIème République, autour des grandes lois sur les libertés élémentaires et sur l’éducation. Le second moment fort de la solidification et de l’implantation du service public naît des suites de la Première guerre mondiale, qui renforce l’idée d’une indissociabilité de la République et du service public, identifié dès cette époque comme une spécificité française. On peut rappeler entre autres les lois sur les accidents de travail dès la fin du XIXème siècle, ou encore la mise en place de l’équivalent de nos allocations familiales dans les années 1920, mais aussi les lois sur l’assurance maladie sous le gouvernement Tardieu (1929-1930).
Durant cette époque de l’entre-deux-guerres, une théorie du service public s’élabore donc, notamment par l’intermédiaire de la figure fondatrice de Léon Duguit, juriste de formation, qui donne au service public sa définition moderne : « un ensemble de services – qu’il s’agisse de protections, de commodités, etc. – que seule la puissance gouvernante est en mesure d’apporter aux citoyens ». Très influencé par Émile Durkheim, Duguit voyait dans la solidarité sociale une norme objective, qui s’imposait aux gouvernants, et dont l’État n’était qu’un mode de réalisation. Ainsi conçu, l’État trouvait dans le service public à la fois le fondement de sa légitimité et la limite de ses prérogatives[1]. Cependant, il faut attendre la Seconde guerre mondiale pour que les services publics fassent florès avec l’avènement de l’État providence.
On assimile alors l’idée du service public à l’ordre et à la paix, et à la protection des droits individuels s’est ajouté l’assistance et la protection du travail, la culture, l’éducation, l’augmentation des richesses. Le service public s’entendait alors comme une véritable obligation que les gouvernants se doivent de remplir au profit de tous les gouvernés. Le service public doit donc assurer l’égalité d’accès des citoyens à ces services, et cette égalité implique une péréquation des tarifs. Ainsi, le citoyen qui habite une région enclavée, où la puissance publique doit fortement investir pour financer une ligne de chemin de fer, un réseau électrique ou un système de distribution de gaz, aussi bien que le citoyen qui habite une grande ville, où ces mêmes investissements sont globalement moins onéreux, sont logés à la même enseigne et ont le même accès au service, au même prix ! C’est bien en cela que le service public est la pierre angulaire de notre écosystème républicain[2].
Quel avenir pour nos services publics ?
Pourtant, nous assistons depuis 25 ans à la remise en cause progressive de ce principe majeur qui fonde notre pacte républicain et notre pacte social. Tous les gouvernements, socialistes comme de droite, se sont essayés à la réforme des services publics, sous couvert de vouloir « rénover » notre modèle social. Le gouvernement d’Emmanuel Macron ne pouvait échapper à cette logique, et le rapport CAP 2022 sur l’action publique semble bien décidé à poursuivre cette entreprise de déstructuration et de privatisation minutieuse. Encore une fois, les grands principes du managérialisme contemporain sont invoqués : si l’on veut que notre secteur public puisse se réformer, il faut le rendre plus « souple », plus « adaptable », plus « lisible ». L’usager doit devenir un « client », qui doit en avoir pour son argent. Ainsi, comme le rappelle Romaric Godin dans son article sur Mediapart : « Le service public n’est plus alors payé par un impôt ou une cotisation, autrement dit par une mise en commun de moyens, mais directement par l’usager. La contrepartie est évidemment que l’usager peut demander un service personnalisé, prioritaire et privilégié proportionnel à ses moyens. C’est la notion de service public qui, en réalité, est ici attaquée de front, en apparence à la marge, en réalité au cœur. »
Les Français demeurent profondément attachés au service public, réellement compris comme un trésor national.
Faisons-nous donc face à un déclin irréversible du service public ? Si les réformes proposées par le rapport CAP2022 laissent peu de doute quant à ce projet, sur le terrain rien n’est si évident ni si facile. En effet, les Français demeurent profondément attachés à la notion de service public, réellement comprise comme un trésor national. L’actualité sociale récente le prouve : de nombreuses revendications des gilets jaunes demandaient plus d’État, et donc plus de service public. De même, les grèves et les mobilisations des corps des soignants, des pompiers, ou des enseignants persistent, très largement soutenues par l’opinion publique. Il s’agit donc de faire du service public un enjeu majeur du débat démocratique, qui doit être discuté, questionné, construit avec les citoyens. À l’heure où les services publics sont à bout de souffle, où le monde associatif ne peut devenir le supplétif d’un État démissionnaire, cet enjeu démocratique devient de plus en plus central. Le service public doit donc être au cœur de l’actualité et de l’information, pour se construire en tant qu’objet de débat public et de questionnement de notre modèle démocratique. Dans cette logique, LVSL vous propose un dossier sur la question, intitulé « Le crépuscule des services publics ? », afin d’étudier les mutations à l’œuvre dans toutes les fractions, et à tous les échelons du service public. Le premier volet sera donc dédié aux services publics sociaux, en commençant par les deux plus menacés, à savoir l’éducation et la santé. Il sera suivi d’un second portant sur les infrastructures. Enfin, le dernier chapitre de ce dossier sera consacré aux services publics régaliens, eux aussi mis à l’épreuve, tout comme la notion d’État.
[1] Pour plus de détails sur cette question, voir la leçon inaugurale au Collège de France d’Alain Suppiot
[2] La formule est de Jean Garrigues dans l’entretien accordé à Éric Fottorino et Laurent Greilsamer dans l’hebdomadaire “Le 1”
Engagé dans une mobilisation historique, l’hôpital public en crise commence à dévoiler les contours d’un mouvement de lutte pour sa sauvegarde. En mars dernier, la crise que traverse l’hôpital public est devenue visible avec le début de la grève des urgences. Depuis, le mouvement prend de l’ampleur dans tous les secteurs hospitaliers et, pour les soignants, l’hiver s’annonce contestataire.
Jeudi 10 octobre, le Collectif inter-hôpitaux (CIH) tenait sa première assemblée générale dans les amphithéâtres de la faculté de médecine de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, afin de répondre à la nécessité d’agir que le collectif avait pointé dans sa tribune fondatrice publiée le 22 septembre. À travers les témoignages, les expériences diffèrent, mais les constats sont communs. Tous pointent le manque de moyens, tant matériels qu’humains, les financements insuffisants, la suppression de lits ou la transformation de l’hôpital public en en “usine à soin” : « Nous sommes à la croisée des chemins, nous vivons notre dernière chance de sauver l’hôpital » résumait le Pr. Antoine Pelissolo, chef du service de psychiatrie de l’hôpital Henri-Mondor. Lors de cette assemblée fondatrice, deux motions sont votées, l’une concernant les modalités d’actions et l’autre les revendications à faire entendre. Ces dernières pointent en particulier le manque de moyens et réclament l’ouverture de lits et l’embauche du personnel nécessaire. Les restructurations successives sont en effet devenues si dramatiques qu’elles en viennent à mettre en danger les patients.
« Nous sommes à la croisée des chemins, nous vivons notre dernière chance de sauver l’hôpital »
Ces coupes budgétaires sont précisément ce qui a achevé de convaincre les hospitaliers mobilisés de la nécessité d’agir avant qu’il ne soit trop tard. Dans un fond de grève des urgences qui patine, l’annonce d’une hausse du budget de la santé inférieure à son augmentation structurelle a finalement fait sortir des rangs les plus réticents. Alors que l’hôpital public devrait voir ses dépenses augmenter structurellement de 4% en 2020, l’annonce d’une hausse de l’Objectif national de dépense d’assurance maladie (ONDAM) plafonnée à 2,3% a été vue comme un nouveau coup dur par des services déjà en souffrance : « La rigueur s’est transformée en austérité, entraînant le cercle vicieux de la pénurie » mentionnait la motion votée lors de l’assemblée du CIH. Médecins, paramédicaux et même pontes du milieu médical, tous sont concernés par la question du financement, allant bien au-delà de leurs intérêts spécifiques.
«Quand tout sera privé, on sera privés de tout »
Au cœur des revendications, la question du financement de l’hôpital est donc primordiale. Pour réclamer un plan d’urgence pour l’hôpital public, les actions classiques se mettent en place. À Saint-Louis, dans le nord de Paris, le hall de l’hôpital est décoré aux mots d’ordre du mouvement, avec l’objectif de sensibiliser les usagers à une problématique qui les touche directement. Les soignants mobilisés commencent alors à tracter, avec en ligne de mire la journée de mobilisation nationale du 14 novembre prochain, qui sera une journée très symbolique pour un mouvement qui cherche encore ses limites. Mais en parallèle, ce mouvement s’est doublé d’une “grève du codage”, qui consiste en un arrêt de la transmission des informations permettant à l’hôpital de facturer à l’Assurance maladie les actes médicaux concernés. Cette grève du codage n’est pas un geste anodin, car cette transmission constitue le cœur du fonctionnement de la “tarification à l’activité” (ou T2A), qui régit le mode de financement actuel de l’hôpital. Très critiquée, cette “tarification à l’activité” est visée par les revendications du mouvement, car elle entraîne une gestion managériale de l’acte médical. De fait, cette “coupure des vivres” s’est imposée comme un moyen d’action aussi symbolique que pragmatique, dans la mesure où une grève ordinaire aurait été un coup dans l’eau pour les soignants, automatiquement réquisitionnés lors des grèves pour assurer la continuité des soins : « Il y a plus de personnel dans les services les jours de grève que le reste du temps, avec les assignations ! » renchérissait un membre du personnel de la Pitié-Salpêtrière. Car, avec 400 infirmières déjà manquantes dans les services de l’AP-HP (Île-de-France) du fait de difficultés de recrutement, les grèves obligent l’administration à assigner une grande partie des soignants, pour des services travaillant déjà en effectifs restreints. L’arrêt du codage, s’il peut sembler paradoxal – il empêche le financement de la structure pour appeler à son augmentation – présente néanmoins l’avantage pour le mouvement d’être incontournable par l’administration. Cela constitue un élément essentiel pour le mouvement, qui lui permet d’instaurer un véritable rapport de force.
Avec déjà 309 services mobilisés sur l’AP-HP au 24 octobre, le CIH semble avoir instauré ce rapport de force, poussant Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP, à « alerter chacun des conséquences pratiques du non-codage », dans un courrier adressé à l’ensemble des soignants des Hôpitaux de Paris le 16 octobre dernier. Et si le plan pour l’hôpital que devrait proposer Agnès Buzyn mi-novembre est grandement attendu, c’est avec le scepticisme d’un monde plus habitué aux coupes budgétaires masquées qu’aux financements suffisants. Les réformes passent, mais le sentiment d’avoir entre les mains un service public en déliquescence demeure pour beaucoup. En effet, les réponses de l’exécutif à cette crise des urgences sont loin d’être à la hauteur de l’enjeu. Le “Pacte de refondation des urgences” annonçait en septembre dernier un financement de 750 millions supplémentaire, après 6 mois de mouvement, mais celui-ci n’a pas eu l’effet escompté car cette somme n’est qu’un redéploiement, qui se fera au détriment des autres secteurs. Les services d’urgences n’étaient à l’origine que la partie émergée d’un service public en tension, mais ceux-ci sont désormais les précurseurs d’un mouvement global de l’hôpital public.
« C’est un cri d’alarme que poussent les soignants »
« Aujourd’hui c’est un cri d’alarme que poussent les soignants. Pas pour notre bien-être ou des revendications individuelles, mais pour notre devoir d’être garants de notre santé à tous, des malades d’aujourd’hui et de demain » écrivait en septembre dernier le Dr. Sophie Demeret, neurologue. Alors que le mouvement prend de l’ampleur, la question des suites à donner au mouvement revient quotidiennement. La journée de mobilisation nationale est bien prévue le 14 novembre à Paris mais, en interne, personne ne veut se contenter d’un bref coup d’éclat médiatique. Car quelle que soit l’issue, l’essentiel a déjà débuté : derrière les portes aseptisées, dans les réunions et assemblées, un autre Hôpital panse son avenir.
Le 21 mars 2019, ils étaient près de trois cents soignants, psychiatres, pédopsychiatres, psychologues et usagers à se rendre devant l’hôpital de la Salpêtrière à Paris. Répondant à l’appel des organisations syndicales (CGT & SUD), d’associations d’usagers et de collectifs professionnels (collectif des 39), les manifestants s’étaient rassemblés autour de la statue de l’aliéniste Philippe Pinel pour dénoncer la « gestion managériale » des établissements psychiatriques.
Le lieu du rassemblement ne fut pas choisi au hasard. Philippe Pinel, médecin français de la fin du XVIIIème siècle, considéré comme l’un des pères fondateurs de l’aliénisme, est aussi désigné dans l’historiographie médicale comme le libérateur mythique des fous et des folles enchaînés. Nommé médecin chef de l’hospice de Bicêtre le 25 août 1793, puis médecin de la Salpêtrière le 4 mars 1795, Pinel se serait engagé avec le surveillant de Bicêtre, Jean-Baptiste Pussin, à rompre les fers des internés et à les placer sous la surveillance du regard médical. De prisonniers, les internés de cet hospice étaient devenus des malades qu’il était désormais possible de soigner grâce à un “traitement moral” administré dans un espace séparé du reste de la population.
Bien qu’inventé a posteriori par les aliénistes du XIXème siècle[1], ce geste libérateur de Pinel est encore encore aujourd’hui considéré comme l’acte fondateur de la psychiatrie française. Après avoir rendu hommage à cette figure “humaniste” en déposant quelques bouquets de fleurs aux pieds de la statue, les organisateurs de la manifestation réitérèrent le geste symbolique du médecin. Ils s’enchaînèrent, rompirent l’entrave qui les maintenait, puis appelèrent avec vigueur à un « renouveau des soins psychiques ». Le cortège partit du 13ème arrondissement en début d’après-midi pour se rendre à la place de la République. À sa tête, un froid constat écrit sur l’une des banderoles : « Paradis fiscal, enfer à l’hôpital ».
Un service public affaibli par les manques matériels et budgétaires
Cet événement, organisé par le mouvement « Printemps de la psychiatrie », qui fédère depuis le mois de janvier 2019 une quarantaine d’organisations professionnelles et d’usagers, avait pour objectif d’alerter les élus et la presse sur l’état délétère du secteur et des hôpitaux psychiatriques. Les quotidiens Le Monde, Ouest France et le Huffington Post lui ont consacré le jour même quelques articles[2] et relayé les témoignages dépités des manifestants. Interrogée par le Huffington Post, Clémentine, psychologue à l’hôpital Philippe Pinel d’Amiens, relatait ainsi la situation de sa structure :
« On manque cruellement de budget pour les médiations thérapeutiques, pour proposer des activités à nos patients. On manque de temps aussi pour les consultations, pour les entretiens. On nous demande de travailler constamment dans l’urgence alors que le soin s’inscrit dans la continuité. »
L’hôpital Philippe Pinel n’est pas le seul établissement psychiatrique à éprouver de telles défaillances. Dans une grande partie des départements, les structures psychiatriques souffrent des mêmes maux : manque de moyens, sous-effectif chronique, utilisation abusive des moyens de contention et de l’isolement, absence de réel suivi du malade en dehors de l’hôpital et saturation des Centres médicos psychologiques (CMP). Des carences budgétaires et humaines qui, comme l’avaient rappelé les manifestants, entraînent une “déshumanisation” de la prise en charge et du soin.
Des professionnels de santé en lutte chronique contre le Ministère de la Santé
Si ce type de mobilisation peut paraître anecdotique dans un paysage politique saturé par les conflits sociaux, il n’est cependant ni nouveau ni méconnu par les pouvoirs publics. Les grèves des personnels soignants ponctuent les actualités depuis plusieurs années. En 2018, les agents de l’hôpital Philippe Pinel d’Amiens avaient lutté pendant sept mois contre leur direction pour réclamer la création de soixante postes d’infirmiers supplémentaires. Ils en obtinrent trente après avoir campé devant leur hôpital pendant 109 nuits. En mai 2018, c’étaient déjà plusieurs soignants de l’hôpital du Rouvray à Sotteville-lès-Rouen qui avaient entamé une grève de la faim pour dénoncer la précarité de leurs conditions de travail. Les grévistes réclamaient eux-aussi une augmentation générale des moyens matériels et le recrutement immédiat de nouveaux aides-soignants pour permettre un meilleur fonctionnement des services. Durant l’année 2017, de nombreuses grèves furent également menées dans une relative indifférence médiatique, et ce, malgré la récurrence des mobilisations.
Bien que sporadiques en apparence, ces manifestations donnent néanmoins un aperçu général de l’état de la psychiatrie française. Le service public hospitalier peine à remplir efficacement ses missions auprès des usagers, les structures extra-hospitalières sont régulièrement saturées par l’arrivée constante de nouveaux malades, et une grande partie des professionnels de santé subissent la dégradation de leurs conditions de travail. Du fait du manque de moyens, ces derniers ont l’impression de maltraiter les usagers et de ne pas les suivre dans la durée. Ce sentiment d’impuissance est également partagé par les agents des EHPAD, qui constatent depuis une dizaine d’années la carence croissante des moyens matériels pour assurer la prise en charge des retraités. Face à la dégradation constante de la qualité des soins dans leurs services, nombre de psychiatres, d’infirmiers et d’usagers mobilisés ont à plusieurs reprises appelé les pouvoirs publics à réinvestir le champ psychiatrique. La publication du manifeste “Pour un renouveau des soins psychiques” le 30 janvier 2019 exigeait à ce titre la revalorisation du budget de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie. Une revendication de longue date qui, bien que largement partagée par les professionnels de santé, s’est souvent heurtée à la politique budgétaire des Agences régionales de santé (ARS).
Une réforme du financement et de l’organisation de la psychiatrie en gestation depuis 2018
Consciente des difficultés rencontrées par les agents, la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, avait annoncé le 26 janvier 2018, au congrès de l’Encéphale, un projet de réforme du modèle de financement et de l’organisation de l’offre de soins en santé mentale. Cette réforme fut explicitée par la publication le 28 juin 2018 d’une “feuille de route” sur le site internet du ministère. Articulé autour de quatre axes, ce projet proposait près de trente-sept actions pour moderniser la prise en charge des malades et assurer la qualité des soins. Parmi elles figuraient le développement de l’ambulatoire en ville, le recrutement de nouveaux professionnels en soins psychiques, ou encore la télémédecine. Des mesures qui, si elles se focalisent sur le parcours des patients, se donnent néanmoins pour objectif de « préserver » le budget de la psychiatrie tout en luttant contre les inégalités, notamment territoriales et d’accès aux soins.
Cette position semble se confirmer depuis le mois de janvier 2019. Les publications de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), commandées par la ministre, préconisent en effet la « modulation » de la dotation financière selon le degré de précarité des populations. Un territoire particulièrement touché par la précarité verra ainsi son financement accru. Ce mécanisme financier permettrait en outre de ne pas augmenter sensiblement le budget général alloué à la psychiatrie, tout en atténuant les inégalités de financement entre les territoires. Plus un projet de régulation des moyens et des mécanismes de financement qu’une politique publique d’investissement et de création de structures hospitalières et extra-hospitalières, la réforme préparée pour l’année 2019 se donne toutefois pour objectif de redorer le blason d’antan de la psychiatrie. La ministre confirme ainsi son intention de moderniser un vieux service public qui est redevenu depuis quelques mandats, et selon ses propres termes, le « parent pauvre de la médecine ».
Une psychiatrie héritière du système asilaire du XIXème siècle
La politique publique de prise en charge des malades mentaux accuse en effet près de 180 années d’existence. Son modèle d’organisation basé sur l’asile a légalement perduré jusqu’à la seconde moitié du XXème siècle. En ce sens, une partie des hôpitaux psychiatriques actuels, et sur lesquels repose toujours la politique d’hospitalisation, furent construits durant le second Empire [3] et la Troisième République. Née avec la promulgation de la loi sur les aliénés du 30 juin 1838[4], qui imposait la création d’un asile dans chaque département, ou à défaut de passer une convention avec un établissement public ou privé, l’Assistance publique aux aliénés était chargée d’assurer le soin et la prise en charge des malades. Les individus interpellés par les forces de l’ordre et qui présentaient des troubles psychiques pouvaient à ce titre être internés d’office dans un asile départemental par décision du préfet. Les familles des malades pouvaient également y placer leurs proches, selon les modalités d’internement du “placement volontaire”. Le texte disposait enfin que les malades indigents, ceux dont les revenus, ou à défaut ceux de leur famille, étaient insuffisants pour couvrir les dépenses de la prise en charge, seraient intégralement entretenus par le département. La psychiatrie s’était ainsi définie comme la première politique publique d’assistance de France.
Dans les faits, une dizaine de départements ne disposeront pas d’établissements avant les années 1970 et les asiles feront, dès la fin du XIXème siècle, l’objet de vives critiques de la part des journalistes comme des internés. Décrits comme des mouroirs, des espaces pathogènes ou encore des institutions totalitaires au début des années 1960[5], les asiles seront perçus dans la conscience collective comme des lieux d’enfermement entretenant la folie et dans lesquels s’exerçait le pouvoir autoritaire de l’institution médicale. Une représentation très critique et encore perceptible dans les discours des associations d’usagers, qui tend toutefois à nuancer les transformations des hôpitaux psychiatriques au cours du XXème siècle.
L’entre-deux guerres et les prémices de la politique de secteur
Durant l’entre-deux guerres, les autorités publiques entreprirent une première réforme de l’Assistance publique aux aliénés. La circulaire du 13 octobre 1937 amorça une relative ouverture des asiles vers le territoire en instituant de nouvelles structures de prise en charge. Ces dernières devaient assurer « le dépistage » des troubles psychiques et permettre la tenue de consultations externes. Les hôpitaux de jour, ainsi que les dispensaires d’hygiène mentale furent développés à ce titre, et avaient également pour tâche d’accueillir de nouvelles populations de malades qui ne relevaient pas de la législation de 1838. Ce fut notamment le cas à l’hôpital Henri Rousselle situé dans l’enceinte de l’hôpital Sainte-Anne à Paris. Au dépistage devaient également s’adjoindre des services sociaux chargés d’entretenir des liaisons entre l’hôpital et les familles. Les équipes soignantes assuraient ainsi le suivi et « la réadaptation sociale du malade »[6].
S’amorçait ici un premier déplacement dans les modalités de la prise en charge. Si l’asile demeurait le principal instrument du soin, des structures extra-hospitalières commençaient à assurer le suivi du malade et à intervenir hors de la sphère médicale. Cette politique « d’ouverture », bien que très limitée durant les années 1930, se poursuivra après le second conflit mondial, grâce à l’effort combiné de jeunes psychiatres réformateurs (dont les plus connus sont Lucien Bonnafé, Georges Daumézon, Louis le Guillant, et Paul Bernard), réunis dans le Syndicat des médecins des hôpitaux psychiatriques, et de fonctionnaires du ministère de la santé (Eugène Aujaleu, Marie-Rose Mammelet) favorables au développement de prises en charge alternatives. La publication de la circulaire du 15 mars 1960 paracheva cette dynamique en instituant une nouvelle politique d’intervention et d’organisation des soins en santé mentale : la politique de secteur.
De la naissance du secteur à la camisole budgétaire (1960-1983)
La politique de secteur, ou sectorisation, redéfinit la prise en charge des troubles psychiques en ces termes : ” Le territoire est divisé en secteurs géographiques, à l’intérieur de chacun desquels la même équipe médico-sociale devra assurer […] la continuité entre le dépistage, le traitement sans hospitalisation […] les soins avec hospitalisation et, enfin, la surveillance postcure “[7].
Dans cette perspective, l’hôpital psychiatrique n’est plus qu’une étape du parcours du malade. Les structures extra-hospitalières (dispensaires, hôpitaux de jours, ateliers) deviennent des modes de prise en charge complémentaires. Elles doivent prévenir l’apparition des troubles et assurer la continuité des soins entre l’hôpital et le domicile du malade. La circulaire déplaçait de ce fait le mode d’intervention de l’hôpital vers le territoire, au plus près des familles des malades internés. A terme, le secteur devait également entraîner une diminution générale de la durée d’hospitalisation et favoriser la réinsertion sociale des malades “chroniques”. Ce sera chose faite au milieu des années 1970, période durant laquelle le secteur connut un sensible développement avec la création de nombreuses structures extra-hospitalières.
Afin de favoriser son développement, les autorités publiques mirent en oeuvre un système de financement très avantageux. L’État remboursait à hauteur de 87% des coûts les actions décidées par les conseils généraux. Le département assurait dans son intégralité le reste des dépenses. En ce sens, si un conseil général souhaitait créer une nouvelle structure d’accueil pour les malades, l’achat du terrain, les frais de construction et d’aménagement, ainsi que les ceux de prise en charge des malades étaient majoritairement assurés par l’État. Ce dispositif de financement croisé rencontra un véritable succès auprès des psychiatres et des équipes soignantes, qui purent aisément créer de nouveaux centres et dispensaires. Si elle permettait une prise en charge complémentaire à l’hôpital, la politique de secteur ne mit pas un terme à la politique d’hospitalisation. Le système hospitalier poursuivit en effet sa modernisation durant la décennie 1970 et de nouveaux établissements virent le jour. Alors que le secteur demeurait très inégalement développé selon les départements, le service public hospitalier comptait près de 118 000 lits d’hospitalisation en 1981[8].
L’ère “mitterandienne” et l’inexorable politique de réduction des dépenses hospitalières (1983-1995)
L’arrivée au pouvoir de François Mitterrand et le virage budgétaire de 1983 marquèrent une rupture dans la politique d’hospitalisation. Le déficit budgétaire provoqué par les crises pétrolières de 1973 et 1979 et l’inflation élevée des années 1980 contraignirent les autorités publiques à imposer une maîtrise rigoureuse des dépenses. Dans le cadre de l’hospitalisation psychiatrique, cela se traduisit par une série de réformes visant tant la réduction des dépenses d’hospitalisation que le développement du secteur et de la prise en charge extra-hospitalière. Le IXème plan d’équipement en santé mentale de 1983 prévoyait à ce titre la fermeture de 12 000 lits d’hospitalisation pour l’année 1988 et le remplacement de 28 000 autres lits par autant de prises en charge extra-hospitalières et ambulatoires[9]. Dans les faits, les structures extra-hospitalières ne compensèrent que faiblement cette suppression. Le nombre de lits publics, qui était en 1984 autour de 114 000, tomba de fait à 90 130 en 1988.
“Évolution des lits en psychiatrie générale”, in LOPEZ, Alain, TURAN-PELLETIER, Gaëlle, op.cit. p.170.
Cette politique de restriction budgétaire se poursuivit bien après les présidences de François Mitterrand. Selon la DREES, le service public hospitalier ne comptait ainsi plus que 57 389 lits en 1997, 47 000 en 2003, et 42 000 en 2014[10]. Le développement d’une prise en charge ambulatoire moins onéreuse compensa en partie la suppression des lits d’hospitalisation. De nouvelles structures médico-sociales et médico-psychologiques, à l’image des CMP ou des Centres d’activité thérapeutique à temps partiel (CATTP), furent créées, souvent à l’initiative des médecins ou d’associations d’usagers, et assurèrent la réadaptation sociale d’une partie des anciens internés. La politique de réduction des dépenses permit la croissance du champ médico-psychologique et associatif actuel.
Sur le plan institutionnel, les réformes de 1983 et de 1985[11] actèrent définitivement le secteur comme le principal mode de prise en charge des malades mentaux. La loi du 9 janvier 1983 mit fin au système de prix des journées pour établir une dotation annuelle pour l’hôpital psychiatrique, et la loi du 31 décembre 1985 rattacha les personnels des structures extra-hospitalières et les dépenses du secteur au budget des hôpitaux psychiatriques. Les représentants du Ministère de la Santé et de la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie, chargées depuis 1968 du budget des hôpitaux psychiatriques obtinrent ainsi la gestion de l’ensemble des dépenses de santé en psychiatrie.
Le système de la Dotation annuelle de fonctionnement paraît insuffisant pour assurer la pérennité du secteur
C’est en grande partie le même système de financement qui est en oeuvre aujourd’hui. La Dotation annuelle de fonctionnement (DAF), qui remplaça dès 1983 le système des prix des journées, finance la majorité des structures psychiatriques. Chaque année, un arrêté des Ministères des Finances et de la Santé fixe une dotation annuelle pour toutes les régions. Il incombe aux ARS de répartir ce financement selon les activités des structures intra et extra-hospitalières. Aussi, contrairement aux hôpitaux généraux et à certains services (Médecine, Chirurgie et Obstétrique) la grande majorité des structures psychiatriques ne sont pas financées par une tarification de l’activité, ou T2A, mais par une enveloppe de fonctionnement définie par le ministère de tutelle. Le ou la ministre de la Santé en fonction assure ainsi le fonctionnement des établissements psychiatriques financés par la DAF.
Ce système est également rattaché depuis 1997 à l’Objectif national de dépenses de l’assurance maladie (ONDAM), qui définit chaque année le taux de croissance des dépenses en santé. Dans cette optique, et afin de ne pas créer de déficits, la dotation annuelle en psychiatrie devrait se rapprocher du taux de croissance des dépenses de santé prévue par l’ONDAM. Or, l’augmentation continue depuis 10 ans de la file active en psychiatrie générale, la croissance soutenue du nombre de personnes ayant fréquenté au moins une fois une structure psychiatrique au cours de l’année, et donc des dépenses, n’a pas engendré une augmentation conséquente de la DAF. Depuis 2010, cette dernière semble stagner, tandis que les coûts des soins et de la prise en charge n’ont pas cessé de croître.
En effet, si l’ONDAM croît annuellement entre 2,5% et 3%, la dotation concernant les activités de psychiatrie n’a quant à elle augmenté que de 0,88% entre 2014 et 2018, soit de 78,2 millions d’euros en quatre ans. Selon un rapport de l’IGAS, la DAF des établissements spécialisés (psychiatriques) n’avait de même augmenté que de 0,7 % durant la période 2012-2015[12]. Bien que cette faible croissance de la dotation annuelle de fonctionnement n’explique qu’une partie des difficultés que connaissent les structures du secteur, et qu’il soit difficile de la rapprocher de l’activité concrète compte tenu de la très grande variété des établissements, elle demeure un indicateur du manque de moyens qui sont alloués à la psychiatrie. Afin de ne pas dépasser le budget annuel fixé par les ARS, les établissements psychiatriques sont de ce fait contraints de faire des économies sur le matériel et l’équipement, voire sur le nombre de soignants. Il en résulte un réel manque de moyens pour assurer une prise en charge de qualité, alors que le nombre de malades progresse chaque année. C’est particulièrement le cas pour les centres médicos psychologiques infanto-juvéniles (CMP-IJ).
Des partis d’opposition qui demeurent peu impliqués sur la question psychiatrique
La crise que traverse aujourd’hui le monde psychiatrique n’a jusqu’à présent éveillé l’attention que d’une poignée d’élus. Quelques députés du Parti Communiste Français (PCF) et de la France Insoumise (FI) s’y sont intéressés lors de déplacements dans leur circonscription. Le député FI François Ruffin avait notamment rencontré les agents de l’hôpital Philippe Pinel d’Amiens. Il s’y rendit dès le mois d’août 2018, afin de mesurer selon ses termes « la réduction des déficits à l’œuvre ». François Ruffin déposa le 29 novembre une proposition de loi visant à augmenter la DAF. L’article 3 de sa proposition disposait ainsi que : « L’évolution de cette dotation par rapport à l’année précédente ne peut être inférieure à celle de l’objectif des dépenses d’assurance maladie. »
Le député préconisait ainsi que la dotation ne soit pas inférieure au taux de croissance de l’ONDAM. Si l’objectif national prévoyait une augmentation des dépenses de santé de l’ordre de 3%, la dotation annuelle pour la psychiatrie devrait croître d’un taux équivalent . Les députés de la majorité La République En Marche repoussèrent toutefois cette proposition. Le député réitéra son engagement en juillet 2018 en demandant l’augmentation du budget général de la psychiatrie de 30%. Hormis cette proposition d’urgence et quelques déclarations scandalisées, les partis d’opposition n’accordent guère d’intérêt à la psychiatrie. Aucune réforme ou proposition d’ampleur ne se dégagent des organisations politiques. Dans cette perspective, le projet de réforme de la ministre des Solidarités et de la Santé pourrait bien s’imposer.
De la création de l’Assistance publique aux aliénés au XIXème siècle à la politique de secteur, la psychiatrie française s’est continuellement affirmée comme la première politique d’assistance publique. Encore aujourd’hui, la psychiatrie représente près de 10% des dépenses de l’assurance maladie et le soin demeure majoritairement assuré par les agents du service public. Ce dernier connait toutefois depuis le “tournant de la rigueur” de 1983 une baisse drastique de sa capacité d’accueil. Le nombre de lits d’hospitalisation a, depuis le premier mandat de François Mitterrand, été divisé par trois, et le financement des établissements psychiatriques via la DAF n’a pas été augmenté à la hauteur de la croissance des dépenses en santé mentale. A l’image des EPHAD, ou des hôpitaux généraux, les hôpitaux psychiatriques et les établissements de secteur apparaissent comme les structures d’un service public déstructuré, un service public étouffé par une politique de réduction des dépenses sur le long cours. Appliquée depuis près de 35 ans, cette politique semble avoir, et de manière continue, dégradé la qualité des soins et de la prise en charge. La misère actuelle que connaissent nombre d’établissements psychiatriques, et que dénonce la majorité des professionnels du champ psy, résulte pour partie des réformes engagées depuis les années 1980 par les gouvernements successifs.
[1] SWAIN, Gladys. Le sujet de la folie : naissance de la psychiatrie. Paris. Privat. 1977.
[3] C’est notamment le cas des hôpitaux psychiatriques de l’ancien département de la Seine qui furent construits durant la décennie 1860 (1867 pour Sainte-Anne, 1868 pour Ville-Evrard, 1869 pour Perray-Vaucluse).
[5] Les ouvrages Histoire de la folie à l’âge classique de Michel Foucault et Asylum du sociologue Erving Goffman, tous les deux publiés en 1961, sont régulièrement désignés comme les deux travaux universitaires ayant le plus contribué à la diffusion de la critique du système asilaire et du pouvoir médical.
[6] MINISTERE DE LA SANTE PUBLIQUE, octobre 1937. Circulaire du 13 octobre 1937 relative à la réorganisation de l’Assistance psychiatrique dans le cadre départemental (non parue au Journal Officiel).
[7] MINISTERE DE LA SANTE PUBLIQUE ET DE LA POPULATION, mars 1960. Circulaire du 15 mars 1960 relative au programme d’organisation et d’équipement des départements en matière de lutte contre les maladies mentales (Non parue au Journal Officiel), p.2.
[8] LOPEZ, Alain, TURAN-PELLETIER, Gaëlle, novembre 2017. Organisation et fonctionnement du dispositif de soins psychiatriques, 60 ans après la circulaire du 15 mars 1960, Tome II Annexe [en ligne] Rapport IGAS N°2017-064R. Paris. p.187. Disponible sur : www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2017-064R-Tome_II_annexes.pdf
[11] MINISTERE DES AFFAIRES SOCIALES ET DE LA SOLIDARITE NATIONALE & MINISTERE DE LA SANTE, janvier 1983. Loi n°83-25 du 9 janvier 1983 portant diverses mesures relatives à la sécurité sociale. JORF du 20 janvier 1983 ; Id, janvier 1986. Loi n°85-1468 du 31 décembre 1985 relative à la sectorisation psychiatrique. JORF du 1er janvier 1986.
[12] LOPEZ, Alain, TURAN-PELLETIER, Gaëlle, novembre 2017. op.cit., p.84.