La souveraineté spatiale : un énième déclassement pour la France

La fusée Ariane 5 décollant de la base de Kourou en Guyane française. © MEAphotogallery

Alors que l’espace suscite de nouveau l’intérêt des grandes puissances et de nouveaux acteurs privés, la France semble se reposer sur ses lauriers et abandonner son rôle de puissance spatiale. D’une part, Paris semble préférer déléguer cette activité au secteur privé, au lieu de piloter indirectement l’action de ce dernier, comme le fait la NASA. D’autre part, l’Allemagne ne cache plus ses ambitions et délaisse la coopération européenne, tout en essayant de récupérer les technologies françaises.

La conquête spatiale fut l’un des grands enjeux de la Guerre froide. Dans cet affrontement entre Soviétiques et Américains, la politique d’indépendance du général De Gaulle s’est également traduite en termes de souveraineté spatiale. Du programme Véronique au développement d’Ariane 6, la France reste un acteur majeur du spatial dans le monde. Ce rôle permet d’avoir une place importante en matière militaire, scientifique et industrielle. Ce, même face aux géants étasuniens, russes et, aujourd’hui, chinois. Pour ce faire, la France a pu compter sur l’expertise acquise par le Centre national d’études spatiales (CNES) qui a fêté ses 60 ans en 2021. Ces compétences, fruit d’années d’investissements et d’ambitions publiques, ont fait le lit de l’excellence française en matière spatiale. Depuis lors, la France a tout naturellement pris le rôle de moteur européen dans les activités extra-atmosphériques. Toutefois, fer de lance de la souveraineté française, le secteur spatial ne cesse de voir sa position fragilisée par l’absence de vision et la naïveté de la France face à l’Allemagne dans l’UE.

Une nouvelle zone de conflictualité ?

En 1958, une résolution de l’ONU faisait référence à l’usage « exclusivement pacifique » de l’espace extra-atmosphérique. A l’époque, Russes et Américains s’étaient entendus pour faire retirer l’adverbe exclusivement dans le texte onusien. Bien qu’ancienne, la militarisation, c’est-à-dire l’usage à des fins militaires de l’espace, tend à s’accentuer ces dernières années. La facilité de l’accès à l’espace permet aux armées du monde entier d’envoyer des systèmes orbitaux d’observation et de télécommunication. En revanche, l’arsenalisation – l’usage d’actions militaires dans, depuis et vers l’espace – de la zone extra-atmosphérique paraît de plus en plus inéluctable. De nombreux Etats sont par exemple d’ores et déjà capables de détruire des satellites depuis le sol.

Barack Obama, le premier, avec le Space act a ouvert la voie à l’exploitation des ressources dans l’espace et son appropriation par les citoyens étasuniens.

Pourtant le traité de l’espace de 1967, la référence en droit spatial, indique que nul ne peut s’approprier l’espace. La zone extra-atmosphérique est donc ouverte à tous. De même, le traité stipule que les armes nucléaires ne peuvent y être déployées. Le texte reste néanmoins flou et sujet à interprétation dans sa rédaction. Il apparaît de moins en moins adapté aux nouvelles réalités conflictuelles, comme le note un récent rapport d’information parlementaire.

En 2015, Barack Obama ouvre une première brèche avec le Space act, qui autorise l’exploitation des ressources dans l’espace et son appropriation par les citoyens étasuniens. Par la suite, Donald Trump suivra en créant une Space force pour défendre les intérêts des Etats-Unis dans l’espace. Emmanuel Macron, dans la foulée de son homologue américain, a décidé de passer à une doctrine plus active en termes de protection des intérêts spatiaux de la France. Ceci afin de « répondre aux défis […] dans les nouvelles zones de confrontation que sont l’espace cyber ou l’espace exo-atmosphérique ».

Space X et les réalités du new space

Si l’intérêt pour l’espace connaît un regain d’intérêt depuis environ une décennie, cela s’explique aussi par les mutations profondes de l’industrie spatiale suite à l’arrivée d’acteurs privés. Ainsi, plusieurs sociétés, dont celles de multimilliardaires, se sont engouffrées dans ce nouvel environnement technologique et sociétal, dénommé new space. Les emblèmes de cette nouvelle ère sont sans aucun doute Space X d’Elon Musk et Blue Origin de Jeff Bezos. Le phénomène a également gagné le Vieux continent. De nouvelles entités y ont émergé et viennent concurrencer les acteurs traditionnels du spatial, comme Airbus, Thales, Safran, etc. En outre, ce nouvel âge spatial s’appuie également sur un cycle d’innovation plus court dû à la miniaturisation des satellites et de leurs composants, d’une part, et la numérisation de la société, d’autre part. Cette numérisation à outrance a pour corollaire non seulement des infrastructures au sol, câbles sous marins et data centers, mais également des moyens de télécommunication en orbite, tels que les constellations de satellites actuellement déployées par Starlink (Elon Musk), OneWeb (Airbus) ou Kuyper (Jeff Bezos). L’émergence du tourisme spatial fait également partie des moteurs de ces mutations.

Derrière le phénomène au nom rêveur du new space se trouve une réalité bien connue, celle des start-ups. Il s’agit de l’afflux de capitaux privés, via du capital risque, sensibles à l’image positive que véhicule le spatial, ses innovations technologiques et la rentabilité présumée du secteur. Ce faisant, il s’est créé un effet d’entraînement global. A l’instar de la bulle Internet, au début des années 2000, le new space n’est d’ailleurs pas à l’abri d’une bulle financière, notamment alors que les taux d’intérêt sont en train de remonter.

Toutefois, si cet appel aux capitaux privés, notamment aux États-Unis, conduit certains commentateurs à évoquer une privatisation de l’espace, cette dernière mérite d’être questionnée. Premièrement, ces financements viennent parfois en complément du public sur des programmes très onéreux. Deuxièmement, les principaux clients de Space X restent le gouvernement américain lui-même à travers la NASA ou le Pentagone. Cela se traduit par de nombreux lancements institutionnels pour l’envoi de satellites, civils et militaires, ou l’approvisionnement de l’ISS (Station spatiale internationale) avec le Falcon 9. Enfin, toutes les technologies développées par ces acteurs privés sont issues des recherches de la NASA, comme le rappelle notamment les travaux de l’économiste Mariana Mazzucato.

Ainsi, et de manière contre intuitive, l’apport du new space dans l’écosystème spatial américain tient moins de l’innovation de rupture que de la facilité qu’ont ces entreprises à industrialiser les technologies de la NASA. En somme, entre le new space aux États-Unis et la NASA, la filiation est directe. Le rapport d’information parlementaire cité plus haut, révèle ainsi qu’historiquement la NASA a utilisé les acteurs du New space pour pallier l’échec de son programme de navette.

Ainsi, les rares marchés exclusivement privés se trouvent dans le tourisme spatial et les méga-constellations en orbite basse. Ces deux activités, dont le modèle économique est très fragile, sont toutes deux très polluantes et néfastes aux activités scientifiques.

Entre automutilation et illusion libérale : le new space français

Face à cette nouvelle configuration, la France tente aujourd’hui de rattraper ce qu’elle considère comme un retard. Néanmoins, à la différence des Etats-Unis, le marché des lancements institutionnels européens n’est ni conséquent ni garanti. Quand le budget de la NASA s’élève à plus de 20 milliards, celui du CNES atteint à peine plus de 2 milliards et de 6 milliards pour l’ESA (European Space Agency). 

Dans le sillage des illusions sur la start-up nation, Bruno Le Maire a annoncé l’avènement d’un Space X français d’ici 2026. Ce faisant, le Ministre de l’économie a oublié que le leader mondial des lancements commerciaux était français.

Dans le sillage des illusions sur la start-up nation, Bruno Le Maire a annoncé l’avènement d’un Space X français d’ici 2026. Ce faisant, le Ministre de l’économie a oublié que le leader mondial des lancements commerciaux était français. En effet, avec Arianespace, qui gère la commercialisation et l’exploitation des systèmes de lancements depuis Kourou (les lanceurs Ariane et Vega), la France a un accès privilégié, et de qualité, à l’espace ! Pour soutenir les acteurs du new space, Emmanuel Macron a annoncé investir 1,5 milliard dans ce secteur dans le cadre du plan France 2030. Dès lors, deux stratégies distinctes se dessinent de chaque côté de l’Atlantique : d’un côté une privatisation pilotée par la NASA, de l’autre un véritable laissez-faire, sans planification

L’automutilation de l’Etat français et l’absence de vision à long terme, censée guider les politiques spatiales, se font ressentir au cœur même de l’excellence française. En effet, le Centre national d’études spatiales est touché de plein fouet par ces nouvelles orientations. C’est pourquoi, en avril dernier, les ingénieurs du CNES, de Paris à Kourou, dans un mouvement sans précédent depuis 60 ans, ont décidé de se mettre en grève pour protester contre les nouveaux contrats d’objectifs. Ces derniers, aux dires des syndicats, privilégient les nouveaux acteurs privés au détriment de la recherche publique. Leur crainte est qu’à travers ces objectifs, le CNES ne devienne qu’une agence de financement. Dès lors, le regard stratégique sur le devenir des grands projets reviendrait aux seuls industriels. 

Ces craintes sont fondées : ce retrait du CNES est déjà une réalité depuis 2015, quand Manuel Valls avait décidé de vendre les parts de l’Etat (34%), à travers le CNES, dans la société Arianespace. Cette société est pourtant hautement stratégique en termes d’efficience industrielle et de souveraineté d’accès à l’espace. Les parts ont été cédées à la co-entreprise (Ariane group), composée de Safran et d’Airbus. La cession a mis fin à la logique de partenariat public/privé qui avait prévalu en France et qui avait fait ses preuves. A sa place, une logique de gestion pilotée uniquement par les industriels, notamment celle du futur lanceur Ariane 6, est en train de s’affirmer.

L’Allemagne se rêve en puissance spatiale

Outre une ambition politique aux abonnés absents, le spatial français doit faire face aux divergences politiques avec l’Allemagne. Ces divergences ne sont du reste pas nouvelles, elles existent d’ores et déjà pour l’industrie militaire. La naïveté française dans les grands projets industriels de l’UE permet aux entreprises allemandes de siphonner les technologies françaises. Du programme SCAF (avion de chasse de nouvelle génération) au transfert du moteur d’Ariane 6 de Vernon vers la Bavière, les exemples sont légion.

Face aux problèmes budgétaires de la France, l’Allemagne s’est en effet mise en tête de prendre le leadership européen dans le spatial. Le conseiller espace d’Angela Merkel à l’époque, Peter Hintze, relayé par La Tribune, le disait en ces termes : « l‘Allemagne occupe le deuxième rang européen en matière de spatial; se satisfaire du deuxième rang ne suffit pas, il faut considérer ce classement comme une source de motivation ».

Berlin, dans un esprit libéral, refuse donc la logique d’agence et de coopération européenne de l’ESA et aimerait lui substituer une logique d’acteurs industriels.

Depuis, l’Allemagne a été à plusieurs reprises la plus grande contributrice du budget de l’ESA. L’objectif, à peine voilé, est de conforter sa base industrielle dans un esprit mercantile orienté vers la haute valeur ajoutée. Les spécialistes faisaient remarquer à l’époque l’absence de vision en termes d’indépendance dans le discours allemand, comme le confirme un document que s’est procuré La Tribune. Ce dernier indique que le gouvernement allemand pense qu’ « un système de lancement compétitif européen au niveau mondial n’est pas un objectif prioritaire […] ». D’autant que la compétition est, selon elle, complètement biaisée : « la demande institutionnelle nettement plus importante aux États-Unis […] Un système européen ne pourrait survivre dans cet environnement qu’avec de lourdes subventions gouvernementales annuelles ». L’Allemagne y fustige également le manque de concurrence face à Arianegroup.

Berlin, dans un esprit libéral, refuse donc la logique d’agence et de coopération européenne de l’ESA et aimerait lui substituer une logique d’acteurs industriels. A contrario, la tradition française, qui associe programmes civils et militaires, est de penser le spatial en termes de souveraineté d’accès. Ainsi, profitant de l’avènement du new space, Berlin a fait émerger de nouveaux acteurs tels que OHB ou encore ISAR Aerospace. Ces différents choix stratégiques de l’Allemagne posent des problèmes de cohérence à ses partenaires européens, notamment la France. Récemment, l’agence spatiale allemande (DLR) a choisi Space X pour l’envoi de son satellite d’observation de la terre. Ou, encore, le lobbying d’OHB en faveur du lanceur américain pour l’envoi des derniers satellites du programme Galileo, le GPS européen. De fait, Berlin semble avoir abandonné toute idée de préférence européenne.

Outre-Rhin, on pense l’avenir à travers les megaconstellations et les micro lanceurs réutilisables. Ils visent ainsi le marché, non institutionnel, des envois commerciaux. Cette stratégie permet à ces start-ups, soutenues par le gouvernement allemand, de s’autonomiser, en partie, du port spatial de Kourou. L’opération Launch Germany s’inscrit dans cette logique. Elle a pour objectif de développer une zone de lancement pour micro-lanceurs en mer du Nord. Pourtant le CNES, l’ESA et Arianegroup cherchent à redéployer l’ancien site de lancement de la fusée diamant en base pour micro-lanceurs. Il s’agit des programmes Thémis, Prometheus et Callisto.

Ces divergences se confirment dans cette période de transition entre les versions 5 et 6 d’Ariane. Cette dernière est censée être plus compétitive face à la concurrence de Space X. Néanmoins, conscient des défis de la fusée réutilisable, Paris indique que ce nouveau lanceur, qui n’intègre pas de modules réutilisables, est quasi obsolète. La volonté est donc d’embrayer très vite sur une nouvelle génération de lanceurs. Pour Berlin, qui a financé un des quatre milliards de conception d’Ariane 6, c’est évidemment trop tôt. Le retour sur investissement de la fusée Ariane 6 se fera certainement sur la durée, entre 10 à 15 ans. Or, repartir sur une nouvelle génération de lanceur entraînera d’énormes coûts de conception, jusqu’à 10 milliards d’euros selon les estimations. Ce sont les industriels d’Arianegroup et l’ESA, au travers de ses membres étatiques, qui porteront ce coût.

Le port spatial de Kourou : un fleuron mis à mal

Si l’avenir de la coopération spatiale européenne reste incertain, qu’en est-il des bases de lancement ? Pour l’heure, le port spatial de Kourou, en territoire français, offre au pays des Lumières un atout essentiel d’indépendance et de sécurité. Le déploiement des programmes de vols, notamment ceux à usage militaire, se fait sans contrainte d’exportation et de location d’un site étranger. L’indépendance qu’offre ce site lui confère donc un grande importance. Malheureusement, celui-ci est également confronté à une période difficile.

Le 25 décembre 2021, comme un cadeau offert à la communauté scientifique et au monde, s’envolait le télescope James Webb. Le remplaçant du célèbre Hubble était attendu par les scientifiques du monde entier. Depuis, James Webb réjouit la communauté scientifique et même les particuliers par ses performances optiques. Ce joyau technologique a coûté 10 milliards de dollars à la NASA sur 20 ans. Le télescope est parti depuis Kourou, en Guyane, empaqueté dans la coiffe d’une Ariane 5. La précision du vol fut telle que le télescope a gagné en durée de vie en économisant son carburant.

Si, cet exploit technique et scientifique a été salué par la NASA, qui a reconnu l’extrême précision du lancement, il ne saurait cacher néanmoins les difficultés du sport spatial. Le développement d’Ariane 6 s’articule autour d’un leitmotiv : la réduction des coûts. Cela passe notamment par la réduction d’effectifs, surtout lorsque les budgets sont contraints et orientés vers des start-ups. Dans ce cadre, le gestionnaire du site, Arianegroup – actionnaire majoritaire d’Arianespace (76%) – se prépare depuis deux ans à des réductions d’effectifs. 600 licenciements répartis entre la France et l’Allemagne, sont évoqués. Concernant le Centre spatial guyanais, une étude évoque une suppression de 300 postes. Cette réduction d’effectifs fait craindre une perte de savoir-faire, notamment dans le domaine d’excellence de la France : la filière des lanceurs.

Du côté des salariés de la base, c’est le flou concernant la suite de l’aventure spatiale. « Les salariés sont anxieux face à la baisse de cadence et les solutions amenées pour y faire face. L’arrêt prématuré de Soyouz n’arrange pas les choses. Il y a une véritable lenteur des dirigeants à trouver et proposer des solutions. » nous rapporte Youri Antoinette, syndicaliste UTG-CGT sur la base. Pour ce dernier, le contrat passé avec Amazon est une bonne nouvelle.

Il s’inquiète néanmoins de la gestion de cette période de transition. En effet, le lancement de la constellation Kuiper d’Amazon doit débuter en 2024 à bord d’Ariane 6. Il y a donc un trou de deux ans à combler. Cette transition devait se faire grâce au lanceur russe Soyouz, basé en Guyane depuis 2011. Cependant, la guerre en Ukraine a eu pour conséquence l’arrêt des coopérations entre l’ESA et Roscosmos. L’UE n’a par conséquent pas de lanceur de substitution. Dans l’intervalle, la production d’Ariane 5 est stoppée et le programme Ariane 6 a pris du retard. De plus, L’arrêt de Soyouz signe la disparition de 50 emplois équivalent temps plein sur la base.

La souveraineté spatiale de la France est donc mise à mal de toute part. Son rôle moteur au sein de l’UE est remis en cause par l’Allemagne, dont les ambitions hégémoniques s’affirment de plus en plus. Pendant ce temps, en dehors de l’UE les puissances spatiales poursuivent leur affrontement pour la primauté scientifique, industrielle et/ou commerciale. Force est de constater, qu’à ce jour, la France, prise dans le dédale de ses contradictions et de l’UE, semble ne plus avoir les capacités de tisser le fil d’Ariane d’une nouvelle ambition spatiale.

Hyperloop : les paradoxes d’une « révolution »

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Elon Musk, CEO of SpaceX and Tesla © Daniel Oberhaus (2018)

En 2013, l’iconoclaste patron de Tesla, Elon Musk, présente son idée du train du futur : l’Hyperloop. Il donne au monde les premières ébauches de ses travaux rassemblant quelques croquis, graphiques et études techniques. Cette nouvelle technologie « révolutionnaire » devrait permettre de se rendre de Paris à Marseille en moins d’une heure. Il est néanmoins nécessaire de questionner l’utilité politique et environnementale d’une telle avancée technique, ainsi que son modèle économique.


LA CONCURRENCE COMME MOTEUR

« Quand je l’explique à mes enfants, je leur dis simplement que c’est “un train, très, très rapide”, pour ne pas dire supersonique, qui est “très très propre” et qui va relier toutes les villes du monde. » explique Dirk Ahlborn, patron d’Hyperloop Transportation Technology.

Elon Musk invite le monde à s’approprier ses premières ébauches d’études, qu’il rend libre de droits sous format open source, dans un document de 57 pages, en arguant qu’il n’a pas le temps de s’en occuper lui même. Mais développer cette technologie est évidemment extrêmement coûteux et l’open source de Musk se transforme rapidement en mise en concurrence du peu de start-up capables de lever les fonds nécessaires. Quelques entreprises se battent aux quatre coins de la planète pour être la première à mettre au point l’Hyperloop. Deux ont investi récemment en France : Hyperloop TransPod à Limoges et Hyperloop Transportation Technology à Toulouse. Ce n’est donc ni SpaceX ni Tesla, ou une autre compagnie géante du monde technologique, qui mène cette recherche, mais bien de petits acteurs frontalement concurrents. Les recherches sont en cours, ponctuées de coups de communication et de secrets industriels.

https://www.spacex.com/sites/spacex/files/hyperloop_alpha.pdf
Croquis original de l’Hyperloop imaginé par Musk © SpaceX

À Toulouse on annonce régulièrement avoir « achevé les pistes d’essais », être en train de « procéder aux premiers tests » et même avoir « pris le temps de concevoir et de construire un système commercialement viable » pour cette première ligne-test actuellement en fin de construction, selon le PDG d’Hyperloop TT. Hyperloop TransPod se targue d’avoir obtenu les permis de construire à Limoges, entre deux visites à l’étranger, notamment en Thaïlande où Sébastien Gendron, le PDG, « a rencontré celui qui est pressenti pour devenir le prochain Premier ministre et qui souhaite créer une ligne Hyperloop entre Phuket, Bangkok et Chiang Mai », selon la presse. Les affaires marchent, les projets se multiplient et la science avance, mais la concurrence fait rage.

Cette technologie, qui doit révolutionner le monde du transport et changer le quotidien de millions de personnes selon ses promoteurs, se trouve donc au centre d’une guerre économique sans merci. Plutôt que de coopérer, les petits acteurs isolés sont incités à dépasser leurs concurrents le plus tôt possible, faute de quoi ils mettront la clé sous la porte. Cette situation n’étonne plus grand monde aujourd’hui, mais force est de constater qu’elle contraste fortement avec la précédente innovation en termes de transport à grande vitesse : le développement du TGV Français dans les années 70, conduit sur instruction du gouvernement, par une entreprise publique.

Elon Musk, loin d’avoir oublié cette histoire, en est le premier bénéficiaire : ses milliards lui permettent de racheter au prix fort la première startup capable de propulser son train à plus de 1000 km/h. Et même si ces entreprises déposent au fur et à mesure de leurs recherches différents brevets commercialisables, mieux vaut ne pas décevoir les investisseurs, notamment la SNCF ou General Electric dans le cas d’Hyperloop One, troisième startup dans la course.

Les territoires risquent d’être les grands perdants de la course à l’Hyperloop.

Même la gestion interne de cette innovation est 2.0. Comme le révèlent les Echos au sujet de l’implantation des bureaux de recherche d’Hyperloop TT à Toulouse : « le centre de R&D n’emploie encore que 10 salariés, au lieu des 25 prévus. Il fait aussi travailler une dizaine de personnes d’autres entreprises car la jeune pousse américaine a un modèle particulier : elle n’emploie que 60 salariés mais mobilise 800 personnes rémunérées en stock-options. » La rémunération en stock-options (c’est à dire en parts de l’entreprise) est un autre moyen de pousser ses associés à donner le meilleur d’eux même sur le champ de bataille économique. Si Hyperloop TT gagne la course, ces 800 personnes s’enrichiront considérablement, proportionnellement à la valeur de l’entreprise qu’ils auront contribué à créer. À l’inverse, les parts des entreprises perdantes risquent de ne pas valoir grand chose.

Certes, ces entreprises perdantes trouveront à n’en pas douter une pirouette économique pour revendre ou ré-exploiter les recherches engagées. Le gâteau mondial du déploiement de cette technologie semble si énorme qu’elles pourraient même retourner la situation et s’arranger entre elles pour se le partager. À l’inverse les territoires risquent d’être eux, les grands perdants de la course à l’Hyperloop.

LES POUVOIRS PUBLICS ET LE SOLUTIONNISME TECHNOLOGIQUE

L’imaginaire collectif valorise le progrès, la vitesse et l’innovation. Voilà en partie pourquoi ce projet est plébiscité partout et distille sa dose de rêve autant chez les enfants que dans les bureaux des métropoles, régions et autres collectivités territoriales. Vincent Léonie, président de l’association Hyperloop Limoges et adjoint au Maire de la ville déclare : « La Silicon Valley, au départ il n’y avait rien, et nous sommes sur le même principe. Aujourd’hui, à Limoges, les terrains sont disponibles et bon marché, nous avons de l’intelligence avec notre université. Nous défendons le désenclavement par notre intelligence pour montrer ce que l’on est capable de faire. Imaginez un Francfort-Paris-Limoges-Barcelone ! » À Châteauroux, à qui Hyperloop TransPod a promis une future ligne reliant Paris en 20 minutes, on chante également les louanges de la technologie. La Métropole a rejoint en mars cette association Hyperloop Limoges. « Nous ne voulons pas passer à côté de quelque chose qui peut être une opportunité pour le territoire », affirme Gil Avérous, président de Châteauroux Métropole.

Les métropoles françaises sont loin d’être les seules à s’associer à ces startup et à entrer indirectement dans cette course concurrentielle à l’innovation. Hyperloop TT a su gagner le cœur de l’Europe de l’Est en signant un accord avec les autorités slovaques pour étudier la faisabilité d’une liaison des trois capitales Vienne, Bratislava et Budapest, ainsi que des deux plus grandes villes de Slovaquie, Bratislava à l’Ouest et Kosice à l’Est. Chacun y trouve les avantages qu’il veut bien y voir, Vazil Hudak, ministre de l’Économie de la République slovaque estime que « La construction de l’hyperloop dans notre région d’Europe Centrale permettrait de réduire sensiblement les distances entre nos agglomérations ». Et des dires de l’entreprise : « Il est maintenant crucial pour nous de collaborer avec des gouvernements autour du monde. »

C’est également dans cette optique qu’un projet est en cours chez Hyperloop TT pour relier Abou Dhabi à Dubaï. Hyperloop One se concentre quant à lui sur les Etats-Unis et travaille à relier Los Angeles à San Francisco pendant que le Canadien TransPod tente de relier Toronto à Windsor, dans l’Ontario.

Les élus écologistes de la région Nouvelle Aquitaine, qui s’opposent aux Hyperloop, indiquent dans un communiqué en 2018 que : « Les promoteurs du projet Hyperloop exercent un lobbying intense auprès des collectivités et des médias. » À n’en pas douter ces promoteurs défendent leurs projets et tentent de convaincre les élus de son utilité. Sa facilité d’implantation s’explique donc par des efforts de lobbying mais aussi et surtout par une foi inébranlable de l’imaginaire collectif en un progrès forcément bénéfique, car relevant d’une innovation technologique.

Seul compte le dynamisme économique et le rayonnement territorial ; peu importe l’utilité sociale réelle de ces innovations et les conséquences environnementales néfastes.

Le solutionnisme technologique, c’est l’idée développée notamment par Evgeny Morozov et promulguée par la Silicon Valley, selon laquelle Internet, l’innovation et le progrès technique apporteront toutes les réponses aux problèmes sociétaux. Cette idée transparaît dans toutes les prises de paroles grandiloquentes autour de cette nouvelle technologie. Selon Morozov, qui déconstruit régulièrement l’enthousiasme autour des promesses techniques, ce solutionnisme a un problème fondamental : il construit un Silicon Paradise en répondant le plus souvent à des problématiques erronées. « Ce qui pose problème n’est pas les solutions qu’ils proposent, mais plutôt leur définition même de la question », dit-il. Pourquoi une telle vitesse ? Quel intérêt la majeure partie de la population aura-t-elle à voir se construire des lignes reliant Marseille à Paris en moins d’une heure ? Face à la catastrophe environnementale annoncée, la vitesse est-elle réellement plus intéressante que la transition écologique ?

Mais « les plus grands industriels viennent réussir ici, (…) Toulouse Métropole confirme avec éclat son statut de territoire des transports de demain », affirme Jean-Luc Moudenc, Maire de Toulouse au lendemain de la signature de contrat avec Hyperloop TT en 2017. Seul compte le dynamisme économique et le rayonnement territorial ; peu importe l’utilité sociale réelle de ces innovations et les conséquences environnementales néfastes.

CACHER UNE FAISABILITÉ ET UNE UTILITÉ DISCUTABLE

Si les entreprises engagées dans cette course trouveront probablement, comme évoqué précédemment, des issus de secours en cas de panne des projets Hyperloop, il n’en sera probablement pas de même pour les collectivités qui auront largement subventionné des projets disparus, qui se retrouveront potentiellement avec des infrastructures inutiles sur leur territoires, et qui risquent gros avec le départ de ces startup. À Toulouse par exemple, Hyperloop TT fut accueilli en grande pompe et se trouve aujourd’hui au cœur d’une nouvelle zone d’innovation centrée sur les transports de demain, au sein de laquelle lui ont été cédée de larges terrains. Si son arrivée fut bénéfique pour l’image et l’attractivité territoriale de la ville et de cette nouvelle zone de Francazal, son départ en cas de rachat ou de faillite pourrait être à l’inverse très négatif et déconstruire un processus en cours de polarisation territoriale de l’innovation.

Car il faut bien le dire, les critiques pleuvent à l’égard des projets Hyperloop. D’abord, le format startup pose la question de l’inscription de ces entreprises dans le temps. Elles donnent l’impression de vouloir s’insérer durablement sur les territoires où elles s’installent, pourtant les start-up qui marchent sont souvent rachetées par les géants de la tech. Le format de ce marché pousse à croire qu’une fois la technologie maîtrisée, SpaceX (où un autre géant) sera prêt à débourser des millions pour racheter l’heureuse élue. Si cette élue est Hyperloop TT, qu’adviendra-t-il des pistes de tests et des bureaux toulousains ? Musk continuera-t-il ses essais en Europe ou se concentrera-t-il sur son projet initial : une ligne San Francisco – Los Angeles ?

Ces questions surviennent finalement après les principales : cette technologie sera-t-elle un jour maîtrisée ? Est-il réaliste de penser qu’un modèle économique viable émergera de ces expériences ? Aujourd’hui, les entreprises qui se targuent d’avoir réussi leurs premiers tests, notamment Hyperloop One dans le désert du Nevada, n’ont pas encore dépassé les 400 km/h, bien loin donc des plus de 1000 km/h annoncés. Tout en annonçant des commercialisations pour 2020/2021, les startups laissent entendre que de nombreux défis techniques restent à relever.

https://www.spacex.com/sites/spacex/files/hyperloop_alpha.pdf
Carte originale de l’Hyperloop imaginé par Musk reliant Los Angeles à San Francisco © SpaceX

Les inquiétudes des ingénieurs, en externe et en interne, se focalisent sur la sécurité, le freinage, le nombre de capsules, etc. François Lacôte, ingénieur polytechnicien français et ancien directeur technique d’Alstom Transport, publie ainsi en avril 2018 avec l’Association des Lauréats de la Fondation Nationale Entreprise et Performance (Club Pangloss), une étude qui affirme que les défis techniques évoqués sont en fait des impasses techniques. Dans cette étude au titre univoque : « Hyperloop : formidable escroquerie technico-intellectuelle », il évoque les problèmes liés à la vitesse, notamment le fait que « là où les systèmes ferroviaires à grande vitesse actuels permettent un espacement à 3 minutes, soit un débit théorique de 20 trains à l’heure, l’Hyperloop, avec un débit théorique de 10 navettes à l’heure, ne devrait pas pouvoir faire mieux ». Pour lui, la taille des capsules pose également problème puisque selon ses calculs, « le débit théorique du système Hyperloop (1000 passagers par heure) est 20 fois inférieur au débit théorique du système TGV (20 000 passagers par heure). Ce qui est un bilan économique complètement impossible, même avec un coût d’infrastructure proche de celui du système TGV, alors qu’il lui est très largement supérieur. »

Ces considérations techniques posent donc la question du modèle économique d’Hyperloop. Ses promoteurs, notamment E. Musk dès les débuts, ont affirmé que ce mode de transport serait « économique ». En estimant par exemple les coûts de construction des infrastructures à 11,5 millions de dollars du mile (1,6 kilomètre), soit un coût moindre que celui du TGV. Problème : Forbes aurait eu accès à des documents internes d’Hyperloop One estimant le coût de la liaison entre Abou Dhabi et Dubaï à 4,8 milliards de dollars, soit 52 millions de dollars par mile. Ces coûts varient en fait totalement en fonction de la localisation des constructions et sont principalement liés au fait que pour atteindre des vitesses telles, les lignes Hyperloop doivent être totalement rectilignes (bien plus que celle d’un train classique) et nécessitent donc la construction de multiples ponts, tunnels et autres infrastructures extrêmement coûteuses.

« Nous voulons que ce soit un moyen de transport démocratique »

En croisant cette information avec l’idée que les capsules Hyperloop ne pourront contenir qu’un nombre limité de voyageurs et que leur fréquence ne pourra pas être trop importante, comment croire les promesses de Shervin Pishevar, membre fondateur d’Hyperloop One qui assure que l’Hyperloop sera « moins onéreux » pour les usagers « que n’importe quel système existant » ? Surtout quand cette promesse repose sur l’idée que ce faible coût se basera sur le fait que : « Vous n’avez plus de roues en acier qui frottent sur quelque chose. C’est sans contact. Donc vous n’avez pas d’érosion du matériel. » La baisse des coûts de maintenance couvrira-t-elle réellement l’ensemble des investissements évoqués plus haut ?

Au vu des données technico-économiques il semble que seul un plan d’investissement massif de la part d’un État pourrait permettre le déploiement d’Hyperloop en dehors des pistes d’essais. Mais se pose alors la question de son utilité sociale et environnementale.

POURQUOI ALLER PLUS VITE ?

Si les intérêts des différents promoteurs sont clairs : le profit grâce à l’innovation et la disruption, la construction de ce profit dépendra probablement de leur capacité à convaincre les acteurs publics de l’intérêt même de leur technologie, de leur capacité à vendre leurs innovations aux seuls acteurs capables de les déployer, ou en tout cas de les aider à la déployer. Mais pourquoi un État investirait-il dans cet accélérationnisme ?

Puisque la vitesse profite aux plus aisés, investir dans cette dernière se fait donc au détriment des plus défavorisés. Le risque est donc de développer un transport fondamentalement inégalitaire sous couvert de révolution du monde des transports.

Certains chercheurs tentent déjà de montrer depuis des années, en questionnant la notion d’intérêt général, les problèmes liés de la multiplication des lignes LGV en France. Julien Milanesi note notamment que « L’observation a malheureusement l’allure de l’évidence, mais plus on est riche et plus on voyage ». Il étaye son analyse par des chiffres de fréquentation montrant finalement que « l’investissement public dans de nouvelles lignes à grande vitesse n’est pas socialement neutre ». Puisque la vitesse profite aux plus aisés, investir dans cette dernière se fait donc au détriment des plus défavorisés. Que penser alors d’un potentiel nouvel investissement dans des lignes qui seront probablement encore plus élitistes ? Aujourd’hui les lignes à grande vitesse existantes profitent statistiquement plus à ceux qui peuvent se permettre de partir en vacances régulièrement ou à ceux qui peuvent se permettre d’habiter à Bordeaux pour travailler à Paris. Le risque est donc de développer un transport fondamentalement inégalitaire sous couvert de révolution du monde des transports. Même le député de la majorité Cédric Villani, dans un rapport daté de 2018, craint que ce nouveau mode de transport crée un « système de transports à deux vitesses […] où les plus rapides sont réservés aux plus riches ». Mais le député LREM conclu son rapport en annonçant que « La France […] doit veiller à développer ses capacités de R&D et d’innovation, publique comme privée, dans ce secteur dont les enjeux de propriété intellectuelle peuvent être importants ». Concurrence internationale oblige, si nous ne développons pas cette technologie, nos voisins le feront à notre place. Les craintes autours de possibles conséquences sociales néfastes sont vite balayées face aux opportunités de croissance.

Pourtant, développer un transport élitiste n’est pas le seul problème. Relier les métropoles ne sera pas sans conséquences pour les territoires ruraux exclus de ces avancées techniques. Si les TGV peuvent utiliser les petites gares, les projets Hyperloop souhaitent relier les grandes villes en oubliant totalement les périphéries. Pour établir à nouveau une comparaison avec les LGV, Milanesi montre que la croissance et le dynamisme économique promis aux collectivités investissant dans le développement de ces lignes se construit au détriment des autres territoires. L’activité promise ne se crée pas avec l’arrivée d’une LGV, elle se déplace plutôt des périphéries vers les centres urbains. La fracture territoriale existante risque donc encore de s’alourdir. « Vouloir relier deux grandes villes au détriment des transports de proximité, c’est tuer les villes moyennes », affirment les élus écologistes.

https://en.wikipedia.org/wiki/N700_Series_Shinkansen#/media/File:Line_scan_photo_of_Shinkansen_N700A_Series_Set_G13_in_2017,_car_02.png
The Shinkansen N700A Series Set G13 high speed train travelling at approximately 300 km/h through Himeji Station © Dllu

Mais la nécessaire évolution de nos modes de déplacement vers des moyens de transport propres ne justifie-t-elle pas les problèmes évoqués jusqu’à présent ? Car c’est la grande promesse des Hyperloop : « Faster, Cheaper, Cleaner » ; un train « très très propre ». Cette technologie se trouve en fait dans une sorte de flou permanent, que ses promoteurs entretiennent largement. Elle serait un nouveau moyen de transport entre le train et le métro, avec, grâce à sa vitesse, l’objectif de remplacer l’avion, moyen de transport le plus coûteux en émissions.

Le premier problème se situe dès le début, au niveau de ce flou. Hyperloop veut établir un report modal des usagers de l’avion, mais aussi de ceux du train voulant se déplacer plus vite, tout en développant une technologie à faible capacité d’accueil, ne pouvant évidemment pas traverser les Océans. Il paraît donc étonnant de penser qu’elle pourra un jour, même déployée à son maximum, supplanter l’aéronautique. D’autant que l’aéronautique reste un secteur industriel majeur qui trouvera les moyens de se distinguer pour survivre, par exemple en développant de nouveaux avions supersoniques extrêmement polluants. Hyperloop risque donc de créer un nouveau besoin, un nouveau marché, de nouveaux débouchés, de nouvelles possibilités de croissance ; mais ne sauvera pas la planète. Au contraire, cette technologie semble avoir un impact très négatif sur notre environnement.

On imagine le coût écologique entraîné par le va-et-vient de tous ces camions, coulant le béton tous les 25 mètres pour construire les pylônes nécessaires à la création des lignes .

Les promesses initiales sont tout de même à prendre en compte. Des panneaux solaires pourraient être installés sur les tubes pour permettre une autosuffisance relative, voire un excédent de production électrique. Un moyen de transport autosuffisant semble effectivement très intéressant écologiquement. D’autant que la pollution sonore sera inexistante grâce aux tubes, qui permettent aussi d’éviter les accidents, notamment avec les animaux traversant les voies. Mais se pose à nouveau le problème fondamental de la construction des infrastructures. Nous l’avons évoqué, la nécessaire linéarité des voies risque de conduire à des coûts financiers astronomiques, qui se transformeront en coûts environnementaux. Ce transport écologique en ligne droite devra, pour atteindre les vitesses espérées, fendre les montagnes, traverser des zones protégées, déboiser des forêts, passer au dessus des exploitations agricoles… Et même si TransPod affirme que pour la ligne Le Havre-Paris « les agriculteurs pourront cultiver leurs champs sous les lignes », on imagine aisément les expropriations nécessaires, les destructions d’espaces naturels, et surtout, le coût écologique entraîné par le va-et-vient de tous ces camions, coulant le béton tous les 25 mètres pour construire les pylônes nécessaires à la création des lignes.

Le doute s’installe donc quand à l’utilité économique, sociale et environnementale d’une telle innovation révolutionnaire et disruptive. Greenwashing ou réelle volonté d’apporter un renouveau écologique au monde du transport, largement responsable d’une part importante des émissions ? Le doute s’installe à nouveau lorsque l’on sait que parmi les principaux intéressés par le déploiement de cette technologie se trouve Amazon, grand défenseur s’il en est de la cause écologique, qui aimerait livrer ses colis toujours plus rapidement.

Cette histoire montre en tout cas comment, toujours aujourd’hui, face au désastre environnemental annoncé, notre système économique favorise l’innovation, source de croissance, plutôt que la recherche de solutions réelles. Un mode de transport autosuffisant semble être une bonne idée, mais comme le disent les élus écologistes de la Nouvelle Aquitaine : « Sans faire beaucoup de calculs, si on couvrait la voie SNCF d’un nombre suffisant de panneaux photovoltaïques, on pourrait arriver aux mêmes résultats. »