Les Etats Généraux de l’Alimentation : vite fait, mal fait ?

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Les Etats généraux de l’alimentation se terminent, déjà. L’occasion de dresser un premier bilan sur le fond mais surtout sur la forme prise par une consultation voulue par Emmanuel Macron et par le ministre de l’agriculture Stéphane Travert. Alors qu’on aurait dû assister à un véritable moment de démocratie alimentaire, les délais serrés et l’opacité de la consultation citoyenne n’ont pas permis d’inclure véritablement les citoyens dans le débat. En revanche, les défenseurs d’une agriculture industrielle et les représentants de la grande distribution se sont taillés la part du lion.

Le 20 juillet dernier, le Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Stéphane Travert, lançait les Etats Généraux de l’Alimentation (EGA). Promesse de campagne du Président Macron, les EGA ont rassemblé les différents acteurs de l’agriculture et de l’alimentation afin de « trouver les voies d’avenir de l’agriculture française, de son secteur agroalimentaire, de celui de la pêche ». Le Ministre ajoutait « Nous avons l’agriculture la plus belle et la plus performante du monde », une manière d’encourager les troupes et surtout de satisfaire notre côté narcissique. Après cinq mois de travail, il est déjà l’heure pour le Premier Ministre Edouard Philippe de conclure ces EGA, le 21 décembre, et d’en dresser un premier bilan bien qu’il précise que « ces Etats généraux ne sont évidemment pas un aboutissement, mais un commencement ».

Attendus par de nombreux acteurs du secteur et par un grand nombre de citoyens, ces EGA apparaissaient comme le lieu rêvé pour discuter avec sérénité d’une question de société éminemment importante : Que voulons-nous manger ? Les EGA devaient enfin permettre de dessiner un modèle agricole, et à travers lui un modèle de société, partagé et ambitieux, prenant véritablement en compte les impacts sociaux et environnementaux. Les Français devaient être étroitement associés à son élaboration, notamment par l’intermédiaire d’une consultation citoyenne via une plateforme numérique permettant de collecter leurs propositions et de débattre. Alors que les EGA s’achèvent, que dire de ce grand moment de démocratie fondée sur l’échange et la co-construction ?

Devant l’engouement de certains qui pensaient que les politiques agricoles allaient enfin sortir du pré carré des acteurs du monde agricole, les participants aux EGA de 2000 ne manquaient pas de rappeler leur expérience. Si les EGA de 2000 avaient débouché sur certaines mesures concrètes, ils avaient surtout été un lieu d’« expertocratie » où les citoyens associés ne pouvaient influencer quoi que ce soit et étaient avant tout là pour écouter et se faire convaincre. Il s’agissait d’être vigilant pour que les mêmes erreurs ne se reproduisent pas. Mais alors, comment cela s’est-il passé concrètement en 2017 ?

Une consultation pour le moins opaque

La consultation citoyenne, qui s’est déroulée du 20 juillet au 20 octobre, constituait le principal vecteur de la parole citoyenne. Pour le Ministre de l’Agriculture, « il s’agit d’un exercice de démocratie participative inédit au service d’un projet collectif autour de l’alimentation ». Chaque participant pouvait formuler plusieurs propositions ainsi que voter et commenter les propositions des autres. La plateforme a recueilli 150 000 visites, 18 000 participants et 163 000 votes, ce qui peut paraître beaucoup mais ne représente en réalité qu’un nombre infime de Français. La plateforme était divisée en 14 rubriques représentants les 14 ateliers et chaque rubrique a reçu plusieurs centaines de propositions, plus ou moins abouties et fondées. Evidemment aucune information sur la manière dont les propositions allaient être traitées et considérées n’a été donnée. Chaque participant pouvait voter pour dire avec quelles propositions il était en accord ou en désaccord mais pour accéder aux propositions les plus lointaines il fallait faire défiler plusieurs dizaines de pages de propositions, aucune chance pour ces propositions éloignées de recevoir des votes…

Ceci est d’autant plus frustrant que les propositions formulées par la puissance publique sous l’étiquette « Etats généraux de l’alimentation » étaient épinglées en haut de page et ont par conséquent reçu un nombre de vote plus élevé. Nous ajouterons que lors des Journées du patrimoine, les visiteurs du Ministère de l’Agriculture étaient invités dès leur entrée à rejoindre une salle informatique pour créer un compte sur la plateforme et donner leur avis. Légèrement forcé, un certain nombre de visiteurs a accepté de participer et s’est retrouvé à voter rapidement pour deux ou trois propositions sur lesquelles il n’avait pas pris le temps de réfléchir avant de reprendre le cours de leur visite. Nous dirons que si cette consultation semblait une bonne idée, elle a surtout servi de caution pour des EGA une nouvelle fois trop peu démocratiques et participatifs.

Des ateliers dont l’animation ne permet aucun changement profond

Les ateliers se sont déroulés en deux phases, d’abord ceux traitant de la création et la répartition de la valeur ajoutée, puis ceux traitant d’une alimentation saine, sûre, durable et accessible à tous. Chaque atelier était composé d’une diversité d’acteurs, pas trop nombreux, censés représenter l’ensemble des organismes concernés par la thématique. Obtenir une accréditation relevait du parcours du combattant et les réunions des ateliers étaient fermées au grand public et aux chercheurs. Les délais n’ont pas permis aux participants des ateliers de se réunir plus de trois fois alors qu’il fallait arriver à des compromis entre acteurs aux enjeux divers sur des sujets importants. De plus, certaines présidences d’atelier ont fait beaucoup parler, comme celle de l’atelier 5, sur des prix rémunérateurs pour les producteurs, confiée à Serge Papin (PDG de Système U) et François Eyraud (DG de “Produits frais Danone”).

L’atelier le plus caricatural pour illustrer nos propos est sans doute l’atelier 12. Celui-ci portait sur la place de la France dans la lutte contre l’insécurité alimentaire au niveau international. Un sujet d’autant plus important qu’aujourd’hui encore 815 millions de personnes se trouvent en situation d’insécurité alimentaire et nutritionnelle. L’atelier 12 était le seul à traiter de cette problématique mais surtout une seule journée d’échange a été prévue (le 20 octobre). Autour de la table aucun représentant de la société civile des pays en développement mais plutôt des représentants de fondations (Fondation Avril, Fondation Crédit agricole). Les organisations de solidarité internationale (Oxfam France, Action Contre la Faim, Secours Catholique Caritas France et Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières) étaient elles aussi présentes mais ont rapidement quitté la table. Devant le manque d’ambition de l’ordre du jour et le refus de la France de se poser les vraies questions concernant l’action de certaines de ces entreprises sur la sécurité alimentaire mondiale et sur la cohérence de ses politiques avec le respect du droit à l’alimentation pour tous, les ONG ont préféré ne pas apporter leur caution aux échanges.

Certaines avancées sont intéressantes, notamment sur l’atelier 5 (prix rémunérateurs pour les producteurs). Emmanuel Macron, dans son discours du 11 octobre à Rungis, affirme la « mise en place d’une contractualisation rénovée avec un contrat qui serait proposé par les agriculteurs et non plus par les acheteurs », il souhaite que ce contrat soit « pluriannuel sur 3 à 5 ans » et encourage les agriculteurs à se regrouper « beaucoup plus rapidement et beaucoup plus massivement » pour augmenter leur pouvoir de négociation. Le Président s’engage également à réserver 5 milliards d’euros du Grand plan d’investissement pour un plan d’investissement agricole. Pour le reste les mesures sont beaucoup moins concrètes. Lors du discours de clôture, Edouard Philippe parle de « 50% de produits bio, locaux ou écologiques en restauration collective » et de 15% de la surface agricole utile en bio d’ici la fin du quinquennat. Toutefois, il ajoute que la faisabilité de ces mesures reste à étudier donc elles restent hypothétiques à ce jour. Si sur certains points les réflexions débouchent sur des propositions concrètes et intéressantes qui vont être portées par le gouvernement, globalement c’est loin d’être suffisant.

Des EGA conclus dans la précipitation

La loi qui fera suite aux EGA sera présentée très prochainement et le Président ajoute même que « cette loi pourra prendre la forme d’ordonnances pour aller plus vite et avoir une promulgation complète au plus tard à la fin du 1er trimestre 2018 ». Pas le temps pour des réflexions plus poussées, il y a urgence !

Dès lors, comment inciter, encourager et renforcer la participation des citoyens à la construction des politiques publiques alors que chaque démarche participative semble leur dire « Dites nous ce que vous souhaitez et nous ferons ce qui nous arrange » ? Comment remplacer une approche technocratique et lobbyiste par une approche de bon sens basée sur les volontés citoyennes et des arguments objectifs ? La réponse à ces questions n’est pas évidente mais on peut dire sans trop se tromper que ce n’est pas dans la précipitation que nous y arriverons. Il faut prendre davantage de temps pour associer véritablement les citoyens à ces réflexions censées participer à l’élaboration d’un nouveau modèle de société.

Ce sont les mêmes questions qui se posent pour l’élaboration de la Politique Agricole Communes (PAC) à l’échelle européenne, révisée tous les 7 ans environ. Les négociations de la future PAC sont en cours et une consultation citoyenne a été organisée au cours du 1er semestre 2017. En plus de ne pas savoir comment les propositions des citoyens européens vont être considérées, les questions étaient techniques et peu appropriables par des personnes non spécialistes des problématiques et politiques agricoles. La Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA, syndicat agricole majoritaire en France) a même jugé bon d’appeler son réseau à répondre massivement à la consultation pour contrer la participation des ONG (dans le strict intérêt des agriculteurs, évidemment). Le syndicat proposait même un guide de réponse et encourageait les fédérations départementales à répondre à la place de leurs membres. Pour la suite, lorsqu’on connaît les positions de nos voisins européens sur les questions agricoles et alimentaires et que l’on sait que la PAC nécessite le consensus, il y a fort à parier que ce n’est pas de là que viendra une « révolution » du modèle de production et de distribution des denrées agricoles en faveur d’une véritable souveraineté alimentaire.

Les citoyens doivent reprendre confiance en eux, se réapproprier ce champ d’expertise (agriculture et alimentation) et libérer leur inspiration afin de penser le modèle agricole et alimentaire de demain. Dans le même temps, la puissance publique doit réapprendre à mettre en œuvre une véritable démocratie en donnant aux citoyens les moyens et le temps de saisir les enjeux du débat et de se positionner avant de prendre en compte leurs propositions dans la mise en œuvre des politiques.

Sources : 

Discours de Stéphane Travert, 20 juillet 2017 : http://agriculture.gouv.fr/egalim-discours-de-lancement-des-etats-generaux-de-lalimentation

Liste des présidences d’atelier, 3 août 2017 : http://agriculture.gouv.fr/egalim-presidence-des-ateliers-des-etats-generaux-de-lalimentation

Discours d’Emmanuel Macron, 11 octobre 2017 : http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-du-president-de-la-republique-aux-etats-generaux-de-l-alimentation/

Communiqué de presse d’Agter, 20 octobre 2017 : http://agriculture.gouv.fr/egalim-discours-de-conclusion-du-premier-ministre-edouard-philippe

Discours d’Edouard Philippe, 21 décembre 2017 : http://www.agter.asso.fr/spip.php?page=article&id_article=1425

Article Euractiv, 14 avril 2017 : https://www.euractiv.fr/section/agriculture-alimentation/news/french-farmers-union-puts-post-2020-cap-consultation-at-risk/

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