Survivre d’amour et d’eau froide : la solidarité dans un squat de sans papiers

Pour certains, ne pas chercher un endroit où dormir chaque soir est un privilège. C’est le cas des migrants du squat de la Poterie, à Rennes. Les cultures et les langues sont diverses, parfois les esprits s’échauffent et ne se comprennent pas. Mais souvent, les amitiés se lient.

Kati a de la chance. Pourtant elle vit dans un studio de quinze m2 sans eau chaude ni chauffage avec ses deux filles. Un grand matelas par terre et un lit mangent la moitié de la pièce, un écran de télé démesuré avale le reste. Tout respire le provisoire et la récupération. Aucune photo, seulement des peluches et quelques jouets pour Raphina, sa grande fille de 3 ans et demi, qui voudrait devenir princesse. Gabriella, même pas un mois, dort sur le lit à côté de sa maman. Au moins pour quelques temps, elles ont un chez elles.

« Pour le ménage, les hommes sont plus au rendez-vous que les femmes »

Leur foyer, c’est le squat de l’association Un Toit, c’est un droit, où vivent 160 migrants, dans 2400 m2 de couloirs. Ils occupent cette ancienne maison de retraite depuis juin, après que la justice leur ait accordé le droit d’investir les lieux pour six mois. Kati y est arrivée en août. On se perdrait dans ces couloirs identiques et sans fin. « Là, c’est l’aile des familles, d’abord le quartier des femmes africaines, puis celui des Tchéchènes, explique la jeune Congolaise d’une voix fatiguée. Et à gauche, c’est le couloir des célibataires, c’est le bazar. » En effet, si les familles ont leur linge bien aligné en train de sécher, les autres font comme ils peuvent : les dos de chaises sont réquisitionnés, des morceaux de plastique jonchent le sol. Le jardin est quasiment vide, comme un champ de bataille après la lutte… « Mais là s’arrêtent les clichés, précise Joëlle, institutrice à la retraite bénévole depuis la création de l’association en 2012. Pour le ménage, les hommes sont plus au rendez-vous que les femmes. Tous les vendredis, à 17h55 ils m’attendent pour que je leur donne les balais et serpillières, alors qu’il faut courir après les femmes. »

Une vraie solidarité se tisse entre les occupants du squat

Faire vivre ensemble des Afghans, des Mongols, des Tchétchènes,… Autant de langues et de cultures différentes peut être un vrai casse-tête : récemment, des jeunes du foyer et de l’extérieur, se sont battus sur le parking. L’un d’entre eux a sorti un couteau. Les bagarres sont fréquentes, mais l’association se montre très stricte envers la violence, et peut décider de les exclure. Tous les habitants ne respectent pas non plus le planning nettoyage affiché dans le hall. Mais une réelle solidarité existe. « Ce squat, c’est mon petit miracle » murmure Kati en jouant avec ses cheveux tressés. Avant c’était le 115, l’hébergement d’urgence voire la nuit dehors. Enceinte de 8 mois, avec sa première fille Raphina, ça devenait une vraie galère. « Les autres femmes africaines m’ont beaucoup aidée. On se soutient beaucoup ici. » Elle ne comprend toujours pas pourquoi elle a eu le privilège d’être accueillie. La liste d’attente est plus longue que le plus long des couloirs du squat. « Il y a environ 200 migrants qui cherchent chaque jour un lit pour le soir… » lâche Joëlle dans un soupir. Mais tous apportent leur pierre à l’édifice comme ils peuvent : Kati cuisine, chauffe de l’eau pour que les autres puissent au moins se laver.

Flavien, l’ancien SDF devenu bénévole

L’entraide, Flavien l’a connue aussi. Jeune bénévole de 26 ans et véritable loup blanc de l’association, il était à la rue lui aussi. Il a été sauvé par le squat, mais c’est un cas rare : « l’association n’est pas seulement pour les étrangers, mais il n’y a pas de famille française à la rue à Rennes, explique Joëlle. Des hommes célibataires, oui. Mais c’est un public très particulier. Il y a beaucoup plus de problèmes de drogue, d’alcoolisme… » Lors de son arrivée au squat, Flavien était accompagné par un autre SDF de 60 ans. Il a replongé peu de temps après. Flavien est resté : « J’étais vraiment au fond du trou. Je mangeais plus, je vivais plus. Si je m’en suis sorti, c’est que j’ai trouvé ici la famille qui me manquait. Tous les jours les femmes cuisinaient pour moi, on venait frapper à ma porte. » Et peu à peu, le jeune homme aux joues creusées est sorti de sa léthargie. Aujourd’hui, il vit dans un appartement minuscule, où il trouve la place d’héberger ses deux chats et un Afghan : « Faut que je fasse gaffe d’ailleurs. Il mange rien. Pour le moment, il est bien mais il va pas tenir longtemps s’il continue comme ça. Je mange pas beaucoup, et seulement des chips, mais moi au moins, je mange ! »

Par Roxane Grolleau