Face au stress hydrique, l’impératif de la planification écologique

Cultures asséchées. © Md. Hasanuzzaman Himel

Les météorologues sont unanimes : la sécheresse généralisée de l’été 2022 n’est malheureusement qu’un début. Alors que cette ressource indispensable à la vie vient à manquer, le gouvernement se contente d’interdictions préfectorales temporaires plutôt que de transformations en profondeur de notre mode de vie. Si la tarification progressive des consommateurs a certaines vertus, elle ne peut être suffisante : une refonte totale des usages de l’eau, notamment en matière d’agriculture, doit être engagée. Une transformation qui ne pourra passer que par l’action d’un État fort et déterminé.

Le confort moderne nous a assoupi dans l’illusion d’une prospérité infinie. Pour la première fois dans son histoire moderne, la France fait l’expérience, à une échelle massive, de la finitude de ses ressources hydriques, comme en témoignent les camions-citernes qui ont alimenté en cet été 2022 plus de 100 villages aux sources asséchées. C’est ainsi qu’après des siècles d’efforts pour dompter l’eau, la canaliser, la distribuer, l’assainir, nous évitant choléra et typhus, et nous permettant essor agricole, énergétique et industriel, il nous faut totalement réformer notre rapport à « l’or bleu ». Elle n’est ni un dû, ni une marchandise, mais bien une ressource précieuse mise en péril tant par nos niveaux de vie, que par la démographie et le dérèglement climatique.

Et la France, contrairement à ce que laissent présager la diversité de ses fleuves et son climat tempéré, n’est pas à l’abri : en fin de siècle, les prévisions de pluviométrie en été devraient être en baisse de 10 à 20% selon Météo-France ; dans le même temps, le GIEC alerte sur un pourtour méditerranéen qui risque d’être le point de la planète le plus affecté par le réchauffement climatique. L’heure n’est pourtant pas au désespoir mais bien à l’action, une action qui malheureusement tarde à venir et qui semble, encore et toujours, prise au piège de l’impuissance publique.

La tarification progressive de l’eau : une solution en demi-teinte

Revendiquée par la NUPES, la tarification progressive de l’eau est la solution qui a le vent en poupe dans l’hémicycle français. Elle consiste en une manière de réguler les usages individuels à travers la mise en place d’un tarif différencié en fonction de la quantité de mètres cubes consommés par ménage. Si une telle mesure a eu des effets à Dunkerque, provoquant une baisse de 9% de la consommation d’eau, le dispositif est encore largement insatisfaisant. Sans mesure de pondération en fonction de la taille du ménage, les familles nombreuses, qui sont aussi souvent les plus modestes, sont directement défavorisées. Par ailleurs, le risque d’un usage de la taxe à des fins d’assainissement des finances publiques plutôt qu’à la rénovation du réseau de canalisation est bien présent et attesté par l’excédent de recettes provoqué par l’expérience dunkerquoise.

La question hydraulique n’est pas l’apanage de comportements individuels, de simples arbitrages microéconomiques à réguler, mais d’un problème plus structurel, soit d’un système entier fondé sur l’illusion de l’abondance.

Mais le principal défaut de ce projet est bien plutôt le paradigme libéral dans lequel il s’inscrit. Il révèle l’incapacité à comprendre que la question hydraulique n’est pas l’apanage de comportements individuels, de simples arbitrages microéconomiques à réguler, mais d’un problème plus structurel, soit d’un système entier fondé sur l’illusion de l’abondance. Pénaliser le « gros consommateur » ne réglera pas les sécheresses qui sévissent en France. Cette solution à la marge, à l’image des marginalistes, théoriciens de la microéconomie, recèle d’une incapacité à penser hors du marché : selon cette école de pensée, il faut contraindre la demande pour préserver l’offre, c’est-à-dire pénaliser les consommateurs irresponsables. Tous les consommateurs ? Apparemment pas, puisque la consommation d’eau d’un golfeur pour sa pratique dépasse sa consommation annuelle ordinaire, les terrains continuant d’être arrosés en pleine sécheresse. Les canons à neige, qui se sont multipliés sur nos massifs depuis une décennie, en sont un autre exemple.

Déléguer pour mieux abandonner

À l’inverse, quand la solution est ambitieuse, mais surtout plus coûteuse, les parlementaires et politiques sont moins prompts à la brandir. Intendants des comptes publics, ils n’osent ébranler le carcan budgétaire alors qu’apparaît avec force le sous-investissement public chronique du réseau d’eau français. Chaque année, ce sont 20% de la consommation d’eau potable que nous perdons du fait des fuites. Et à l’image de notre parc nucléaire vieillissant, près « de 40% des réseaux d’eau potable ont plus de 50 ans », alors que la durée de vie moyenne de ces canalisations est entre 60 et 80 ans. Selon une mission d’information parlementaire, nous ferions face à « un mur d’investissement », obstacle qui n’existe que parce qu’ils se refusent à le franchir, les obligeant alors à quémander des fonds publics en provenance des « fonds structurels européens ». Belle illustration du plus grand danger pour notre résilience écologique : l’inertie politique.

N’importe quel acteur privé ne peut assumer l’exploitation de cette ressource vitale tant l’appât du gain risquerait de nuire aux intérêts les plus fondamentaux de la nation.

Le caractère hautement géostratégique de la question hydraulique, comme son essence de « monopole naturel », font pourtant de l’État l’acteur de référence de sa gestion. N’importe quel acteur privé ne peut assumer l’exploitation de cette ressource vitale tant l’appât du gain risquerait de nuire aux intérêts les plus fondamentaux de la nation. Or, les exemples des bévues du privé ne manquent pas : à Vittel, les nappes phréatiques souffrent d’une surexploitation de la part de Nestlé Waters menaçant à terme la distribution en eau potable au sein de la ville. Dans la même veine, un rapport de l’observatoire des services publics d’eau et d’assainissement pointe du doigt le caractère plus abordable de l’eau exploitée en régie plutôt qu’en délégation par des personnes privées. Alors que les deux géants privés de l’eau, Suez et Veolia, sont en train d’achever leur fusion pour constituer un gigantesque monopole, certaines villes ont décidé de remunicipaliser la gestion de leur eau. Pour reprendre le contrôle de la ressource hydraulique l’État a un rôle essentiel à jouer. Encore faut-il qu’il s’en donne les moyens.

Un modèle agroalimentaire à repenser

Cependant, ne considérer la soutenabilité hydraulique qu’à l’aune des besoins en eau potable des Français revient à ignorer la destination de près de la moitié de la consommation d’eau : l’agriculture. En proie au libre-échange mondialisé et donc soumise à une concurrence économique toujours plus rude, l’agriculture a de plus en plus recours à l’irrigation afin d’accélérer la croissance de la production. La multiplication des « mégabassines », qui empêchent la recharge des nappes phréatiques et accroissent les effets des sécherresses, est le symptôme le plus préoccupant de cette fuite en avant. C’est ainsi que des cultures entières se retrouvent totalement dépendantes et incapables de supporter le moindre stress hydrique ; mais c’est aussi ainsi que nos agriculteurs arrivent encore à joindre les deux bouts dans un marché mondialisé sans merci.

Toutes les cultures n’ont cependant pas les mêmes besoins hydriques. Le maïs arrive sans broncher sur le podium des plantes les plus gourmandes (25% de l’eau consommée en France). La France en est le premier pays producteur d’Europe et il s’agit de la deuxième culture la plus répandue sur notre territoire. Le tout non pas pour nourrir l’homme directement, mais les bêtes d’élevage qui finiront dans nos assiettes. L’agriculture est soumise à une demande qui fait la part belle à la viande au grand dam de nos ressources hydrauliques. Ce régime alimentaire (et plus généralement de consommation) est si hors-sol qu’il nous faut importer près de quatre fois l’eau que nous consommons sur le territoire national. Un tel surrégime, qui épuise tant nos terres, à travers l’usage massif de produits phytosanitaires, que nos eaux, est tout bonnement insoutenable à terme.

Réchauffement climatique et rétablissement du cycle de l’eau : même combat

S’il est impératif de mieux réglementer les usages de l’eau, il l’est aussi de s’attaquer à un phénomène qui accélère sa raréfaction : le réchauffement climatique. Par son action, les hivers sont moins rudes, les glaciers ne se recomposent pas, et les fleuves perdent en débit. En parallèle, la moindre saisonnalité des cycles, avec l’allongement de l’été, renforce les situations extrêmes de sécheresses. Plus grave encore, l’augmentation des températures terrestres accentue le phénomène d’évapotranspiration qui assèche tant l’eau en surface que celles dans les sols. La vapeur d’eau étant un gaz à effet de serre, elle fait donc partie de ces nombreuses rétroactions qui accélèrent encore le réchauffement planétaire. Or, plus la température augmente, plus la vapeur d’eau peut être stockée dans l’atmosphère, plus elle pourra contribuer à réchauffer la terre : la boucle est bouclée.

L’illusion cartésienne de « l’homme maître et possesseur de la nature » doit impérativement laisser place à l’humilité face à nos limites et à leur respect.

Peut-être la dérégulation du cycle de l’eau est-elle ce « cygne noir », inattendu et imprévisible, qui pourtant amplifiera le bouillonnement du climat dans des proportions considérables. A l’aune de toutes ces dynamiques, il n’est pas étonnant de voir fleurir des prévisions enregistrant une baisse de 10 à 25% de la recharge des nappes en France d’ici 2050, ne leur permettant plus d’alimenter nos rivières comme nos cultures. L’insécurité alimentaire à venir n’est alors plus une hypothèse mais bien une certitude.

Alors que nos rivières, comme nos nappes, se tarissent au fil des ans, nous prenons seulement conscience de l’immensité du défi qui fait face à la France et au monde. Derrière la question de l’eau, il y a celle de notre système productif, qui ne peut subsister que parce qu’il fonctionne en surrégime, sous perfusion hydraulique. L’illusion cartésienne de « l’homme maître et possesseur de la nature » doit impérativement laisser place à l’humilité face à nos limites et à leur respect. Pour ce faire, rien de mieux que la règle qu’un État volontariste et souverain peut imposer.

Suez prise au piège par l’impérialisme économique américain ?

© LHB pour LVSL

Malgré l’humiliation subie de la part de ses « alliés » dans la vente des sous-marins à l’Australie, malgré les assauts menés par les Américains dans le cadre de leur guerre économique et commerciale, malgré les sanctions financières colossales imposées par les Américains à des institutions financières pour avoir utilisé le dollar, le gouvernement demeure incapable de préserver la souveraineté économique de la France. Le dernier exemple en date, celui de la possible prise de participation à 40 % du fonds d’investissement américain GIP au sein du nouveau Suez, illustre la cécité d’Emmanuel Macron et de Bercy, alors même que l’eau est plus que jamais une ressource stratégique.

Retour un an plus tôt, en août 2020. À la veille de la rentrée et, alors que rien ne laissait présager une telle opération, Veolia, le numéro un mondial des services de l’environnement, fait une offre à Engie pour racheter 29,9 % des parts de son plus gros concurrent, Suez. Engie, à peine remise du départ fracassant de sa PDG Isabelle Kocher, a complètement changé de stratégie avec l’arrivée à sa tête, en qualité de président, de Jean-Pierre Clamadieu, qui a de nombreuses affinités avec Emmanuel Macron. Ce dernier souhaite recentrer les activités de l’ex-GDF pour se concentrer sur le renouvelable. Aussi, Suez, membre du groupe depuis 2008, dont les principales activités sont relatives à la distribution de l’eau et à la gestion de l’assainissement dans de nombreuses villes en France et à l’étranger, n’est plus une priorité pour Engie, qui souhaite vendre sa part dans l’actionnariat de l’entreprise, qui s’élève à 32 %.

Le 29 août, Veolia, rassurée après une visite de son PDG Antoine Frérot à l’Élysée en juin, d’après une enquête de Marc Endeweld pour La Tribune, transmet officiellement à Engie sa volonté de racheter la quasi-totalité des actions de Suez, soit 2,9 milliards d’euros et 15,5 euros par action. La multinationale ne souhaite pas dépasser les 30 % de rachat, qui équivaudrait à une Offre publique d’achat (OPA) sur sa concurrente. L’opération Sonate, nom de code donné chez Veolia, est lancée. C’était sans compter sur la vive opposition des dirigeants de Suez et notamment de son directeur général, Bertrand Camus. L’État, par la voix du ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire, d’abord favorable à la prise de participation de Veolia pour créer un « champion » (sic) mondial de l’eau et de l’environnement, s’est progressivement opposé à ce rachat, voyant que toute la place de Paris entrait en guerre, avec de chaque côté les partisans de Veolia et de Suez.

Cela n’a pas arrêté pour autant Jean-Pierre Clamadieu et Engie qui, le 5 octobre, lors du conseil d’administration, ont approuvé le rachat de Suez par Veolia à 18 euros par action, soit plus de 3,4 milliards d’euros, rachat notamment permis par l’abstention des représentants CFDT du conseil d’administration, après un appel du Secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler, et ce malgré l’opposition de l’État, qui détient encore 23,6 % d’Engie. Pourtant, il est permis de douter de la sincérité de l’opposition de l’État, qui semble avoir motivé son choix par tactique. Désormais premier actionnaire de Suez, Veolia a immédiatement entrepris les démarches nécessaires au rachat de l’ensemble de son rival, soit 70,1 % de la société, à l’exception de Suez Eau France et de quelques autres actifs à l’étranger, pour ne pas entraver la concurrence. Les administrateurs de Suez, ulcérés par la manœuvre, vont engager une bataille judiciaire acharnée, en saisissant le tribunal judiciaire de Paris. La médiation proposée par Bruno Le Maire et Emmanuel Moulin, son ancien directeur de cabinet et actuel Directeur général du Trésor (DGT) n’a pas abouti.

C’est une victoire pour Antoine Frérot, le PDG de Veolia, qui n’a pas caché sa présence à plusieurs meetings du candidat Emmanuel Macron en 2017.

Plusieurs mois après, le 12 avril, à coups de saisines au tribunal de commerce de Nanterre, d’autres actifs placés à l’étranger et création de fondation de droit aux Pays-Bas, Veolia et Suez ont réussi à s’entendre sur le rachat de la seconde par la première début avril, après un rendez-vous à l’hôtel Bristol à Paris entre Antoine Frérot, l’ancien PDG de Renault Louis Schweitzer, le président du conseil de Suez Philippe Varin, Delphine Ernotte, l’une des administratrices de Suez et Gérard Mestrallet, l’ancien PDG de GDF-Suez, devenue Engie. Sorti victorieux de son bras de fer, c’est une revanche pour le PDG de Veolia, qui n’a pas caché sa présence à plusieurs meetings du candidat Emmanuel Macron lors de l’élection présidentielle en 2017. Le futur numéro un mondial, aux 37 milliards d’euros de chiffre d’affaires, qui ne pèsera toutefois qu’à peine plus de 5 % du marché mondial, s’est engagé à racheter les parts de Suez à 20,50 euros par action, soit plus de 25,7 milliards d’euros. Le nouveau Suez, représentant pratiquement 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires, sera constitué de 40 % de l’ancien Suez, le reste allant à Veolia, et avec comme principaux actionnaires le fonds d’investissements Meridiam, très présent en Afrique et spécialisé dans sa participation à des partenariats public-privé. Meridiam est détenu par Thierry Déau, qui, d’après Le Monde, a appuyé la campagne d’Emmanuel Macron et participé à une levée de fonds après avoir soutenu François Hollande en 2012. Les deux autres actionnaires sont le fonds d’investissements américain Global Infrastructure Partners (GIP) ainsi que la Caisse des dépôts et consignations (CDC) avec CNP Assurances, qui détiendra la majorité du capital de la nouvelle entité afin que l’actionnariat soit majoritairement français. Les salariés pourront de leur côté détenir jusqu’à 10 % de la nouvelle société. L’entreprise, sans direction générale, sera gérée par Ana Giros, actuelle directrice adjointe de Suez et Maximilien Pellegrini, directeur général Eau France de Suez.

Alors que, jusqu’à présent, la prise de participation de GIP, aux côtés de Meridiam, à hauteur de 40 % dans le nouveau Suez, ne semblait pas être discutée, l’attitude des États-Unis et de Joe Biden pour faire couler l’achat de sous-marins par l’Australie à la France a réveillé les inquiétudes. C’est ce qu’a révélé La Lettre A, après la demande d’autorisation préalable déposée par le fonds américain pour être actionnaire de Suez. De fait, les actifs liés à l’approvisionnement en eau sont considérés comme stratégiques depuis le décret Montebourg du 14 mars 2014 et sont soumises au contrôle des investissements étrangers. Rédigé en pleine affaire du rachat d’Alstom par General Electric, qui a vu l’extraterritorialité du droit américain ainsi que sa prédation économique s’exercer férocement contre la France, le décret a été renforcé par les dispositions prévues dans la loi Pacte, qui prévoit notamment que tout investisseur disposant de plus de 25 % des droits de vote d’une entreprise sera soumis au contrôle de Bercy. En pleine crise du Covid-19, le décret du 22 juillet 2020 est venu abaisser ce seuil à 10%.

À ce stade, rien ne semble encourager Bruno Le Maire et Emmanuel Macron à bloquer la prise de participation ou, à tout le moins, de l’autoriser assortie à des conditions strictes. Pourtant, comme le souligne La Lettre A, de nombreux élus locaux sont inquiets quant à l’avenir de Suez et « entendent ainsi éviter de voir le numéro deux du secteur suivre le chemin de Saur, affaibli par les rachats successifs opérés par les fonds d’investissements ». Fonds d’investissements comme Meridiam qui s’est intéressé au rachat de la Saur, numéro trois français du secteur, avant qu’elle ne soit rachetée par… un autre fonds d’investissements suédois en 2019.

Le seul fait que GIP soit actionnaire permettrait à n’importe quel procureur américain d’engager des poursuites contre Suez.

Les psalmodies de nombreux responsables de la majorité et membres du gouvernement n’y changent rien : l’État est présent pour faciliter au mieux le marché et les investissements, quand bien même cela représenterait une nouvelle perte pour la France. L’eau, comme le souligne Franck Galland dans son dernier ouvrage Guerre et eau, publié cette année chez Robert Laffont, quoique depuis toujours faisant l’objet de convoitises, devient un élément stratégique de premier plan, au carrefour d’opérations terroristes, militaires et diplomatiques. La privatisation croissante de l’eau, dans de nombreuses régions en Australie ou en Californie, participent d’une captation de cette ressource par des fonds d’investissements qui n’y voient qu’un intérêt financier. Ces derniers n’hésitent pas à la qualifier parfois « d’or bleu ».

C’est également pourquoi, sous l’impulsion de la députée France insoumise Mathilde Panot, a été instituée une commission d’enquête parlementaire à l’Assemblée nationale relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et à ses conséquences. Le rapport, en liminaire, indique que « en France hexagonale, 1,4 million de personnes n’ont pas accès à des services d’alimentation domestique en eau potable gérés en toute sécurité. Plus de 16 000 Guyanais et plus de 7 000 Réunionnais recueillent leur eau de boisson directement à partir des sources d’eau de surface (rivière, lacs…). Plus de 300 000 personnes en France n’ont pas accès à l’eau courante. En Guadeloupe, la population vit au rythme des tours d’eau. Certains n’ont pas d’eau depuis 6 années. »

« En France hexagonale, 1,4 million de personnes n’ont pas accès à des services d’alimentation domestique en eau potable gérés en toute sécurité. »

Mathilde Panot, députée (FI), en présentation liminaire du rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur la ressource en eau.

La mauvaise gestion par de nombreux concessionnaires de la distribution de l’eau et des opérations d’assainissement devrait davantage alerter les pouvoirs publics. De surcroît, le fait est que, même si Suez était détenue en majorité par des Français, soit la Caisse des dépôts et sa filiale de la CNP, le seul fait que GIP soit actionnaire permettrait à n’importe quel procureur américain d’engager des poursuites, au nom de la lutte contre la corruption ou pour punir Suez d’éventuelles transactions financières en dollar avec un État sujet à l’embargo américain, à savoir Cuba, le Venezuela ou l’Iran. La situation est telle que le gouvernement a semblé davantage tergiverser sur le possible rachat de Photonis par Teledyne que sur l’achat de Carrefour par le canadien Couche-Tard alors que Carrefour ne présente aucun actif stratégique particulier pour la France ! Nicolas Moinet, professeur des universités et ancien responsable du Master d’intelligence économique de l’IAE de Poitiers, indiquait que le SISSE, en charge, auprès de la Direction générale des entreprises (DGE), de veiller aux intérêts français, n’était pas suffisamment adapté et armé pour faire face à de telles prédations. François Gaüzère-Mazauric, doctorant en histoire le confirme : « L’intelligence économique est un impensé français ». Les Américains l’ont bien compris et l’histoire économique récente montre bien que le chemin pour la création de champions mondiaux du CAC 40, si chère aux derniers gouvernements, est entouré de cadavres, victimes de l’insouciance française face à la guerre économique menée dans le monde aujourd’hui, par les États-Unis, mais également l’Allemagne ou la Chine.