Marine Tondelier : « Nous voulons dépasser l’État-nation »

Marine Tondelier au siège de EELV | © Laura Bousquet pour LVSL
Marine Tondelier au siège de EELV | © Laura Bousquet pour LVSL

Depuis la séquence de la NUPES et l’élection de sa nouvelle cheffe de file, Europe-Écologie-Les Verts (EELV) travaille à sa refondation. En convoquant des États généraux de l’écologie en février dernier, le parti écologiste souhaite s’élargir, se donner de nouveaux interlocuteurs et mieux irriguer la société. Pour en parler, nous avons rencontré Marine Tondelier, élue depuis quelques mois Secrétaire nationale, afin de l’interroger sur l’actualité de son mouvement et de cette refondation. Elle nous a parlé de sa vision de l’articulation entre la lutte et l’exercice du pouvoir, de l’industrie nucléaire, des attaques de la droite, de la place des écologistes dans la NUPES et de sa vision européenne. Entretien réalisé par Louis Hervier Blondel et Robin Elbé, photographies de Laura Bousquet.

LVSL – Le discours écologique s’est historiquement placé dans une posture d’opposition, liée à une histoire politique de l’alerte et à une culture de l’activisme. Comment faire tenir ensemble cette tradition oppositionnelle (à travers une figure comme Sandrine Rousseau par exemple) et une « écologie de gouvernement » (que prônait par exemple Yannick Jadot lors de la présidentielle de 2022) ?

Marine Tondelier – Bruno Latour disait que l’écologie, et à travers elle la classe écologique, est majoritaire dans notre société. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle soit aujourd’hui structurée et fédérée. Le travail que nous menons consiste à faire prendre conscience d’elle-même à cette classe, à la structurer et à l’organiser – les lobbys à qui nous faisons face, eux, le sont. Ce mouvement ne se fera pas en réduisant l’écologie à certaines de ses catégories, en la restreignant par l’ajout de qualificatifs : être écologiste c’est autant démonter un McDonald’s que diriger la métropole de Lyon. Sandrine Rousseau, qui incarnerait « l’activisme », était vice-présidente d’université. Yannick Jadot, qui incarnerait « l’écologie de gouvernement », a mené des actions de désobéissance civile, a été sur écoute et a pris des risques juridiques quand il était membre de Greenpeace.

« Être écologiste c’est autant démonter un McDonald’s que diriger la métropole de Lyon. »

Celles et ceux veulent nous « qualifier », nous rajouter un adjectif après « écologiste », veulent en général nous diviser et nous affaiblir. Les écologistes sont toutes celles et ceux qui se considèrent comme tels, dans leur diversité. Ils sont par exemple à la fois radicaux et pragmatiques. C’est avec eux que nous avons besoin de créer le plus grand mouvement possible. Pas simplement pour être victorieux aux prochaines échéances électorales, mais pour changer la vie, vraiment ! Depuis 2020, nous avons fait la démonstration que nous savons concilier ces deux aspects : nous dirigeons déjà un certain nombre de grandes villes et la métropole de Lyon. Nos élus sont confrontés à l’exercice du pouvoir et n’en demeurent pas moins des militants écologistes déterminés et de terrain.

LVSL – Vous faites référence à la classe écologique telle que Bruno Latour l’a théorisée. Ce concept est critiqué pour son articulation difficile avec les classes sociales traditionnelles. Comment conciliez-vous les deux ?

M. T. – Je ne pense pas que la classe écologiste mette fin à la lutte des classes. Celle-ci continue. Mais se superpose à cette première grille d’analyse une seconde, complémentaire : celle de cette nouvelle classe écologiste, qui est composée de membres de différentes classes sociales. C’est justement sa force : il y a bien plus de monde qui a intérêt à l’avènement d’une société écologique que de personnes qui ont intérêt au statu quo.

La force de ceux qui n’y ont pas intérêt, c’est par exemple de réussir à répandre le préjugé que l’écologie serait « un truc de riche », « de mesures punitives », « une politique dans le dos des pauvres », alors que c’est l’inverse. Le programme écologiste que nous proposons est à la fois un programme de justice environnementale et de justice sociale. Parce que les classes populaires sont les premières victimes de la crise écologique et qu’elles seront les premières bénéficiaires des politiques qui sont bonnes pour le climat. N’oublions pas que, statistiquement, ce sont les plus aisés qui contribuent le plus au changement climatique.

LVSL – La culture politique écologiste est extrêmement diverse : en lançant une campagne d’adhésion « Venez comme vous êtes » vous marquez la volonté d’ouverture de votre parti et de dépassement des cultures politiques internes. Cela implique-t-il une ouverture jusqu’à des cultures écologistes plus technocratiques, voire scientistes ? Pour reprendre votre slogan, est-ce que pour Jean-Marc Jancovici aussi c’est « Venez comme vous êtes » ?

M. T. – Toutes celles et ceux qui le souhaitent sont évidemment les bienvenus ! Le but des États généraux de l’écologie c’est de créer un grand mouvement de l’écologie en France, et justement pas uniquement avec les adhérents d’EELV. Pendant 150 jours, sur lesecologistes.fr, nous organisons une grande enquête populaire pour écouter ce que les écologistes de ce pays ont à nous dire. Vous vous sentez écologiste dans un coin de votre tête ? Venez nous dire ce que vous attendez de ce nouveau mouvement qui ne doit pas être que politique. Venez nous parler des moteurs de votre engagement. Venez nous interpeller, nous donner vos idées ou nous dire ce que vous avez sur le cœur. Nous devons confronter nos idées et notre façon de voir l’écologie et la société au plus grand nombre pour créer un nouveau mouvement qui soit à l’image et avec celles et ceux qui n’y sont pas encore.

LVSL – Le mouvement de refondation dans lequel s’est engagé EELV et le courant écologiste comprend-t-il une remise en cause ou des inflexions de votre programme?

M. T. – Dans le cadre de ces États généraux, on s’interroge sur la manière dont le grand mouvement de l’écologie doit fonctionner et sur ses positionnements. Par exemple sur la non-violence et la désobéissance civile, sur la distinction entre ce qui est légal et ce qui est légitime, sur la manière dont on milite quand on est écologiste : comment on s’entraide, comment on fait progresser la bataille des idées, comment et avec qui construire un outil utile pour gagner en 2027… Ce travail ne peut pas être produit pendant une campagne électorale, d’où l’importance de le réaliser maintenant et de le mener jusqu’aux européennes. Mais on ne peut pas, alors qu’on s’interroge sur la forme de notre mouvement, réécrire notre projet.

Nous ne sommes pas dans un temps de débat programmatique, ce qui ne signifie pas que nous ne sommes pas ouverts aux remarques, et les contributions que nous recevons peuvent apporter des réflexions et des critiques qui sont susceptibles de nous mener à des réinterrogations, comme nous le faisons en permanence, sur de nombreux sujets. Pour autant, il y a des fondamentaux de l’écologie, que nous partageons avec les Verts européens et les Global Green à l’échelle mondiale, qui s’inscrivent dans une histoire de ce mouvement, avec ses valeurs communes.

LVSL – Votre position sur le nucléaire n’a donc pas évolué ?

M. T. – Tous les écologistes, dans le monde entier, font le même raisonnement et aboutissent tous à l’impasse du nucléaire. Nous alertons sur le sujet depuis longtemps : quand nous disions en 2010 que l’EPR de Flamanville ne fonctionnerait pas, on nous traitait d’oiseaux de mauvaise augure. Quand bien même il marcherait un jour, l’automne dernier a démontré l’incapacité du nucléaire à nous sortir de la crise énergétique – et ce n’était ni la faute du charbon allemand, ni des écologistes. C’est la faute d’une filière industrielle qui ne fonctionne pas. Quand Macron annonce six nouveaux EPR, je peux vous dire qu’ils ne verront pas le jour. Il prétend qu’ils permettront de résoudre la crise climatique, mais c’est en réalité du greenwashing. L’Accord de Paris nous engage à baisser nos émissions pour 2030, Macron annonce ces EPR pour 2035, alors qu’une note gouvernementale qui a fuité annonce qu’ils ne sont pas réalisables avant 2040 : c’est un nouveau scénario à la Flamanville qui nous attend. C’est un mirage de penser que ces EPR nous permettront de respecter nos engagements climatiques à temps ! Or tout l’argent qui est mis dans ces projets ne va pas ni à l’éolien, ni au solaire, ni aux autres énergies renouvelables qui permettraient de nous sortir beaucoup plus tôt de la crise énergétique et de la crise climatique. Notre foi dogmatique dans le nucléaire nous fait prendre un retard considérable sur des enjeux primordiaux pour l’avenir de notre pays et de l’humanité.

« C’est un mirage de penser que ces EPR nous permettront de respecter nos engagements climatiques à temps ! »

Rappelons par ailleurs qu’à l’occasion de ses vœux du 31 décembre dernier, Emmanuel Macron se demandait qui aurait pu prévoir ce qui s’est passé en 2022 en France sur le plan climatique. Aujourd’hui, il souhaite construire un projet à horizon 2040 – 2100, soit la période d’activité de ces futures centrales. Il ne peut pas prévoir 2022, mais il est capable de savoir où sera le niveau de la mer à Blayais en Gironde en 2070, où seraient construits deux nouveaux réacteurs ? Il sait où en sera le débit des rivières en 2050 quand déjà en 2022 le niveau de certains cours d’eau ne permettait pas le fonctionnement normal de certaines centrales existantes ? Il sait à quelle température seront nos cours d’eau pour refroidir les centrales en 2100 ? Tout cela n’est pas sérieux.

Marine Tondelier à son bureau au siège EELV | © Laura Bousquet pour LVSL

LVSL – Depuis les dernières élections, un glissement dans la qualification des écologistes semble s’être produit. Des militants écologistes sont de plus en plus diabolisés, notamment par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. On pense à l’usage d’expressions comme « éco-terrorisme », « terrorisme intellectuel de l’extrême gauche » et aux menaces de dissolution à l’encontre du collectif Les Soulèvements de la Terre. Que vous inspire cette escalade de la part du gouvernement ?

M. T. – Le débat politique s’est beaucoup dégradé dans notre pays, jusqu’à tomber dans l’outrance. Ce n’est malheureusement pas nouveau et c’est parti pour durer, ce qui ne participe ni à l’apaisement, ni à la sérénité, ni à l’élévation des débats, alors même que la gravité des problèmes auxquels nous sommes confrontés l’imposerait. Dans ce cadre, l’accusation de terrorisme, à laquelle on ne s’habitue jamais, est très inquiétante. Elle l’est parce que la nouveauté c’est la fonction de celui qui la profère, ce qui lui donne une gravité particulière. Sa position donne une solennité à son propos et conduit à une réaction dans les médias et dans l’opinion.

Lors de l’un de mes déplacements récents dans le Lot-et-Garonne avec la Coordination rurale, des militants annonçaient vouloir « se venger de Sainte-Soline ». Les raccourcis de Gérald Darmanin mènent à des raccourcis sur le terrain. Il fait de nous des boucs émissaires : l’innocent qui, dans l’Antiquité, était sacrifié quand aucune explication n’était trouvée à un phénomène et qu’il fallait l’enrayer. Ce que j’explique, par exemple aux agriculteurs qui s’opposent à nous, c’est que même si par magie ils faisaient disparaître tous les écologistes de France, et même du monde,  cela ne règlerait rien à leurs problèmes : l’eau manquera quand même chaque été, les difficultés à cultiver perdureront, la France sera à +4°C, 200 exploitations continueront de disparaître chaque semaine et leur niveau de vie n’en sera pas amélioré.

LVSL – En réponse, vous avez annoncé la création d’un observatoire des violences contre les militants écologistes. Quel est son but et comment fonctionnera-t-il ?

M. T. – Depuis plusieurs mois, nous assistons d’un côté à une montée des violences contre des militants associatifs (comme le saccage de plusieurs maisons ou des freins de voiture sectionnés) et politiques écologistes et, de l’autre, à une multiplication du recours par l’État à des mécanismes visant à bâillonner les associations écologistes. Plus grave encore, un ministre comme Gérald Darmanin accroche une cible sur le dos des écologistes en nous qualifiant de terroristes. C’est extrêmement dangereux et cela risque de mal se terminer : il va finir par y avoir un mort, et il sera écologiste. Sachant que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes, nous créons un Observatoire des violences contre les militants écologistes, dont nous discutons avec le tissu militant et associatif.

« Gérald Darmanin accroche une cible sur le dos des écologistes en nous qualifiant de terroristes. »

L’idée, c’est d’effectuer un travail d’observation et de recensement des faits de plaidoyer et d’accompagnement juridique, psychologique et financier des victimes. Ce qui est certain, c’est qu’il y a un problème avec la protection des écologistes en France. On préfère mobiliser des milliers de forces de l’ordre pour protéger un trou dans la terre comme à Sainte Soline plutôt que de fournir une protection policière à une journaliste comme Morgane Large, qui a subi deux tentatives d’assassinat en deux ans.

LVSL – Cette diabolisation de l’écologie s’accompagne d’un renvoi dos à dos de la gauche et de l’extrême droite. Comment l’analysez-vous ?

M. T. – Les écologistes se sont particulièrement mobilisés durant l’entre-deux tours de la présidentielle pour faire voter Macron contre Le Pen, malgré l’effort que ça nous imposait et la difficulté que ça représentait pour nous. Cinq semaines plus tard, après le premier tour des législatives, nous étions renvoyés à l’extrême-droite. Dans ma circonscription, la candidate de la majorité présidentielle a dit entre les deux tours qu’entre Marine le Pen et Marine Tondelier, elle voterait blanc, car elle ne voulait pas choisir entre les deux extrêmes. Nous avons été responsables pour deux à la présidentielle, et je crains qu’on soit amenés à l’être encore. Mais, dans le même temps, la majorité a déroulé un tapis rouge institutionnel au Rassemblement national (RN) à l’Assemblée nationale, participant à la notabilisation de ce parti et à sa grande entreprise de communication et de respectabilité. La majorité en paiera assurément les conséquences. Le problème c’est que nous allons toutes et tous les payer. C’est irresponsable.

De notre côté, nous devons convaincre les classes populaires que le RN ne défend pas leurs intérêts. Ce parti à la stratégie d’un vautour, ce sont des charognards : ils ne s’attaquent pas à l’animal, ils attendent qu’il soit tué par d’autres, puis viennent se nourrir sur sa carcasse. Marine le Pen n’a pris aucune part au mouvement social. À l’Assemblée, ses députés ont déposé moins d’amendements que ceux de la majorité ! Est-ce à dire qu’ils reprochent moins à la réforme que la majorité elle-même ? Le combat contre Macron, c’est nous qui le menons. Le RN n’en fait rien, ils attendent patiemment leur heure.

LVSL – Vous vous êtes prononcée en faveur d’une candidature commune de la gauche et des écologistes pour la présidentielle de 2027. Ne craignez-vous pas que l’absence de candidature commune aux européennes remette en cause la NUPES et l’union de la gauche et des écologistes pour les échéances suivantes ?

M. T. – Le cadre institutionnel de la Vème République, que nous déplorons, nous impose de nous présenter unis, partis écologistes et de gauche, au premier tour de l’élection présidentielle. Dans une démocratie normale, telle que celle que nous établirons à travers une VIème République, chacun pourrait se présenter sous ses couleurs, porter ses idées et son projet politique. Avec les communistes, les socialistes et les insoumis, nous sommes proches et partageons des valeurs communes. Il y a beaucoup de convergences, mais aussi des différences qu’il ne faut ni exacerber ni mettre sous le tapis. Nous n’avons pas la même histoire, le même électorat, la même manière de nous exprimer, pas les mêmes cultures militantes. C’est la beauté de notre biodiversité, que comme écologiste je respecte beaucoup ! Mais dans une situation où tout indique que le RN sera au second tour en 2027 et que la gauche n’y sera pas si elle part divisée, il faut construire une coalition qui soit capable de gouverner ce pays, de transformer la vie. Tracer un chemin d’espoir et de victoire pour 2027, en somme. Pour que cela soit possible, il faut dès maintenant discuter d’une plateforme programmatique de coalition et de notre projet pour le mandat. Cela fonctionne ainsi dans beaucoup de pays. Pourquoi pas dans le nôtre ?

Il nous faudra aussi une candidature rassembleuse, pas simplement une personnalité à même d’être au second tour. Nous avons besoin d’une personnalité qui pourra gagner et gouverner. Je trouve que nous sommes collectivement en train de nous enfermer dans l’impasse de la question : « Mélenchon, stop ou encore ? ». Nos débats ne peuvent pas se résumer à cela pendant les 4 années qui viennent. On doit éviter de tomber nous même dans le piège de l’ultra présidentialisation de la vie politique française, que l’on dénonce, et prendre les choses dans le bon sens en commençant par nous interroger sur les qualités requises pour gagner et gouverner : savoir fédérer, apaiser, dialoguer, et cela au-delà de la NUPES, avec toutes celles et ceux qui sont aujourd’hui dans la rue, qui ne se résignent pas. Il faut aussi travailler davantage avec les syndicats et les associations, en s’inspirant de la démonstration qu’ils ont fait de leur capacité à travailler en commun au service du collectif et de l’intérêt général : Le Pacte du pouvoir de vivre, Plus jamais ça ou encore l’intersyndicale sont de beaux exemples à suivre.

LVSL – Pourquoi ne pas appliquer ce raisonnement à l’élection européenne ?

M. T. – La présidentielle nous impose d’être unis dès le premier tour pour ne pas être éliminés. Mais le mode de scrutin des européennes est beaucoup plus simple : c’est la proportionnelle à un tour. Or, avec ce mode de scrutin, les listes représentant la NUPES feront collectivement un meilleur score et seront mieux représentées au Parlement européen en partant séparées qu’en y allant ensemble, c’est logique et les sondages le montrent. Si nous partons ensemble, les électeurs plus eurosceptiques, qui se retrouvent dans le programme insoumis, ne voteront pas pour une liste menée par une ou un écologiste. De la même manière, les fédéralistes, qui savent que les écologistes défendent la vision d’une Europe forte, fédérale et écologique, ne voudront pas voter pour une liste avec des défenseurs de l’Europe des nations. C’est ainsi !

L’Europe est un enjeu immense pour notre avenir et ces élections sont importantes. Rappelons que, par exemple, c’est grâce aux résultats des Verts partout en Europe il y a 5 ans que nous avons pu imposer un Green New Deal, des réglementations contre la déforestation, ou encore la taxe carbone aux frontières externes pour protéger notre industrie et imposer nos normes contre le moins disant écologique. 

LVSL – Le processus de décision européen nécessite la majorité qualifiée voire l’unanimité dans la plupart de ses décisions. En pratique, cela reviendrait à mettre d’accord le gouvernement de Viktor Orban et la coalition des gauches espagnoles. Si vous étiez au pouvoir, quel serait votre plan alternatif si l’agenda écologiste bute sur cet obstacle légal ?

M. T. – C’est la raison pour laquelle nous sommes contre la règle de l’unanimité, qui permet le blocage par la volonté d’un seul, et que nous souhaitons passer à un processus décisionnel fondé sur la majorité qualifiée. Cette règle, qui vise à protéger l’État-nation, nuit à l’idéal européen.

LVSL – Votre position, c’est donc celle d’un dépassement de l’État-nation ?

M. T. – Oui, ça l’a toujours été. Mais un dépassement dans les deux sens : vers l’échelon supranational, à travers l’Europe, et vers l’échelon infranational, à travers les régions, en leur donnant plus de pouvoir, en reconnaissant leur identité, et notamment leurs langues. Nous n’avons jamais sacralisé l’échelon national, même si nous ne nions évidemment pas son importance. Les transformations écologiques que nous devons mener ne se feront jamais sans les territoires. Dans les communes que nous dirigeons, la vie de millions de Françaises et de Français est déjà en train de changer : les cantines permettent de se nourrir de produits bios et locaux, des kilomètres de pistes sont construits, les enfants bénéficient de droits aux vacances pour tous à Poitiers. C’est aussi l’avenir qui s’y construit : quand nous serons confrontés à des températures extrêmes, les habitants seront mieux protégés parce que la ville aura été rendue plus résiliente. Mais malheureusement l’échelon communal ne suffira pas, c’est pour ça que nous devons aussi gouverner, avec nos partenaires, la France… et l’Europe !

“Il n’y a pas de compromis possibles avec le capitalisme” – Entretien avec David Cormand

©Léo Prévitali

David Cormand est secrétaire national d’Europe Écologie les Verts. Il est l’un des nouveaux députés européens du parti qui a créé la surprise le 26 mai dernier. Alors que l’écologie s’installe durablement dans l’agenda politique et médiatique, EELV s’impose comme une force importante Elle revient en force après la débandade de 2017 et le ralliement malheureux à Benoit Hamon. Cette percée est-elle durable ? La formation peut-elle pousser au-delà de sa base sociologique actuelle ? Entretien l’un des hommes clefs de l’écologie politique en France.


LVSL – EELV a rencontré un succès électoral lors des dernières européennes avec plus de 13% des voix. Ce n’est pas la première fois que les écologistes réalisent un bon score à cette élection qui vous est structurellement favorable. Comment comptez-vous faire pour porter un message qui puisse être entendu dans d’autres échéances électorales ?

David Cormand – C’est la première fois que les Verts, toutes élections confondues, réalisent plus de trois millions de voix en France. En pourcentage, ça fait moins qu’en 2009, mais en valeur absolue c’est beaucoup. Aux élections européennes, généralement, on fait en moyenne 8-9%. Il y avait une exception basse en 1994 où on a fait moins de 3% et une exception haute en juin 2009 où on avait fait 16%. On est plus à l’aise avec ces élections, mais ce n’est pas très courant que l’on fasse plus de 12, 13 ou 15%.

Il est vrai que les Verts ont du mal à apparaître comme des candidatures solides pour les élections nationales. En revanche, pour les élections municipales, les scores sont comparables à ceux des européennes, tout comme les départementales et les régionales. D’ailleurs, on pourrait s’interroger sur le fait que ça n’a pas augmenté au cours des décennies, mais ça, c’est un autre débat.

Traditionnellement, les Verts n’étaient pas perçus comme étant une force politique en capacité de gouverner le pays. Je pense qu’en revanche, les gens sont plutôt contents d’avoir des députés européens Verts parce qu’ils ont identifié qu’on s’y intéresse vraiment et qu’on arrivait à gagner des combats. Ils semblent également avoir davantage confiance en nous dans les élections locales. Peut être parce qu’ils se disent qu’avoir des élus écologistes pour s’occuper de la vie du quotidien, c’est un bon investissement électoral. 

La nouveauté de ces élections européennes, c’est que EELV est arrivé devant les forces de gauche traditionnelles, que ce soient PS, FI, etc., mais aussi devant le principal parti de droite de gouvernement jusqu’à maintenant, les Républicains. Cela nous donne une responsabilité supplémentaire, celle de tenter de structurer autour de l’écologie politique – je n’ai pas dit autour de EELV – une offre politique nouvelle qui puisse se poser comme une alternance au pouvoir actuel de Macron et évidemment une alternative à l’extrême droite.

LVSL – Comment construire cette alternance autour de l’écologie politique ?

D.C – D’abord en comprenant ce qui se passe. Nous sommes à un point de bascule historique. Je pense que les matrices idéologiques auxquelles nous étions habitués en Europe depuis plusieurs décennies, pour faire simple, la gauche productiviste dans toutes ses variantes (du trotskisme à la sociale démocratie en passant par le PC) et la droite libérale, sont obsolètes. Qu’on me comprenne bien. Je ne dis pas qu’elles ont perdu toute puissance ou capacité de séduction. Elles sont solidement ancrées dans les imaginaires et conservent selon les pays des potentiels électoraux variables. Mais, au fond, la période me semble marquée par l’épuisement programmé des projets politiques qui étaient construits sur l’hypothèse extractiviste, à savoir sur l’idée que les énergies fossiles permettaient une croissance illimitée. De fait, cette promesse n’est pas tenable : une croissance infinie dans un monde fini est une impasse géophysique avant d’être un impossible politique.

Pour la droite comme la gauche ancienne, l’économie domine tout et le couple croissance/ productivisme est indépassable. Elles sont donc percutées de plein fouet par l’impensé écologique. Le monde dans lequel nous devons agir est désormais celui du retour de la question de la nature. Une série de questions philosophiques, morales et politiques en découlent. Les écologistes sont les mieux armés pour y répondre. 

LVSL – Être une alternative crédible implique quand même d’universaliser votre discours, d’être identifiable sur d’autres questions que l’écologie. Allez-vous faire un travail d’élaboration d’une doctrine sur la République, par exemple ? 

D.C – Ce travail est en cours depuis longtemps. On oublie par exemple qu’il y avait un socialisme pré-marxiste, qui a été qualifié de socialisme utopique ou de socialisme romantique par les marxistes. Ce courant était plus proche qu’on ne le pense de ce que nous nommons aujourd’hui écologie. Il combinait une critique de la révolution industrielle dans ses aspects sociaux, dans ses aspects d’inégalité notamment femmes-hommes et une critique environnementale. Certains avaient très tôt identifié que l’une des conséquences de la révolution industrielle était une prédation intense sur la nature.

Quand Marx arrive, il oppose à ce socialisme – qu’il qualifie donc de romantique ou d’utopique – le socialisme scientifique qui accepte la révolution industrielle. De mon point de vue c’est une concession décisive au capitalisme car il accepte le productivisme et la croissance. Et un siècle et demi après, mon sentiment c’est qu’en ayant fait cette concession, la pensée marxiste a été inopérante pour pouvoir battre le capitalisme.

Par ailleurs, je pense que l’écologie politique est une pensée globale. Elle n’a pas besoin de mettre genou à terre pour pouvoir répondre à la question de la République, à la question de l’identité, etc. Prenons la question de la République : comment penser que celle-ci est achevée si elle ne prend pas en compte la question qui fondamentalement relie les humains entre eux, à savoir leur destin terrestre ? Pour nous, la République sera écologique ou ne sera pas. Notre vision la rend réellement universelle, non pas dans l’approche dominante qui a pu nourrir le projet colonial mais au contraire dans une vision où la question des communs et de la justice environnementale oblige à penser la multiplicité des voix du monde. La République écologique, qui revivifie l’idée républicaine par l’idée des communs naturels, est ainsi porteuse d’un projet cosmopolitique plus achevé.  

LVSL – Il y a une critique écologiste chez Marx aussi, mais il dit que le capitalisme est un progrès et une phase nécessaire vers le socialisme. Ce que ne disent pas les socialistes utopiques, c’est que pour transformer le monde, il faut s’emparer de la machine d’État et ne pas simplement faire son petit phalanstère de son côté comme Fourier. Pour vous, le capitalisme est-il un dévoiement ou une étape vers un progrès de l’humanité ?

D.C. – Pour moi, le capitalisme est un dévoiement. En fait, ce que je pense c’est qu’il n’y a pas de survie de la civilisation humaine sur terre dans un modèle capitaliste. C’est intéressant, Jean-Pierre Chevènement disait pendant notre conférence de votre université d’été : « On est passé d’un capitalisme Fordiste à un capitalisme financier, c’est encore pire… » C’est vrai que c’est encore pire, mais ils ont un point commun ces deux capitalismes-là : c’est le productivisme, la prédation sur la nature. Le capitalisme financier a été une accélération de la destruction de l’environnement. Il n’y a pas de compromis possibles avec le capitalisme si on veut maintenir la vie humaine sur terre dans des conditions à-peu-près correctes pour tout le monde.

En fait, le problème au-delà du capitalisme, c’est le productivisme : c’est l’impasse de la gauche traditionnelle qui ne sait penser la justice sociale et la redistribution que dans un modèle productiviste. Il faut changer de logique, ce que parvient parfaitement à faire l’écologie. Le problème est qu’aujourd’hui l’écologie politique apparaît trop faible pour gagner, il faut être lucide aussi là-dessus.

D’un point de vue idéologique, Je suis assez convaincu que la pensée écologiste est complète et peut suffire pour apporter une alternance, une alternative victorieuse au statu quo libéral et au risque de l’extrême droite, mais elle ne peut pas le faire seule. Nous sommes un petit parti avec de très grandes idées. Pour pouvoir être à la hauteur de ces grandes idées, nous ne pouvons pas rester le petit outil politique que nous sommes aujourd’hui.

Nous devons construire une force capable de conquérir et exercer le pouvoir. Mais dans le même temps il nous faut réinterroger la notion même de pouvoir et nous débarrasser d’une vision trop centralisée de son exercice. Il faut réhabiliter la notion d’initiative citoyenne, et en finir avec l’idée que c’est seulement en prenant le palais d’hiver que nous serons en mesure de transformer la société. 

LVSL – Pour construire cette nouvelle force politique comme une alternative à Macron et à Le Pen, quel est le clivage que vous allez mettre en avant ? avec qui comptez-vous discuter ?

D.C.C’est une question compliquée. Je ne suis pas certain que l’idée d’un clivage unique soit valide. Je ne veux pas retomber dans les ornières d’une logique qui a consisté à diviser les luttes entres luttes centrales et luttes périphériques. Les causes de nos maux sont multiples. Pour répondre cependant à votre question, je peux essayer d’expliquer comment la question environnementale redessine le paysage. L’écologie est une cosmo-politique. Elle refonde une communauté terrestre. Les ennemis de l’écologie sont celles et ceux qui divisent la communauté terrestre, mais aussi et peut être avant tout ceux qui détruisent la terre et les possibilités de la vie sur terre. Trump ou Bolsonaro, climatosceptiques et racistes refusent la perspective de notre destin terrestre. Pour raisonner comme Bruno Latour, on peut postuler que d’une certaine manière, ils ont quitté la terre comme réalité politique ou horizon de vie commune. Ils ne sont pas les seuls. Jeff Bezos, quand il dit qu’il va construire des usines dans l’espace, il a quitté la réalité terrestre. Les défenseurs de l’agriculture industrielle ont quitté la réalité terrestre, ceux qui pensent qu’on peut continuer à exploiter les énergies fossiles sans conséquence pour le maintien de la vie sur terre ont quitté la réalité terrestre. Le clivage passe donc entre ceux qui ont compris que rien ne peut s’articuler au-delà des réalités physiques du rapport à la terre et ceux qui font abstraction de cela. Là c’est l’opposition fondamentale.

Mais au-delà des ennemis, il faut surtout choisir des alliés pour construire une alternative positive, pour transformer la coalition de rejet en coalition de projet. L’écologie devrait pouvoir regrouper nombre d’alliés objectifs. Aujourd’hui par exemple, contrairement à l’impression qu’on peut avoir, quand on est paysan ou agriculteur, on a objectivement intérêt à ce que le projet qui soit mis en œuvre soit celui de l’écologie. Pourquoi ? Parce que c’est le seul qui considère qu’on a encore besoin de paysans. Le capitalisme libéral mondialisé et l’industrialisation de l’agriculture ont comme projet idéal une agriculture sans paysan. Il en va de même pour l’industrie. Aujourd’hui le projet économique du capitalisme financiarisé, ce sont les usines sans ouvrier. Il faut revenir sur terre avec un projet écolo de production, de consommation qui soit en phase avec le fait de pouvoir continuer à habiter la terre. Cette perspective peut permettre de créer un front de large rassemblement dans la société. À nous de savoir organiser ce front multipolaire, en déjouant les contradictions qui peuvent le fissurer.

Une partie de votre question concerne les alliances partidaires. Cet aspect-là est compliqué, parce qu’il y a à la fois les forces politiques issues du XXe siècle, à gauche celles d’inspiration marxiste qui existent, et je pense qu’il faut les considérer sans l’ambition d’avoir une hégémonie sur elles.

D’ailleurs, la gauche classique pose maintenant la question écologique. Ce n’était pas le cas de la sociale démocratie il y a encore dix ans. Je peux vous dire qu’en 2012, quand on rentre au gouvernement avec François Hollande, il ne disait pas que l’écologie était au cœur de ses préoccupations. On note heureusement une évolution positive. Regardez par exemple Benoit Hamon ou même la France Insoumise qui a une approche écologiste sincère. Même le PC conduit des évolutions.

Si l’on est d’accord pour que le cœur du projet soit autour de l’écologie, c’est un premier pas. On ne demande pas aux gens d’arrêter d’être sociaux-démocrates, d’arrêter d’être communistes, d’arrêter d’être insoumis… Mais je vais plus loin. L’écologie veut aussi convertir des personnes qui ne se réclament pas de la gauche et qui ont pris conscience de l’inanité d’un projet capitaliste sans limite. Il faut qu’on réfléchisse un moment à comment parler également aux gens issus de la droite. Pourquoi ces gens-là ne voteraient pas écolo si nous savons les convaincre de l’urgence écologique ?

Ce qu’on essaie de faire c’est à la fois construire un projet politique structuré et cohérent, mais aussi se positionner dans un champ de bataille politique qui ne sera plus le paysage qu’on a connu. Le périmètre des partis politiques tels qu’ils existaient jusqu’à il y a quelques années ne recouvre pas les clivages qu’il y a dans la société. Tout est à refaire, tout doit changer. Non seulement les offres politiques, mais aussi la représentation mentale que l’on a des clivages dans la société.

Dans ce grand chambardement, l’écologie politique comme pensée nouvelle a un rôle important à jouer à la fois pour réinventer ce qui s’appelait la gauche depuis un siècle et demi, mais aussi pour donner une perspective à des gens qui ne se sentent ni de gauche ni de droite mais qui se disent « je ne veux pas avoir à choisir entre Macron et Le Pen ».

LVSL – Vous dites que tout le monde a un intérêt objectif à l’écologie. Mais la politique est surtout une affaire de construction de récits. Comment pouvez-vous construire un nouveau récit qui puisse parler à la France des gilets jaunes ?

D.C – C’est tout le travail qui est devant nous et que nous avons commencé à faire pendant cette campagne des européennes. Le récit gagnant sera nécessairement celui d’une convergence. Nous devons refuser d’opposer enjeux sociaux et enjeux environnementaux. Les marches climat ont commencé avant les marches des gilets jaunes. Certains ont voulu les opposer. Ce n’est pas notre cas. Notre analyse a été de dire que ces deux mouvements sociaux, qui ont des bases sociologiques sans doute très différentes, sont les deux symptômes d’une même crise de notre modèle de développement. Ces deux mouvements expriment une crainte par rapport à notre capacité de subsistance dans les temps qui viennent. C’est une révolte contre l’ordre des priorités défini par le système actuel. 

Les lycéens en grève pour sauver le climat affirment : « à quoi ça sert que j’aille à l’école puisque quand je serai adulte je ne suis même pas sûr qu’on pourra continuer à vivre sur terre ? Vous sacrifiez notre futur pour votre présent. » Les gilets jaunes disent au fond un peu la même chose : « À quoi bon payer des taxes qui nous étouffent ? C’est bien beau de nous parler de votre futur mais c’est notre présent qui est déjà menacé. » La temporalité diffère. Mais pas le refus de voir son existence sacrifiée.

Le mouvement des gilets jaunes a des racines profondes. On leur a vendu un modèle où leur autonomie serait garantie par leur automobile. On les a poussés de plus en plus loin des centres-villes, on leur retire des services publics, on leur retire des commerces de proximité, on fragilise leur droit du travail, et tout d’un coup on leur dit « ça ne va plus être possible, le prix de l’essence augmente ». Comme par ailleurs ce sont des contribuables captifs qui n’ont aucune chance d’échapper à l’impôt grâce aux paradis fiscaux, la taxation du diesel les prend à la gorge.

Tout le monde a un intérêt objectif à l’écologie. Mais pour le gouvernement actuel, l’écologie est devenu un alibi pour fiscaliser plus ceux qui ne peuvent pas échapper à l’impôt sans changement de modèle en contrepartie. Or, l’urgence climatique l’impose, il va falloir changer de mode de vie. Pour nous, le rôle de la puissance publique est d’accomplir ce changement dans la justice. En ce sens, si l’idée de justice est portée par la gauche, une possibilité d’alliance s’ouvre ici.

LVSL – À quel point remettez-vous en cause le clivage gauche-droite ? On a tous en tête les déclarations de Yannick Jadot pendant la campagne lorsqu’il souhaitait s’en distancer. En même temps, vous parlez de concilier l’écologie avec la justice, valeur fondamentale de la gauche…

D.C : On ne remet pas en question le clivage gauche-droite comme signifiant historique, mais nous cherchons à le dépasser, parce que sur nombre de sujets il n’est pas opérant et sert au contraire à obscurcir les enjeux. Quand on regarde l’action des militants écologistes ou des élus EELV, je pense qu’il n’y a aucune ambiguïté sur les valeurs que nous portons. Mais demandons-nous s’il vaut mieux se réclamer de la gauche, comme l’on fait en France les gouvernements socialistes qui ont tant déçu et tant abandonné de leurs convictions, ou chercher à construire les coalitions victorieuses pour faire avancer nos idées dans le réel. Prenons un exemple électoral intéressant : en Bavière, le parti dominant était la CSU (partenaire de la CDU). Les Verts, entre les deux dernières élections du Land, sont passés de 10 à 20%. D’où viennent les 10 points d’augmentation ? Il y a 2 points de gens qui s’abstenaient et qui là ont voté, il y a 4 points qui viennent du SPD et il y a 4 points qui viennent de la CSU. Pourquoi avons-nous récupéré ces 4 points de la CSU ? Parce que dans la même période, la CSU, sous la pression de l’AfD (parti d’extrême droite allemand) a durci son discours par rapport aux migrants et que beaucoup d’électeurs de la CSU se sont dit « on refuse de se reconnaître dans cette dérive de la CSU. » Pourtant ils n’ont pas voté pour le SPD, ils ont voté pour les Verts. Donc des gens qui viennent de la droite peuvent voter écolo. Ce n’est pas parce que les écolos sont plus à droite, c’est aussi pour les valeurs qu’on porte et qu’on pourrait ranger plutôt du côté de la gauche. En l’occurrence, l’accueil digne des migrants.

LVSL – Yannick Jadot a fixé la barre relativement haute pour les municipales en annonçant que vous pourriez décrocher quatre grandes villes, dont Paris. Comment allez-vous préparer cette élection qui nécessite un travail de terrain de longue haleine et une implantation locale ?

D.C : Précisément, notre force c’est que nous avons cette implantation locale. Historiquement l’implication des Verts dans les élections municipales ne se traduit pas par des listes 100% vertes. Ce sont toujours des listes vertes-citoyennes. Ce n’est pas notre volonté de faire des listes 100% vertes. Chez les Verts, ce n’est pas le national qui décide des stratégies municipales. Nous allons avoir un moment de respiration démocratique qui va pouvoir se faire à l’abri des interférences des appareils nationaux. Dans beaucoup de villes, il va y avoir des listes EELV-citoyennes avec Générations, sans doute dans d’autres villes on sera avec le PS, avec le PC, j’espère avec la France Insoumise et peut-être avec d’autres d’ailleurs.

Le périmètre politique clair, c’est que le projet écologiste n’est pas compatible avec l’offre politique de l’extrême droite, l’offre politique des Républicains et l’offre politique du gouvernement actuel. Donc nous avons mis cette balise-là, mais en dehors de ça, les choses sont ouvertes.

L’échelon municipal est une occasion parfaite pour construire des projets. On va beaucoup réfléchir autour du concept de municipalisme, de territoires en résilience, de comment on construit de nouvelles solidarités. Tous ces sujets-là, la question de la pollution, la question des filières courtes, la question de l’aménagement urbain… ce sont des choses très appropriables. De quelque chose d’un peu théorique, on arrive à quelque chose de concret, on a vraiment une tradition en la matière. On n’appelait pas ça le municipalisme, mais dès les municipales de 2001 et même de 1995, on parlait beaucoup de démocratie participative. En fait, le municipalisme c’est la version augmentée de ce qu’on appelait la démocratie participative, c’est le surgissement citoyen dans la décision. 

Notre récit des municipales va être celui-ci : nous mettons au pot commun notre expérience, des éléments de projets et c’est aux gens de s’en emparer et de construire leur offre politique locale comme ils l’entendent.

LVSL – Vous nous expliquez qu’EELV est un parti qui s’inscrit assez clairement dans une ligne qu’on pourrait qualifier de décroissante. Est-ce que c’est conciliable avec le libre-marché ? On a l’impression d’un certain flou artistique autour de cette question. Êtes-vous divisés en interne ou est-ce que vous ne tranchez pas ce débat pour accueillir différents degrés de l’écologie ?

D.C. – C’est une mauvaise polémique qui nous a été faîte. Le terme prononcé ce n’est pas le « libre marché », la seule expression qui a été prononcée par Yannick Jadot c’était « économie de marché ». Jean-Luc Mélenchon lui-même, dans une interview faite à Libération pendant la campagne des Européennes se fait un peu piéger par Laurent Joffrin sur ce sujet. C’est assez révélateur. Mélenchon dit « Jadot est pour l’économie de marché » Laurent Joffrin lui répond « Vous aussi ! » Mélenchon explique alors qu’il est favorable à une « économie mixte » et Laurent Joffrin ne manque pas de souligner qu’il s’agit donc d’économie de marché, ce que Jean-Luc Mélenchon finit alors par reconnaître. Sur le fond, les Verts depuis trente ans parlent d’économie plurielle. Nous posons très clairement des limites au marché : tout ne relève pas de la sphère marchande. Les écologistes qui défendent les droits de la nature le savent bien. À Notre-Dame-des-Landes ou à Sivens, avez-vous l’impression que nous avons défendu le règne du marché sans entraves ? 

Pour nous l’économie doit être régulée par deux critères simples : on ne peut pas avoir une activité économique si elle est socialement injuste et si elle détruit la planète. C’est le cadre que l’on met à l’économie de marché. Mais il y aura toujours des gens qui entreprendront. On ne va pas mettre sous une économie administrée les PME et même des entreprises plus importantes. Au fond les questions que nous posons sont les plus radicales : nous questionnons les finalités de l’économie quand d’autres ne s’attaquent qu’à ses modalités.

 

Entretien réalisé par Pierre Gilbert.

Le vote Vert peut-il aller au-delà des gagnants de la mondialisation ?

Les élections européennes de 2019 se sont traduites par une très forte dynamique des partis écologistes en Europe de l’Ouest, souvent plus forte que la dynamique des forces populistes de droite, elle-même importante. Il est dès lors légitime de s’interroger sur les causes de ce vote et sur la composition de l’électorat vert. Quelles leçons politiques en tirer et quelles pistes les dynamiques politiques actuelles laissent entrevoir pour faire de l’écologie sociale une force majoritaire dans un contexte d’urgence écologique totale ? Une analyse proposée par Valentin Pautonnier et Pierre Gilbert.


 

Difficile d’y échapper : le succès des partis verts se conjugue avec un recul des partis de gauche radicale affiliés à la GUE/NGL tant au niveau national qu’au niveau européen. L’exemple de la France est frappant : annoncés en concurrence sur le même profil d’électeur, les Verts ont finalement obtenu le double de suffrages de la France Insoumise. Ils les devancent notamment chez les 18-24 ans. Ailleurs, le recul des partis de gauche radicale est lié à la progression du parti social-démocrate concurrent lorsqu’aucun parti vert n’est réellement disponible sur le marché de l’offre politique, comme en Espagne ou au Portugal.

En Allemagne, où les Verts ont obtenu un score supérieur à 20%, dans la continuité d’excellents résultats aux scrutins locaux, le SPD et Die Linke obtiennent tous deux des résultats particulièrement décevants. Les Verts sont clairement affiliés à la gauche, tant au niveau des thématiques que de l’idéologie des électeurs, comme l’explique le sociologue Simon Persico, ce qui explique cette concurrence apparente.

La cartographie du vote EELV : les métropoles urbaines dynamiques surreprésentées

Le constat est sans appel : en France, EELV obtient ses meilleurs résultats dans les métropoles urbaines dynamiques, et notamment dans les centres-villes. Ce constat rejoint l’analyse faite en 2015 par Fabien Escalona et Mathieu Vieira de l’existence d’idéopôles, villes dynamiques bien intégrées dans la mondialisation qui tiennent lieu de laboratoires pour les partis de gauche écologistes ou contestataires, où les idées progressistes, cosmopolites et post matérialistes foisonnent, mais aussi où la gauche sociale-démocrate surperforme[1]. Parmi ces villes, on peut notamment citer Grenoble, Nantes, Rennes, Toulouse, Montpellier et même Lyon et Paris. Ce constat peut être étendu de façon générale étendu à l’ensemble de l’Europe occidentale, sous réserve de spécificités trop importantes dans l’offre politique comme en Italie.

Globalement, la cartographie du vote EELV est assez semblable à celle de la gauche au sens large depuis les années 1980, et donc de fait assez compatible avec la carte de la FI en 2017. Les Verts sont puissants donc les zones dynamiques hors Sud-Est, notamment dans l’Ouest et dans les centres urbains. Ils ont atteint des scores supérieurs à 20% à Grenoble, Toulouse, Lille, Rennes, Bordeaux ou dans les arrondissements de l’Est parisien. De fait, il est rare que leur bon score cohabite avec un score élevé du Rassemblement national, qui reste dominateur dans l’est désindustrialisé et dans le Sud commerçant.

Dans le contexte de polarisation RN-LREM, il est alors inévitable que le succès écologiste soit corrélé à l’échelle communale au succès de la République en marche. Pour autant, cela ne signifie pas que leur sociologie est la même : la cohabitation géographique entre deux partis rivaux n’implique pas nécessairement qu’ils soient perméables. Elle laisse en revanche supposer de possibles affinités idéologiques plus ou moins liées à leurs trajectoires et à leur environnement, notamment dans le caractère pro-européen, anti-souverainiste et post matérialiste totalement détaché de l’analyse de la société en classes, présent dans l’aile gauche de l’électorat LREM[2]. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas dans les zones périurbaines en difficulté que les verts sont performants, et leurs scores sont parfois mitigés en banlieue. Cette dernière zone concentre la pauvreté urbaine, le précariat et l’abstention, mais c’est aussi là où la FI était prégnante en 2017 et continue d’obtenir d’excellents scores comme en Seine Saint-Denis, parfois de concert avec le RN dont le score explose au fur et à mesure de l’éloignement de l’hypercentre[3] de la métropole malgré la diversité de ses zones de force.

La sociologie du vote EELV : un élargissement hors de la sphère bobo citadin traditionnelle

Résumer le vote EELV à un vote de bobo citadin CSP+ serait tout de même réducteur. De plus, la cartographie doit être utilisée avec prudence et de concert avec des analyses électorales centrées sur l’individu pour éviter l’erreur écologique, c’est-à-dire tirer des conclusions erronées au niveau individuel de données agrégées. Néanmoins, une approche précautionneuse de la cartographie du succès des Verts permet de lancer des pistes de réflexion et de dresser une typologie des environnements favorables à leur succès.

Sur le plan individuel, l’électorat des Verts se distingue certes par sa jeunesse (26% chez les 18-34 ans), mais surtout par son taux de diplômés et par son succès chez les cadres et les professions intermédiaires (respectivement 20 et 21% d’entre eux). Ajoutons à cela que les Verts ne réalisent pas un mauvais score parmi les revenus les plus modestes. Mais ils obtiennent de très bons suffrages chez les revenus supérieurs à 3000 euros par mois[4].

Si l’électorat de la FI était aussi plus diplômé en moyenne que celui du FN tout en le concurrençant sérieusement chez les classes populaires et les bas revenus en 2017, celui des Verts aux européennes semble davantage coller avec le stéréotype de l’électeur diplômé urbain relativement aisé et donc rejoindre dans les grandes lignes l’analyse géographique. Si 20% des Bac +3 ont voté pour EELV (contre 21% pour LREM), seulement 6% des non-titulaires du Bac pour ont voté pour la liste emmenée par Yannick Jadot. Ce fait est bien sûr aggravé par l’abstention massive chez les autres jeunes (61% des 18-34 ans) et les catégories populaires (58% des revenus inférieurs à 1200 euros/mois), qui a par ailleurs plombé le score de la France insoumise, mais probablement majoré celui des Verts et du Parti socialiste.

De manière générale, la composition de l’électorat des Verts corrobore des études menées sur la transformation du vote de classe, par Daniel Oesch notamment, qui a identifié un clivage fondé sur le diplôme, le type d’emploi et l’exposition à la concurrence internationale pour expliquer le succès des partis de droite radicale et de la Nouvelle Gauche incarnée par les partis écologistes[5].

Du reste, cette observation vaut également pour l’Allemagne : les Grünen allemands sont particulièrement forts dans les centres urbains dynamiques, leur score étant largement corrélé avec la richesse moyenne dans la circonscription lors des élections nationales de 2017. Leur participation à des coalitions régionales – parfois avec la droite – les a notamment crédibilisés et renforce leur probable suprématie sur la gauche allemande, ce qui participe de la longue agonie du SPD. Précisons toutefois que cette prise de pouvoir sur la gauche a peu de chances d’aboutir à une conversion massive des Allemands à une politique moins rigoureuse sur le plan économique. Les Verts français restent bien plus marqués à gauche sur le plan économique que leurs camarades d’Outre-Rhin, mais les similarités sociologiques et cartographiques sautent néanmoins aux yeux et questionnent l’importance du contexte et de l’historicité des idéologies nationales et locales. Les enjeux climatiques seraient donc plus forts que les divergences culturelles nationales ?

Un score écologiste plafonné dans un contexte favorable ?

Enfin, cette analyse est réalisée dans un cadre politique particulier : à savoir une élection européenne dans un contexte d’urgence écologique, de référendum anti-parti de gouvernement et de questionnements identitaires pendant que les grandes problématiques économiques se voyaient reléguées au second plan. Voter pour un parti écologique sanctionnerait donc un vote peu risqué dans une logique de représentation proportionnelle et d’enjeux difficiles à percevoir à l’échelle nationale, le plus souvent au détriment des autres partis de gauche. Les Verts ont en effet bénéficié de reports de voix assez larges vis-à-vis des électorats de Hamon, Mélenchon et dans une moindre mesure de Macron, mais ont aussi et surtout profité de l’abstention massive des électeurs insoumis de 2017 pour distancier la FI.

Ce constat n’écarte pas une possible portée contestataire dans le vote écologiste ; mais il permet d’identifier un éventuel ralliement majoritaire vers les Verts depuis la gauche et ne permet ni d’infirmer ni de confirmer que l’écologie est devenue un thème central dans l’ensemble de l’électorat. Difficile également de déterminer si les partis écologistes sont devenus suffisamment attrape-tout pour rassembler au-delà du clivage gauche/droite sur des thématiques consensuelles ou si leur succès immédiat est dû à un simple transfert des voix de la gauche diplômée et urbaine en provenance de leurs rivaux. D’ailleurs, davantage d’électeurs EELV se sont déclarés en opposition aux gilets jaunes plutôt qu’en leur faveur (au contraire des électeurs RN et FI), signe que la vague verte n’a pas encore vêtu les atours de la contestation telle qu’incarnée par ce mouvement inédit.

Le vote EELV peut dans certains cas avoir été un vote pacificateur, un vote de refus du clivage social. La sociologie CSP+ qui vote traditionnellement EELV rejette profondément la conflictualité. Les gilets jaunes ont fait monter la tension entre France urbaine et France périphérique. Le vote EELV est un des seuls votes d’apaisement social, car LREM est la cause de la montée des tensions, le PS est culturellement trop proche de LREM pour jouer ce rôle d’arbitre et la FI et le RN soutiennent les gilets jaunes. Cependant, les préoccupations environnementales sont certainement largement déterminantes pour le vote EELV.

Ce qu’il faut retenir de cette leçon politique

Les Verts ont de fait largement bénéficié de la mise à l’agenda de l’écologie par les forces de gauche, LREM et le mouvement climat. EELV, par la force de l’étiquette, a de fait une hégémonie autour du thème de l’écologie. C’est une sorte de rente puisque la campagne de EELV était largement transparente.

De plus, les partis écologistes tendent logiquement à croitre au détriment de leurs adversaires à gauche et au centre-gauche, ne concurrençant pas les partis conservateurs. Cet état de fait est un motif d’espoir, puisque l’ancrage de l’écologie à gauche et chez les jeunes devrait permettre d’élargir la thématique écologique à la dimension sociale. En revanche, l’incarnation de la cause écologiste par des partis affiliés à une gauche à la fois molle et stigmatisée par la plupart des électeurs peut paradoxalement laisser craindre une déconnexion dans les esprits de l’écologie avec des volontés de profonds changements socio-économiques difficilement compatibles avec la structure actuelle de l’économie de marché et de la démocratie telles que limitées par les traités européens.

Cette structure économique n’étant pas compatible avec une politique climatique réaliste, il peut être dangereux pour le climat qu’EELV se positionne comme caution sociale et écologique du néolibéralisme, et ce serait une trahison pour une partie de ses électeurs qui soutiennent que sauvetage du climat et sauvetage de la croissance sont difficilement conciliables. Dans la famille de l’écologie politique, c’est d’ailleurs la critique que porte la liste Urgence écologie menée par Dominique Bourg à l’égard d’EELV.

Enfin la gauche radicale porte une grande part de responsabilité dans la fuite de ses électeurs vers les écologistes, car elle accumule les erreurs stratégiques et communicationnelles partout en Europe de l’Ouest.

Concurrencer la dynamique populiste réactionnaire par un populisme écologiste et social ?

La délatéralisation de EELV n’a rien à voir avec une mue populiste. Au contraire, Yannick Jadot se place souvent sur le même champ rhétorique que LREM quant au RN par exemple. « Progressistes contre populistes », or cette rhétorique a tendance à pousser la France périphérique dans les bras du populisme en assimilant le progressisme aux politiques antisociales du gouvernement.

Pour qu’une force écologique et sociale retrouve une dynamique qui la rende capable d’être majoritaire, et donc de relever le défi climatique à hauteur de l’urgence, il faudra sans doute qu’elle incorpore les moteurs de la dynamique populiste réactionnaire, à savoir la demande de sécurité, la demande de retour de l’État protecteur, la peur du changement et la demande de souveraineté. Sans occuper ce terrain-là, il ne sera vraisemblablement pas possible de devenir majoritaire en France.

Sur chacun des éléments sur lesquels l’extrême droite tend à l’hégémonie, l’écologie radicale est pourtant la seule à pouvoir proposer quelque chose de plus pertinent, à condition de réussir à bien l’amener. L’aggravation rapide des conséquences du réchauffement climatique devrait d’ailleurs largement favoriser un changement de posture. Ainsi, la demande de sécurité peut être satisfaite par une protection vis-à-vis des risques environnementaux et une prévention des dégradations sociales et migratoires dues au changement climatique. Le retour de l’État, largement demandé par les gilets jaunes, est inséparable du fait que seule la puissance publique peut conduire rapidement la transition et qu’un retour des services publics est la seule façon d’opérer une transition juste. La peur du changement c’est aussi la peur du changement climatique, et à ce titre la transition peut être appréciée comme conservatrice. La demande de souveraineté peut être traduite en termes de protectionnisme écologique, de relocalisation d’une industrie verte, de recouvrement d’une souveraineté alimentaire et énergétique, etc.

Est-ce que cela est suffisant pour résignifier les demandes hégémonisées par les populistes de droite dans un contexte où l’urgence sociale est une priorité pour plus de français que l’urgence écologique ? La réponse est évidement non, mais de telles évolutions couplées de manière cohérente à des réponses d’ordre social sont envisageables. Est-ce qu’EELV pourrait incarner une telle « écologie sociale populiste » ? Cela semble difficile compte tenu notamment de son rapport aux traités européens et donc au rôle de l’État et à la notion de frontière. La gauche radicale et traditionnelle ne le peut pas non plus, à cause des erreurs qu’elle a cumulée sur les dernières années.

Si le potentiel majoritaire d’une écologie radicale sociale et populiste est certain, le problème reste celui de l’incarnation par des leaders adaptés, une autre dimension fondamentale du succès du populisme. Peut-être que de telles figures émergeront de la société civile, par exemple de ce mouvement pour le climat dont la dynamique passe sous les radars de la gauche. Dans le moment populiste que l’Occident traverse depuis quelques années, les leaders les plus prometteurs émergent souvent depuis l’extérieur du champ politique traditionnel.

 

 

[1] Escalona, F, Vieira, M (2015.” Les idéopôles, laboratoires de la recomposition de l’électorat socialiste”. Notes de la Fondation Jean Jaurès du 6/02/2015.

[2] Voir notamment les travaux d’Inglehart sur le post matérialisme et la « Révolution silencieuse ».

[3] Référence aux « gradients d’urbanité » chers au géographe Jacques Lévy qui montrent qu’en isolant les critères sociodémographiques le Front National superforme à mesure que l’on s’éloigne du centre urbain, au contraire des Verts. Ces études sont toutefois controversées puisqu’elles essentialisent des comportements locaux à un modèle national en faisant fi de la composition sociologique des zones étudiées.

[4] Valable pour toutes les données socio-démographiques : Ipsos.fr. Européennes 2019 : Sociologie des électorats. Publié le 26/05/2019. https://www.ipsos.com/fr-fr/europeennes-2019

[5] Oesch, D. (2012). “The class basis of the cleavage between the New Left and the radical right An analysis for Austria, Denmark, Norway and Switzerland.” Publié dans:  Rydgren, J. (2012). Class Politics and the Radical Right. London: Routledge. 2012, p. 31-52

 

Image à la Une : évolution du score des partis Verts aux élections européennes de 2019 par rapport à la précédente élection de 2014. Plus le vert est foncé, plus l’évolution est forte.

Expérimentation animale : le temps est venu d’agir. Tribune de Yannick Jadot

Voici l’intégralité de la tribune que Yannick Jadot nous a adressé.

Alors que près de 2 millions d’animaux sont utilisés en France à des fins scientifiques et éducatives, ce nombre continue de croitre. On relève aussi que les procédures dites « sévères » – c’est-à-dire les plus douloureuses – sont en constante augmentation.

Certes il y a bien une Directive européenne « relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques » promulguée en 2010 (transposée en droit français dans le décret 2013-118 du 1er février 2013) qui pose un certain nombre d’obligations aux États membres, propres à réduire le nombre d’animaux utilisés dans les procédures et les souffrances qui leur sont infligées.

Cette directive énonce sans ambiguïté que l’objectif final est « le remplacement total des procédures appliquées à des animaux vivants à des fins scientifiques et éducatives, dès que ce sera possible sur un plan scientifique […] »

Pourtant, les résultats ne sont pas là. Le constat est désolant mais réaliste : rien n’est fait concrètement pour accompagner la transition vers une recherche sans animaux, l’absence de volonté politique est criante.

En effet, la réglementation européenne n’est toujours pas contraignante vis-à-vis des États membres et rien n’oblige ceux-ci à utiliser les méthodes non-animales, y compris celles qui ont été validées par l’ECVAM (European Center for Validation of Alternatives Methods).

Malgré tout, des entrepreneurs s’engagent, comme c’est le cas de la start-up rennaise « Cherry Biotech » spécialisée – entre autres – dans le développement des organes sur puce, biotechnologie utilisant des cultures cellulaires 3D et la micro-fluidique. Les « organs on chip » permettent d’évaluer avec une grande fiabilité les effets de substances chimiques (dont les médicaments) sur un organisme humain ou d’étudier le développement de différentes pathologies, sans utiliser d’animaux.

Pour la prochaine mandature européenne, EELV et ses députés élus s’engagent à

1.     Soutenir le développement et la mise en œuvre des méthodes de recherche non-animales.

2.     Appuyer la création d’instances impartiales, objectives et éclairées pour évaluer les projets utilisant des animaux (évaluation en amont mais aussi rétrospective),

3.     Allouer les moyens nécessaires à une évaluation objective et une prise en charge efficace des douleurs et souffrances des animaux utilisés dans les procédures.

La réforme nécessite donc la révision de la directive européenne 2010/63/UE qui devra notamment introduire des objectifs chiffrés de réduction, allouer des moyens suffisants et pérennes au Laboratoire européen de référence (ECVAM) pour lui permettre de mener à bien l’ensemble de ses missions, mettre en place des critères et des normes beaucoup plus exigeantes en matière de bien-être animal.

Il est de notre responsabilité à tous de prendre soin des animaux de laboratoire ; et d’épargner au plus grand nombre possible d’animaux d’y être soumis.

Yannick JADOT, député européen et tête de listes des écologistes à l’élection européenne.

Muriel OBRIET

Commission condition animale EELV

Référente du pôle « expérimentation animale/méthodes substitutives »

Collaboratrice de l’association Pro Anima – EthicScience