Tech, finance et armement unis derrière Netanyahou

Benjamin Nethanyahou au lancement du campus Google de Tel Aviv. Capture d’écran Youtube

Renfloué par les marchés financiers et soutenu par la Silicon Valley, Israël a réaffirmé sa vocation de rouage central de l’ordre géostratégique américain suite au 7 octobre 2023. Tandis que son armée continue de pilonner les Gazaouis, Google, Amazon et Microsoft lui livrent leurs modèles d’Intelligence artificielle (IA). Sur les marchés, les grandes banques absorbent sans sourciller les émissions obligataires israéliennes. Et dans les capitales occidentales, aucune sanction ne vient troubler ce flux de capitaux. Derrière les discours sécuritaires, un attelage se dessine : celui d’un techno-militarisme transatlantique, où la guerre sert de débouché à des firmes en quête de rente publique [1].

Dans un discours passionné prononcé devant le Congrès en 1986, le jeune Joe Biden a fait un aveu d’une franchise surprenante. Non seulement Israël était d’une importance vitale pour les intérêts américains, mais si « Israël n’existait pas, les États-Unis devraient l’inventer ». Peu après le 7 octobre, Joe Biden a réitéré cette déclaration en recevant le président israélien Isaac Herzog à la Maison Blanche.

On peut interpréter la déclaration de Joe Biden comme une confirmation de l’utilité stratégique d’Israël pour les États-Unis. Avant-poste de la puissance occidentale au Moyen-Orient, Israël a empêché la formation d’un bloc arabe autonome et a veillé, aux côtés des monarchies du Golfe, à ce que les énergies fossiles continuent d’affluer. Un rôle qui rend le pays essentiel au processus d’extraction des ressources mené par les États-Unis dans la périphérie moyen-orientale.

L’acquisition par Google de Wiz, société israélienne de cloud, pour 32 milliards de dollars, a constitué une bouée de sauvetage pour Tel-Aviv.

Mais les considérations géostratégiques ne sont pas les seules à lier les Etats-Unis et Israël. L’intense lobbying mené à l’intérieur des États-Unis, tel que le décrivent John Mearsheimer et Stephen Walt – auteurs de l’ouvrage The Israel Lobby and U.S. Foreign Policy – joue certainement un rôle. Cependant, outre la promotion des intérêts impériaux de l’Amérique dans la région, Israël entretient également des liens économiques étroits avec des grandes entreprises nord-américaines. Des liens qui peuvent expliquer pourquoi, lorsqu’il est question de la « sécurité d’Israël », il n’y a pas de demi-mesure – et pourquoi les Éatts-Unis demeurent complices du génocide perpétré dans la bande de Gaza.

Intégration d’Israël à l’empire américain

L’imbrication de l’économie israélienne avec celle des États-Unis a véritablement commencé au milieu des années 1980. À l’époque, Israël adopte la politique d’austérité préconisée par l’économiste Stanley Fischer pour lutter contre l’hyperinflation qui sévit dans le pays (M. Fischer est ensuite devenu le huitième gouverneur de la Banque d’Israël et le vice-président de la Réserve fédérale américaine).

Washington a récompensé Tel-Aviv en lui accordant un accord de libre-échange, une assistance financière et en renonçant à ses créances sur la dette israélienne. Cette aide a permis à Israël d’établir des relations plus étroites avec les marchés financiers américains, comme ce fut le cas après le lancement du « processus de paix » qui a abouti aux accords d’Oslo au début des années 1990. Dans les années qui ont suivi, les flux d’investissement entre les deux pays ont augmenté de manière significative.

Dans les années 1990, stimulé par l’afflux de travailleurs qualifiés en provenance des États-Unis et de l’URSS, Israël s’est également taillé un rôle de laboratoire de R&D à faible coût dans le cadre de la division du travail du capital américain. Les secteurs israéliens des technologies de l’information et de la communication (TIC), de la cybersécurité, de la défense et de la biotechnologie ont particulièrement bénéficié de ces échanges. Avec le temps, ils sont devenus toujours plus bilatéraux. La migration d’Israéliens nés en Union soviétique, comme Ilya Sutskever, vers la Silicon Valley, où il est devenu le scientifique en chef d’OpenAI, illustre bien cette tendance.

Cela a créé des liens économiques durables entre capitaux israéliens et américains. La société Intel de Santa Clara est depuis longtemps le plus grand employeur privé en Israël, où elle emploie environ 10 % de sa main-d’œuvre mondiale et contribue à hauteur de 2 % par an au PIB israélien. En achetant les obligations d’Israël, les établissements financiers occidentaux jouent depuis longtemps un rôle essentiel dans les finances publiques et la stabilité macroéconomique du pays.

Cette tendance s’est accentuée après le 7 octobre 2023. Bank of America, Citibank, Goldman Sachs, JPMorgan, Deutsche Bank, BNP Paribas et Barclays ont alors acheté des obligations israéliennes d’une valeur de 19,4 milliards de dollars. Leur succès dans la commercialisation de 5 milliards de dollars d’obligations en février dernier a permis aux taux d’intérêt attachés aux dettes de rester à portée de main (+1,2 % dans le cas des obligations à cinq ans et +1,35 % dans le cas des obligations à dix ans) des bons du Trésor américain d’échéances équivalentes. De plus, ces mêmes institutions se classent également parmi les principaux souscripteurs de bons du Trésor israéliens libellés en shekels et parmi les investisseurs les plus actifs sur le marché secondaire où ces dettes sont négociées.

Environ 75 à 80 % du capital-risque soutenant le secteur technologique israélien provient des États-Unis. Au printemps 2025, 108 entreprises israéliennes étaient cotées sur les marchés boursiers américains. Elbit Systems, le premier fabriquant d’armes israéliens, est l’une d’entre elles. Et depuis près de vingt ans, la filiale locale de l’entreprise bénéficie d’une grande masse d’investissements. En mai dernier, Elbit a levé 512 millions de dollars supplémentaires auprès d’investisseurs américains par le biais d’une nouvelle émission d’actions.

La tech, l’État et le militarisme

Le secteur de la tech américaine a également joué un rôle majeur dans le génocide. Au cours des vingt derniers mois, Amazon et Google ont ouvert à l’armée israélienne et aux principaux fabricants d’armes un accès privilégié à leurs services de cloud.

Depuis octobre 2023, Google et Microsoft ont également fourni à l’armée israélienne leurs principaux modèles d’IA, ce qui leur a valu les félicitations publiques du colonel Racheli Dembinsky, commandant de l’unité du centre informatique et des systèmes d’information de l’armée israélienne. En outre, les capitaux de la Silicon Valley ont servi à renforcer la stabilité macroéconomique de l’économie israélienne. L’acquisition, en mars 2025, de la société israélienne de cloud Wiz pour 32 milliards de dollars par Alphabet, la société-mère de Google, a constitué une bouée de sauvetage pour l’économie israélienne.

Inquiète des maigres perspectives de rentabilité dans l’économie civile, la tech en est venue à considérer la défense et la sécurité comme des marchés de croissance particulièrement prometteurs.

Mais l’implication de la tech ne découle pas seulement de ces liens souterrains entre économies américaine et israélienne. Elle est inhérente au modèle entrepreneurial des géants de la tech au XXIe siècle. Ces dernières années, le secteur de la tech n’a fait qu’accroître sa dépendance aux États, plutôt qu’aux consommateurs, pour le maintien de ses profits. À des degrés divers, les géants de la Silicon Valley sont confrontés à trois problèmes interdépendants : la concurrence des entreprises chinoises, les inquiétudes quant à la viabilité à long terme de la publicité et des revenus issus des services de cloud, ainsi que la crainte que leurs investissements colossaux dans l’infrastructure de l’IA ne soient pas rentables.

Ainsi, les contrats gouvernementaux en sont venus à être considérés comme une assurance-vie par les géants de la tech. Inquiète des maigres perspectives de rentabilité dans l’économie civile, la tech – à l’instar du secteur de la private equity et du venture capital – en est venue à considérer la défense et la sécurité comme des marchés de croissance particulièrement prometteurs.

En passant des contrats avec l’État israélien, ces entreprises sécurisent une source de revenus non négligeable, décrochent une occasion de tester des services sur le terrain et des applications de services publicitaires, ainsi qu’un moyen de rester dans les bonnes grâces du Pentagone. Comme l’a fait remarquer l’économiste marxiste Rosa Luxembourg il y a un siècle, le militarisme contribue à souder les classes dominantes à l’État. À Gaza, le militarisme attire le capital financier grâce aux commandes de plusieurs milliards de dollars passées par Israël à General Dynamics, Lockheed Martin et Northrop Grumman. Mais le pays bénéficie désormais du soutien d’une industrie technologique dont la devise, il y a dix ans à peine, était « Don’t Be Evil ».

Note :

[1] Article originellement publié par notre partenaire Jacobin sous le titre « US Tech and Finance Have Become Israel’s Greatest Allies », traduit par Alexandra Knez.