La vérité sort de la bouche des menteurs

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©Sarah Hafiz

Dans son dernier ouvrage, Jean-Michel Aphatie poursuit inlassablement l’entreprise de décrédibilisation de la “classe médiatique” mainstream, dévoilant un système de copinage à bout de souffle, et un mépris certain pour ces pauvres cloches d’électeurs que nous sommes.

« Quel journaliste peut ainsi se vanter d’intervenir à soixante-sept reprises en huit minutes dans le cadre d’une interview ? Jean-Michel Aphatie bien entendu. Cette prouesse, qui doit probablement constituer un record en la matière, a été accomplie lors de la venue de Nadine Morano, le 15 février 2012. Un simulacre d’interview qui en dit long des méthodes de cet éditocrate en chef dont l’une des marques de fabrique consiste à couper la parole de ses interlocuteurs, anéantissant ainsi toute illusion de débat de fond. Sur RTL comme sur Canal +, l’interview politique est donc un sport de combat où les coups donnés masquent (à peine) un manque évident d’intérêt pour la diversité des opinions et des options politiques, surtout si celles-ci ne sont pas du goût de Jean-Michel Aphatie », Acrimed, 12 mars 2012.

C’est, comme dirait l’autre, la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

Que le monde politique et le monde médiatique actuel soient dans un état de déliquescence avancé, ça ne date pas d’hier. Qu’un certain nombre de journalistes complaisants, adeptes du copinage en série, grassement payés par des capitaines d’industrie, dégradent jour après jour la réputation et la valeur de leur profession, c’est acquis. Qu’un nombre assez restreint de vedettes omniprésentes cultivent le zapping et la désinformation, allons, il faut être né de la dernière pluie pour l’ignorer.

Il n’empêche : tomber nez-à-nez avec le dernier chef d’oeuvre d’une de ces vedettes où figure, sur la première de couverture, une question comme “En 2017, qui sera le meilleur menteur ?” a de quoi écœurer violemment. Voyons, va-t-on aussitôt m’objecter, l’affinité des politiques, et en particulier des mieux mis en avant par le système médiatique, est une évidence, non ? Ça n’est pas Cahuzac qui nous l’aura appris ?

Un beau pedigree 

Rappelons le parcours du vénérable M. Aphatie. Après avoir fait cocus une bonne pelletée de médias privés (Canal+, RTL, L’Express) et une petite poignée de médias publics, le voilà débarqué pour une nouvelle aventure sur la toute dernière émanation télévisuelle du service public, FranceTV Info. Il y pratique son art subtil, à l’égal de nombre de ses confrères, de titiller la classe politique, de lui tirer les vers du nez, dans l’espoir de lui faire cracher le morceau, autrement dit, de poser toujours à peu près les mêmes questions aux mêmes individus. Au fond, il s’agit d’entendre leurs idées, peut-être pas le fond de leur pensée, ne rêvons pas, mais une pensée ayant vocation à convaincre une majorité de citoyens.

Que je sache, M. Aphatie ne lance pas en début d’entretien “Alors, vous vous situez où dans l’échelle du mensonge, vous vous considérez un champion en la matière ?”. Bien sûr que non. Alors cracher à la face du monde, avec un grand sourire, cette question qu’il n’oserait pas leur dire en face, c’est au mieux de l’hypocrisie, au pire du cynisme catégorie poids lourds.

Nourrir, loger et surtout blanchir M. Aphatie

Seulement, qui paye M. Aphatie ? En ce moment, la redevance télévisuelle. C’est-à-dire vous et moi. Si Aphatie était le Zorro des médias, s’il s’appliquait à prendre en flagrant délit de mensonge les politiciens, ou s’il prenait soin d’inviter des gens qu’il aurait de bonnes raisons de croire intègres, on pourrait trouver que l’investissement tient la route. Le problème, c’est que c’est exactement le contraire, c’est plutôt le genre “symbole conspué d’un journalisme “assis”, au mieux inoffensif et inutile, au pire complice des pouvoirs1. Côté oligarchie, il n’est pas en reste : en 2012, Bruno Masure estimait qu’il gagnait environ 20 SMIC par mois2.

Conclusion : soit M. Aphatie ment (non, pas tous menteurs !), soit il croit véritablement à son oxymore : on peut être le meilleur et être le pire des menteurs. Et on peut porter une critique par ailleurs légitime (essoufflement des élites traditionnelles peu renouvelées, tendance au mensonge) sur les “puissants”, tout en se vautrant dans la même fange, qui plus est aux frais du contribuable. On peut offrir de l’audience aux mêmes personnes que l’on châtie par derrière. Contradiction ? Provocation ? Humour décalé ? Non : rentabilité.

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