Vers le triomphe de Bernie Sanders ?

Bernie Sanders

Le sénateur socialiste espère faire adopter le plan d’investissement de Joe Biden pour le social et le climat au Congrès fédéral, un projet de 4 000 milliards de dollars susceptible de transformer le pays. Le modèle social qui en découlerait, et les investissements dans la transition écologique associés, auraient un profond impact sur l’Amérique et au-delà. Mais le patronat, les intérêts financiers et leurs relais au sein du Parti démocrate livrent une intense bataille pour le faire échouer. Assistera-t-on au triomphe de Sanders ou à l’échec de Biden ?

Du jamais vu. Ce vendredi 27 août, plus de 2 000 personnes se sont déplacées à Lafayette, ville modeste située dans l’État conservateur de l’Indiana, pour assister à un rassemblement politique. Du haut de ses quatre-vingts ans, Bernie Sanders a profité de la pause estivale pour repartir en campagne. En plus de l’Indiana, il a visité la petite ville de Cedar Rapids, dans l’Iowa. « C’est très inhabituel de voir un politicien d’envergure nationale visiter cette région » concède à Jacobin magazine monsieur Jeff Kurtz, ancien élu de Cedar Rapids. Cette fois, Bernie Sanders ne cherche pas à promouvoir sa propre candidature, mais un double projet de loi au cœur de la politique de Joe Biden : le plan d’investissement dans les infrastructures, le social et le climat. « Le projet le plus significatif pour les travailleurs et classes moyennes depuis les années 1960 » selon Bernie Sanders.

Annoncé au mois de mars par Joe Biden, le plan se divise en deux volets distincts. Le premier, d’un montant initialement fixé à 2 200 milliards, couvre les investissements dans les infrastructures et pour la transition énergétique. Le second, chiffré à 1 800 milliards, cherche à renforcer le modèle social, ce que Joe Biden a désigné comme les « infrastructures humaines. » Les montants sont calculés sur dix ans et doivent être financés par des hausses d’impôts sur les entreprises et grandes fortunes, la Maison-Blanche ayant refusé de recourir au déficit budgétaire via la création monétaire, suite aux craintes injustifiées d’une hausse de l’inflation.

De là découle le premier obstacle. Le Parti républicain (Grand Old Party, GOP) s’oppose fermement à toute hausse d’impôts sur les classes supérieures et les grandes entreprises, en plus d’espérer faire échec au plan pour des raisons électoralistes – une économie en berne et une présidence Biden inefficace lui étant favorable pour les élections de mi-mandat.

Ne pouvant compter sur la collaboration du GOP, Joe Biden disposait de deux options législatives pour faire adopter son plan au Congrès : obtenir de la part de la majorité démocrate au Sénat la suppression de la règle du filibuster qui nécessite 60 votes sur 100 pour faire adopter un projet de loi (les démocrates disposent de 50 sénateurs et du vote de la vice-présidente pour départager une éventuelle égalité), ce qui permettrait ensuite de légiférer à majorité simple, ou bien faire passer le texte via la procédure exceptionnelle de « réconciliation budgétaire. » C’est grâce à cette procédure, réservée aux lois impactant le budget fédéral, que Joe Biden avait fait adopter son plan de relance Covid au mois de mars.

Lire : Le plan covid de Joe Biden change-t-il la donne, mars 2021, LVSL

Mais deux sénateurs démocrates, Joe Manchin et Kyrsten Sinema, s’opposent à la suppression du filibuster et rechignent à recourir à la procédure de réconciliation. Plutôt que de concentrer ses efforts de persuasion sur ces deux alliés, Joe Biden a décidé de suivre leur stratégie de négociation avec le Parti républicain, dans l’espoir d’obtenir un accord bipartisan susceptible de passer le Sénat avec soixante voix. Au risque de perdre un temps précieux, la Maison-Blanche préférait laisser Manchin et Sinema tenter cette approche bipartisane afin d’obtenir leur soutien pour passer le volet social par réconciliation budgétaire.

Après trois mois d’âpres tractations, pas moins de dix-sept sénateurs républicains ont voté le texte portant sur les infrastructures. Une première victoire de Joe Biden, néanmoins à double tranchant.

Un accord bipartisan en forme de piège tendu par les intérêts financiers

Des 2 200 milliards de dollars, le premier volet du plan Biden est passé à 550 milliards. Les montants couvrent des investissements dans les infrastructures physiques (routes, ponts, rails, aéroports et ports) pour 268 milliards, ainsi que 65 milliards pour l’accès à l’internet haut débit, 43 pour l’électrification des transports et la rénovation du réseau électrique, 46 pour l’adaptation au changement climatique, 21 pour boucher les sites pétroliers et miniers en fin de vie, et 55 pour la rénovation des canalisations d’eau potable. Des montants significatifs, mais à mettre en parallèle avec la proposition initiale de Joe Biden, déjà inférieure aux 2 600 milliards recommandés par les experts pour la simple rénovation des infrastructures actuelles.

Copie d’écran du NYT, via « The infrastructure plan, what’s in and what’s out » : à gauche le projet initial, à droite ce qui a été voté au Sénat.

Au lieu d’être financé par des hausses d’impôts, ce projet sera payé par des économies plus ou moins crédibles sur la fraude à protection sociale et via la privatisation d’infrastructures publiques existantes. Pour la gauche américaine, le manque d’ambition et les mécanismes de financement sont problématiques. Si les sénateurs les plus progressistes du Parti démocrate, dont Bernie Sanders, ont voté ce texte, c’est que sa ratification à la Chambre des représentants est conditionnée au vote du second volet du plan, portant sur le social.

« Les investissements inclus dans le texte bipartisan ne sont pas tous idéaux, il y a des provisions pour leurs financements qui sont vraiment inquiétantes (…) Bipartisan ne veut pas nécessairement dire que c’est dans l’intérêt du public, souvent ces textes incluent de nombreux cadeaux aux lobbies »

Alexandria Ocasio-Cortez, sur Cable News Network (CNN), le 4 août 2021.

En effet, la stratégie adoptée par Chuck Schumer (président de la majorité démocrate au Sénat), Nancy Pelosi (présidente de la Chambre) et Joe Biden consiste à voter le projet en deux temps : un premier volet bipartisan, déjà voté au Sénat, et un second qui doit être adopté par la procédure de réconciliation budgétaire. Afin d’éviter d’être trahie en cours de route par les démocrates conservateurs, la gauche progressiste a obtenu que les deux plans soient « couplés ». Le plan bipartisan ne saurait être adopté par la Chambre sans que le Sénat passe le second volet par réconciliation. Ce second volet contient les mesures portant sur le climat initialement prévues dans le premier texte mais abandonnées lors des négociations avec les républicains, en plus des réformes sociales.

La Maison-Blanche et les cadres du Parti démocrate souscrivent à cette stratégie. Néanmoins, rien ne garantit que ce second volet « social et climat » ne soit pas également vidé de son essence au cours du processus législatif.

House of Cards au Congrès

En août, le Sénat a ainsi adopté deux textes : le plan bipartisan avec l’aide des républicains, et un projet de loi qui autorise le recours à la procédure de réconciliation pour un montant maximal de 3 500 milliards, ce qui constitue déjà un compromis du point de vue de l’aile gauche. En effet, du haut de sa position centrale de Chef du Comité au Budget du Sénat, responsable de la procédure de réconciliation, Bernie Sanders réclamait 6 000 milliards.

Les 3 500 négociés permettent, en théorie, d’accomplir une longue liste de priorité de la gauche démocrate. Outre les investissements massifs pour la transition énergétique – dont la création d’un Climate civil corps qui agira comme un programme d’emploi public pour effectuer des tâches liées à la transition écologique et pourrait à terme employer des millions de personnes, le plan prévoit d’abaisser l’âge d’éligibilité à l’assurance maladie publique Medicare, de couvrir les frais dentaires et d’audition pour les seniors, de rendre les deux premières années d’enseignement supérieures et l’accès à la maternelle gratuit, de pérenniser l’allocation familiale de 300 dollars par mois et par enfant votée en mars dans le cadre du plan covid, d’instaurer des congés parentaux et arrêts maladie payés… bref de renforcer considérablement le modèle social américain. À cette transformation majeure s’ajoutent les principales dispositions du Pro Act, un texte visant à renforcer significativement le pouvoir des syndicats de travailleurs, ainsi qu’une réforme portant sur l’immigration, dans le but de faciliter la régularisation de nombreux sans-papiers et leurs enfants.

Les sources de financement sont en cours de négociation, mais incluent une hausse de la fiscalité sur les plus riches et les grandes entreprises, la possibilité donnée à Medicare de négocier directement les prix des médicaments avec les laboratoires comme en Europe (au lieu de se les faire imposer par les fabricants négociant directement avec les hôpitaux et assurances privées) et un renforcement de la lutte contre l’évasion fiscale. Autant de propositions qui provoquent une forte mobilisation des intérêts financiers et du patronat contre le texte.

Pour l’instant, deux obstacles se dressent face au camp Sanders. Au sein des commissions responsables de l’élaboration du texte, les démocrates conservateurs les plus proches des lobbies déploient des efforts considérables, souvent contre leurs propres promesses électorales, pour alléger le texte. En particulier sur la baisse des prix des médicaments, suceptible de générer 600 milliards d’économie en dix ans.

Ensuite, au niveau des majorités démocrates des deux chambres, les négociations internes au parti portant sur les grandes lignes du texte restent vives.

Au Sénat, Joe Manchin et, dans une moindre mesure, Kyrsten Sinema, cherchent à amputer le plan de 2 000 milliards pour ne conserver que les dispositions les plus favorables au Capital, tout en réduisant la nécessité d’obtenir des sources de financement.

À la Chambre, un petit groupe d’élus démocrates conservateurs a engagé un bras de fer pour découpler les deux volets du texte. Leur but est simple : voter en premier lieu le plan bipartisan déjà adopté au Sénat afin de priver la gauche du parti de tout levier lors des négociations sur le contenu du second volet, tout en se réservant la possibilité de voter contre celui-ci. Ces démocrates, soutenus lourdement par les organisations patronales telles que la Chamber of Commerce, ne sont pas parvenus à faire plier Nancy Pelosi. Mais ils ont obtenu d’elle la promesse que le texte bipartisan sera « considéré » pour un vote à la Chambre dès le 27 septembre, avant que le vote du second volet ne soit effectif au Sénat. Cette manœuvre explique le soutien des sénateurs républicains au premier volet du plan : il leur offre indirectement une possibilité théorique de faire échec aux réformes portant sur le social et le climat.

Le Progressive Caucus, un groupe parlementaire informel d’élus progressistes, a menacé très sérieusement de voter contre le texte bipartisan, si le découplage des deux volets avait lieu. Fort d’une petite centaine d’élus, il a la capacité théorique d’imposer sa volonté aux démocrates conservateurs récalcitrants.

« L’attitude de Joe Manchin n’est pas acceptable (…) Je sais qu’il s’est énormément investi sur le volet bipartisan (…) les deux volets du plan ont été écrits en tandem et fonctionnent comme un tout, ce serait vraiment regrettable pour les Américains et le Congrès que ces deux volets échouent au Sénat. »

Bernie Sanders, le 12 septembre sur CNN

Mais il n’est pas impossible, si un nombre suffisamment élevé d’élus républicains décidaient de rejoindre les démocrates conservateurs, que l’aile gauche soit mise en échec à la Chambre. Dans pareil scénario, tout dépendra du nombre d’élus progressistes qui aura le courage de voter contre l’accord bipartisan du plan Biden. Or, les primaires pour la législative partielle de l’Ohio ont montré comment les tactiques malhonnêtes et mensongères visant à accuser la candidate pro-Sanders Nina Turner d’être hostile au programme de Joe Biden lui avaient couté son élection face à une démocrate conservatrice.

Pour le moment, les progressistes emmenés par Ilhan Omar, la whip du Progressive Caucus, tiennent bon. Mais plus le vote approchera, plus la pression sera intense et les dissensions lourdes au sein de la majorité démocrate.

Un test parfait pour le capitalisme du XXIe siècle

Pour comprendre pourquoi un texte au pouvoir électoraliste si évident et par ailleurs plébiscité par l’électorat démocrate et républicain peine à voir le jour, il faut revenir aux fondamentaux de la politique américaine.

Les élus répondent à deux grands types de motivations. Leurs perspectives de carrière, en termes de réélection ou de mandat à des postes supérieurs, et leurs opportunités d’enrichissement personnel.

Aux États-Unis, où les intérêts privés peuvent financer les campagnes électorales, se plier aux exigences des différents lobbies et donateurs permet de s’assurer des dons importants pour les futures campagnes. Mais du point de vue électoraliste, voter en fonction des préférences de ses électeurs (localisés dans une circonscription précise pour les parlementaires) est un autre facteur non négligeable. Au minimum, il vaut mieux éviter d’effectuer des votes qui exposeraient ensuite l’élu à des attaques aux prochaines élections, que ce soit face à un candidat républicain ou un démocrate dans le cadre d’une primaire.

Typiquement, les élus issus d’une circonscription solidement acquise à leur parti disposent d’une plus grande marge de manœuvre et doivent avant tout se soucier du risque d’une primaire, alors que les parlementaires issus de territoires contestés doivent soigner l’électorat centriste et leur base.

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À l’échelle du parti, il est également indispensable d’obtenir des résultats probants, au risque de provoquer les conditions d’une lourde défaite aux prochaines élections.

C’est pour cela que Joe Biden, Chuck Schumer et Nancy Pelosi se trouvent, pour une fois, davantage en phase avec l’aile progressiste qu’avec les démocrates conservateurs : leur priorité reste de garder leur mandat, et le contrôle des institutions qui va avec (présidence, Sénat et Chambre des représentants). De ce point de vue, l’adoption d’une version à peine édulcorée du projet de Bernie Sanders serait probablement idéale. Sans compter leur hypothétique désir de laisser derrière eux un « héritage » politique fort. Dans le cas de Schumer, la perspective de voir Alexandria Ocasio-Cortez le défier dans le cadre d’une primaire entre probablement en ligne de compte dans son rapprochement avec la gauche du parti. Pour Pelosi, comme l’expliquait récemment le journaliste Ryan Grim, le fait que sa majorité parlementaire dépende de plus en plus des électeurs situés dans la banlieue aisée justifie de faire adopter des textes qu’ils plébiscitent. Si les dépenses fédérales étaient jadis perçues comme de l’assistanat au seul bénéfice des classes défavorisées, elles sont désormais accueillies positivement par les classes moyennes et supérieures inquiètes du réchauffement climatique, des coûts exorbitants de l’assurance maladie et de l’éducation. 

« La finalité pour nous tous est la suivante : on ne peut pas laisser passer cette opportunité. (…) Le Sénat va se montrer à la hauteur de l’ampleur de la crise climatique »

Chuck Schumer, le 13 septembre 2021, à propos du plan d’investissement et des résistances internes à son parti.

Mais certains élus conservateurs démocrates ont d’autres priorités. Si certains espèrent acquérir une réputation en se plaçant au cœur des négociations, d’autres cherchent certainement à s’offrir une retraite dorée dans le privé. C’est ce qui semble motiver une partie des neuf élus conservateurs rebelles à la Chambre, qui se sont opposés à Joe Biden et leurs propres promesses de campagne en cherchant à faire échouer la stratégie législative du parti. Une situation qui ne manque pas d’ironie. Après avoir été élus contre des candidats progressistes avec le soutien de Nancy Pelosi, ils la remercient en cherchant par tous les moyens à faire échouer son agenda législatif. L’establishment démocrate paye son opposition structurelle à l’aile progressiste. La position des élus conservateurs n’en reste pas moins incompréhensible du point de vue électoral : ils représentent des circonscriptions acquises au Parti démocrate et leurs constituants soutiennent très largement le plan Biden/Sanders.

Au Sénat, la corruption est plus avérée. Qualifié de « sénateur préféré » d’Exxon Mobil par le principal lobbyiste de la compagnie pétrolière dans un enregistrement audio fuité à la presse, Joe Manchin est à la tête d’une petite fortune issue de l’industrie du charbon. En plus d’être financé par les principaux représentants de ces industries – Wall street compris – Manchin a donc un intérêt personnel à s’opposer aux hausses d’impôts, à freiner la transition énergétique et à protéger les profits des laboratoires pharmaceutiques.

« Je parle aux équipes de Joe Manchin toutes les semaines. »

Keith McCoy, directeur des relations entre ExxonMobil et le Congrès, dans un échange obtenu par Channel 4.

Différents enregistrements audios obtenus par la presse ont confirmé ce qui pourrait paraitre pour de simples spéculations. Dans l’un d’eux, Manchin reconnait implicitement vouloir protéger la règle du filibuster pour défendre les intérêts de ses donateurs issus de Wall Street, et leur suggère d’acheter quelques voix républicaines pour faire échec à la gauche progressiste, en évoquant la possibilité de promettre à ces élus une place au soleil dans une entreprise privée.

L’allégeance de Kyrsten Sinema envers le patronat est tout aussi explicite. Dans une visioconférence fuitée à la presse, elle sollicitait directement les représentants patronaux pour obtenir des arguments contre la loi Pro Act censée renforcer le pouvoir des syndicats. Elle est également la principale bénéficaire des dons issus de l’industrie pharmaceutique.

Ceux qui prônent un « capitalisme vert » et parient sur le bon sens du patronat et de la Finance pour maintenir la cohésion de la société disposent d’un exemple limpide des conditions nécessaires à cette réalisation.

Bien que Joe Biden revendique son attachement au capitalisme et vise à en pérenniser les structures, les grands intérêts financiers représentés – entre autres – par la Chamber of Commerce et les cadres de Wall Street refusent la moindre concession susceptible de diminuer leur profit à court terme, que ce soit via une faible hausse d’impôt ou une modeste remise en cause de leur chiffre d’affaires potentiel. À cette opposition générale contre toute mise à contribution – malgré les sommes records promises par Joe Biden pour stimuler l’économie – s’ajoutent les intérêts sectoriels.

À ce titre, l’enregistrement du lobbyiste en chef d’Exxon Mobil obtenu par Chanel 4 est particulièrement éloquent. On l’entend détailler sa stratégie d’opposition à la transition énergétique, qui consiste à supporter publiquement des propositions politiquement inapplicables – comme la taxe carbone – tout en s’attaquant aux sources de financement du projet de loi climat pour le vider de sa substance. Ainsi, les lobbies ne dénoncent pas l’investissement dans la rénovation thermique des bâtiments qui réduirait la demande d’énergie carbonée, mais cherchent à convaincre certains élus démocrates de ne pas toucher au taux d’imposition afin d’empêcher le financement de cette mesure. Cette stratégie, adoptée par Manchin et Sinema au Sénat, à de fortes chances de porter ses fruits.

Vers un dénouement imminent ?

Compte tenu des lois mises en place à l’échelle locale par le Parti républicain pour restreindre l’accès au vote des minorités et du nouveau découpage partisan des circonscriptions, il est de notoriété publique que les démocrates ont très peu de chances de se retrouver en capacité de faire adopter des réformes ambitieuses dans les dix prochaines années. Sauf s’ils parviennent à déjouer les pronostics et faire mentir les précédents historiques. Ce qui nécessite a priori de passer une réforme suffisamment significative du point de vue de l’amélioration du quotidien des Américains. Faire adopter le plan de Joe Biden ne constitue pas uniquement une bonne politique pour le climat et le social, mais un impératif pour le futur du Parti démocrate.

Ce qui ne garantit en rien son succès. Si les deux factions démocrates restent campées sur leurs positions, les deux volets échoueront au Congrès. De même, les démocrates conservateurs, aidés par quelques élus républicains, pourraient parvenir à faire adopter l’accord bipartisan et faire échouer le plan complémentaire de 3 500 milliards. C’est l’objectif de la Chamber of Commerce et du Parti républicain.

Une hypothèse moins pessimiste verrait le plan bipartisan adopté avec la version tronquée du plan Sanders, qui serait réduit à 1 500 milliards et ne comporterait plus aucune avancée sociale structurelle ni investissement majeur pour le climat. C’est l’objectif affiché par Joe Manchin, ce qui constitue une volte-face puisqu’il se disait favorable à un plan de 4 000 milliards au mois de mars, avant que les lobbyistes entrent en jeu.

Mais l’hypothèse du succès de Bernie Sanders – que ce soit en obtenant son plan de 3 500 milliards ou une version relativement proche – reste tout à fait envisageable. Plusieurs éléments conjoncturels permettent d’y croire. Les cadres du Parti démocrate ont besoin de cette victoire, la société civile et les différentes organisations citoyennes font pression en ce sens et la gauche progressiste dispose d’une réelle capacité de négociation. De l’autre côté, les élus républicains à la Chambre sont plus proche de la ligne Trump et moins susceptibles de voter avec les démocrates le volet bipartisan. Enfin, la Chamber of Commerce et les grandes entreprises ont besoin des investissements contenus dans le volet bipartisan, ce qui donne un levier à la gauche démocrate pour négocier. Reste à savoir si Joe Biden saura peser de tout son poids pour faire pencher la balance du côté de l’aile Sanders, plutôt que de laisser Manchin et ses alliés le tenir en échec. Du résultat de ce combat politique dépendent probablement beaucoup de choses.