La victoire du transformisme et la défaite des classes populaires

Macron Média Le Vent Se Lève LVSL Attal Macronisme Une Journaux
© Création/Édition LHB pour LVSL (2017)

François Hollande fera donc un second mandat. Son « fils », Emmanuel Macron, est en tête du premier tour, et le FN est beaucoup trop bas pour pouvoir espérer enclencher une dynamique suffisamment puissante pour prendre le pouvoir. Il est donc vraisemblable – sauf accident majeur – qu’Emmanuel Macron soit élu le soir du second tour des élections présidentielles. Cette victoire est celle d’un opportunisme politique très à la mode en Italie, qu’on appelle gentiment « transformisme » dans le pays de Dante.

« Tout changer pour que rien ne change »

Les amateurs de cinéma italien connaissent la fameuse formule du Guépard, réalisé par Luchino Visconti, qui met en scène le processus d’unification de l’Italie par le haut. Ce processus a conduit à un grand toilettage des élites italiennes, sans pour autant remettre en cause leurs privilèges. Nous assistons exactement au même phénomène. Les élites libérales du pays ont fait le constat d’un discrédit insurmontable sur le PS et LR. Elles opèrent donc un vaste mouvement de recomposition et de « renouvellement », incarné par Emmanuel Macron.

Les deux partis qui ont structuré la vie de la Vème République sont entrés dans un mouvement de destruction partielle et de recomposition, tout en se délestant de leurs éléments contestataires. Si le PS est d’ores et déjà une coquille vide et que beaucoup de ses élus sont passés chez Macron, le mouvement s’est aussi initié chez LR, ainsi que le montrent les multiples appels d’hier soir à « construire une majorité avec Emmanuel Macron ». La majeure partie du PS et l’aile centriste des Républicains commencent une opération de rapprochement, sur le modèle des « grandes coalitions » qu’on connaît dans le reste de l’Europe. Plus aucune barrière idéologique ne s’oppose à une telle fusion tant nous avons assisté à un phénomène de convergence politique autour du consensus néolibéral. L’orthodoxie comptable est donc en marche, et va conduire à une recomposition politique.

Quand les sociaux-libéraux sauvent leur peau

Il faut avouer que le coup était difficile à réaliser. Malgré leur grande impopularité, les restes du pouvoir socialiste vont pouvoir se recycler chez Emmanuel Macron, et un certain nombre de députés vont pouvoir sauver leur siège grâce au changement d’étiquette, celle du PS étant devenue un boulet. Quant à François Hollande, il a probablement gagné un poste européen majeur – vraisemblablement la présidence du conseil européen -, ce qui lui permettra de sortir par le haut, alors que son quinquennat a été une catastrophe de bout en bout.

Il aura néanmoins fallu un matraquage médiatique considérable pour mettre en scène Macron comme incarnant une forme de renouveau, et surtout, la mise à mort politique de Fillon par un feuilleton politico-médiatique interminable. Mais c’est un « one shot », un coup à un tir, car il ne sera plus possible de sortir la carte de la jeunesse et de la carrière hors des partis.

Le chant du cygne d’une époque

Le programme d’Emmanuel Macron est, dans l’esprit, exactement le même que celui de François Hollande. Il faut « réformer », pour « détruire les rigidités », afin de « libérer la croissance ». Entendez flexibilisation du rapport salarial, marchandisation généralisée et intensification du degré de concurrence dans l’économie. Tout ceci sera probablement saupoudré d’une nouvelle baisse de « charges » inefficace, sur le modèle du CICE, afin de « libérer les entreprises » pour qu’elles « créent des emplois ». Bref, tout ce qui ne marche pas depuis 30 ans. Les mêmes politiques, dans le contexte français, produiront les mêmes effets. Cela sera d’autant plus le cas que le projet de réorientation de l’Europe d’Emmanuel Macron est aussi crédible que celui de François Hollande, alors que les déséquilibres s’accroissent et que la construction européenne bénéficie toujours plus à l’Allemagne au détriment des pays du Sud.

Il ne faudra alors pas s’étonner que les fractures françaises s’approfondissent, que la précarisation des salariés s’approfondisse toujours plus, et qu’inévitablement, la contestation du système en place s’amplifie, qu’elle prenne une forme de gauche avec Jean-Luc Mélenchon (et, dans une moindre mesure, Benoît Hamon), ou une forme d’extrême-droite avec le Front National. Car, en effet, ce qui n’a pas été relevé, c’est que les partis en place ont fait un score historiquement bas.

La montée des radicalités

S’il y a un enseignement à retenir de ce scrutin, c’est que les partis « de gouvernement » totalisent un score très bas, seulement 44% si l’on prend le score de Macron et celui de Fillon, 50% si l’on y ajoute celui de Benoît Hamon, le candidat du PS. Il n’y a donc pas de quoi pavoiser, c’est un sauvetage in extremis qui a eu lieu, et non une réelle conquête électorale.

Il y a par ailleurs un fait nouveau, le FN n’est plus hégémonique dans la contestation, même s’il reste devant. Le très haut score de Jean-Luc Mélenchon, loin devant le candidat du PS, est peut-être le signe annonciateur d’un puissant bloc populiste de gauche, tout comme l’est Podemos en Espagne. Le vote des jeunes et des chômeurs (respectivement 30% et 31%) qui, dans un contexte de chômage de masse, ont beaucoup de difficultés à obtenir un emploi, est impressionnant, tout autant que l’est le faible score du tribun chez les retraités, notamment ceux qui ont eu le temps d’accumuler du patrimoine (12%). De même, le candidat de La France Insoumise a vraisembablement fait concurrence au FN chez les ouvriers, qui ont voté à 23% pour lui, et à 37% pour Marine Le Pen, alors que celle-ci était annoncée à des niveaux bien supérieurs. Bref, Jean-Luc Mélenchon a réussi a s’implanter de nouveau dans les classes populaires, alors que la gauche reculait systématiquement ces dernières années en leur sein.

Néanmoins, les élections législatives seront cruciales et risquées pour La France Insoumise, car la campagne tribunicienne de Jean-Luc Mélenchon implique une forte déperdition des voix entre les deux élections, étant donnée la prime accordée au gagnant de la présidentielle. Cependant, si le mouvement obtient des députés et se structure, on pourrait alors voir le paysage à gauche être profondément remodelé, avec l’émergence d’une puissante force post-marxiste, mais non pour autant social-démocrate.

La collusion entre les forces libérales pourrait ainsi conduire à une augmentation de la polarisation politique, qui s’opérerait à terme au détriment du bloc centriste, et aux bénéfices combinés du FN et du mouvement en gestation à gauche. L’intensité de la recomposition à venir dépendra donc du nombre de députés de ces mouvements contestataires. De leur nombre dépendra leur structuration et leur capacité à produire des cadres crédibles. La présidentielle n’est plus un enjeu, tout se jouera aux législatives.