Violences policières : à Aulnay, l’Etat ségrégue

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Gare d’Aulnay sous bois ©Clicsouris

Le 2 février dernier, Théo, jeune homme d’Aulnay-sous-Bois (93) est passé à tabac et violé par quatre policiers au cours d’une interpellation. Si l’affaire s’ajoute à une longue liste de “bavures” qui en disent long sur la manière dont l’Etat français s’intéresse aux banlieues, elle ouvre également la porte à des perspectives de mobilisation réelles.

Théo, Adama, Malik et les autres

Reprenons donc : si Théo est toujours hospitalisé dix jours après les faits, il aura au moins échappé au destin funeste d’un certain nombre de jeunes ayant eu maille à partir avec la police nationale. Le cas le plus célèbre est celui de Malik Oussekine, tué en 1986 par deux policiers en service à la suite d’une manifestation. Les deux meurtriers seront condamnés à une peine de prison avec sursis. En 2005, la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, deux adolescents qui fuyaient un contrôle de police et se sont cachés dans un transformateur électrique, entraîne les plus importantes émeutes urbaines que la France ait connu depuis la fin de la guerre d’Algérie.

Plus proche de nous, la mort en juillet 2016 d’Adama Traoré lors d’un contrôle de gendarmerie avait entraîné une vaste mobilisation d’habitants des banlieues, relayée par des artistes ainsi que la famille Traoré. L’affaire est d’autant plus détestable que les deux frères d’Adama ont été condamnés à des peines de prison ferme pour outrage à agent. Pendant ce temps, l’enquête principale piétine.

“Entre le bitume et la brousse”

Le profil de ces incidents ne doit pas nous étonner tant ils se ressemblent, pas plus que les réactions des syndicats policiers réactionnaires. Dans chaque cas, on retrouve les mêmes éléments : des victimes majoritairement jeunes, issues de l’immigration, des banlieues et des classes populaires. Les bavures ont toujours lieu à la suite de contrôles de police musclés. Les vérifications d’identité sont un procédé policier inconnu dans certains quartiers mais pourtant omniprésent dans les grands ensembles. Elles ont pour objectif d’instaurer un contrôle social de l’Etat sur des populations perçues comme dangereuses. Le seul mot d’ordre donné à cette masse d’ouvriers, de femmes de ménages, de petits commerçants, de chômeurs, de balayeurs peut se résumer en une injonction : ne pas bouger. La société a besoin d’une réserve de main-d’œuvre bon marché pour occuper un certain nombre d’emplois dévalorisés, notamment dans les métropoles.. Pour la police, la sécurité passe après l’ordre social.

Ces pratiques policières, nombreuses a dégénérer en incidents violents ne s’abattent pas sur les banlieusards par hasard. Si les cas cités plus hauts concernent tous des jeunes d’origine subsaharienne ou maghrébine c’est bien que la fonction de maintien de l’ordre social attribuée à la police est héritée de la colonisation, période toujours d’actualité pour certains territoires. “Le monde colonisé est un monde coupé en deux. La ligne de partage, la frontière en est indiquée par les casernes et les postes de police. Aux colonies, l’interlocuteur valable et institutionnel du colonisé, le porte-parole du colon et du régime d’oppression est le gendarme ou le soldat.” Remplaçons “colonies” par “banlieues” et constatons que ces mots de Frantz Fanon dans Les damnés de la terre n’ont pris aucune ride un demi-siècle après avoir été écrits. Qu’un officier de police qualifie le terme de “bamboula” de “convenable” en dit long sur l’entreprise politique à laquelle appartient l’institution policière.

Et maintenant ?

Depuis des semaines, des manifestations de soutien à Théo se multiplient. Alors que les proches de la victime appellent au calme, de nombreux incidents sont à constater. Ces manifestations sont pour l’instant essentiellement le fait d’habitants des banlieues, premiers concernés par les violences policières, et de militants d’extrême-gauche.  Ou encore, des lycéens, notamment parisiens, qui se sont mobilisés en soldarité avec Théo. Problème : si les premiers restent localisés dans les espaces périphériques dans lesquels l’Etat souhaite les confiner, les seconds mobilisent essentiellement les classes moyennes blanches dans les centre-villes. Aux discours moralisateurs n’ayant jamais connu l’expérience de la violence policière et souhaitant condamner la forme des manifestations, invoquons une fois de plus Fanon : “Le souci de sécurité [du colon] l’amène à rappeler à haute voix au colonisé que “Le maitre ici, c’est moi”. Le colon entretient chez le colonisé une colère qu’il stoppe à la sortie.” Cependant, la perspective de construction d’un mouvement politique crédible reste limitée.

En 1983, la Marche pour l’égalité et contre le racisme, abusivement renommée “Marche des beurs” avait permis de rendre visible dans l’espace public une nouvelle génération de jeunes de quartiers populaires derrière des revendications de dignité, de justice et de fin des violences policières. Ce mouvement unitaire s’était vu confisquer sa lutte par un anti-racisme socialiste plus à même de brandir l’argument de la morale que d’appuyer les revendications matérielles des manifestants. La victoire d’un mouvement de lutte en 2017 passe par la mise en relation des forces progressistes avec les manifestants. Il en va du devoir des partis, des syndicats et des associations d’organiser les révoltés dans une dynamique de lutte. Ce travail politique est un travail de longue haleine, contrairement aux rêves délirants d’insurrection spontanée d’une partie de la gauche, mais il est indispensable pour créer l’unité nécessaire à une victoire concrète face aux humiliations policières. Ce n’est qu’en investissant la lutte organisée que les classes populaires vaincront, ce n’est qu’en investissant les quartiers que la gauche survivra.

 

©Clicsouris