La sortie en salle de Logan (1er mars), dernier film en date de la saga X-Men, sera pour Hugh Jackman l’occasion de dire adieu à un Wolverine qu’il incarne depuis dix-sept ans. Pour LVSL, c’est surtout l’opportunité, après Star Wars ou encore The Walking Dead, de poursuivre l’entreprise de revalorisation de certains pans de la pop culture, et de ce qu’ils peuvent nous dire, à travers l’exemple des X-Men, ces super-héros mutants hautement politiques.
A l’instar de nombreuses mythologies contemporaines issues de la pop culture, les X-Men ont été déclinés à toutes les sauces : bandes-dessinées, romans, jeux vidéos, séries TV, et films évidemment. Le nombre d’œuvres relatives à cet univers a explosé depuis la parution du premier numéro de X-Men en septembre 1963, écrit par les légendaires Stan Lee et Jack Kirby. Devant l’ampleur de cet univers devenu multimédia, un néophyte risque de vite être perdu. C’est pourquoi nous nous concentrerons surtout sur les films X-Men (plus susceptibles d’être connus du plus grand nombre), en s’autorisant toutefois quelques crochets par les comics (en essayant de tuer le cliché qui ferait de ce média un divertissement abrutissant pour ados en manque d’adrénaline).
C’est quoi, les X-Men ?
En quasiment 55 ans d’existence, les nombreuses histoires des X-Men ont eu largement le loisir de partir un peu dans tous les sens (c’est le propre de la plupart des sagas de longue durée), mais les grandes lignes restent les mêmes. L’histoire racontée est celle de l’apparition au sein de l’Humanité d’un gène mutant (le gène X) qui apparaît chez certains individus, leur conférant des capacités extra-ordinaires (télépathie, pyrokinésie, régénération cellulaire, téléportation… la liste est interminable). Le monde humain se retrouve alors divisé en l’homme « ordinaire » et les Mutants. Dans ce contexte évolutif inédit, l’Homme prend peur devant la menace potentielle de ces mutants, et ceux-ci font vite l’objet de discrimination. Voilà pour le contexte général, qui permet déjà d’entrevoir les thématiques politiques impliquées.
Pour ce qui est de la saga au cinéma, là encore les studios n’ont rien fait pour aider les débutants à s’y retrouver. Voilà une tentative d’éclaircissement. Il y a dix films X-Men, sortis entre 2000 et aujourd’hui, et ce n’est sans doute pas fini. Entre 2000 et 2006, est sortie une première trilogie [1]. Ensuite, a été produite une prélogie [2] (à la manière de Star Wars, qui raconte les événement se passant avant), composée d’encore trois longs-métrages. Enfin, nous avons eu le droit à quatre spin-off (des films « dérivés ») [3], plus ou moins reliés aux trilogies (au niveau narratif, c’est un bazar innommable, il faut bien l’admettre) : avec un triptyque consacré spécifiquement à Wolverine (qui s’achèvera donc avec Logan), et le désormais culte Deadpool (qui, politiquement, n’a pour le coup absolument rien à dire).
Dans tout cela on trouve du très bon jusqu’au franchement naze, mais laissons cette question aux cinéphiles : quelles réflexions les X-Men peuvent-ils plutôt nous inspirer ?
Un travail sur la différence et le regard qu’on lui porte
Le premier volet de X-Men commence par la fugue de la jeune Malicia du foyer parental, après un incident impliquant ses pouvoirs et son petit copain. Par contact avec la peau, la jeune mutante a en effet la capacité d’absorber l’énergie vitale de celui ou celle qu’elle touche. La mutation de Malicia est une métaphore de la maladie, en l’occurrence du sida : son incapacité à avoir des relations intimes avec celui qu’elle aime sera une des intrigues du second épisode. Elle incarne, peut-être plus que tous les autres, celle qui effraie par sa différence, et par la « menace » qu’elle représente pour une société fondée sur la « normalité ».
Mais X-Men est d’autant plus signifiant qu’il ne se limite pas à une seule représentation de la différence : sont évoqués à travers les personnages le handicap (la paraplégie de Charles Xavier ; Cyclope, métaphore de la cécité), la maladie (toute l’intrigue de X-Men 3 tourne autour de l’idée qu’on pourrait « guérir » la mutation, comme on espérait jadis « guérir » l’homosexualité par exemple), la couleur de peau (Mystique et Diablo sont bleus), l’homosexualité (notamment à travers une scène de « coming-out » mutant dans X-Men 2), etc. Les Mutants, dans leur diversité, incarnent diverses formes d’écarts à une norme dominante, socialement construite (hétéro, blanche, etc).
La thématique centrale de X-Men devient dès lors celle du regard porté par les autres, ceux qui se perçoivent comme normaux, face à ceux qui sont perçus comme anormaux. Les Mutants vivent en marginaux dans l’école secrète du Professeur Charles Xavier, précisément parce qu’ils sont marginalisés – à la fois sur le plan politique (ce sont les mesures discriminatoires du sénateur Kelly dans le premier volet) et sur le plan individuel (être regardé de travers, etc). Là où les films apportent un degré de lecture supplémentaire aux comics, c’est qu’ils opèrent à travers la réalisation et la narration un renversement des perspectives.
Les héros que nous suivons sont les « freaks », les Mutants, et ainsi la figure de l’Autre se retrouve incarnée par les gens « normaux ». Les scènes les plus violentes sont sans nul doute celles faites de discrimination quotidienne, bien plus que la violence des combats, à l’image de la scène citée plus haut où une mère regarde son fils, horrifiée et incrédule, en lui demandant s’il « n’a pas essayé de ne pas être un Mutant ». Effrayante négation d’identité, venue de sa propre famille.
Bryan Singer, le réalisateur de quatre des dix films [4], a fait le choix d’une « caméra mutante » pour transcrire cette inversion de paradigme, en utilisant les moyens numériques qui se développent au début des années 2000 pour faire des mouvements de caméra anormaux (une caméra qui traverse un mur, par exemple ; ou qui adopte un angle improbable). En nous immergeant ainsi dans la peau des discriminés, en rendant la normalité anormale et inversement, il nous montre comment les codes sociaux peuvent être construits et déconstruits, et à quel point la notion de « normalité » est vide de sens et potentiellement dangereuse, car instrumentalisable.
Combattre pour ses droits : le fait politique dans X-Men
Un des éléments parmi les plus connus de X-Men est la dualité de vision politique incarnée par la relation/opposition entre Charles Xavier et Magneto. Il faut pour la comprendre replonger dans le contexte de parution du premier comic book. Celui-ci sort en septembre 1963. Moins d’une semaine avant, Washington a connu la March for Jobs and Freedom de Martin Luther King, et son « I have a dream ». Les auteurs Lee et Kirby ont en priorité le mouvement Noir pour les droits civiques comme référence lorsqu’ils écrivent et dessinent leur premier numéro. Ils font de Xavier une métaphore de Luther King : modérés, ils partagent l’idée d’une réconciliation par la paix, le dialogue, et sont profondément pacifistes et humanistes. On lui oppose Magneto (alias Erik Lehnsherr), un Malcolm X version mutant. Tout comme le porte-parole de Nation of Islam, Magneto a abandonné son « nom d’esclave » pour s’en choisir un nouveau et prône le recours à l’affrontement s’il le faut pour faire valoir ses droits. Rescapé des camps nazis, Magneto est aussi traumatisé par son passé et n’a plus aucun espoir pour une Humanité qu’il sait capable des pires atrocités dés lors qu’elle discrimine.
X-Men fait donc s’affronter ces deux visions du combat politique pour les droits des minorités : la voie conciliatrice et « réformiste », et la voie révolutionnaire, qui ne se refuse pas l’usage de la violence. Si les films peuvent sembler faire un choix et donner raison à Xavier (puisqu’il est dans le camp des héros), c’est en réalité bien moins manichéen. Magneto n’est pas stricto sensu un méchant (il navigue d’ailleurs d’un camp à l’autre dans les films, notamment dans la prélogie : tantôt héros, tantôt anti-héros). Les vrais méchants sont toujours des non-Mutants, représentant le système en place qui produit le discours normatif (le sénateur Kelly, le général Stryker, le chef d’entreprise Warren Worthington, némésis respectives des trois premiers films, représentent différentes émanations du pouvoir).
X-Men ne tranche donc pas vraiment sur la question de l’action politique, laissant le spectateur libre de réfléchir et d’éventuellement choisir entre les deux visions antagonistes de Magneto et Charles Xavier. La seule certitude étant qu’il faut agir pour ses droits et que la notion de normalité peut (doit) être déconstruite pour changer le regard des autres.
Sources :
[1] X-Men (2000), X-Men 2 (2003) de Bryan Singer ; X-Men : The Last Stand (2006), de Brett Ratner
[2] X-Men : First Class (2011), de Matthew Vaughn ; X-Men : Days of Future Past (2014), X-Men : Apocalypse (2016), de Bryan Singer
[3] X-Men Origins : Wolverine (2009) de Gavin Hood ; The Wolverine (2013), Logan (2017) de James Mangold ; Deadpool (2016) de Tim Miller
[4] Bryan Singer, le réalisateur, et producteur de la quasi-totalité de la saga, est Juif et homosexuel. Il dit s’être inspiré de son propre vécu pour faire transparaître le mal-être de ses personnages. Sir Ian McKellen, qui campe Magneto, est lui aussi un militant LGBT+ de longue date, et c’est une des motivations qui l’a amené dans le projet.
Crédits photo :
© 20th century fox https://www.moviefone.com/2016/05/24/x-men-movie-facts/
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