Yolanda Diaz face aux obstacles

Yolanda Diaz, crédits : La Moncloa

Le 2 avril, Yolanda Díaz, vice-première ministre espagnole et ministre du Travail, a confirmé sa décision de se présenter comme candidate à la présidence lors des élections générales qui doivent être convoquées pour novembre 2023. La candidate a annoncé sa volonté lors d’un rassemblement bondé à Madrid, où sa nouvelle plateforme Sumar (« Additionner ») a rassemblé deux fois plus de personnes qu’il n’y avait de places dans le stade. La décision de Díaz a été chaleureusement accueillie avec le soutien du Parti communiste d’Espagne (PCE), de la gauche verte (Equo, Alliance verte). La plupart des partis régionalistes de gauche du pays étaient également présents, des membres de Cataluña en Comùn dirigés par la maire de Barcelone, Ada Colau, à la force dominante de la gauche alternative valencienne, Compromís. Cependant, l’événement a été marqué par l’absence notable de Podemos, dont la position dominante ne semble plus être tenue pour acquise au sein de la gauche alternative espagnole.

« Les femmes n’appartiennent à personne. Et moi, en tant que femme, je n’appartiens à personne non plus », a affirmé Yolanda Diaz à une foule ravie. « Nous en avons assez d’être sous tutelle, d’être ignorées. Nous sommes très fatiguées. Et nous continuerons à le dire : nous n’appartenons qu’à nous-mêmes. (…) Je veux être la première femme Premier ministre d’Espagne et, si vous le souhaitez, nous le rendrons possible ensemble ».

Le message à Pablo Iglesias et à Podemos était clair : la gauche espagnole ne se voit plus comme une constellation de satellites gravitant autour du parti violet. Un nouveau leadership, dirigé par Yolanda Diaz, soutenu par un front de syndicats, d’acteurs sociaux et de partis politiques, aspire à devenir son nouveau centre de gravité. À l’approche de nouvelles élections générales, l’Espagne est confrontée à la menace de la montée au pouvoir d’une coalition de droite intégrant l’extrême droite post-franquiste du parti Vox. Dans ce contexte, l’avenir du projet de Diaz et l’issue de ses négociations délicates avec les acolytes d’Iglesias deviennent cruciaux pour l’avenir de la gauche européenne.

Lent déclin de Podemos ?

Podemos, né du tumulte politique provoqué par le mouvement des Indignés et capitalisant sur un ressentiment généralisé contre l’austérité et la corruption, semblait conserver le leadership incontesté de la gauche alternative espagnole pendant près d’une décennie. Après son émergence explosive lors des élections européennes de 2014, le parti est devenu hégémonique au sein de la gauche radicale lors des élections générales de 2015 après avoir menacé de « détruire » le front électoral historique du parti communiste, Izquierda Unida (IU). À l’époque, les 69 sièges remportés par la « coalition confédérée » dirigée par Podemos prévalaient largement sur les résultats de Izquierda Unida, qui n’obtenait que deux sièges. Depuis lors, bien que les « rouges » et les « violets » aient réussi à résoudre leurs différences fondamentales pour forger une coalition stable, « Unidas Podemos », le leadership de cette dernière est resté pratiquement incontesté.

« Qu’est-ce qui a changé ? », demanderont beaucoup. En fin de compte, Podemos a été le principal architecte du gouvernement de coalition formé par Pedro Sanchez et Pablo Iglesias juste avant la pandémie. Sous la direction de Podemos, la gauche alternative a réussi à rompre avec son isolement persistant du pouvoir depuis la Seconde République espagnole (1931-1939). Ses ministres ont réussi à augmenter le salaire minimum malgré les réticences du PSOE et ont fait avancer des changements législatifs importants contre les violences de genre. La dernière réforme du travail en Espagne a rompu avec une logique historique de démantèlement des droits des travailleurs. De plus, le pays a fait un grand bond en matière de mémoire historique. Comme le politologue Sebastian Faber l’a expliqué, la nouvelle loi mémorielle espagnole reconnaît enfin les victimes de Franco et les atrocités commises par sa dictature.

Cependant, le bilan réel est plus mesuré. Au cours des cinq dernières années, les résultats électoraux de Podemos ont chuté à chaque élection. Au milieu de luttes internes sanglantes, de purges bruyamment médiatisées et d’une persécution judiciaire brutale de ses leaders, le parti s’est recroquevillé dans une posture de citadelle assiégée. Au fil des années, de nombreux fondateurs du parti ont quitté l’organisation allant jusqu’à la qualifier de « broyeuse de viande ». De plus, à la suite de désaccords récurrents avec le Parti communiste et la plupart des forces régionalistes, les liens du parti avec ses alliés sont fortement fragilisés. La majorité des prétendues « Villes du changement » (les mairies des grandes villes que la gauche alternative a gouvernées en 2015) sont désormais dirigées par le PP et le PSOE. Dans des nations historiques comme la Galice, le parti est passé de la direction de l’opposition à un statut extraparlementaire en moins de cinq ans.

Le bilan électoral de Podemos fait davantage figure de lent déclin que de conquête d’une hégémonie de long terme.

D’une certaine manière, Podemos n’était pas absent au meeting au cours duquel Diaz a été adoubée comme candidate. Certains membres dissidents du « Comité citoyen » du parti, tels que les secrétaires de l’Industrie et des Droits de l’homme, ont rompu avec la discipline de l’organisation pour assister à l’événement. Il faut également rappeler qu’un quart des partis accompagnant la vice-première ministre sont nés de la fragmentation de Podemos en une myriade de scissions. Par exemple, des partis tels que Más Madrid – qui surpasse actuellement Podemos dans tous les sondages pour les élections de la capitale -, et dirigés par Iñigo Errejon, soutiennent Sumar. De même, un autre parti récemment fondé dans l’archipel des Canaries et dirigé par Alberto Rodriguez, qui occupait le poste de secrétaire à l’organisation de Pablo Iglesias jusqu’en juin 2022, victime d’une décision judiciaire qui l’a révoqué son siège au Congrès des députés, soutient Yolanda Diaz. Enfin, et surtout, d’anciens cadres de Podemos ont joué des rôles cruciaux dans les cercles intérieurs de Sumar. Au sens propre, les mains qui écrivent les discours de Diaz ont composé les partitions de la mélodie de Podemos. En ce sens, leur ton accusateur envers Sumar est quelque peu paradoxal.

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Yolanda Diaz et son « pari arithmétique » : un espoir de renouveau pour la gauche ?

Si les défis auxquels la gauche espagnole est confrontée sont si importants, qu’est-ce qui, dans Sumar, peut faire une réelle différence ? Avant tout, le projet de Diaz aspire à surmonter les limites du leadership de Podemos de trois manières. Premièrement, alors que les successeurs d’Iglesias ont enraciné leur organisation à Madrid, Diaz, elle-même originaire d’une région périphérique, la Galice, cherche à construire une coalition « plurinationale » de forces représentant la diversité des sentiments nationaux et régionaux de l’Espagne.

Deuxièmement, la posture de citadelle assiégée de Podemos, qui dénonce les opérations judiciaires et journalistiques menées contre ses dirigeants par « l’État profond » et « l’oligopole médiatique » semble peu payante en termes électoraux ; à l’inverse, Sumar mise sur d’un discours qui se veut « optimiste ». Pour reprendre les mots du politologue Daniel Guisado, cet imaginaire politique de « l’espoir » se focalise sur « l’adresse aux personnes à représenter » plutôt que sur « l’ennemi à combattre ». Sans nier la nécessité d’une confrontation agonistique avec les élites, Sumar renonce à en faire un élément aussi structurant que Podemos – accusé de tenir un discours aux relents anxiogènes et conspirationnistes. Enfin, Sumar, qui qualifie sa plateforme de « mouvement citoyen », prétend en revenir aux fondamentaux du parti violet, là où Podemos se recroquevillerait dans un « chauvinisme de parti ».

Dans une certaine mesure, le caractère éclatant et festif de la candidature de Diaz visait à représenter ce changement. Sur scène, Diaz était accompagnée d’un aréopage éclectique d’intervenants : une gameuse féministe et streameuse Twitch, une commerçante, la première députée transgenre de l’histoire de l’Espagne, un syndicaliste, la poétesse nicaraguayenne et ancienne combattante guérillera Gioconda Belli, une influenceuse TikTok de vingt ans, etc. En tant que base de soutien mis en avant par la vice-ministre, ils visaient à refléter les multiples visages de la gauche alternative espagnole. En parcourant le stade, on pouvait tomber sur des intellectuels marxistes à l’ancienne discutant avec des microcélébrités d’internet ; des membres âgés de la résistance anti-franquiste clandestine assis avec de jeunes militants pour la justice climatique ; ou des livreurs syndiqués fatigués des plateformes debout à côté d’activistes numériques techno-enthousiastes. L’événement était loin de ressembler à un rassemblement de campagne.

Diaz fait face à une bataille difficile. Le spectre d’une coalition entre le Parti populaire conservateur et l’extrême-droite de Vox devient de plus en plus tangible. L’expérience de la déclaration d’indépendance de la Catalogne en 2017, le ressentiment généralisé contre les transformations culturelles menées par la gauche, et les quatre années de consolidation institutionnelle d’un gouvernement de coalition qu’ils considèrent comme un « régime socialo-communiste » ont fortement mobilisé la droite politique. La tâche qui incombe à Diaz est ardue : elle doit unir la gauche sans laisser Podemos de côté et consolider son leadership émergent. D’un autre côté, on ignore dans quelle mesure Podemos serait prêt à accepter cette transition vers une gauche qu’il ne dirigerait plus.

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