Le Conseil Constitutionnel vérifie la constitutionnalité des lois a priori, c’est-à-dire avant leur promulgation, et a posteriori, dans le cadre d’un procès si une question prioritaire de constitutionnalité est invoquée (QPC). Il est le gardien de la Constitution. Mais qui garde le gardien ? Personne.
À sa création en 1958, le Conseil Constitutionnel avait pour unique vocation de contrôler la conformité des lois avec le texte constitutionnel, mais il a depuis élargi ce contrôle dans une décision de 1971 dite “Liberté d’association” élargissant ce contrôle au “bloc de constitutionnalité” c’est-à-dire à la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, mais également au préambule de la Constitution de 1946, et à la Charte de l’environnement depuis 2005. Il a effectué une profonde redéfinition de son rôle.
“La seule cour suprême c’est le peuple” – De Gaulle
Le Conseil Constitutionnel prend des décisions politiques
Cet élargissement est loin d’être anodin puisque les textes de lois ne sont plus uniquement examinés au regard de l’organisation des pouvoirs, mais aussi au regard de valeurs générales comme la liberté, l’égalité, la sûreté, mais aussi de principes intensément politiques comme le droit de propriété par exemple (cité dans l’article 2 de la Déclaration de 1789). Quelle légitimité est celle du Conseil Constitutionnel pour prendre des décisions politiques ?
Elle est très faible. Les membres du Conseil (ils sont 9, sans compter les anciens présidents de la République) étant nommés par le Président de la République, le président de l’Assemblée Nationale et celui du Sénat . Il n’y a aucun contrôle populaire sur leur nomination et les décisions qu’ils prennent.
Sièyes en 1795 avait proposé un modèle de jury constitutionnaire1 dont les membres, exerçant une fonction de tribunal constitutionnel auraient été élus. De manière indirecte (en partie par l’Assemblée et la Convention) mais élus. Et pourquoi pas ? Pourquoi pas une élection des membres du Conseil ? Ce serait la légitime contrepartie de l’augmentation conséquente de ses prérogatives, dont la teneur politique est indéniable. Pour comprendre cette teneur, il faut comprendre la nature des liens entre droit et politique, le droit étant la branche technique des décisions de l’arbre politique. Le droit n’est qu’une formulation neutre de décisions politiques.
Il faut comprendre ces liens entre droit et politique, mais également le rôle du juge. Le juge interprète la norme qui lui est soumise et ce faisant, il crée la norme. Comme le disent les américains : The Constitution is what the Supreme Court says it is !. Un exemple illustre parfaitement cet état de fait : les lois sociales de Roosevelt du New Deal étaient systématiquement refusées par la Cour Suprême américaine au nom des amendements 5 et 14, qui consacrent notamment le droit de propriété. Après de multiples rapports de force, y compris la menace de Roosevelt d’augmenter le nombre de membres de la Cour pour les mettre en minorité, les juges ont finalement changé d’avis sur leur interprétation, considérant que ces lois étaient tout à fait compatibles avec la Constitution américaine. De quoi relativiser le prétendu caractère neutre, immuable, et naturel des principes juridiques… C’est la leçon du positivisme : l’interprète crée dans un certain ordre de contrainte la norme qu’il interprète.
Pour prendre un exemple plus récent, les membres de la Cour Constitutionnelle ont considéré compatible avec la Constitution le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance, en 2012, alors qu’il prévoit une amende de plusieurs milliards d’euros en cas de non respect des 3% de déficit. Etrange quand on sait que l’article 14 de la Déclaration de 1789 prévoit la libre fixation de la quotité et de l’assiette de la contribution publique, c’est-à-dire de l’impôt, par les citoyens. C’est une interprétation qu’on peut clairement considérer comme contre-intuitive, ou contra-legem (contre le sens de la loi) pour ceux qui estiment qu’une loi a un sens en elle-même.
Quelle liberté a-t-on quand on est soumis à la pression de la Cour de Justice de l’Union Européenne et à la menace de sanctions financières pour décider de l’impôt ? Cette interprétation du Conseil a permis de faire accepter ce traité anti-social et antidémocratique, qui met le parlement français sous la tutelle d’une cour d’oligarques européens non-élus et enferme à jamais dans un carcan juridique les politiques d’austérité dont on voit les ravages dans toute l’Europe.
Absurdité et honte supplémentaires : Sarkozy, qui avait négocié le TSCG avec Angela Merkel, était alors membre de droit du Conseil en tant qu’ancien président de la République au moment de cette décision ! On imagine mal qu’il allait lutter contre l’adoption d’un traité qu’il avait lui-même négocié.
Les membres du Conseil Constitutionnel doivent être élus par le peuple constituant
Faire élire les membres du Conseil, ce n’est donc pas politiser la Constitution, c’est la logique et nécessaire conséquence de la politisation de ses prérogatives. Et c’est finalement revenir au principe même du pouvoir constituant : il doit être issu de la volonté du peuple souverain, du peuple constituant, qui doit décider des règles d’organisation du pouvoir qu’il fixe et auquel il se soumet.
Certains discours, notamment celui de Pierre Rosanvallon dans l’OBS du 1er Décembre 20162, définissent la Cour comme une seule “mémoire de la volonté des principes fondateurs” et s’inscrit dans cette logique de contrôle de la volonté générale par un contrôle constitutionnel “garde-fou du populisme.”
Ce discours dépolitisant et tarte à la crème dissimule mal cette réalité, que les cours constitutionnelles ne sont pas des “garde-fous du populisme” (encore faudrait-il définir le populisme, un concept ultraflou servant à qualifier Marine Le Pen, Macron et Mélenchon, devant naturellement inspirer de la méfiance), mais exercent aujourd’hui une véritable fonction oligarchique et populophobe. C’est en effet la crainte de voir “les classes dangereuses” définir elles-mêmes les règles de la politique qui pousse nombre de politiques, de juristes, et d’universitaires en tout genre à vouer un culte absurde et dangereux à un contrôle constitutionnel antidémocratique.
En gros, pour ces gens-là, la loi, c’est l’expression de la volonté générale… si les 9 anciens ministres, hauts fonctionnaires et autres vieux croûtons qui finissent leur carrière au 2 rue de Montpensier (siège du Conseil) sont d’accord.
Alors que l’idée d’une VIe République revient dans le débat politique, les institutions de la République doivent être dotées d’un contrôle constitutionnel digne du nom de démocratie.
La Cour Constitutionnelle, qui décide de ce qu’est la Constitution, doit être élue par les citoyens francais. Car qui, en dernière instance, est le juge politique en démocratie ? C’est le peuple.
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Sources :
1https://ahrf.revues.org/11225
2http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20161201.OBS2020/pierre-rosanvallon-il-y-a-une-grande-detresse-democratique.html