En Iran, les minorités religieuses se retrouvent confrontées à un pouvoir central aux politiques très paradoxales : certaines de ces communautés sont à la fois protégées et exclues par l’État iranien. Chrétiens, Juifs ou Zoroastriens vivent en effet dans un pays musulman à plus de 95%, chiite dans sa grande majorité. Et dans cette République islamique, appartenir à l’une des rares minorités religieuses est synonyme de discrimination, voire de persécution. Alors que certaines religions « historiques » bénéficient d’un statut spécial, leur garantissant une relative liberté de culte et de sièges au Parlement, d’autres, comme les Bahaïs, voient leurs droits les plus fondamentaux violés depuis des décennies.
Des minorités religieuses issues d’une longue sédimentation
Si l’on connaît surtout l’Iran pour la loi islamique qui y est appliquée, plusieurs communautés religieuses y subsistent malgré tout. Avant l’arrivée de l’islam, le zoroastrisme était la religion officielle de l’Iran sous les Sassanides. Il a été battu en brèche avec l’invasion arabe au VIIème siècle, et l’islamisation progressive de l’Iran pendant les quatre siècles suivants.
On y trouve également l’une des plus anciennes communautés chrétiennes du Proche et du Moyen-Orient, puisque l’Église de Perse aurait été fondée par l’apôtre Thomas. Les Chrétiens y ont néanmoins été persécutés par les souverains Sassanides, car ils les considéraient comme des représentants de l’Empire romain, subversifs et déloyaux. Avec la conquête islamique de la Perse, et le statut de la dhimma, le statut des minorités religieuses, chrétiennes comme juives, évolue : dépositaires d’une partie de la Vérité révélée, ces minorités étaient protégées par le sultan et avaient le droit de pratiquer leur foi, à condition de reconnaître la suprématie de l’islam.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’Iran abrite aussi la deuxième communauté juive du Moyen-Orient après Israël. Ses membres descendent pour certains des Juifs restés dans la région après l’exil en Babylone, au VIème siècle av. J.-C.. Cette communauté est restée importante jusqu’en 1979, alors que les communautés juives des autres pays du Moyen-Orient avaient presque disparu suite à la création d’Israël. Bien que la Constitution de 1979 donne un statut officiel aux Juifs et même un siège au Parlement, de nombreux membres de cette communauté ont émigré vers Israël, étant accusés par le régime de sionisme et de collusion avec Israël et les Etats-Unis.
Des libertés limitées
En Iran, le chiisme est aujourd’hui la seule religion légitime, proclamée religion d’État suite à la Révolution islamique de 1979. Cependant, la Constitution autorise la plupart des minorités à professer leur culte et à vivre sous la protection de l’État. Au Parlement, trois sièges sont même réservés aux Chrétiens arméniens, chaldéens et assyriens, un siège pour les Juifs, un autre pour les Zoroastriens. En revanche, la Constitution prévoit que la voix d’un non-Musulman – ou d’une femme -, vaut la moitié de la voix d’un Musulman dans un tribunal.
Dans ce pays où le paradoxe est roi, on croise des Chrétiennes coiffées du hijab islamique, en chemin pour l’église où l’on célèbre Noël en toute discrétion. Ces minorités ont, certes, officiellement le droit d’exister, mais dans des conditions très strictes et avec des libertés réduites. L’intégralité des minorités religieuses est soumise à la pratique rigoriste de l’islam. Aucune d’elle ne peut exercer publiquement son culte, sous peine d’être accusée de prosélytisme.
Si les Chrétiens, les Zoroastriens et les Juifs peuvent se marier selon leurs « rites » et conserver certains de leurs lieux de cultes, les pratiquants doivent impérativement s’enregistrer auprès des autorités, ce qui contribue à répertorier les « impies » pour mieux les discriminer plus tard. En cas « d’oubli », les sanctions sont sévères et peuvent aller jusqu’à l’arrestation des responsables.
Ces trois communautés ont fondé leurs propres écoles et sont théoriquement libres de transmettre leur culture religieuse aux leurs. Seulement, l’État est en réalité omniprésent et interfère dans tous les domaines. Les programmes scolaires sont vérifiés et parfois censurés par le gouvernement, le persan est la seule langue d’enseignement autorisée, et des maîtres musulmans sont présents dans toutes les écoles. Les jeunes filles sont contraintes de porter le hijab bien que cela ne soit pas prescrit par leur religion. Surtout, l’État nomme les directeurs de ces lieux d’enseignement.
Les conséquences de cette surveillance sont dévastatrices pour les religions qui n’ont pas réussi à fonder une communauté soudée. Le zoroastrisme par exemple ne compte plus que 30 000 fidèles en Iran, résidant surtout dans de petits villages, contrairement aux Juifs et aux Chrétiens réunis dans des agglomérations. Leur nombre a drastiquement diminué ces dernières années notamment car les adeptes subissent une discrimination à l’embauche – de très nombreux emplois leur sont interdits -, ce qui a étouffé cette communauté entre dettes et chômages. En plus de l’emprisonnement de plusieurs de leaders zoroastriens, la dispersion des membres à travers l’Iran a limité la solidarité leur permettant de s’organiser.
S’ajoute à cela l’interdiction de se convertir pour un musulman, donc presque impossible de grossir les rangs de ces communautés en Iran. Par exemple, il est formellement prohibé aux non-Chrétiens et aux Chrétiens farsis, nés en Iran et n’appartenant pas originellement à cette communauté, de célébrer Noël. En termes légaux, la Constitution iranienne estime qu’un Iranien né d’un père musulman est musulman, il lui est par conséquent interdit de choisir, changer ou renoncer aux croyances religieuses chiites. Ainsi, une conversion est considérée comme relevant de l’apostasie et est soumise à la peine de mort.
Les Sunnites et les Bahaïs, minorités persécutées
Les Sunnites, quant à eux, ne bénéficient même pas du statut de minorité religieuse. Ils sont tout simplement ignorés par le pouvoir central, qui les considère comme des citoyens de seconde zone. Pourtant les musulmans sunnites iraniens représentent entre 9 et 15% de la population, principalement concentrés dans les zones frontalières de l’Iran et dans le Golfe persique. A l’époque du Chah, le sunnisme était reconnu, et son développement encadré mais largement autorisé. Mais depuis la Révolution islamique, les Sunnites ne bénéficient plus d’aucun type de reconnaissance, et ne disposent d’aucun accès à la politique depuis 1979. Les lieux de culte sunnites sont formellement interdits, tout comme l’accès à l’ensemble des emplois publics ou gouvernementaux.
Quelques contestations ont fait leur apparition en 2015, notamment après la destruction de lieux de cultes sunnites par des agents gouvernementaux. Molavai Abodlhamid, l’un des dirigeants de cette communauté, avait alors écrit une lettre au Guide suprême et au Président, pour réclamer un assouplissement des règles encadrant la vie des minorités religieuses. Une revendication restée sans réponse.
Les Bahaïs, eux, sont bien trop occupés à survivre pour se réclamer du moindre droit. Cette communauté rassemblant 300 000 fidèles selon Human Rights Watch, forme la première minorité religieuse dans le pays, après les Sunnites. La religion bahaïe est née au XIXe siècle, se réclamant d’un courant chiite messianique, convaincu de l’imminence de l’arrivée du mahdi, le « guidé ». Depuis la Révolution de 1979, cette religion monothéiste est strictement interdite par le régime en place. Si l’on s’en tient à l’International Religious Freedom Report de 2015, ils ne peuvent pas entrer à l’université, ni occuper un emploi public, bénéficier d’une aide publique – accordée aux autres citoyens – ou d’une retraite. De même, ils ne disposent pas de droit à la justice ou à la propriété.
En somme, aucun droit civil ou politique, en plus des lieux de cultes détruits ou des cimetières profanés. « Un bahaï est un mhdur ad-damm, quelqu’un dont le sang peut être versé en toute impunité », souligne Christian Cannuyer, auteur de l’ouvrage Les Bahaïs (éditions Brepols, 1988). Le fait que la religion bahaïe se veuille fédératrice et à vocation universelle y est probablement pour quelque chose. Sa doctrine met l’accent sur l’égalité et sur la paix : l’unité des religions et du genre humain. Cette religion se réclame de principes tels que la non-violence, l’égalité absolue entre hommes et femmes ou la complémentarité entre sciences et religions.
« Affirmer que Mohammed n’est pas le dernier prophète et que les femmes sont les égales des hommes est insupportable pour les ayatollahs», expliquait la représentante des Bahaïs en France, Hamdam Nadafi, dans un article pour La Croix paru début 2017. L’acharnement du gouvernement iranien sur cette minorité, s’il trouve ses racines dans des rivalités historiques, trahit la nature profondément politique de ces persécutions. Selon la législation iranienne, tuer un Bahaï n’est pas considéré comme un crime. 200 d’entre eux ont ainsi été exécutés entre 1979 et 2010, des centaines emprisonnés.
L’État théocratique iranien : garant des discriminations ?
L’hostilité entre les deux confessions sunnite et chiite a certes toujours été radicale, mais la fluctuation des relations est aussi due en grande partie aux tensions géopolitiques entre l’Iran et les royaumes sunnites, l’Arabie Saoudite en tête. Il est donc fondamental de ne pas négliger la dimension politique d’une telle répression.
Le système politique iranien est fondé sur un islam absolutisé, dogmatique, et surtout institutionnalisé, avec un véritable clergé. La structure étatique est unique en son genre, puisqu’il s’agit d’une République islamique. Paradoxalement, la souveraineté se partage entre Dieu et le peuple. L’association du clergé aux institutions politiques a mené à l’intégration juridique et institutionnelle de certains groupes religieux ou ethniques comme les Chrétiens d’Arménie, au détriment d’autres groupes alors victimes d’une exclusion totale, tels que les Sunnites ou les Bahaïs.
Malgré l’arrivée au pouvoir de Rohani en 2013, que beaucoup de médias occidentaux se sont aventurés à qualifier de « modéré », la liberté religieuse continue à se détériorer. Depuis 2013, le nombre de membres des minorités religieuses emprisonnés ne cesse d’augmenter, et le Code pénal islamique continue à justifier allégrement des violations graves des droits de l’Homme. On a du mal à imaginer une amélioration de cette situation, sans une altération profonde du caractère théocratique de l’État iranien.
Les mouvements de contestation ont laissé entrevoir une lueur d’espoir mais le système semble bel et bien voué à rester en place. Après trente-huit ans de République islamique, politique et religieux semblent ainsi durablement liés en Iran, sans que rien n’annonce un effondrement ou un assouplissement du régime sur la question, au grand malheur des minorités religieuses.
Crédits :
Cartographie des religions en Iran : https://www.lesclesdumoyenorient.com/Cartographie-des-religions-4-L-Iran.html