Scandale : dans son édition du 3 janvier 2018, Le Canard Enchaîné révèle comment Lactalis a mis en circulation du lait contaminé aux salmonelles, une bactérie capable de provoquer des déshydratations graves chez les nourrissons. Le 26 décembre, la justice française a ordonné l’ouverture d’une enquête préliminaire à l’encontre du premier groupe laitier mondial pour “blessures involontaires”, “mise en danger de la vie d’autrui”, “tromperie aggravée par le danger pour la santé humaine” et “inexécution d’une procédure de retrait ou de rappel d’un produit”. Au 9 janvier, au moins 35 nourrissons ont été affectés par la Salmonellose selon Santé Publique France.
Qu’est-ce que la salmonelle ?
Santé Publique France nous dit que 35 nourrissons ont été contaminés au moins. 18 d’entre eux ont été hospitalisés. Mais quel diable porte en elle la salmonelle ? Cette bactérie peut contaminer l’être humain s’il consomme des aliments d’origine animale insuffisamment cuits. Maladie infectieuse, elle est, en général, bénigne pour les adultes. Elle provoque des crampes abdominales, diarrhées, une fièvre légère voire la nausée. Des complications, comme une septicémie, peuvent éventuellement arriver.
Pour les nourrissons, “le risque essentiel, c’est la déshydratation”, explique le médecin Gérald Kierzek, joint par Europe 1. Les salmonelles vont “provoquer des diarrhées fébriles et sanglantes”. La fièvre et les saignements sont les principaux symptômes.
Pour les nourrissons, “le risque essentiel, c’est la déshydratation”, explique le médecin Gérald Kierzek, joint par Europe 1. Les salmonelles vont “provoquer des diarrhées fébriles et sanglantes”. La fièvre et les saignements sont les principaux symptômes. “Il y a un risque de dissémination de la bactérie et un risque de déshydratation lié à cette diarrhée”, continue l’urgentiste. “Chez les enfants de moins de trois mois, cela peut aller de la gastro-entérite plus ou moins sévère à des formes de septicémie voire de méningite”, précise le professeur Robert Cohen au Parisien. Les salmonelles peuvent en effet, dans les cas les plus graves, conduire à des infections du sang (la septicémie) voire des infections extra-digestives qui peuvent aller jusqu’à atteindre les méninges, le cœur, les os.
Comment le modèle d’agriculture industrielle met en danger la santé de nos enfants
C’est ici que commence le scandale. Il met à jour tout le dysfonctionnement de la chaîne de commandement. Surtout, il trouve sa cause dans le principe même de l’organisation de l’agriculture de notre temps. On voit ici deux éléments fondateurs de l’agriculture industrielle : la première est la diminution des contrôles de l’Etat défendue depuis des années par les Bruno Le Maire et consorts qui veulent “libérer les énergies”. Ainsi, on aboutit au fait que la commercialisation des produits dépend d’un petit nombre de gros industriels qui font pression sur les producteurs pour obtenir des prix très bas, ce qui conduit à de grandes négligences au niveau des contrôles sanitaires. De plus, la concentration de la commercialisation dans les mains de quelques grands groupes conduit à une grande opacité sur la chaîne qui remonte de la consommation jusqu’à la production. Une production en circuit-courts empêcherait ce type de phénomènes. Evidemment, cela va totalement à l’encontre du type d’agriculture promu par Emmanuel Macron et son gouvernement.
“Ainsi, on aboutit au fait que la commercialisation des produits dépend d’un petit nombre de gros industriels qui font pression sur les producteurs pour obtenir des prix très bas, ce qui conduit à de grandes négligences au niveau des contrôles sanitaires.”
Cependant, il ne faut pas oublier l’irresponsabilité absolue de multinationales qui font les poches des paysans en leur achetant du lait à des prix qui ne leur permettent pas de survivre et dont l’obsession immodérée du profit conduit à des négligences mettant en danger la santé de nos bébés.
Ainsi, le Canard Enchaîné révèle que Lactalis s’est bien gardé de signaler à qui que ce soit qu’elle avait repéré « des salmonelles sur du matériel de nettoyage et sur les carrelages » de son site de Craon, en Mayenne dès les mois d’août et de novembre ! « Le fabricant reconnaît qu’une alerte positive à la salmonelle avait également été détectée en juillet et novembre derniers. Alors depuis combien de temps Lactalis savait-elle qu’elle exposait les bébés à un risque ? », s’interroge l’ONG Food Watch dans un communiqué. Le Canard Enchaîné pointe également la responsabilité de l’Etat : en septembre, les contrôles effectués par l’inspection sanitaire ne lui ont pas permis d’observer une telle contamination. Interrogé par le Canard Enchaîné, un expert en sécurité sanitaire des aliments s’en étonne : « Comment les contrôleurs s’y sont-ils pris pour ne détecter en septembre aucune salmonelle, alors que l’on sait aujourd’hui, après enquête, que l’usine était infectée depuis février, au moins ? ». Clairement, il y a anguille sous roche.
Ce n’est qu’au cours mois de décembre que le Ministère de la santé alerte sur le taux inquiétant de bébés contractant la salmonellose après avoir consommé du lait Lactalis. Le groupe d’enquête nationale des Fraudes relève alors qu’une colonne de séchage, où le lait liquide est transformé en poudre, « est plombée par les salmonelles ». D’où la demande immédiate de rappel de plusieurs lots Lactalis. Cependant, cette découverte ne provoque pas l’arrêt complet de l’usine : « La fabrication des laits pour nourrissons est bloquée. Mais… pas celle des boîtes de céréales », relève l’hebdomadaire. Alors même que certains lots de céréales infantiles sont concernés par les rappels.
Signalons au passage que la même usine avait déjà connu une contamination à la salmonelle en 2005. La défaillance avait rendu malade une vingtaine de bébés. Le 10 janvier, l’institut Pasteur a confirmé que la souche de la bactérie à l’origine de l’infection il y a 12 ans, et celle présente actuellement, sont identiques. D’ailleurs, au micro de RTL, le directeur du Centre de référence des salmonelles à l’institut Pasteur, François-Xavier Weill, n’écarte pas la survie de la bactérie directement dans l’usine. “C’est possible, mais peu probable”, a déclaré le docteur.
“Le scandale ne s’arrête pas là : c’est que même après l’ordre donné par l’Etat de rappeler le lait contaminé, les chaînes de grande distribution ont continué à vendre du lait Lactalis de l’usine en question !”
Selon les informations de France info et du Parisien, Intermarché a ouvert une enquête interne après l’achat à Marles-les-Mines, par une mère de famille, de lait Milumel Lémiel 1er âge. “Une fois rentrée, mon conjoint et moi avons préféré vérifier le numéro de lot (…) J’étais au courant des problèmes avec certains laits infantiles mais quand je l’ai vu en rayon, je me suis dit que peut-être l’entreprise avait redémarré la production. C’est grave, quand même. Heureusement, mon bébé n’en a pas pris (…) C’est honteux de vendre cela”, explique Virginie sur Franceinfo. Le Parisien révèle aussi qu’une cliente aurait également pu acheter du lait Milumel dans une enseigne située à Beauvais Nord, dans l’Oise. Suite à ces révélations, Intermarché a fini par lancer une enquête interne pour vérifier ses points de vente. L’enseigne a finalement promis d’arrêter “définitivement” de commercialiser des laits infantiles Lactalis de la marque Milumel.
Et il en va ainsi pour toute une série d’enseignes. Cora annonce sur France info avoir vendu 72 boîtes depuis le 22 décembre (alors que la consigne de retrait des produits a été donnée par l’Etat le 21 décembre) .”Certains clients ont déjà ramené ces produits en magasin”, explique la direction. Selon les informations du Figaro, Auchan a vendu 52 boîtes de lait infantile après le dernier rappel. Système U a annoncé mercredi avoir vendu 384 boîtes de lait infantile Lactalis . “Il s’avère que 384 boîtes de lait ont échappé à cette procédure de rappel mise en oeuvre dès le 21 décembre et ont été vendues dans les jours qui ont suivi”, a annoncé dans un communiqué le groupe, qui a “instantanément procédé à l’appel des clients identifiés”.
Carrefour fait également partie de la bande. “Un plan de contrôle a été mis en place dans l’ensemble des magasins pour s’assurer du retrait et de la destruction des produits concernés. Néanmoins, et malgré ces mesures de vigilance, 434 produits ont été vendus après le rappel”, a indiqué l’entreprise dans un communiqué. Leclerc, le pape de la grande distribution française, – vous savez le champion de la lutte contre la vie chère – a annoncé avoir vendu 984 produits Lactalis ! Le distributeur affirme avoir identifié les consommateurs ayant acheté les produits, et les directions des magasins les contactent actuellement individuellement. Le groupe Casino (Géant, Casino, Franprix) a vendu 363 articles concernés par le rappel de laits infantiles Lactalis, a annoncé jeudi une porte-parole.
On voit ici à l’oeuvre la magnifique agriculture qu’on nous vante depuis des années. C’est une agriculture où on dépouille les paysans de leurs revenus, où on concentre la commercialisation des produits agricoles dans les mains de la grande distribution et de grands industriels, où au nom de la “baisse du coût du travail”, on réduit les contrôles et les normes. Voilà le résultat : un scandale de premier plan qui engage la responsabilité de la grande distribution, du principal industriel et, on va le voir, de l’Etat.
La grande responsabilité de l’Etat
Ce matin, face à l’indignation générale, Bruno Le Maire a opportunément renvoyé la balle dans le camp des industriels et de la grande distribution. C’est toujours la même comédie. Elle ne surprend plus. Elle ne fait plus rire personne. Mais les acteurs la rejouent, résignés, mais condamnés à la rejouer pour ne pas quitter la scène. A chaque fois, les ministres prennent des airs graves, des airs de vierges effarouchées, scandalisés par ce qu’ils viennent de “découvrir”. Ils le jurent. On ne les y reprendra plus. Ils vont durcir les contrôles. Cette fois-ci, pas de doutes ! Il va leur en cuire !
Ces beaux discours cachent l’incurie totale de l’Etat et son incapacité à prévenir la contamination des bébés. En effet, la DGCCRF, chargée de contrôler les produits qui sont mis en circulation, a vu ses effectifs réduits de 1000 postes depuis 2002 signale Emmanuel Paillusson, secrétaire général de Solidaires à la DGCCRF, qui précise que les agents ne contrôlent pas que le lait. “On contrôle tout ce qui s’achète, tout ce qui se vend”, explique-t-il. Pire ! En Mayenne, où se trouve l’usine Lactalis, la DGCCRF compte six agents-enquêteurs, un cadre et une secrétaire. Bien loin des 14 agents que comptait l’administration il y a quelques années. Pour ne rien arranger, l’Etat projette rien moins que de déléguer cette mission à des organismes privés. Histoire que l’Etat n’ait vraiment aucune prise sur la mise en circulation de lait capable de contaminer des bébés !
Le scandale s’internationalise !
Le scandale est loin de toucher seulement quelques cas. Des millions de boîtes et au moins 7000 tonnes de lait Lactalis sont concernés par un risque de contamination, d’après le Ministère de la Santé… L’ONG FoodWatch signale d’ailleurs que la contamination peut désormais s’étendre à 35 pays : pour Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch : « 35 pays sont désormais touchés par le scandale. Il est urgent de faire toute la lumière, d’établir les responsabilités et d’appliquer les sanctions qui s’imposent. ».
Pour l’ONG Foodwath, « ce scandale aurait pu être évité », et l’ampleur du problème montre bien que « le système de traçabilité des aliments ne fonctionne toujours pas ». L’ONG foodwatch a interpellé par courrier le groupe Lactalis ainsi que les Ministères de la Santé et de l’Economie pour exiger « la totale transparence sur cette affaire qui aurait pu et aurait dû être évitée. »
Sources :
http://www.rtl.fr/actu/societe-faits-divers/lactalis-laits-contamines-la-repression-des-fraudes-a-perdu-1-000-agents-en-16-ans-7791782816
https://reporterre.net/Lait-contamine-par-des-salmonelles-Lactalis-savait-et-n-a-rien-dit
https://reporterre.net/Pour-Foodwatch-le-scandale-du-lait-contamine-aurait-pu-etre-evite
http://www.rtl.fr/actu/societe-faits-divers/affaire-lactalis-3-questions-pour-comprendre-le-scandale-sanitaire-7791785767
http://www.huffingtonpost.fr/2017/12/03/les-salmonelles-des-symptomes-de-la-gastro-particulierement-dangereux-pour-les-plus-petits_a_23295382/
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