La bataille pour la Cour suprême des États-Unis secoue la présidentielle

Official White House Photo by Andrea Hanks, Flickr

Le décès de la juge à la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg (RBG), la doyenne du camp progressiste dans la plus haute institution du pays, bouleverse la présidentielle en plaçant la question de sa succession au cœur de la campagne. Une bataille qui montre surtout les difficultés du Parti démocrate à intégrer les dynamiques de pouvoir et jette un froid sur les futures perspectives politiques du pays. Explications.


« À moins d’un coup de tonnerre dans la dernière ligne droite, Joe Biden devrait remporter la présidentielle. » Sur la base de sondages remarquablement stables depuis six mois, les observateurs se rangent majoritairement derrière cet avis. [1]  Après une guerre évitée de justesse avec l’Iran, une tentative de destitution du présidentl’épidémie de Covid, la crise économique, les soulèvements « Black live matters » et les incendies apocalyptiques sur la côte Ouest des États-Unis, il semble difficile d’imaginer un nouveau rebondissement susceptible de peser sur l’élection. Et pourtant. L’hospitalisation récente de Donald Trump n’a fait que renforcer l’enjeu de la Cour suprême en replaçant cette question au coeur de l’actualité.

Dès l’annonce du décès de Ruth Bader Ginsburg, des milliers de personnes se sont spontanément rassemblées devant la Cour suprême pour une veillée funéraire. Du jamais vu pour un magistrat, fût-il associé à la plus haute juridiction du pays! Figure des luttes féministes, icône du mouvement progressiste, RBG jouissait d’un véritable statut de pop star. Outre les multiples produits dérivés à son effigie et deux films réalisés sur sa vie, son aura récente s’explique par les craintes qu’inspiraient la perspective de son décès pour le futur du pays. Chacune de ses hospitalisations faisait les gros titres et provoquait une angoisse profonde chez les progressistes.

Si son siège venait à être assigné à un juge conservateur, c’est l’essentiel des acquis des cinquante dernières années qui serait menacé  [2] Les larmes aux yeux, l’élue de New York au Congrès Alexandria Ocasio-Cortez a ainsi résumé l’enjeu dans une vidéo Instagram où elle appelle ses 7 millions d’abonnés à se mobiliser derrière le candidat démocrate : « La question n’est pas de savoir si vous êtes d’accord avec Joe Biden ou non, mais si vous voulez que notre démocratie survive ». Que la pérennité de la démocratie américaine soit remise en question par le décès d’une femme de 87 ans montre à quel point les institutions américaines sont fragiles et obsolètes.

La Cour suprême des États-Unis, clé de voûte d’un régime de moins en moins démocratique.

La constitution américaine place la Cour suprême au centre des institutions. En plus de servir de tribunal de dernier ressort, elle se prononce sur la constitutionnalité des lois votées par le Congrès et des actions menées par le pouvoir exécutif. Ses verdicts affectent durablement l’orientation politique du pays.

On associe souvent ses décisions à la conquête de droits nouveaux, comme le fameux Roe v. Wade (1973) qui constitutionnalisa le droit à l’avortement ou encore Obergefell v. Hodges (2015) qui légalisa le mariage homosexuel. Mais les décisions les plus marquantes touchent aux structures même de la démocratie et sont bien souvent le résultat d’efforts concertés pour faire aboutir une décision indéfendable au Congrès.

Parmi les plus importantes, on notera les verdicts aux procès Buckley v. Valeo (1976) et Citizen United v. Federal Election Comission (2010) qui déplafonnent le financement des campagnes politiques par les intérêts privés ; Shelby County v. Holder (2013), qui affaiblit considérablement le Voting Act de 1965 obtenu lors des luttes pour les droits civiques ; et Gill v. Whitford (2018), qui autorise le découpage partisan des circonscriptions électorales dans le but de donner un avantage structurel au parti minoritaire. Autant de décisions qui s’inscrivent dans la continuité du passé réactionnaire et antidémocratique de cette institution, et qui tendent à instaurer une tyrannie de la minorité.

La pérennité de la démocratie américaine semblait suspendue à la lutte contre le cancer d’une femme de 87 ans

De fait, la Cour suprême a presque toujours été plus à droite que le pays. [3] Après avoir défendu l’esclavage coûte que coûte, puis instauré la ségrégation raciale, elle a attaqué le droit syndical et défendu les intérêts économiques des multinationales. Depuis peu, elle s’attaque au droit de vote et aux immigrants. [4] Ce décalage avec l’opinion publique et la représentation nationale s’explique par le fonctionnement de cette institution. La Cour suprême est composée de neuf juges nommés à vie par le président en exercice, et confirmés par un vote au Sénat.

Outre le fait que la Maison-Blanche ait plus souvent été occupée par un républicain qu’un démocrate depuis 1976 (vingt-quatre années contre seize, bien que les démocrates n’aient perdu le vote national qu’une fois en cinq présidences), le Sénat est lui-même une institution particulièrement peu représentative de la population, et structurellement réactionnaire. En effet, chaque État, quel que soit son poids démographique, procède à l’élection de deux sénateurs, ce qui avantage de manière disproportionnée les États ruraux, majoritairement conservateurs. Le demi-million d’habitants du Wyoming a ainsi autant de poids que les 38 millions de Californiens. Autrement dit, le soutien de 9% de la population américaine (moins d’un Américain sur dix) est suffisant pour obtenir une majorité au Sénat. Celui-ci est actuellement contrôlé par le Parti républicain avec 53 sièges contre 47, qui représente toutefois 15 millions d’Américains de moins que l’opposition. [5]

Le fait que les juges soient nommés à vie pose un autre problème. Non seulement le vieillissement de ces magistrats les place en décalage avec les aspirations de la société américaine, mais le doublement de l’espérance de vie depuis 1784 permet d’ancrer cette institution dans une direction politique pour plusieurs décennies, aboutissant à un cas de figure où la pérennité de la démocratie américaine semble suspendue à la lutte contre le cancer d’une femme de 87 ans.

Pour le parti républicain, une aubaine permettant d’asseoir durablement leur pouvoir sur la société américaine.

Malgré la présidence de Donald Trump et une majorité au Congrès pendant deux ans, le Parti républicain s’est avéré incapable d’atteindre nombre de ses principaux objectifs, trop impopulaires auprès de l’électorat. Deux exemples éloquents : l’abrogation de l’assurance maladie Obamacare d’une part, et d’autre part l’annulation du programme de protection des enfants immigrés ayant été amenés sur le sol américain par leurs parents (le DACA). Devant l’impossibilité politique de passer par la voie législative, les conservateurs s’en sont remis aux tribunaux, en montant des procès dans le but de contraindre la Cour suprême à déclarer ces deux réformes anticonstitutionnelles. Pour l’instant, leur majorité à la Cour suprême (5-4) n’a pas tenu face à l’opinion publique, le juge nommé par Georges W. Bush, John Roberts, faisant défection à son propre camp sur ces décisions cruciales.

Avec le remplacement de RBG par un magistrat situé à l’extrême droite de l’échiquier, ce sera désormais à Brett Kavanaugh, le juge nommé par Donald Trump en 2018, d’assurer l’équilibre du pouvoir. Ce dernier a été placé à la Cour suprême pour ses opinions très conservatrices, au cours d’un processus de confirmation au Sénat particulièrement partisan et contesté.

En clair, avec une majorité théorique de 6 juges à 3, et un potentiel centre idéologique incarné par Kavanaugh, le Parti républicain s’assure la mainmise sur la Cour suprême pour deux à trois décennies. De quoi dynamiter toute avancée obtenue par une hypothétique administration Biden ou un futur Congrès démocrate, et revenir sur d’innombrables acquis sociaux. Un fait d’armes remarquable du point de vue du Parti républicain, lorsqu’on sait qu’il n’a gagné le vote populaire dans une élection présidentielle qu’une seule fois en 20 ans et cinq présidences, que Donald Trump a été élu avec un déficit de trois millions de voix, que sa majorité au Sénat représente 15 millions d’électeurs de moins que la minorité démocrate, qu’il a perdu les dernières élections de mi-mandat par un déficit de 18 millions de voix au Sénat et 10 à la chambre des représentants, et que ses trois priorités législatives à la Cour suprême recueillent entre vingt et trente pour cent d’opinion favorable. [6]

La bataille pour la Cour suprême illustre l’incompétence du Parti démocrate à utiliser leur pouvoir, et l’implacable habileté des républicains à faire usage du leur.

La politique est avant tout question de pouvoir, et à ce jeu, les deux principaux partis américains ne jouent pas dans la même cour. Pour citer un adage connu, « le Parti républicain se demande par quels moyens il peut gagner, le Parti démocrate par quels moyens il peut perdre ».

En février 2016, le juge Antonin Scalia, nommé par Ronald Reagan à la Cour suprême en 1986, décède subitement. Barack Obama propose Merrick Garland à sa succession, pariant sur le fait qu’un modéré sera susceptible de recevoir l’approbation d’un Sénat contrôlé par les républicains. Mais Mitch McConnell, passé maître dans l’art de l’obstruction parlementaire, ne l’entend pas de cette oreille. Le président républicain du Sénat refuse d’inscrire l’audition à l’ordre du jour, au prétexte que l’on se trouve en année électorale. Pendant huit mois, la Cour suprême va ainsi être réduite à huit juges, rendant certaines décisions impossibles.

Une fois Trump installé à la Maison-Blanche, le Parti démocrate va tenter de s’opposer à la nomination de Neil Gorsuch, choisi par le nouveau président à la place de Garland pour succéder à Scalia. Face à l’opposition de la minorité démocrate, McConnell fait passer une loi abaissant le nombre de voix nécessaires à la confirmation d’un juge, de 60 à 51. Gorsuch est confirmé à la Cour suprême, qui bascule côté républicain. Il s’empresse de valider le « Muslim Ban » de Donald Trump, entre autres décisions proches de l’extrême droite américaine.

Si les juges de la Cour suprême reconnaissent être des acteurs politiquement motivés, l’institution perd toute légitimité

En 2018, le juge conservateur Anthony Kennedy démissionne de la Cour suprême, à l’âge de 82 ans. Le Parti républicain aurait fait pression afin qu’il cède sa place à un magistrat plus jeune, dans le but d’asseoir durablement sa domination sur la plus haute institution du pays. Obama avait tenté de convaincre RBG de faire de même, lorsque les démocrates étaient encore en mesure d’imposer leurs propres juges, sans succès. La juge estimait en effet qu’une démission dans ce cadre revenait à admettre la dimension politique de la Cour suprême, ce qui briserait l’image d’un conseil des sages neutre et objectif. Si cette dissonance cognitive peut surprendre, elle s’explique par la conséquence logique de son alternative : si la Cour suprême et les juges qui la composent reconnaissent être des acteurs politiquement motivés, l’institution perd toute légitimité. [7]

À gauche, on ne touche pas aux symboles. À droite, on s’embarrasse moins de ces questions. Mitch McConnell remplace le vieil Anthony Kennedy par son ancien stagiaire, Brett Kavanaugh, un mois avant les élections de mi-mandat. À l’accusation crédible de tentative de viol et à celle de mensonge sous serment, aux protestations démocrates et à la mobilisation sans précédent des activistes, le maître stratège républicain répondra par un haussement d’épaules avant d’installer Kavanaugh. [8]

Le décès de Ruth Bader Ginsburg lui permet de faire une nouvelle démonstration de son cynisme. Quatre heures après l’annonce de sa mort, McConnell déclare que le Sénat votera pour son successeur au plus vite, ignorant sa propre règle édictée en 2016. Car nous sommes non seulement en année électorale, mais à six semaines du scrutin. Certains États ont déjà ouvert leurs bureaux de vote. Qu’importe, les promesses n’engagent que ceux qui y croient. D’innombrables sénateurs républicains ayant précédemment déclaré qu’ils s’opposeraient à la confirmation d’un juge aussi près des élections reviennent sur leur parole. Certains justifient ce choix précisément du fait qu’on est en année électorale, et qu’en cas de résultat contesté, le Parti républicain aura besoin d’une majorité à la Cour suprême pour assurer sa victoire. Trump le dit encore plus crûment, lorsqu’il explique en conférence de presse « s’attendre à ce que les résultats de la présidentielles soient contestés à la Cour suprême » afin de justifier « nommer un nouveau juge avant les élections ». Seules les sénatrices républicaines Susan Collins (Maine) et Lisa Murkowski (Alaska), faisant face à une élection en novembre, se déclarent hostiles à cette procédure expéditive.

Sur son lit de mort, RBG aurait émis un seul souhait : que son successeur soit choisi par le vainqueur des prochaines élections. Mais ce genre de décision n’est pas de son ressort. Les Démocrates peuvent s’indigner devant l’impitoyable cynisme des Républicains et se mordre les doigts face à leur propre naïveté, la politique est une question de pouvoir et de conflictualité. Même si cette manœuvre impopulaire et indécente coûte aux républicains le Sénat et la présidence, contrôler la Cour suprême pour les trente prochaines années n’a pas de prix. D’autant plus qu’une bataille pour cette nomination va permettre de faire passer la question du coronavirus et de la crise économique au second plan.

Et enfin, en nommant Amy Coney Barrett, les Républicains tentent l’échec et mat. D’abord, en forçant les sénateurs démocrates à voter contre une femme, ils espèrent retourner contre leurs adversaires le fameux argument identitaire dont ces derniers sont friands. Cela leur permettra ensuite de rendre leur choix plus présentable en plaçant le débat sur le terrain des personnes, non des idées. Or, le problème de madame Barrett ne vient pas du fait qu’elle soit membre d’une secte chrétienne aux pratiques douteuses, mais des décisions prises dans sa carrière contre le droit de vote, la démocratie et les acquis sociaux, décisions qui trahissent un positionnement à l’extrême droite. En ayant systématiquement délibéré en faveurs des intérêts des puissants, son bilan garantit que les jours de l’assurance maladie Obamacare et du droit à l’avortement sont comptés. [9]

Le Parti démocrate, prêt à se rendre sans livrer bataille ?

Sachant cela, on pourrait s’attendre à ce que les Démocrates se battent jusqu’au bout pour empêcher cette nomination, ou au moins s’assurent que le Parti républicain paye le prix électoral maximal pour sa violence institutionnelle. S’ils ne peuvent empêcher Trump de nommer un juge, ni McConnell de planifier un vote au Sénat, ils disposent d’un arsenal d’outils plus ou moins procéduriers pour ralentir le processus, potentiellement jusqu’à ce qu’ils reprennent le contrôle du Sénat.

Le plus évident et le moins dangereux consiste à pratiquer l’obstruction parlementaire pour retarder la procédure. Plus efficace, la Chambre des représentants, contrôlée par les démocrates, peut bloquer le vote pour le budget jusqu’à ce que le Parti républicain accepte d’attendre le résultat des élections. Cette option provoquerait néanmoins la suspension des paiements des fonctionnaires et l’arrêt d’une partie des administrations, ce qui pourrait  être mal perçu juste avant une élection, et en pleine pandémie.

La possibilité de déclencher une procédure de destitution de William Barr, secrétaire à la Justice de Donald Trump, ou du président lui-même, prendrait également le dessus sur l’agenda républicain. Mais ce genre de tactique peut s’avérer à double tranchant, si elle mobilise l’opinion contre le Parti démocrate.

Or, ce dernier est bien placé, pour l’instant, pour remporter la Maison-Blanche et le Sénat en novembre. Le très respecté site d’analyse des sondages Fivethrityeight estime ses chances à 80% et 65%, respectivement.  Soucieux de préserver cet avantage, les cadres du Parti démocrate ont renoncé publiquement à tous les outils que nous venons de décrire. Si le fait que quatre sénateurs républicains ont récemment contracté la covid devrait permettre aux démocrates, temporairement majoritaires, de bloquer la nomination, rien ne permet d’affirmer qu’ils le feront. Mais, et c’est pire, ces derniers avaient également abdiqué sur le plan symbolique.

En effet, la tactique la plus efficace et la moins risquée restait celle de la dissuasion. Elle consiste, si les Républicains forcent cette nomination, à s’engager à rajouter des juges à la Cour suprême dès l’arrivée au pouvoir des démocrates. En théorie, un président Biden disposant d’une majorité au Sénat peut nommer autant de juges qu’il le souhaite, comme cela a été fait par le passé. Une menace crédible qui pourrait faire évoluer le calcul de Mitch McConnell. [10]

Mais même là, les Démocrates font défaut. Malgré le soutien sans précédent de leur base électorale et la mobilisation remarquable des organisations militantes affiliées, le Parti démocrate refuse d’emprunter cette voie. Joe Biden a botté en touche lorsqu’on lui a demandé s’il considérait l’ajout de juges à la Cour suprême, Chuck Schumer n’a formulé aucune promesse dans ce sens, et plusieurs sénateurs démocrates se sont même publiquement prononcés contre. Une telle abdication a de quoi rendre perplexe, lorsqu’on sait que l’opinion publique est majoritairement opposée à la nomination d’un juge à la Cour suprême avant les élections.

Enterrement de Ruth Bader Ginsburg, Image wikimedia, by Coffeeandcrumbs

L’explication la plus cynique revient à conclure que les cadres du Parti démocrate et l’aile néolibérale ne voient pas d’inconvénient majeur à la perte de la Cour suprême. Ils sont motivés par leur propre position de pouvoir, qui n’implique pas de mettre en place des réformes progressistes mais simplement de conserver leur mandat, fût-il dans l’opposition. Tant que les riches donateurs, lobbies et industriels qui les financent n’exigent pas autre chose qu’une opposition de façade, ils ne prendront aucun risque. Là où le Parti républicain avance avec détermination et audace, ils reculent avec prudence. Tant pis si cela leur coûte des électeurs trop désabusés pour se déplacer, comme ce fut le cas lors des élections de mi-mandat de 2014 et de la présidentielle de 2016.

L’autre option est de considérer que les Démocrates, pour diverses raisons que nous avons détaillées ailleurs, ont internalisé la défaite. C’est ce qui ressort de la lecture de la presse néolibérale qui leur est affiliée. Leur manque de courage politique ne date pas d’hier ; il provient en partie d’une incapacité chronique à lire leur électorat, évaluer les rapports de force et apprécier les leçons du passé. Car les cadres du parti et leurs alliés (institutions, médias, donateurs) sont capables de faire preuve du même niveau de cynisme et de détermination que les républicains lorsqu’il s’agit d’écraser leur aile gauche progressiste. Ce n’est que lorsque l’adversaire se nomme Mitch McConnell qu’il n’y a plus personne pour prendre des risques et adopter une stratégie de confrontation.

Pour la gauche américaine, l’espoir semble s’évaporer à grands pas. Si la victoire de Donald Trump promet d’être une catastrophe, une présidence Biden avec une Cour suprême conservatrice va s’avérer mort-née. Un précédent historique permet néanmoins d’entrevoir une porte de sortie. Confronté à une Cour suprême radicalisée et déterminée à défendre l’esclavage, Abraham Lincoln était parvenu, avec l’appui de l’opinion publique, à délégitimer l’institution. Au point de pouvoir abolir l’esclavage sans que cette dernière ne s’y oppose, alors que les juges qui y siégeaient venaient deux ans plus tôt de constitutionnaliser cette pratique. [11]

L’explosion des inégalités, l’effondrement de la société américaine et la catastrophe climatique sont autant de moments historiques qui justifieraient une confrontation avec la Cour suprême. Soucieuse de sa propre préservation, l’institution pourrait adopter une ligne moins extrémiste que sa composition le suggère. Et si, malgré tout, elle devient trop extrême, elle prend le risque de radicaliser l’opinion publique contre elle en retour et de perdre sa légitimité. Pour que ce constat soit suivi d’effet politique, deux conditions demeurent nécessaires : les Démocrates doivent reprendre le pouvoir au Congrès et élire un président capable de se montrer à la hauteur des enjeux.

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1) https://projects.fivethirtyeight.com/polls/president-general/national/

2) Ces affirmations sont basées sur les antécédents de la Cour suprême et les efforts en cours du Parti républicain pour revenir sur de nombreux acquis. Notamment, elle a déjà validé de nombreux efforts pour empêcher les minorités et les classes populaires à accéder au vote, affaibli fréquemment le droit syndical, va se prononcer pour la 3e fois sur la constitutionnalité de la réforme de l’assurance maladie Obamacare qui protège les gens avec des antécédents médicaux, et pourrait à l’avenir bloquer toute législation ambitieuse sur le climat. Lire par exemple : https://fivethirtyeight.com/features/how-a-conservative-6-3-majority-would-reshape-the-supreme-court/

3) Lire https://www.jacobinmag.com/2020/09/supreme-court-socialists-ruth-bader-ginsburg-death

4) Elle a par exemple validé le « muslim ban » de Donald Trump et refuse de protéger clairement les immigrants sous la protection du programme DACA. Elle a surtout démantelé une partie cruciale du Voting act de 1965 obtenu par le Mouvement pour les droits civiques, et depuis, continue de valider des lois visant à empêcher des groupes sociologiques de voter.

5) Revue Jacobin, numéro 36, « Political revolution », page 19-33.

6) A propos de l’avortement, de l’assurance maladie et de l’accès au vote, une majorité d’Américains sont du côté des démocrates.

7) Lire https://www.currentaffairs.org/2020/09/why-ginsburg-didnt-retire

8) Lire https://theintercept.com/2018/09/29/the-unbearable-dishonesty-of-brett-kavanaugh/

9) Lire le bilan législatif de Barrett dans cet article très pédagogique : https://www.currentaffairs.org/2020/09/why-amy-coney-barrett-should-not-be-on-the-supreme-court

10) https://www.nytimes.com/2020/09/28/us/politics/democrats-filibuster-supreme-court-biden.html

11) https://www.jacobinmag.com/2020/09/abraham-lincoln-supreme-court-slavery