Sans régulation, des crises bancaires à répétition

© Seb Doe

Lors d’une conférence, organisée conjointement par LVSL et l’institut de la Boétie, les économistes Laurence Scialom et Dominique Plihon se sont exprimés sur la crise bancaire du printemps dernier. Les conclusions sont claires : cette crise marque un nouvel échec pour le cadre macroprudentiel mis en place après la crise de 2007-2009 et désavoue une nouvelle fois le secteur bancaire et financier. Dans ce contexte, les deux économistes plaident pour des réformes profondes afin de contraindre les marchés financiers à s’articuler autour de la transition écologique. 

Le 9 mars 2023, la Silicon Valley Bank, spécialisée dans le secteur technologique, subit une panique bancaire et se retrouve en situation d’illiquidité, c’est-à-dire qu’elle n’est plus capable de faire face aux demandes de retraits bancaires de la part ses clients. Cette situation d’illiquidité est interdite par la loi, ce qui pousse la FDIC – l’agence fédérale américaine qui assure les dépôts bancaires – à en prendre le contrôle le 10 mars afin de liquider la banque. Deux jours plus tard, Signature Bank, une banque basée à New-York et ayant des liens avec le secteur des crypto-monnaies passe également sous contrôle de la FDIC suite à un nouveau retrait massif de la part de ses déposants. En parallèle, en Europe, la banque Crédit Suisse, considérée comme présentant un risque systémique, subit également une panique de ses actionnaires et de ses déposants suite à la déclaration du 13 mars de son principal actionnaire, la Saudi National Bank, sur sa non-participation à une éventuelle recapitalisation de la banque helvétique. Déjà minée par de multiples scandales financiers, Crédit Suisse est finalement rachetée par UBS, la première banque du pays, sous la supervision des autorités suisses le 19 mars. 

Dans un premier temps, ces crises peuvent s’expliquer par des éléments qui sont spécifiques aux institutions mises en cause. On peut citer, par exemple, l’exposition exacerbée à des secteurs précis de la part de certaines banques. Un autre facteur spécifique réside dans le pourcentage de dépôts non-assurés. Parmi les éléments plus transversaux qui permettent de comprendre cette crise, il y a évidemment les hausses répétées des taux directeurs1 des banques centrales. Cette situation a mis en difficulté les banques au niveau de leurs passifs et de leurs actifs. Premièrement, du côté de leurs passifs, certaines banques ont vu leurs dépôts diminuer au profit de concurrents comme les Money Market Funds, qui sont des fonds d’investissements concentrés sur des actifs de court terme et qui offrent une très grande liquidité2, car ils étaient capable d’offrir des taux plus avantageux.

Cette diminution de la taille des dépôts créée des pressions de liquidité et de solvabilité. Donc, les banques qui sont sous pressions du côté de leur passif, doivent y faire face notamment en vendant des actifs. Sauf que ces actifs, et plus particulièrement les obligations, perdent de la valeur avec la remontée des taux d’intérêts3. Plus l’obligation se caractérise par une échéance longue, plus elle est exposée à la remontée des taux. La Silicon Valley Bank était particulièrement exposée à ce genre de risques, car elle détenait une part importante de bons du trésor avec des maturités élevées achetés les années précédentes.

Un cadre macroprudentiel insuffisant

Dans ce contexte, Laurence Scialom demeure très prudente quant à la potentielle fin de cette séquence. Elle rappelle que durant la crise financière 2007-2008,  les autorités et les régulateurs tentaient de rassurer le public en affirmant que la situation était sous contrôle suite aux faillites de IKB en Allemagne et de Northern Rock en Grande-Bretagne durant l’été 2007. Pourtant, en mars 2008, le système financier subit une nouvelle déflagration avec le sauvetage de Bear Stearns par JP Morgan Chase. Cette intervention a momentanément rassuré les esprits, mais le calme n’a pas duré. En septembre 2008, la faillite de Lehman Brothers a eu un impact dévastateur, s’accompagnant de la chute de Fannie Mae et Freddie Mac, ainsi que de la nationalisation de l’assureur AIG. Ces événements rappellent l’importance de ne pas sous-estimer les risques actuels et de tirer un bilan lucide sur le situation bancaire et financière post-2008. D’autant plus que durant la crise financière de 2020, le système financier aurait pu s’effondrer sans les liquidités massives pourvues par les banques centrales.

L’instabilité bancaire du printemps 2023 met en évidence une vulnérabilité structurelle vis-à-vis des risques de liquidité, liée à leur modèle de bilan.

Selon l’économiste, l’instabilité bancaire du printemps 2023 met en évidence une vulnérabilité structurelle vis-à-vis des risques de liquidité, liée à leur modèle de bilan. En effet, leur passif présente une échéance nettement plus courte que leur actif, ce qui les expose rapidement à des crises de liquidité nécessitant la liquidation d’actifs, pouvant potentiellement déboucher sur une insolvabilité. Cette fragilité est exacerbée à l’ère numérique, où les sorties massives de dépôts sont devenues plus fréquentes. Par conséquent, la confiance, qui régit les mouvements de dépôts, devient un élément crucial dans ce contexte. Elle rappelle également que les indicateurs de stabilité financière issus de Bâle III ne sont pas suffisants. Par exemple, Crédit Suisse dépassait largement les ratios clés du régime macroprudentiel en place4. En ce sens, Laurence Scialom plaide pour une focalisation accrue sur le ratio de levier, qui rapporte le montant des fonds propres (Tier 1) au total des actifs non pondérés du risque de la banque. Ce paramètre offre une mesure cruciale de la capacité des banques à absorber des pertes sur la valeur de leurs actifs, et il est révélateur que de nombreuses grandes banques systémiques n’affichent que des ratios de levier oscillant entre 5 et 6 %. Ce constat met en évidence le risque que représenterait une chute de la valeur de leurs actifs du même ordre, les rendant potentiellement insolvables.

Laurence Scialom souligne également que, malgré les mécanismes de résolution de faillite bancaire inscrits dans la directive européenne de 2014, de nombreuses banques ont dû bénéficier d’injections publiques ces dernières années pour éviter des défaillances. Sur les six dernières faillites bancaires depuis 2015, cinq d’entre elles ont nécessité des renflouements financés par les contribuables, contournant ainsi l’objectif initial de la directive européenne visant à empêcher de tels sauvetages (bail-out). Seule la Banco Popular en Espagne a respecté la procédure de bail-in prescrite par la directive. Il est également important de noter que la transposition des accords de Bâle III en droit européen n’est toujours pas achevée, ce qui crée des lacunes dans la réglementation macroprudentielle dans un contexte de fragilité financière, comme celui que nous avons connu récemment au printemps dernier. La perspective d’une application partielle de la réglementation financière en Europe pourrait ébranler la confiance des investisseurs dans les banques européennes.

Banques centrales : apprenties sorcières ? 

Les crises bancaires du printemps dernier font également suite à des erreurs commises par les banques centrales, selon Dominique Plihon. La première erreur majeure évoquée concerne la politique monétaire de montée brutale des taux d’intérêt, en particulier aux États-Unis. Il souligne que les taux directeurs sont passés de 0 % à 5 % en un an, une décision prise au nom de la lutte contre l’inflation. Cependant, il estime que cette politique monétaire était inadaptée car l’inflation actuelle n’est pas principalement due à une injection excessive de liquidités dans l’économie, ni à des hausses salariales débridées. L’inflation actuelle est plutôt le résultat de facteurs structurels liés à la chaîne d’approvisionnement, aux perturbations causées par la crise sanitaire mondiale et aux marges bénéficiaires élevées des entreprises. Il soutient que la politique monétaire ne peut pas résoudre efficacement ce type d’inflation et que d’autres mesures, telles que des politiques budgétaires et fiscales ciblées, sont plus appropriées pour contrôler l’inflation.

La deuxième erreur mise en avant par l’économiste concerne le manque d’attention portée à la stabilité financière par les banques centrales. Il estime que les autorités monétaires ont sous-estimé l’impact de leur politique monétaire sur la stabilité financière et que la montée brutale des taux d’intérêt a créé un risque de crise bancaire. Une leçon cruciale qui aurait dû être retenue à la suite de la crise de 2007-2008 est que la stabilité monétaire et la stabilité financière sont inextricablement liées. En d’autres termes, lorsqu’un problème de stabilité monétaire survient, il doit être traité, mais l’utilisation d’outils monétaires ne constitue pas nécessairement la solution appropriée, car cela engendre immédiatement des préoccupations en matière de stabilité financière. Plus précisément, il explique que de nombreuses banques ont accumulé d’importants portefeuilles d’obligations, tant publiques que privées, pendant la période de taux bas. Lorsque les banques centrales ont décidé d’augmenter les taux, la valeur de ces portefeuilles a chuté, entraînant des pertes potentielles pour les banques. Bien que ces pertes soient latentes et non réalisées, elles représentent un risque potentiel pour la stabilité financière si les banques sont contraintes de vendre massivement ces actifs dépréciés.

L’action des banques centrales, notamment lors des opérations de quantitative easing, alimente le rôle dominant des banques systémiques au sein du système financier et nourrit l’aléa moral sous l’injonction du Too Big To Fail.

Enfin, l’ancien porte-parole d’Attac France souligne une erreur majeure : le non traitement des risques substantiels portés par les banques systémiques, qui avaient pourtant été clairement identifiés après la crise de 2007-2008. En mettant en œuvre leurs politiques monétaires, les banques centrales ont contribué à la consolidation du pouvoir au sein du secteur bancaire. À titre d’exemple, lors des faillites de banques de taille moyenne aux États-Unis et de Crédit Suisse consécutives à l’augmentation des taux d’intérêt, les banquiers centraux ont activement encouragé le rachat de ces banques par des banques systémiques telles que JP Morgan ou UBS. Plus structurellement, l’action des banques centrales, notamment lors des opérations de quantitative easing, demeure indiscriminé et inconditionnel et ne permet pas de réduire le risque systémique associé aux grandes banques. Il alimente le rôle dominant des banques systémiques au sein du système financier et nourrit l’aléa moral sous l’injonction du Too Big To Fail. En parallèle, cette concentration au sein du secteur bancaire permet également de développer un lobby extrêmement efficace qui explique l’inertie qui caractérise la réglementation financière et le retard dans la mise en œuvre des accords de Bâle III.

La finance au service la transition écologique

Dans leurs interventions respectives, ces deux spécialistes en économie financière ont conclu sur le besoin impératif de contraindre le système financier à soutenir la mise en œuvre de la transition écologique. Les besoins de financement de la transition écologique, évalués à 64 milliards d’euro par an pour la France, ne pourront se faire exclusivement via des investissements publiques. Dans une vision similaire à celle développée par Cédric Durand dans un article récent, la crise du printemps 2023, et plus généralement le contexte de resserrement monétaire, offre l’opportunité de remettre en question la prépondérance des banques systémiques et de restructurer le système bancaire sur fond de transition écologique.

Pour cela, Dominique Plihon insiste sur le besoin de séparer les banques de détail et les banques d’investissement et de mettre fin aux banques universelles. Cela permettrait de réduire le taille des banques systémiques, qui sont devenues des conglomérats financiers à cheval sur tous les métiers de la finance et d’orienter les banques de détail vers le financement du tissu productif. Il va même plus loin et propose de les soumettre au contrôle social, c’est à dire un mode de gouvernance des banques dans lesquelles vous avez des parties prenantes incluant les salariés, les usagers, les collectivités publiques, et bien sûr les actionnaires. Ces banques seraient ensuite intégrées dans un pôle public bancaire, déjà plus ou moins existant en France via la Banque Postale et d’autres structures, qui aurait pour fonction de financer les secteurs jugés prioritaires. Le système bancaire reviendrait ainsi à son rôle de financement de l’économie et du financement du système productif.

De son côté, Laurence Scialom insiste sur l’importance de prendre en compte l’exposition des banques aux risques financiers climatiques dans les indicateurs macroprudentiels. Dans un scénario de transition écologique accélérée ou une innovation technologique majeur, l’exploitation de certains appareils productifs et d’infrastructures liées aux énergie fossile pourrait cesser sans que les banques puissent récupérer leurs investissements. On parle alors d’actifs échoués. Or, leur modèles financiers reposent sur un amortissement complet de ces investissements. Il est également important de noter que les actifs adossés aux fossiles ne concerne pas seulement les actions de grandes compagnies pétrolières, mais tout un tissu productif articulé autour des énergies fossiles. Cette cascade d’activités qui risque à terme un effondrement de leur valeur pourrait fortement déstabiliser le système financier. À cet égard, elle propose de mettre en place des ratios de levier sectoriels. Par exemple, lorsque les banques financent de nouvelles activités d’exploration pétrolière, elles devraient maintenir un ratio de levier de 100 %, ce qui dissuaderait de telles opérations. De plus, pour les positions existantes, elles pourraient être contraintes de maintenir un ratio de levier plus élevé, peut-être de 20%, les obligeant ainsi à désinvestir progressivement du secteur des énergies fossiles.

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Notes :

[1] Les taux directeurs sont les taux auxquels les banques commerciales peuvent se refinancer auprès des banques centrales, qui ensuite se répercute sur toute une série de taux d’intérêts, reflétant le prix de la liquidité, comme les prêts bancaire aux entreprises et aux particuliers.

[2] C’est à dire qu’il est possible de retirer ses investissements très rapidement comme un dépôt à vue.

[3] En effet, si l’on achète désormais une obligation du trésor américain qui vient d’être émise, elle rémunère plus qu’une obligation du trésor émise il y a deux ans. Par exemple, une obligation du trésor avec une maturité de trois ans, offrait un taux d’intérêt de 0.2% en 2021 et aujourd’hui cela fluctue autour de 4%. Si l’on venait donc à vendre aujourd’hui sur le marché, un bon du trésor acheté en 2021, il faudrait compenser la différence de rémunération, c’est-à-dire la différence de taux, en vendant le bon du trésor à une valeur inférieure à la valeur d’achat initiale. Cela se traduit par un perte basée sur la valeur actuelle des marchés, ce qu’on appelle aussi une perte comptable. Cependant, tant qu’ils ne sont pas vendus, la perte est latente, elle ne se réalise que si la banque doit vendre l’obligation/le bon du trésor avant son échéance, avant sa maturation.

[1] Crédit Suisse avait un ratio des solvabilité, au niveau du Common Equity Tier One (CET1), de 14.1% alors que le minium demandé au niveau de l’UE était de 10.6%. De même, le ratio de liquidité, mesuré par le Liquidité Coverage Ratio (LCR), était de 144% pour Credit Suisse, bien au-dessus du seuil minimal de 100%.