« Bonheur à ceux qui vont nous survivre » – La dernière lettre de Missak Manouchian à Mélinée

Manouchian - Le Vent Se Lève
© LHB pour LVSL

La décision de panthéoniser Missak et Mélinée Manouchian, prise par Emmanuel Macron – dans des circonstances polémiques – est significative à plusieurs titres. C’est la première fois que le tombeau de la Montagne Sainte-Geneviève accueille des résistants étrangers, c’est aussi la première fois qu’il accueille des résistants communistes. En 2015, François Hollande avait été critiqué pour avoir panthéonisé quatre figures de la Résistance dont aucune n’était membre du Parti communiste français, malgré son rôle central dans la lutte contre l’occupant nazi. Cadre du groupe Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI), lié au PCF, Missak Manouchian avait à charge la coordination technique de sa section parisienne. Pour sa série « les grands textes », Le Vent Se Lève publie la dernière lettre de Missak Manouchian à sa femme. Dans ces quelques lignes, le grand résistant y exprime la joie d’une victoire qu’il sait imminente, et l’attachement à un pays dont il n’était pas citoyen.

Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée, Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais. Que puis-je t’écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps. Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement.

Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous…

J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendue heureuse, j’aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d’avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l’armée française de la libération.

Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait de mal à personne et si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine.

Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t’embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur.

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Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari. Manouchian Michel. P.S. J’ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène. M. M.