L’édition 2024 des « Amfis » (universités d’été de la France Insoumise – LFI) s’est tenue du 22 au 25 août à Valence. Plus de 5.000 militants et sympathisants y étaient présents selon les organisateurs. Ponctués de prises de parole des leaders de l’organisation, ils ont servi de tribune au mouvement pour s’afficher à l’avant-garde de l’opposition à Emmanuel Macron. Quant aux multiples conférences et ateliers qui s’y trouvaient, ils illustrent la variété idéologique que cherche à synthétiser LFI.
« Cette mobilisation massive démontre que nous restons un pôle d’attraction majeur pour ceux qui aspirent à un changement radical », se félicite Manuel Bompard, coordinateur national de LFI. L’affluence de cette édition semble confirmer la force mobilisatrice du mouvement. Et son succès électoral relatif : si le score de la liste menée par Manon Aubry aux européennes demeure modeste (9,9%), les « insoumis » rappellent qu’elle a rassemblé un million de voix supplémentaires par rapport au scrutin précédent. « S’il n’y avait pas eu les élections européennes, le Nouveau Front Populaire (NFP) n’aurait pas gagné ces élections [législatives] », ajoute Manuel Bompard.
« Tenir le cap » de l’opposition à Emmanuel Macron
La question de l’unité de la gauche a été au centre des échanges. La candidate commune du NFP au poste de Première ministre, Lucie Castets, a donné un grand entretien dans un amphithéâtre plein à craquer. Elle y a réaffirmé sa volonté d’appliquer « un programme de rupture idéologique », et répété que les électeurs insoumis pouvaient « compter sur elle ». Appel à la confiance retourné par Jean-Luc Mélenchon, affirmant « [qu’elle] n’est pas une insoumise mais [qu’elle] le mériterait ».
Dans la droite ligne de ces échanges, le leader insoumis a ainsi ouvert la voie à un « soutien sans participation » du mouvement à un éventuel gouvernement NFP. Une manière de pousser Emmanuel Macron à sortir de l’ambiguïté – en l’occurrence, à révéler qu’il ne souhaitait pas laisser le NFP gouverner. Tout en réaffirmant la nécessité d’une motion de destitution du Président de la République, à l’encontre du Parti socialiste (PS), qui s’y oppose, et du Parti communiste français (PCF) et des Écologistes (EELV), qui temporisent. Une posture « dégagiste » qui semble porter ses fruits, puisque 49% des Français se déclarent favorables à la destitution du chef de l’Etat. Si la procédure en tant que telle n’a aucune chance d’aboutir – elle suppose une majorité des trois cinquièmes à l’Assemblée nationale et au Sénat – elle permet de mettre la pression sur le locataire de l’Elysée. Si cette procédure va jusqu’au vote, elle peut par ailleurs fragiliser le RN, en forçant Marine Le Pen et Jordan Bardella à expliquer à leur électorat pourquoi ils ne souhaitent pas destituer un Président largement rejeté dans leurs rangs (50% souhaitent sa destitution).
La posture « dégagiste » de la France insoumise semble porter ses fruits, puisque 49% des Français se déclarent favorables à la destitution du chef de l’Etat.
A Valence, cette opposition à Emmanuel Macron permet en tout cas de fédérer les troupes. Tous les militants présents savent gré à Jean-Luc Mélenchon d’avoir « tenu le cap » de l’opposition systématique à Emmanuel Macron – et à la résurgence du hollandisme. Mais au-delà de ce dénominateur commun, l’histoire militante des participants est résolument hétérogène. Et c’est même leur diversité qui frappe au premier abord. Sympathisants de la première heure, « anciens » du mouvement ou cadres de longue date y côtoient des primo-militants. Certains ont voté pour la première fois en 2024 en raison de leur jeune âge. D’autres, plus âgés, sont entrés dans le militantisme avec le NFP, tirés d’un long sommeil politique par le risque d’une victoire du RN. Et désormais grisés par le score de la coalition.
Le contraste avec les participants aux Universités d’été du PCF – où LVSL était également présent – est net : plus d’enthousiasme et moins d’ancienneté. Des références idéologiques moins précises, mais plus diverses. Là où le « parti » tente de sédimenter des décennies d’expérience militante, le « mouvement » cherche davantage à agréger les luttes du moment, aussi éparses fussent-elles. Une hétérogénéité qui trouvait satisfaction dans la grande variété des conférences et table-rondes qui ont émaillé le week-end.
Marquer l’identité insoumise dans un contexte unitaire
La diversité thématique visait à refléter les temps forts et les mouvements d’opinion qui ont secoué la France au cours de la dernière année. Pour les Insoumis, outre la crise politique en France métropolitaine et Nouvelle-Calédonie, la donne demeure marquée par l’assassinat du jeune Nahel Merzouk l’an dernier et les massacres de civils commis par l’armée israélienne à Gaza. Aussi de nombreuses tables ont-elles porté sur les thématiques antiracistes, la lutte contre l’extrême-droite, les problèmes qu’affrontent les quartiers populaires ou le néo-colonialisme. Un éventail en phase avec le discours de Jean-Luc Mélenchon axé sur la « Nouvelle France » – le vendredi soir, le leader insoumis prenait la parole sur la thématique de la « créolisation ».
Au détriment d’autres enjeux, notamment industriels ou géopolitiques ? Un temps domaine de prédilection du mouvement, l’international occupe un peu moins d’espace. Hormis une table ronde intitulée « Quand la gauche gouverne » réunissant des politiques et des observateurs des gouvernements latino-américains et espagnol et une autre sur « la révolution citoyenne au Sénégal » avec la présence remarquée du secrétaire général du PASTEF (parti nouvellement au pouvoir), on comptait cette année peu d’invités internationaux par rapport aux précédentes éditions des « Amfis ». On compte peu de table-rondes dédiées à la politique étrangère – hors question palestinienne – ou aux enjeux européens. Volonté de ne pas marquer une trop forte divergence avec les autres forces du NFP, alors que Lucie Castets affirme sa communauté de vues avec Emmanuel Macron sur « la politique européenne et l’Ukraine » ?
La diversité thématique visait à refléter les temps forts et les mouvements d’opinion qui ont secoué la France au cours de la dernière année.
Jean-Luc Mélenchon ne s’est cependant pas départi de ses analyses habituelles sur la question russo-ukrainienne. Au cours d’une longue intervention d’une trentaine de minutes, il a mis en garde contre l’escalade consécutive aux événements récents – et notamment la pénétration sur le territoire russe de troupes ukrainiennes, ainsi que l’intensification de la production d’armement de l’Allemagne. De la même manière, on comptait une table-ronde d’une grande densité autour de la rivalité entre les États-Unis et la Chine, animée par le député FI Arnaud Le Gall, spécialiste des questions internationales. Sans angélisme sur la nature du régime chinois, l’importance de la poursuite de la politique « un pays, deux systèmes » (favorable au statu quo sur Taïwan) et de ne pas suivre l’hostilité américaine chaque jour grandissante face à la Chine y ont été martelées.
Sur les questions économiques enfin, plusieurs débats sont venus rappeler la nécessité d’une « rupture » avec le système néolibéral défendue par la France insoumise depuis ses débuts : nouvelles formes d’exploitation au travail, annulation des dettes et politique monétaire, logement social, services publics… Autant de thèmes investis par le mouvement insoumis depuis son commencement. Reste à savoir si ce socle idéologique parfois éclectique et la ferveur militante – Manuel Bompard ayant revendiqué le chiffre de 100.000 militants actifs dans des groupes d’action – suffiront à faire face à l’autoritarisme croissant d’Emmanuel Macron et la progression spectaculaire du RN.