« Gagner » : à Flixecourt, le mot d’ordre de François Ruffin

Ruffin - Le Vent Se Lève
François Ruffin à Flixecourt © Valentin De Poorter

Près de 1500 personnes étaient présentes à Flixecourt pour la rentrée politique de François Ruffin. Dans une ambiance de kermesse dont le député de la Somme a le secret, une foule hétérogène de sympathisants venus des quatre coins de France, tant journalistes que petits et grands élus, militants et curieux, tous « orphelins d’une certaine gauche ». Le leader de Picardie debout ! a conclu cette journée par un discours qui semblait poser très prudemment, presque timidement, les bases d’une voie alternative à gauche, entre une social-démocratie entachée par la trahison et une France insoumise qui aurait renoncé à disputer au RN les zones rurales et ouvrières.

Comme un rappel des fondamentaux. Unir les travailleurs (tous les travailleurs, ceux des ex-bassins miniers comme le précariat des banlieues) face aux accumulateurs. Coaliser les petits contre les gros. Donner à voir la souffrance des invisibles. Pourfendre le mythe de la mondialisation heureuse. Non pour s’enfoncer dans le défaitisme mais pour renouer, dans la lutte, avec la fierté collective. Pour qui se souvient du François Ruffin d’avant la députation, son discours prononcé à Flixecourt sonnait comme une synthèse des combats qu’il n’aura cessé de mener.

François Ruffin a rappelé le débat qu’il avait voulu générer sur le recul de la gauche dans les territoires ouvriers et ruraux, à travers la publication de son livre Je vous écris du fond de la Somme.

Continuité dans le style également. Sur la grande scène, avant la prise de parole du député de la Somme, ce sont des « anonymes » qui ont témoigné, travailleurs syndiqués et citoyens ordinaires confrontés aux difficultés du quotidien. Puis un membre du groupe de musique « Les Goguettes en trio, mais à quatre », a entamé un refrain. Pastichant deux chansons de gauche bien connues des manifestants, il imagine Emmanuel Macron et le Medef prendre la rue contre le peuple. Un ton qui rappelle celui de la grande journée organisée par François Ruffin en mai 2018, dénommée « fête à Macron ». Et qui était déjà celui de la publication Fakir, qu’il dirigeait avant son mandat de député.

Comme pour affirmer que Ruffin, lui, n’a pas trahi.

En finir avec la gauche du « renoncement »

De trahison, il a été question dans son discours de clôture. Celle du Parti socialiste d’abord. Le parti « qui a accompagné la mondialisation, qui, avec Jacques Delors à la Commission européenne et Pascal Lamy à l’Organisation mondiale du commerce, a permis que Goodyear parte en Pologne, que Whirlpool parte en Slovaquie », selon ses mots [entreprises victimes de la vague de désindustrialisation qui a frappé la France dans les années 1990 et 2000, ndlr]. Une dénonciation de la gauche de gouvernement et de la construction européenne libérale, visant à marteler que, s’il a quitté la France insoumise, François Ruffin ne s’est pas recentré. Qu’il n’a pas renié la posture protectionniste qu’il tient depuis la publication de son ouvrage de 2011, Leur grande trouille. Journal intime de mes « pulsions protectionnistes » – à une époque où le terme était encore l’apanage du FN, et où la gauche le rejetait largement.

Les « renoncements » de la France insoumise, ensuite. De manière attendue, François Ruffin s’en est pris à l’orientation stratégique du mouvement présidé par Jean-Luc Mélenchon et à l’optimisme affiché par les « insoumis » : « j’entends qu’on aurait mis une tannée au Rassemblement national (RN). Je me demande sur quelle planète ils [les insoumis, NDLR] vivent. Nous, on sait où on vit. On sait que la lame de fond ne s’est pas arrêtée le 7 juillet au soir ».

Et de rappeler le débat qu’il avait voulu générer sur le recul de la gauche dans les territoires ouvriers et ruraux, à travers la publication de son livre Je vous écris du front de la Somme (LLL, 2022) : « on m’a répondu durant ces deux années. On m’a répondu par le choix de l’abandon. Un choix acté, délibéré, théorisé ». Puis, ciblant explicitement Jean-Luc Mélenchon : « on nous parle de la Nouvelle France – les métropoles, les quartiers populaires, la jeunesse diplômée -, très bien. Mais on est où, alors ? On est dans la vieille France ? » [Nouvelle France est une expression employée par Jean-Luc Mélenchon pour désigner les segments sociaux capables de constituer, selon lui, une majorité de rupture, ndlr]. Devant une assistance conquise, il a ensuite répété son attachement à l’union des différentes catégories populaires, urbaines et rurales, du secteur tertiaire ou du monde ouvrier, issues ou non de l’immigration.

Sur scène, à ses côtés, une série de personnalités auprès desquelles son discours résonne de manière particulière. D’ex-députés LFI, remerciés par le mouvement. Des « électrons libres », membres de la formation insoumise ou du parti écologiste. Ou – personnalité plus institutionnelle – Sébastien Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis et membre du Parti socialiste.

Quel avenir pour Picardie debout ?

Avoir réuni plus de 1.500 personnes à Flixecourt, sous un ciel pluvieux, fait la fierté des militants et des cadres. La journée se termine pourtant sur une impression mitigée. Si la réussite de l’événement est saluée, on regrette qu’il n’ait débouché sur aucune annonce particulière. « On s’attendait au lancement d’un grand parti. On pensait que Ruffin sauterait le pas vers l’échelon national, ça n’a pas été le cas », témoigne une « petite main » de Picardie debout. Un militant avoue avoir été surpris d’entendre François Ruffin mentionner sur scène sa propension au « bordel », sur un ton humoristique : « on a besoin de tout sauf de ça ! Il faut qu’on sorte de cette image d’amateurs dont se repaissent nos adversaires, et qui ne reflète pas le sérieux du boulot qu’on effectue en interne. »

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D’autres ont noté l’hétérogénéité des personnalités présentes autour de François Ruffin, en soutien à son événement de rentrée. Quelle sensibilité idéologique commune entre le député PCF Sébastien Jumel, les ex-insoumis Clémentine Autain et Alexis Corbière, la députée Génération.s Sophie Taillé-Polian et François Ruffin lui-même ? Quel horizon commun, mis à part celui d’une gauche libérée de l’hégémonie de LFI sans retour au hollandisme ? « Dire que ce nouvel entourage suscite un enthousiasme unanime serait mentir », témoigne un militant. Puis, hésitant : « ce ne sont pas les profils idoines pour reconquérir la France des bourgs » [expression employée par François Ruffin pour désigner l’électorat populaire éloigné des grandes métropoles qui déserte la gauche, ndlr].

Un ex-assistant parlementaire de LFI nuance : « on a pu gloser sur la supposée tension idéologique entre François Ruffin et une Clémentine Autain. On a pu gloser sur le changement de “ligne” politique de celle-ci. Oui, le discours d’Autain a connu une inflexion. Moins axé sur les questions culturelles, plus soucieux de s’adresser à la France rurale ou peu diplômée. Et alors ? Elle a compris que la gauche ne parlait plus à un pan des classes populaires. Elle s’est adaptée en conséquence. Maintenant, qu’on me cite une seule mesure programmatique qu’elle aurait renié, ou sur laquelle elle serait en désaccord avec François Ruffin. » Avant d’étendre ce constat aux fractures entre le mouvement du député picard et la France insoumise : « Qu’on me cite également une mesure de politique publique sur laquelle Ruffin et Mélenchon seraient en désaccord. Outre des divergences tactiques bien réelles, la carte de la distinction médiatique a été surjouée. »

Chez les « ruffinistes », on a conscience qu’elle continuera à l’être. Et on se prépare à une rude bataille médiatique, où il s’agira d’être audibles face à une France insoumise qui se veut l’avant-garde de l’opposition au macronisme et une nébuleuse social-démocrate en recomposition.

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