Les aides à domicile, héroïnes oubliées de la lutte contre le Covid-19, ont obtenu une prime exceptionnelle. Cette annonce vient corriger deux injustices. La première est celle de ne pas avoir été prioritaires dans l’accès au matériel de protection réservé principalement aux soignants. La seconde est de n’avoir pas été intégrées aux bénéficiaires de la prime Covid-19 destinée au personnel médical. Pourtant mobilisées pendant la crise, ces femmes, pour l’essentiel, assurent au quotidien un « métier du lien », en prenant soin de nos aînés. Bien que reposant principalement sur des financements publics, les conditions de travail restent difficiles, tant sur le plan physique que moral. Elles souffrent aussi de leur isolement et d’un manque de reconnaissance. Pourtant des mesures structurelles permettraient d’améliorer le travail de ces héroïnes du quotidien.
Il aura fallu attendre un mois pour que les auxiliaires de vie bénéficient elles-aussi de la prime Covid. Comme au cœur de la crise, celles-ci ont été traitées de façon secondaire, ce qui atteste du manque de considération pour ce métier. En témoigne, la sanction à l’encontre de l’inspecteur du travail qui avait alerté sur ce manque de moyens. Pourtant, celles-ci n’ont pas démérité. Elles ont poursuivi leur activité malgré les difficultés d’accès au matériel de protection et les risques encourus pour elles-mêmes et pour les personnes aidées. Les seules consignent reçues les incitaient à limiter leurs temps d’intervention aux seules tâches d’accompagnement des personnes. Leur mobilisation en pleine crise sanitaire a révélé leur isolement, alors qu’elles ont eu à affronter des situations particulièrement difficiles. Le gouvernement annonçait pourtant mi-juin, la création d’une branche autonomie de la Sécurité Sociale, comme un événement historique. Une occasion manquée d’améliorer le quotidien pour ces métiers qui font tant pour la dignité des autres, avec des mesures structurelles.
Invisibles et isolées dans la lutte contre la solitude
Invisibles. Telles sont les femmes pour l’essentiel1, qui interviennent dans ces métiers du lien. La crise sanitaire les a remises en lumière, ainsi que l’ensemble des métiers « indispensables » . Et pour cause. Depuis le plan Borloo de 2005 le secteur de l’aide à domicile a connu une forte expansion, accompagnant le vieillissement de la population. Tout un symbole de ce manque de reconnaissance, il est difficile d’obtenir une idée précise de leur nombre aujourd’hui, mais il dépasse les 550 000 salariées2. À titre d’illustration, les deux principales associations d’employeurs regroupaient 150 000 employées3, plus que l’essentiel des sociétés du CAC 40. Paradoxalement, il est plus aisé de connaître le nombre de bénéficiaires de leurs services, 767 000 personnes fin 2017. Ceci donne une idée de leur importance dans notre pays, tant pour les familles des salariées que pour celles des aidés. En particulier, ce métier est très prégnant dans les territoires ruraux où il peut représenter l’essentiel de l’emploi.
En réalité, c’est toute une profession qui arrive à maturité. Suscitant de rares vocations, elle reste une activité d’appoint pour des épouses d’indépendants (agriculteurs et artisans) ou bien au chômage et des mères de famille. Ce facteur se traduit par un travail à temps partiel, pour l’essentiel subi. Pourtant, depuis 15 ans, cette solution est devenue durable comme en témoigne leur ancienneté grandissante et une formation accrue. Dans le même temps, contrairement aux apparences, la moitié d’entre elles ont désormais plus de 50 ans. Elles sont plus aguerries, bénéficient de leur expérience, et savent pour l’essentiel qu’il s’agira d’un travail permanent. Ce qui explique des attentes et des revendications plus fortes.
D’autant que le portrait est loin d’être complètement sombre. D’une part, l’expansion de ces métiers a permis à de nombreuses femmes de trouver une autonomie, y compris avec des niveaux qualifications différents. Même si le temps travaillé et les niveaux de salaires permettent difficilement d’assumer les charges de celles qui se trouvent, par la force des choses, cheffes de famille. Par ailleurs, il a permis d’intégrer ces femmes dans l’espace social, en les faisant intervenir auprès de leurs voisins, créant un véritable métier du lien. Elles en ont d’ailleurs bien conscience. Elle déclarent à 86 % percevoir l’utilité de leur rôle social, bien qu’à 50 % elles ne jugent pas leur travail particulièrement plaisant. Un sentiment conforté par les marques de reconnaissance, diverses, des personnes aidées et de leurs familles. C’est peu dire que ce métier tient pour l’essentiel au lien tissé avec les aidés. En ayant à l’esprit que notre pays compte 3,2 millions de retraités pouvant passer une journée entière sans contact. Enfin, compte-tenu de besoins quotidiens, le secteur est l’un des rares à recruter massivement en CDI.
Des conditions de travail qui doivent être améliorées
L’absence de visibilité n’a pas contribué à améliorer leurs conditions de travail. Isolées, dans leurs trajectoires comme dans leur quotidien, elles sont employées par des petites structures souvent associatives. Or ce métier est exigeant tant sur le plan physique que mental. En effet, il s’agit d’accompagner le vieillissement et de voir au quotidien la situation de certaines personnes se dégrader, jusqu’à leur décès dans certains cas. Les contraintes physiques liées au ménage ou aux soins se font de plus en plus sentir à mesure que le personnel avance en âge. Dans le même temps le métier impose de nombreuses contraintes organisationnelles. En effet, le métier a basculé d’aide ménagère à auxiliaire de vie, conduisant à accompagner d’avantage les personnes (préparation des repas, toilette…). Désormais, il leur faut gérer plusieurs niveaux de dépendance, et surtout être à l’écoute sans qu’il s’agisse là de l’essentiel du métier. À ce titre, les aides à domicile finissent par être le dernier maillon de la chaîne de soins, sans le statut médical qui l’accompagne. D’autant qu’intervenir pour s’occuper d’une personne dépendante chez elle peut s’avérer délicat. Par ailleurs, la présence quotidienne auprès des personnes âgées impose une cadence et des trajets récurrents qui sont moins sensibles pour le personnel d’EHPAD par exemple.
En revanche, ce cadencement mêlé à un fort ancrage local du métier, expose les salariées à une grande flexibilité, notamment pour palier le turnover ou l’absentéisme. Ces horaires, variables et non continus, peuvent affecter la vie de famille notamment. En outre, la tension sur les recrutements rend difficile la prise de congés pour le personnel. Ainsi, un meilleur niveau de personnel, et dans certains cas de structuration permettrait d’offrir plus de stabilité dans le temps de travail. Bien qu’à temps partiel, elles peuvent finir par effectuer un nombre important d’heures supplémentaires. Or, celles-ci peuvent être annualisées dans les petites structures. Cette mesure ne permet pas aux salariées d’avoir une bonne vision sur les heures réalisées. Ainsi, ne serait-ce qu’en imposant que ces heures soient bien réglées au fil de l’eau plutôt qu’en régularisation annuelle, les aides à domicile bénéficieraient d’un complément de revenus régulier qui réglerait bien des problèmes du quotidien.
Malgré les contraintes du métier, des changements structurels amélioreraient leur quotidien.
Sous certains aspects, les conditions se sont même dégradées. Ceci est manifeste pour l’autonomie dans le travail. En effet, ces derniers années les dispositifs pour contrôler les heures de travail effectifs se sont multipliées. S’ils ont effectivement permis un meilleur suivi des heures supplémentaires, notamment dans les structures les plus importantes, il a été vécu comme une marque de défiance par le personnel. Cette mesure se fait dans certaines zones par smartphone. Cette innovation a exigé une forte capacité d’adaptation de certaines employées non préparées. Si des abus existaient certainement à la marge, ces mesures de contrôle généralisées apparaissent disproportionnées pour y remédier, là où quelques contrôles ciblés suffisaient. Alors qu’elles déclaraient bénéficier d’un fort degré d’autonomie dans leur travail4 en 2005, ce niveau se situe désormais en deçà de l’essentiel des professions. Ces mécanismes ont également donné le sentiment qu’on priorisait ainsi les actions de nettoyage au détriment de la partie contact du métier. En outre, il s’agit indéniablement d’un facteur de stress supplémentaire.
Dans leur rapport sur les métiers du lien, les députés François Ruffin et Bruno Bonnell font état d’autres difficultés. D’une part, ils reconnaissent que le temps de travail rémunéré ne correspond pas intégralement au temps travaillé. En effet, celui-ci ne prend pas suffisamment en compte les temps de préparation et de trajet. Seuls des barèmes d’indemnisation des frais de transport existent. Dans le plan de relance automobile, le gouvernement aurait aussi pu prévoir des dispositifs ciblés et plus généreux pour ces salariés qui font de nombreux déplacements. Ils pointent une seconde difficulté, lié au resserrement du temps de travail. Dans certains cas le temps d’intervention est réduit à un quart d’heure. Si ce temps est nettement insuffisant, la réduction du temps d’intervention peut s’entendre pour les situations les plus complexes. En effet, ceci permettrait des opérations par binôme pour les personnes les plus dépendantes. Cette solution est certes plus complexe en termes d’organisation. Néanmoins, elle permettrait de soulager la charge physique, pour la toilette des personnes les moins mobiles, et de rompre l’isolement propre à ce métier.
Un financement public qui devrait éviter les injustices
Le financement de ce secteur repose principalement sur des financements publics. Particulièrement complexe, ce financement fait intervenir des acteurs multiples : aides directes par les caisses de retraite, contribution centralisée de la CNSA, Aide personnalisée d’autonomie (APA) versée par les départements, crédits d’impôt, exonérations sociales et TVA réduite pour la prise en charge résiduelle. Il est difficile en conséquence d’avoir une évaluation complète du coût de ces financements. À titre d’illustration, la CNSA évaluait à 24 milliards d’euros ses dépenses en faveur des personnes âgées. Quant à la Cour des comptes, elle évaluait le total des exonérations fiscales et sociales à 6,05 milliards d’euros.
Il est nécessaire de réviser ce financement, pour anticiper les besoins à venir. En témoigne le versement de la prime Covid-19, décidée par l’État et dont la moitié du financement est renvoyée aux départements. La revalorisation des salaires apparaît comme une nécessité pour attirer de nouveaux collaborateurs. Or les dernières réformes ont conduit, sur un schéma libéral, à induire des objectifs de performance dans les conventions avec les organismes employeurs. Comme lors du plan Borloo, cette démarche tend à affaiblir les petites structures, en renchérissant leurs coûts d’intervention. Malgré le besoin de structuration, l’intervention de nombreux bénévoles au travers d’associations à but non lucratif permet clairement de limiter les coûts de fonctionnement. En outre, il ne nécessite pas de générer des bénéfices distribuables. Par ailleurs, l’éloignement des centres de décision du terrain contribue à dégrader effectivement la qualité du travail des intervenants.
Le financement public favorise les ménages les plus aisés sans garantir des conditions de travail acceptables.
Aujourd’hui, le mode de financement soulève deux injustices majeures. Tout d’abord, en s’appuyant sur un crédit d’impôt, versé a posteriori, il exclut une partie des ménages les plus fragiles. En effet, il est nécessaire de pré-financer l’aide de l’État ce qui implique de pouvoir fournir cette avance. En outre, les démarches peuvent s’avérer particulièrement complexes pour certaines familles. La seconde repose sur les conditions de travail de ces femmes. En engageant une véritable professionnalisation, l’État aurait dû s’intéresser également à la rémunération et à l’environnement de leur métier. À la place de cela, il laisse reposer la charge sur les structures employeuses. Compte-tenu de leur utilité et des besoins, ce métier du lien mérite mieux.
1 80% des employés – Graphique 3 – https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/dares_analyses-metiers_du_nettoyage.pdf
2 Représentant 29 % des 1,9 M de salariés du ménage en 2017 – https://dares.travail-emploi.gouv.fr/dares-etudes-et-statistiques/etudes-et-syntheses/dares-analyses-dares-indicateurs-dares-resultats/article/les-metiers-du-nettoyage-quels-types-d-emploi-quelles-conditions-de-travail
3 À savoir l’ADMR (76 900 salariés/392 000 personnes aidées) et l’UNA (75 718 salariés)
4 Le score moyen est compris entre 0 et 4. Il est calculé en comptant un point pour chacun des critères suivants :
– le salarié choisit lui-même la façon d’atteindre les objectifs (plutôt que de recevoir des indications précises) ;
– il n’applique pas strictement les consignes (ou n’en reçoit pas) ;
– il n’a pas de délais, ou peut les modifier ;
– il règle lui-même les incidents, au moins dans certains cas.