Argentine, l’ère des Kirchner : retour critique sur une “décennie gagnée”

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Elecciones_en_Argentina_-_Cristina_y_Néstor_Kirchner_26102007.jpg
Cristina et Néstor Kirchner pendant les élections de 2007 en Argentine. ©Fábio Pozzebom/ABr

L’Amérique latine en question – Au fil du mois de mars, LVSL met à l’honneur l’Amérique latine à travers une série d’articles et d’entretiens. Pour mieux saisir l’ampleur des bouleversements politiques et sociaux qui agitent les pays latinoaméricains, et afin de poser un regard nuancé sur les expériences progressistes aujourd’hui remises en cause de part et d’autre du continent, nous avons souhaité croiser les points de vue de rédacteurs, de chercheurs et d’acteurs politiques.

Par Baptiste Mongis  –  Dans la poursuite du virage à droite” des gouvernements d’Amérique latine, un esprit de vengeance d’obédience libérale, tendance réactionnaire, flotte dans les pays ayant conduit durant la dernière décennie des politiques progressistes” ou plus radicalement bolivariennes, comme l’a décrit le Monde Diplomatique de décembre 2017 à propos du Brésil1], et celui de février 2018 au sujet de l’Équateur[2]Depuis l’arrivée au pouvoir du très libéral Mauricio Macri en décembre 2015 à la Présidence de l’Argentine (et des drastiques mesures prises dans la foulée de son élection[3]), on a vu apparaître sur les murs de Buenos Aires et d’ailleurs des “Más kirchnerista hoy que nunca (Kirchnériste, aujourd’hui plus que jamais”), en soutien au gouvernement précédent. Malgré cette nostalgie, largement partagée, il est également indispensable de mesurer le succès du mouvement macriste Cambiemos, confirmé par les législatives d’octobre 2017, à l’aune du complexe bilan des Kirchner. Retour sur ladite décennie gagnée” qui, loin de s’être déroulée dans l’harmonie et l’homogénéité, présente des aspects contradictoires dont nous ne ferons qu’esquisser les traits dans le cadre de cet article[4]


L’aventure du kirchnérisme à la tête de l’Argentine[5] s’est refermée il y a un peu plus de deux ans. Souvent classée centre gauche pour simplifier la complexité de ses enjeux, la singulière stratégie politique des Kirchner pendant leurs douze années de présidence (d’avril 2003 à décembre 2015) l’est avant tout pour la résurrection qu’elle a opéré du péronisme historique (1946 – 1955), période faste (quoique assez autoritaire) pour les classes populaires, et dont l’axe s’inscrivait sur une répartition 50/50 des revenus entre capital et travail.

C’est en suivant cette ligne que Néstor puis Cristina Kirchner ont respectivement affronté – parmi d’autres défis – les décombres de la crise argentine de 2001 puis l’irruption de la crise économique internationale de 2008.

Fustigé sans trêve sur sa droite, conspué sur sa gauche (notamment pour y avoir éclipsé, du moins électoralement, toutes les alternatives, du parti socialiste au trotskisme, en siphonnant des adeptes de tous bords), tantôt rallié ou répudié par les puissants syndicats du pays (CGT et CTA, entre autres), le kirchnérisme n’a eu de cesse de rebâtir en Argentine un courant dit “progressiste”, tout à la fois indéfectible soutien de la révolution bolivarienne d’un Hugo Chávez au Venezuela, quoique tenant bien plus du réformisme d’un Lula da Silva au Brésil. Néstor Kirchner eut d’ailleurs avec ces derniers de fortes relations, tant pour le projet (avorté) du grand gazoduc devant relier l’Argentine au Vénézuela via le Brésil, qu’au moment du rejet (conjointement avec le Paraguay et l’Uruguay) de l’ALCA – proposé par les États-Unis – le 5 novembre 2005 à Mar de Plata[6].

Par ses succès électoraux, son travail de terrain et ses alliances inédites, grâce à sa vision rénovée d’un pays démoli, et malgré les manœuvres discutables et les erreurs tactiques, le couple Kirchner tiendra tant bien que mal le cap qu’il s’était fixé : sortir l’Argentine de l’Enfer” dans lequel elle se trouvait en 2001 – selon l’expression de Néstor Kirchner – après une longue décennie de néolibéralisme dans les années 1990 (ladite “décennie perdue”) et le creusement d’une dette abyssale amorcé durant la dernière dictature militaire (1976 – 1983).

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Chavez_Kirch_Lula141597.jpg
Les présidents Chávez, Kirchner et Lula en janvier 2006. ©Ricardo Stuckert/PR

 

Crise et sortie de crise

Comme se le demande Charles Lancha : « Il est de fait que le kirchnérisme s’est toujours prononcé pour l’association capital-travail et qu’il s’est efforcé de concilier leurs intérêts antagonistes. Y est-il parvenu ? »[7]

Le 27 septembre 2012, la Présidente Cristina Fernández de Kirchner déclare encore ceci au journal Página 12 : « Nous ne prêchons pas l’antagonisme de classe mais la collaboration entre le capital et le travail pour parvenir à une distribution des revenus fifty-fifty »[8]. Neuf ans et demi après l’accession de son mari à la présidence, la déclaration a toujours de quoi faire fulminer les plus inconditionnels marxistes comme les moins aimables des capitalistes, tout en faisant osciller les tendances syndicales. Comme le résume Charles Lancha, « le kirchnérisme suscite autant de haine à droite qu’à gauche. La droite rejette le dirigisme du gouvernement. La gauche condamne une politique trop favorable aux grandes entreprises et aux banques »[9]. Comprendre : les plus puissantes entreprises privées s’irritent face à une ingérence étatique visant à redistribuer une partie de leurs bénéfices, et les forces sociales déplorent que cette ingérence ne soit pas plus massivement (et donc réellement) en faveur des classes nécessiteuses, durablement plongées dans le désarroi.

“Des suites d’une élection avancée, Néstor Kirchner est élu Président en avril 2003 (…) Gouverneur d’une obscure province du sud du pays, celui que beaucoup appelleront bientôt “Néstor” avec affection est alors inconnu du public argentin. La tâche qui lui incombe est colossale.”

Mais recontextualisons. En décembre 2001 éclate la pire crise économique et politique qu’ait connu le pays. Avec la moitié de ses habitants sous le seuil de pauvreté et presque un tiers de sa population active au chômage, un endettement de 144 milliards de dollars et 4 mois de récession consécutifs, l’Argentine est au plus bas. L’échec des politiques libérales appliquées depuis plus d’une décennie est sans appel. Quand le ministre de l’économie tente d’imposer le corralito” – le gel des avoirs bancaires des petits épargnants, empêchant quiconque de retirer plus de 1000 pesos par mois – la misère et la faim déclenchent la mise à sac des supermarchés. Bravant l’État d’urgence imposé en conséquence par le Président De la Rúa, plusieurs dizaines de milliers de personnes déferlent dans les rues de la capitale, tapant sur des casseroles et scandant Que se vayan todos !” (“Qu’ils s’en aillent tous !”). La répression fait 33 morts et de très nombreux blessés. Fernando de la Rúa démissionne le 20 décembre, fuyant par hélicoptère le palais présidentiel assiégé par la foule, et le 23, le nouveau Président Rodríguez Saá déclare l’Argentine en cessation de paiement. Selon María Seoane, c’est « le plus grand défaut de paiement de l’histoire du capitalisme moderne »[10]. Corollairement au fiasco économique, c’est la débâcle politique. En moins de deux semaines, quatre présidents se succèdent par intérim. Sous la présidence de contention” d’Eduardo Duhalde, l’Argentine suffoque un an encore dans le chaos.

Des suites d’une élection avancée, Néstor Kirchner est élu Président en avril 2003, avec seulement 22 % des voix issues du premier scrutin car au second tour, son adversaire Carlos Menem – ni plus ni moins que l’ancien président libéral des années 1990 – renonce à l’affronter. Gouverneur d’une obscure province du sud du pays, celui que beaucoup appelleront bientôt Néstor avec affection est alors inconnu du public argentin. La tâche qui lui incombe est colossale.

Une économie à double tranchant

Un nouveau modèle keynésien

Le programme énoncé par Néstor Kirchner lors de son discours d’investiture au Congrès de la Nation, le 25 mai 2003, est pour Bruno Susani « clairement keynésien » : « Cette formule était en rupture avec toutes les déclarations de ses prédécesseurs », écrit-il, « car Kirchner revendiqua le rôle qu’il entendait redonner à l’État en tant que régulateur et acteur économique »[11]. Il appliqua « un programme de relance économique appuyée sur la demande et donna pour cela une impulsion décisive à la redistribution des revenus »[12].

Sans oublier la cauchemardesque inflation de la fin des année 1980 (jusqu’à 3000 % en 1989) qui fut fatale au Président radical Raúl Alfonsín (1983 – 1989), Néstor Kirchner rompt avec la ligne ultralibérale du péroniste Carlos Menem (1989 – 1999) et du radical Fernando de la Rúa (1999 – 2001) – sous le mandat desquels le chômage est passé de 5,3 % de la population active en 1992 à 25 % en 2002[13]  : « Menem, en bon libéral, s’en remettait au marché pour la conduite de l’économie. À l’initiative de Kirchner, l’État impulse l’activité économique dans différents domaines [avec] un double objectif : le développement et la création d’emplois »[14], écrit Charles Lancha.

Modèle hétérodoxe cherchant dans une perspective de justice sociale le compromis entre capital et travail, la théorie de John Maynard Keynes (1883 – 1946) semble la plus à même, en 2003, de pouvoir sauver une Argentine socialement saccagée et économiquement insolvable. « Lorsque la crise s’installe et que le chômage augmente », lit-on dans le numéro spécial du Monde Diplomatique consacré à l’économie dite critique, « l’école keynésienne estime qu’il revient à l’État d’intervenir. Un pilotage adapté de son budget (dépenses / recettes) lui permet d’enclencher le mécanisme multiplicateur, à savoir une hausse des dépenses publiques destinées à engendrer une augmentation bien plus importante de la richesse globale »[15].

Le plan Kirchner signifie-t-il donc la réapparition avec succès de ce modèle salvateur d’après la crise de 1929, actualisé au sein d’une conjoncture soumise au consensus de Washington ?[16]

 

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Néstor_Kirchner_-_20050402_-_Regimiento_de_Patricios_(Argentina).jpg
Néstor Kirchner en 2005. ©Casa Rosada

Bras de fer financiers

Quoi qu’il en soit, ce programme économique ambitieux doit, pour fonctionner, s’accompagner de décisions fermes vis-à-vis des institutions financières internationales et des créanciers. En mars 2004, Kirchner déclare que le gouvernement ne paiera pas la dette au prix de la faim et de l’exclusion de millions de ses concitoyens. Le 11 septembre de la même année, il obtient du FMI un refinancement de la dette à hauteur de 23 milliards de dollars, à payer sur trois ans, avec un surplus fiscal de seulement 3 % pour l’année 2004. « Lula, à cette époque, s’est montré plus complaisant avec le FMI, acceptant un surplus fiscal de 4,5 % et la récession qui l’accompagne »[17], précise Charles Lancha. « Ce qu’on attendait du Brésil, c’est finalement l’Argentine qui l’ose : défier le FMI », écrira Libération[18].

 Dans la foulée, le Président annonce aux créanciers privés que l’Argentine ne paiera que 25 % de sa dette. Le 25 février 2005, et non sans accrocs, son ambition est couronnée de succès : 80 % des créanciers acquiescent à l’offre proposée. Sur les 38,5 % de ces détenteurs de titres situés en Argentine, 95 % se plieront à l’exigence du Président (les 5 % ayant refusé seront qualifiés de fonds vautours). Le Monde écrira que « le président argentin Néstor Kirchner a sans doute raison lorsqu’il dit avoir mené “la meilleure négociation de l’histoire du monde”et que celle-ci “mérite d’entrer dans le Guinness des records”»[19].

“L’Argentine a connu entre 2004 et 2010 des taux de croissance de l’ordre de 8 à 9 % par an. Cette croissance s’est conjuguée avec une réduction du taux d’endettement public qui tombe de 135 % en 2003 à 40,7 % du PIB en 2011. La même année, le chômage est passé en dessous de la barre des 8 %, et le salaire réel a augmenté de 72 % par rapport à l’année 2002.”

Avec le recul, ces décisions ont-elles porté leurs fruits ? Comme le résumera en 2011 Marie-France Prévôt-Schapira[20], l’Argentine a connu entre 2004 et 2010 des taux de croissance de l’ordre de 8 à 9 % par an. Cette croissance s’est conjuguée avec une réduction du taux d’endettement public qui tombe de 135 % en 2003 à 40,7 % du PIB en 2011. La même année, le chômage est passé en dessous de la barre des 8 %, et le salaire réel a augmenté de 72 % par rapport à l’année 2002.

 Ces quelques chiffres donnent, selon elle, la mesure du redressement spectaculaire qu’a connu le pays sous les deux premiers mandats kirchnéristes. À contre-courant de l’orthodoxie libérale des années 1990, elle estime que « les politiques économiques et sociales engagées dès 2003 […] ont façonné le nouveau modèle économique : accroissement de l’investissement public, nationalisation des fonds de pension, subventions dans le domaine des transports et celui de l’énergie, contrôle des prix, reétatisation des entreprises privatisées », « la massification des dépenses sociales [ayant] été l’un des piliers du “nouveau modèle productif avec inclusion sociale”, communément appelé “le modèle K” ».

Errances de l’inflation

 Mais les chiffres, quoique signifiants, masquent aussi la complexe réalité. En juillet 2004, constate Charles Lancha, « les plus mal lotis sont les travailleurs au noir qui, par principe, ne peuvent prétendre à l’assurance-chômage [qui par ailleurs existe depuis 1991 mais n’est pratiquement pas appliquée, ndlr]. Or, ils sont cinq millions et la moitié d’entre eux gagne en moyenne moitié moins que les salariés enregistrés, soit moins de 200 pesos par mois, en-dessous du seuil d’indigence »[21]. Il temporise : « à défaut d’assurance-chômage, les salariés argentins disposent du salaire minimum. En septembre 2004, il augmente de 50 pesos et passe à 450 pesos ». Et cependant : « D’une façon générale, les salaires sont très bas et restent en-deçà de la hausse du coût de la vie ».

L’âpreté des conflits sociaux qui opposeront le kirchnérisme aux syndicats aura beaucoup à voir avec cette relation instable entre salaire et inflation. S’il y a inflation – dont le taux est, par ailleurs, minoré par les chiffres officiels transmis par le gouvernement via l’INDEC, objet d’incessantes polémiques – les salaires devraient, au minimum, augmenter d’autant, disent les syndicats, dont les revendications pour les hausses salariales s’élèvent parfois jusqu’à 30 %[22]. Ces demandes, insistantes, resteront inexaucées, disqualifiant aux yeux de certains le gouvernement dans son paradigme de justice sociale.

“L’âpreté des conflits sociaux qui opposeront le kirchnérisme aux syndicats aura beaucoup à voir avec cette relation instable entre salaire et inflation.”

 Par ailleurs, le problème de l’inflation en tant que tel est le plus souvent posé à partir de deux types d’analyse en opposition : pour les uns, elle est la preuve que le gouvernement agit mal. C’est la thèse libérale, orthodoxe, rabâchée par les médias, selon laquelle « l’inflation aurait pour causes pratiquement uniques une émission monétaire et une dépense publique excessives »[23]. Pour les autres, elle est la condition sine qua non de la croissance (et notamment de cette croissance spectaculaire, entre 8 et 10 %, qu’enregistre l’Argentine de ces années-là). C’est la thèse des économistes hétérodoxes, minoritaires, « peinant à faire entendre leur voix et à soutenir le point de vue gouvernemental d’après lequel l’inflation aurait des causes structurelles ». Pour eux, donc, « l’inflation accompagne inévitablement la croissance » et, « in fine, c’est un moindre mal en Argentine » où, « en 2013, tous les indicateurs sont au vert : un taux de chômage acceptable de 7,9 %, une croissance du PIB [quasi] constante, des réserves monétaires stables dans l’ensemble […], une dette extérieure en baisse sensible et un taux d’inflation inférieur à l’augmentation des salaires selon l’INDEC »[24].

Très clivante parce qu’audacieuse, la ligne économique kirchnériste se doublera d’un repositionnement historique vis-à-vis des politiques des Droits de l’Homme, tout aussi exemplaire en matière d’exigence et de changement de cap, et donc également soumis à controverse.

 

Politique des Droits de l’Homme

Le Procès des militaires

En août 2003, l’Argentine ratifie la convention des Nations Unies de 1970 qui déclarait imprescriptibles les crimes de guerre et les délits de lèse-humanité. Dans la foulée, la Chambre des députés se prononce en faveur de l’annulation des lois de Point final (“Ley de Punto Final”, 1986) et d’Obéissance due (“Ley de Obediencia debida”, 1987), votées contre son gré” sous la présidence de Raúl Alfonsín, et qui interdisaient de juger les membres des Forces armées accusés de violation des Droits de l’homme. Le 21 août 2003, le Sénat annule définitivement ces lois qui amnistiaient les 1100 militaires auteurs d’exactions sous la dernière dictature (1976 – 1983).

Cependant, si « l’abrogation des lois d’amnistie marque une étape importante dans la lutte contre l’impunité », écrit Charles Lancha, « on peut s’interroger sur ses suites »[25]. En effet, entre 2003 et 2009, on n’enregistre que 68 condamnations et 7 acquittements. Ce retard serait principalement dû, selon le CELS que l’auteur cite à l’appui, à des « sabotages » et des « décisions » de certains juges « en fonction de calculs politiques ».

“En plus de permettre la condamnation des “génocidaires” (on estime à 30 000 le nombre des disparus de la dernière dictature), elle invalide également la “théorie des deux démons” (stigmatisant à égalité les violences commises par l’État et par ses opposants, notamment les péronistes radicaux de gauche, ou “Montoneros”) et promeut une politique de la mémoire.”

Néanmoins, la décision présidentielle est forte. En plus de permettre la condamnation des génocidaires” (on estime à 30 000 le nombre des disparus de la dernière dictature), elle invalide également la théorie des deux démons” (stigmatisant à égalité les violences commises par l’État et par ses opposants, notamment les péronistes radicaux de gauche, ou Montoneros”) et promeut une politique de la mémoire. Comme le précise Maristella Svampa – par ailleurs très critique des Kirchner – le gouvernement a, par là même, « nettement marqué sa différence par rapport aux administrations antérieures, puisque Kirchner n’a pas hésité, au nom de l’État argentin, à solliciter le pardon de la société pour une impunité avalisée par deux décennies de gouvernement démocratique »[26].

Cette décision s’illustrera notamment au cours d’une cérémonie au Collège Militaire, le 24 mars 2004, jour d’anniversaire du coup d’État de 1976, où Néstor Kirchner ordonnera au chef de l’Armée de décrocher les tableaux des anciens généraux de la dictature Jorge Rafael Videla et Reynaldo B. Bignone dans la galerie où ils étaient alors exposés.

Par ailleurs – point névralgique pour saisir l’enjeu économique de la dictature argentine et de la plupart des régimes autoritaires latino-américains de ces années-là – « Kirchner a été le premier président à affirmer explicitement qu’il existait un lien étroit entre les atteintes aux Droits de l’Homme et le projet économique et social développé par la dictature militaire »[27]. En effet, les politiques de désindustrialisation de la dernière dictature avait permis d’imposer par la force, sous la conduite du Ministre de l’économie Martínez de Hoz, et à l’instar de la dictature de Pinochet au Chili, le socle législatif indispensable pour les plus drastiques mesures néolibérales[28]. Plus précisément, « [Néstor Kirchner] dénonça le postulat selon lequel la condition pour gouverner était de soumettre le pays et l’État au pouvoir du secteur économiquement dominant qui, de connivence avec la force militaire, voulait l’impunité de ceux qui avaient commis les atteintes aux droits de l’homme »[29].

https://www.laprimerapiedra.com.ar/2015/10/ddhh-son-ahora-entrevista-a-giselle-tepper-de-hijos-juzgar-hoy-a-los-genocidas-es-reparar-un-dano-que-se-le-ha-hecho-a-todo-el-pueblo/

 

La “purge” des secteurs “à risque”

 

 Outre la réouverture des procès de la dictature, le nouveau gouvernement élu s’attaque à une épuration des Forces armées, de la police de Buenos Aires (la Bonaerense”) et de la Cour Suprême.

 « Tout juste investi, [Néstor Kirchner] témoigne de son autorité en destituant le commandant en chef de l’Armée, le général Ricardo Brinzoni. Ce dernier est mis à la retraite ainsi que 27 généraux, 13 amiraux et 12 brigadiers. Une véritable purge », écrit Charles Lancha[30].

 Ayant à l’esprit les précédents de 2001 et 2002 où le gouvernement avait réprimé dans le sang, Néstor Kirchner se méfie de la police dont il stigmatise la gâchette facile. Il s’emploie à la défaire de ses armes à feux et à y redistribuer les postes importants : « Kirchner s’impose également auprès des forces de sécurité. Après avoir vivement dénoncé la corruption qui y sévit, la complicité de nombreux policiers avec des bandes criminelles, il décapite la police fédérale, honnie de tous. La majorité des commissaires sont relevés de leurs commandements ».

À la Cour Suprême, il pousse à la démission son Président, Julio Nazareno, acquis au ménemisme, qui avait « systématiquement rejeté » toutes les « dénonciations de corruption » du temps des privatisations des années 1990[31].

Alors que les piqueteros (groupements de chômeurs célèbres pour leurs blocages des principales routes d’accès à Buenos Aires) protestent contre la terrible ampleur de la pauvreté dans le pays, Kirchner tente d’apaiser l’inapaisable en refusant – autant que faire se peut – de réprimer[32], en créant d’urgence des approvisionnements alimentaires et des plans sociaux (jugés insuffisants par l’opposition de gauche) et en faisant entrer au gouvernement le leader piquetero Luis D’Elía (manœuvre saluée par les uns et dénoncée par d’autres comme un acte clientéliste).

Continuité et cahotements d’un modèle

 

Quel bilan tirer de la politique dite fifty-fifty” du kirchnérisme ? D’un côté, c’est indéniable : le couple Kirchner poursuit une politique sociale grâce au rôle qu’il confère à l’« État Stratège » : « Pour Buenos Aires, la défense de l’intérêt national prime sur le libre-échangisme. De novembre 2008 à novembre 2011, l’Argentine prend 192 mesures protectionnistes. En 2012, elle figure au premier rang des 12 pays les plus protectionnistes de la planète »[33]. En témoigne, entre autres, la retentissante nationalisation (à 51 %) d’YPF en 2012, champion national de l’énergie dérobé à Repsol sous l’impulsion du vice-ministre de l’économie Axel Kicillof, d’influence marxiste. Par ailleurs, en matière de dépenses sociales, et d’après un classement établi en 2013 par la CEPAL, l’Argentine fait partie des pays latino-américains les plus « performants », juste derrière Cuba et le Brésil[34].

Sur le plan démocratique, enfin, l’effort investi pour la mise en place de la Loi des Médias[35] – quoique tardif – est digne d’intérêt : visant à rétablir une liberté d’expression plurielle en limitant le pouvoir hégémonique de Clarín et de La Nación, les deux mastodontes médiatiques argentins (ouvertement libéraux et connus pour leur complicité historique avec la dictature militaire), elle sera abrogée dès l’arrivée de Mauricio Macri au pouvoir.

« Toutefois, le gouvernement argentin est bridé dans son réformisme par l’idéologie péroniste », nuance Charles Lancha, « qui le conduit à tenir la balance égale entre le capital et le travail. »

« Toutefois, le gouvernement argentin est bridé dans son réformisme par l’idéologie péroniste », nuance Charles Lancha, « qui le conduit à tenir la balance égale entre le capital et le travail ». Une balance qui, selon les sources, fut bien plus réellement équilibrée du temps de Perón lui-même que durant la postérité qui se revendique de ses politiques sociales. Ainsi, « L’Argentine connaît de façon significative le taux de TVA le plus important du continent : 21 %, un impôt que subissent avant tout les classes populaires ». Autre exemple : « Les couches les plus modestes de la population paient également l’impôt sur le revenu ». Or, le système fiscal argentin, à l’instar du vénézuélien, du chilien et du brésilien, n’a « pratiquement aucune incidence redistributive »[36].

Pour de telles raisons, plusieurs adversaires politiques à la gauche du kirchnérisme n’en démordent pas. Pour exemple, la figure de Fernando Ezequiel Solanas, réalisateur du retentissant Memoria del saqueo[37] et fondateur du Projet Sud : pour lui, les Kirchner se sont montrés tout du long bien trop favorables aux intérêts du capital.

 Sur le plan financier, Charles Lancha parle d’une « préoccupation des kirchnéristes » qui prête, là aussi, au débat : veiller à ce que « l’Argentine cesse d’être considérée comme une pestiférée par le monde de la finance »[38]. Comme on a pu le lire dans Médiapart en 2008, « l’Argentine est toujours regardée comme un paria sur les marchés de capitaux internationaux depuis sa décision, en décembre 2001, de faire défaut sur une dette souveraine de 80 milliards de dollars, suivie en 2005 du diktat imposé aux investisseurs qui ont accepté d’échanger leurs créances contre de nouvelles obligations, en perdant au passage jusqu’à 70 % de leur mise initiale »[39]. La victoire des uns défoule la haine des autres. Quoi qu’on pense des qualificatifs assénés et des batailles politiques qu’ils escamotent, l’Argentine se devait, pour certains, de réajuster le tirpour retrouver un « accès normal au marché international des capitaux », condition sine qua non, selon l’auteur, pour que le pays puisse « financer ses grands projets d’infrastructure ». Il y parviendra partiellement en 2010 grâce à la mise en place du Fonds du Bicentenaire ayant permis « d’apurer la majeure partie de sa dette en défaut », Cristina Kirchner s’étant félicitée que cette opération « élimine la plus sévère restriction de l’économie argentine au cours des dernières décennies »[40].

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Dilma_Rousseff_e_Cristina_Kirchner_em_2015.jpg
Dilma Rousseff et Cristina Kirchner en juillet 2015. ©Wilsom Dias/Agência Brasil

 

Les épineux dossiers du kirchnérisme : la question extractiviste et la question agraire

 Mais les controverses ne s’arrêtent pas là, et certains auteurs sont allés plus avant dans la critique systémique de la politique des Kirchner. Pour la sociologue Maristella Svampa, « Le kirchnérisme n’a jamais signifié une rupture avec le néolibéralisme, bien qu’il se soit approprié le discours antilibéral »[41]. L’essence de sa critique repose sur ce point : l’antilibéralisme des Kirchner se manifeste de manière conjoncturelle, lorsque cela est nécessaire au vu de la situation (comme, par exemple, au cours du conflit agraire de 2008) mais n’est en aucun cas intrinsèque à leur projet, inclus de façon structurelle. En témoignent, selon elle, « les puissants liens existant entre les partisans du modèle libéral et les défenseurs du supposé modèle néodéveloppementiste »[42] dont se réclament les Kirchner. Pour Maristella Svampa, il y a beaucoup trop d’accointances entre les politiques du gouvernement et les intérêts des grands groupes : « Les grandes entreprises – nationales et transnationales – ne sont-elles pas les destinataires des subsides et des exemptions fiscales en tous genres ? », feint-elle de demander. Ou encore : « Quelle est la position des néolibéraux et des néodéveloppementistes à l’égard de l’exploitation des ressources naturelles ? »[43]

Sur ce dernier sujet, on trouve la polémique liée à l’extraction à grande échelle de minerais, caractérisée par le fait de dégrader l’environnement et de consommer des quantités d’eau et d’énergie considérables. En 2008, le veto de Cristina Kirchner à une loi visant à protéger les glaciers est l’une des preuves que le gouvernement, pour Maristella Svampa, cède toujours face aux grands lobbys miniers : « En raison de la réglementation mise en place dans les années 1990 – tout comme dans l’ensemble des pays latino-américains – l’État s’est retiré du secteur minier, pour en laisser le contrôle et la propriété exclusive aux grandes entreprises transnationales. Malgré le caractère scandaleux de cette réglementation, sa dérogation ou la réforme de la législation minière n’intègre pas le moins du monde l’agenda du gouvernement K »[44].

“En 2008 également éclate le conflit agraire, exténuante bataille législative, politique et médiatique qu’eut à conduire Cristina Kirchner contre les propriétaires latifundistes exploitant le soja transgénique.”

En 2008 également éclate le conflit agraire, exténuante bataille législative, politique et médiatique qu’eut à conduire Cristina Kirchner contre les propriétaires latifundistes exploitant le soja transgénique. Ces derniers, pourtant très favorisés par le gouvernement, s’offusquaient, en substance, de payer un impôt sur les exportations, jugé trop élevé. Pendant trois longs mois de lock out”, ils parasitèrent les accès à la capitale. Quoique Svampa distingue les enjeux de la question agraire de ceux de la question extractiviste[45], elle stigmatise le fait que « cela aurait pu être l’occasion de débattre des conséquences environnementales de l’extension de la frontière du soja et de l’utilisation des glyphosates […] Ce ne fut pas le cas ». Plus encore, « par rapport aux ressources naturelles, nous vivons en fait un net approfondissement du modèle [infléchi par le néolibéralisme des années 90] » dit-elle. Ce serait faire l’impasse sur ce que représente, économiquement, l’exploitation du soja en Argentine, poule aux œufs d’or de l’économie nationale et servant, in fine, une certaine redistribution des richesses. Si Svampa admet que « la mesure prise par le gouvernement consistant à augmenter les taxes aux exportations (retenciones) était fondée », le nœud du problème repose, pour elle, dans le fait d’avoir omis de « moduler le taux d’imposition en fonction des petits, moyens et grands producteurs ». Par ailleurs, précise-t-elle, « en réagissant avec une maladresse incroyable à la mobilisation des campagnes, le gouvernement ne fit qu’œuvrer à l’unification du camp des opposants »[46].

Pour la sociologue argentine, « L’alternative passe sans aucun doute par un projet beaucoup plus modeste, sans grand projet, minier ou autre, mais par des actions qui renforcent les économies régionales et qui sont compatibles avec la vie des populations. »[47] Pour elle, « il est absolument nécessaire que la population ait l’opportunité de dire que ce modèle de développement ne lui convient pas car il n’est pas compatible ».

De même – et ce n’est pas trop de le mentionner pour comprendre le versant social de sa critique – Maristella Svampa se montre très virulente à l’encontre des politiques kirchnéristes de « massification de l’aide sociale », perçues comme l’apanage d’un « clientélisme affectif » ayant contribué, selon elle, à un « renforcement des politiques d’assistance du modèle néo-libéral » dans le sens d’une « individualisation de la relation en ce qui concerne la contrepartie en travail », désarticulant par là même les « projets collectifs que développaient les organisation piqueteras »[48].

Kirchner, les classes moyennes et le “laisser-faire”

À l’approche d’une conclusion – qu’on laissera volontairement suspendue – Il serait difficile d’éviter la question des classes moyennes[49], pilier fragile de la bascule du kirchnérisme au macrisme. « Durant le XXème siècle, l’Argentine s’est singularisée en Amérique latine par l’importance de ses classes moyennes. La crise a eu raison de ce leadership »[50], écrit Charles Lancha. Or, lit-on dans un ouvrage argentin traitant de la question, « Le kirchnérisme a fortifié les classes moyennes typiques et a alimenté les basses classes moyennes »[51].

Si les chiffres doivent être manipulés avec précaution – comme le précise l’étude qui convoque, à l’appui, des statistiques assez précises – ils permettent néanmoins de penser « certains changements dans la culture des secteurs de la classe moyenne, alimentés par une affluence de personnes provenant de segments socioéconomiques plus précaires » durant l’ère Kirchner, et par là même de comprendre « la signification culturelle du kirchnérisme : une légère augmentation de la classe moyenne, avec ses corollaires contractions d’idéologies et de sensibilités » ayant produit un mouvement de « plaques tectoniques qui, en bougeant, génèrent quelques tremblements » ; tremblements à l’origine d’une confusion sur le fait d’y appartenir déjà – aux classes moyennes – ou d’en rêver encore ; tremblements générateurs de tensions, de désirs de distinction et d’aspirations ; tremblements, donc, à l’intérieur d’une même classe sociale et ayant préparé, ironie du sort, l’élection de Mauricio Macri (par ailleurs largement soutenu par les grands médias sans l’appui desquels sa victoire aurait été inespérée). C’est là, soit dit en passant, l’un des principaux reproches adressés aux Kirchner depuis l’opposition de gauche. Charles Lancha parle d’une « classe moyenne qui, sous le kirchnérisme, est passée, selon les données de la Banque Mondiale, de 9,3 à 18,3 millions de personnes. Paradoxalement, cette montée en puissance se retourne contre le pouvoir en place qui en est à l’origine »[52].

“Le péronisme, en populisme assumé, porte en grâce le portrait de ses leaders. Le couple Kirchner, comme un revival du tandem Perón, n’aura eu de cesse de mobiliser une imagerie partisane, très émotionnante, et parfois à raison, qui a creusé sur la fin le fossé entre les pour et les anti”

Retournement démocratique qui s’est doublé, en décembre 2017, d’un sinistre renouveau répressif… dangereusement irrépressible[53]. Tout à l’inverse, par sa bienveillance de principe pour la voix populaire et la liberté des corps, et au-delà de ce qu’elle a elle-même décidé de mettre ou non en place, la politique des Kirchner s’est illustrée par ce qu’elle a tacitement permis de faire éclore au sein de la société civile, dans la continuité des inventions et des expériences d’auto-gestion de 2002, comme en témoigne le metteur en scène Silvio Lang dans un article paru en décembre 2017 des suites de la répression par le gouvernement Macri : « Le kirchnérisme, par son élargissement des droits et son appui au consumérisme interne a produit, sans se le proposer, des potentialités débordantes, des existences dissidentes. Au-delà de la très contrôlée conduite kirchnériste, il y eut durant la décennie gagnéeun laisser-faire»[54].

Ainsi, et quel qu’en soit l’issue – virage à droite d’une partie de la classe moyenne ou approfondissement de ses convictions sociales – le kirchnérisme a favorisé un redéploiement des libertés, aux antipodes des politiques néolibérales qui s’accompagnaient et s’accompagnent désormais à nouveau de lois coercitives et normatives, d’un arsenal sécuritaire et de dispositifs répressifs des plus inquiétants.

Le péronisme, en populisme assumé, porte en grâce le portrait de ses leaders. Le couple Kirchner, comme un revival du tandem Perón (Juan Domingo et Eva, ou Evita), n’aura eu de cesse de mobiliser une imagerie partisane, très émotionnante, et parfois à raison, qui a creusé sur la fin le fossé entre les pour et les anti, enfonçant certains des plus farouches – détracteurs comme thuriféraires – dans le déni ou la bêtise. En témoigne le mantra Se robaron todo !” (Ils ont tout volé !”), répété en boucle à l’encontre des Kirchner par leurs adversaires, comme si cette seule incantation grégaire, appuyée par des arguments encore très discutés et discutables, eut suffi à effacer d’un coup d’un seul – magie des paroles performatives – douze années de gouvernement objectivement favorables aux classes moyennes et populaires et, dans la foulée, l’inculpation (sans appel, celle-ci) du Président Mauricio Macri dans l’affaire des Panama Papers.

Là où certains identifient tantôt du clientélisme, un discours bifide voire une tentative d’hégémonie culturelle[55], d’autres persistent à analyser les positions des gouvernements Kirchner à la lueur de leur tentative d’équilibrer capital et travail, avec ce que cela implique de terrains minés à défendre et d’embuscades en tous genres. Sans l’extractivisme, sans le soja transgénique et sans les concessions faites à maintes reprises aux tenanciers du capital, qu’en seraient-ils de la florissante économie argentine et de la poursuite de sa politique de justice sociale ? demanderont certains. Cela ne justifie en rien, de la part d’un gouvernement soi-disant antilibéral, l’épandage de mesures bien trop timidement sociales, dénuées de préoccupation écologique et incapables d’endiguer définitivement les excès du libéralisme, répondront les autres. Pour ne s’en tenir qu’aux débats entre progressisteset ” révolutionnaires”.

Reste à se souvenir que la radicalité des choix hétérodoxes vaut son pesant d’or. Et à s’exclamer ¡ Ojalá !” – cet intraduisible “Espérons !” ou “Souhaitons-nous !” latino-américain : souhaiter, donc, que le courage d’avoir poursuivi une telle politique pendant douze années, sous le feu des critiques et sur le fil ténu octroyé par la capricieuse conjoncture, puisse durablement affûter un agir politique par-delà les frontières.

Baptiste Mongis 


[1]https://www.monde-diplomatique.fr/2017/12/VIGNA/58174

[2]https://www.monde-diplomatique.fr/2018/02/CORREA/58392

[3]Voir : TADDEI Emilio, « Argentine. Fin de cycle kirchnériste et tournant néolibéral », in Mondes Émergements 2016 – 2017, Amérique Latine, La documentation française, Paris, 2016

[4]L’objectif étant de s’inscrire en chasse-fumées, à l’instar de nos collègues de l’Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine qui, il y a un an dans une tribune de Politis, avaient tiré le signal d’alarme quant aux récupérations politiques de la région sud-américaine durant la campagne présidentielle française : voir Politis, « Non, l’Amérique latine n’est pas un épouvantail politique », 20 avril 2017. https://www.politis.fr/articles/2017/04/non-lamerique-latine-nest-pas-un-epouvantail-politique-36743/.

[5]Dont quelques étapes significatives étaient retracées et illustrées dans le portfolio – prêtant au débat – proposé par Le Monde en 2013 : « Argentine : après dix ans de “kirchnérisme”, l’usure du pouvoir »

http://www.lemonde.fr/ameriques/portfolio/2013/10/27/argentine-apres-dix-ans-de-kirchnerisme-l-usure-du-pouvoir_3503256_3222.html

[6]Voir : http://www.ambito.com/814621-a-10-anos-del-rechazo-al-alca-en-mar-del-plata

[7]LANCHA Charles, L’Argentine des Kirchner (2003 – 2015). Une décennie gagnée ?, Paris, L’Harmattan, 2016, p.109

[8]Ibid., p.67

[9]Ibid., p.154

[10]SEOANE María, Argentina ; el siglo del progreso y la oscuridad (1900 – 2003), Barcelone, Crítica, 2004, p.199

[11]SUSANI Bruno, Le péronisme. De Perón à Kirchner. Une passion argentine, Paris, l’Harmattan, 2014, p.181

[12]Ibid., p.182

[13]MERKLEN Denis, Quartiers populaires, quartiers politiques, Paris, La Dispute/Snédit, 2009, p.108

[14]LANCHA Charles, op. cit., p.35

[15]Le Monde diplomatique, Manuel d’économie critique, hors-série, 2016, p.34

[16]« Keynes soutient que ce ne sont pas des salaires trop élevés qui découragent les entrepreneurs d’embaucher, mais les incertitudes qui planent quant à la perspective de vendre ce qu’ils s’apprêtent à produire », écrit encore Bruno Susani. Prenant comme caisse de résonance sa lecture de la conjoncture argentine, il précise : « Keynes […] a soutenu que dans le cas où il existe un chômage important, les décideurs doivent, d’abord, avoir recours à une hausse des dépenses publiques pour relancer la demande. Cette demande ne peut provenir que des secteurs sociaux de revenus bas et moyens et doit être stimulée par une redistribution des revenus et des aides publiques », puisque « les secteurs à haut revenu ne seront pas, et ne peuvent pas être, les moteurs de la reprise, car leurs dépenses en consommation, qui ne sont pas contraintes par leurs revenus, n’augmenteront pas ». In SUSANI Bruno, op. cit., pp. 191 – 193.

[17]LANCHA Charles, op. cit., p.24

[18]Libération, 26 septembre 2003. http://www.liberation.fr/futurs/2003/09/26/coup-de-force-argentin-face-au-fmi_446218

[19]Le Monde, 2 mars 2005. http://www.lemonde.fr/international/article/2005/03/02/le-president-nestor-kirchner-prononce-la-fin-du-moratoire-sur-la-dette-argentine_400030_3210.html. L’article précise : « Hors normes, la restructuration de la dette privée argentine l’est par son ampleur : 81 milliards de dollars, plus de 100 milliards si l’on prend en compte les intérêts de retard. Elle l’est également par la décote – 70 % ! – que Buenos Aires a réussi à imposer à ses créanciers ». À la même époque, les restructurations ayant eu cours dans d’autres pays n’excédaient jamais les 36 %.

[20]PRÉVÔT-SCHAPIRA Marie-France, « L’Argentine des Kirchner, dix ans après la crise », Problèmes d’Amérique latine, 2011/4 (N° 82), p. 5-11. DOI : 10.3917/pal.082.0005. URL : https://www.cairn.info/revue-problemes-d-amerique-latine-2011-4-page-5.htm

[21]LANCHA Charles, op. cit., p.37

[22]Ibid., pp.109-110

[23]Ibid., p.150

[24]Ibid., p.151

[25]Ibid., p.28

[26]SVAMPA Maristella, « Les frontières du gouvernement de Kirchner : entre le renforcement du passé et les aspirations au nouveau », Revue du tiers monde, Paris, juin-juillet 2007. http://www.maristellasvampa.net/archivos/ensayo39.pdf

[27]SUSANI Bruno, op. cit., p.183

[28]Voir notamment SCHORR Martin, « Argentina 1976 – 1983 : la economía política de la desindustrialización », in ROUGIER Marcelo (coord.), Estudios sobre la industria argentina 3, Lenguaje claro Editora, Buenos Aires, 2013

[29]SUSANI Bruno, op. cit., p.183

[30]LANCHA Charles, op. cit., p.22

[31]Ibid., p.24

[32]« Le Président Kirchner est d’autant plus à l’écoute de la protestation sociale qu’il se refuse à pratiquer une répression aveugle », écrit Lancha à ce propos, in Ibid., p.34

[33]LANCHA Charles, op. cit., p.130

[34]Ibid., p.137

[35]« Ni durant le gouvernement de Mr Kirchner, ni pendant celui de Mme Kirchner, il n’y eut de censure ni d’atteintes à la liberté de la presse, mais une vive controverse avec les médias […]. Finalement, le gouvernement envoya au Parlement un projet pour réformer la loi sur les médias qui datait du temps de la dictature militaire. Cette loi n’est qu’une loi anti-trust, dite des trois tiers, partageant en trois le paysage médiatique, un tiers pour le secteur privé, un tiers pour le service public, et un tiers pour les associations, syndicats, églises, ce qui n’empêcha pas pour autant la poursuite des controverses entre les grands groupes et le gouvernement. » in SUSANI Bruno, op. cit., p.224

[36]LANCHA Charles, op. cit., p.138

[37]SOLANAS Fernando E., Memoria del saqueo (2003). https://www.youtube.com/watch?v=2IW2KFerGzo

[38]LANCHA Charles, op. cit., p.106

[39]RIÈS Philippe, « Dette argentine : les banquiers français s’indignent », Mediapart, 12 septembre 2008

[40]LANCHA Charles, op. cit., p.107

[41]PRÉVÔT-SCHAPIRA Marie-France, SVAMPA Maristella. « L’Argentine des Kirchner. Entretien avec Maristella Svampa », in G. Couffignal. Amérique latine. Une Amérique latine toujours plus diverse, Mondes émergents, IHEAL/Documentation française, pp. 79-86, 2010

[42]Ibid.

[43]Ibid.

[44]Ibid.

[45]Alors que l’extractivisme est « un secteur de haute rentabilité qui profite à une minorité et qui ne génère pas d’activités intermédiaires, ni beaucoup d’emplois », le développement du soja transgénique est, pour sa part, avec ses 18 millions d’hectares (en 2010) et ses juteuses retombées pour le pays grâce à ses taxes à l’exportation, « un modèle assez complexe qui comprend petits, moyens et grands producteurs » (et ce, malgré l’accentuation de la concentration de son exploitation). De fait, il jouit d’une relative invulnérabilité : « Il est plus facile de mettre en question le modèle minier qui n’est pas installé dans les imaginaires alors que le modèle agraire est perçu comme la base de la réussite passée et à venir du pays. Personne ne peut penser l’Argentine sans production agraire. Alors qu’il est possible de penser une Argentine sans grands projets miniers. », in COMBES Maxime et CHAPELLE Sophie, « Déconstruire l’imaginaire extractiviste, entretien avec Maristella Svampa », Revue Mouvements, 28 octobre 2010. http://mouvements.info/deconstruire-limaginaire-extractiviste-entretien-avec-maristella-svampa/

[46]PRÉVÔT-SCHAPIRA Marie-France, SVAMPA Maristella. « L’Argentine des Kirchner. Entretien avec Maristella Svampa », op. cit.

[47]COMBES Maxime et CHAPELLE Sophie, « Déconstruire l’imaginaire extractiviste, entretien avec Maristella Svampa », Revue Mouvements, 28 octobre 2010. http://mouvements.info/deconstruire-limaginaire-extractiviste-entretien-avec-maristella-svampa/

[48]SVAMPA Maristella, « Les frontières du gouvernement Kirchner, entre aspiration au renouveau et consolidation de l’ancien », op. cit.

[49]Un débat tourne notamment autour du critère à partir duquel on peut les définir, le plus simple (et le plus discutable) étant de les situer grâce au salaire. En ce sens, et selon Charles Lacha, « La CEPAL considère comme faisant partie des classes moyennes toute personne disposant des revenus annuels entre 1100 et 10 000 dollars », in LANCHA Charles, op. cit., p.39

[50]LANCHA Charles, op. cit., p.39

[51]VANOLI Hernán, SEMÁN Pablo et TRÍMBOLI Javier, Que quiere la clase media ?, Le Monde Diplomatique, Capital Intelectual, Serie La media distancia, Buenos Aires, 2016, p.34

[52]LANCHA Charles, op. cit., p.141

[53]Voir notamment : https://www.youtube.com/watch?v=6k01FdM_1zk. Et :

http://www.revolutionpermanente.fr/Argentine-Enorme-repression-lors-de-la-manifestation-contre-la-reforme-des-retraites

http://www.revolutionpermanente.fr/Argentine-Les-images-de-la-brutale-repression-que-cachent-le-gouvernement-et-les-grands-medias

[54]LANG Silvio, « Diarios del odio, diario del macrismo », Lobo suelto !, décembre 2017. http://lobosuelto.com/?p=18449

[55]SARLO Beatriz, « Hegemonía cultural del kirchnerismo », La Nación, 4 mars 2011. https://www.lanacion.com.ar/1354629-hegemonia-cultural-del-kirchnerismo