Chevron contre l’Équateur : comment la multinationale a fini par vaincre les indigènes

Donald Moncayo © TeleSur

Le bras de fer durait depuis plus de vingt-cinq ans. D’un côté Chevron-Texaco, multinationale pétrolière implantée dans l’Amazonie équatorienne depuis les années 60, accusée d’avoir contaminé des sources d’eau potable. De l’autre, 30.000 indigènes exposés au pétrole de Chevron, “affectés” par les activités de celle-ci – décès, cancers, infections, malformations de naissance… La cour d’arbitrage internationale de la Haye a tranché : Chevron ne paiera de réparations ni aux victimes, ni à l’Équateur. Retour sur cet affrontement qui a marqué l’histoire récente de l’Amérique latine, et sur les causes de la victoire de Chevron – fruit d’une guerre médiatique, judiciaire et politique de plusieurs décennies.


“L’affaire Chevron-Texaco” remonte aux années 70, mais elle laisse des brûlures encore vives dans les villages à la lisière de l’Amazonie équatorienne. “Ma famille a été exposée à la pollution de Chevron-Texaco pendant quarante ans. Ma sœur est morte d’une leucémie en 1987. Mon père a consacré le reste de sa vie à dénoncer les activités de Chevron. Il est mort en 2013 ; il avait bu de l’eau contaminée par le pétrole pendant des années, et avait contracté de graves problèmes de santé“, témoigne Miguel, habitant d’un petit village situé à quelques kilomètres de la ville pétrolière de Lago Agrio, au Nord-Est de l’Équateur. Dans cette région, certains sont littéralement nés avec Chevron-Texaco. “J’ai grandi à deux cent mètres d’un forage pétrolier. Les colonnes de fumée s’élevaient si haut dans le ciel que par moments, pendant la journée, nous ne voyions plus le soleil“, rapporte Donald Moncayo ; militant depuis trente ans contre les actions de la multinationale, il est coordinateur de l’association “Union De Afectados Por Texaco” (UDAPT, “Union Des Affectés Par Texaco”).

Des installations pétrolières appartenant autrefois à Chevron-Texaco, aujourd’hui propriétés de l’entreprise d’État Petroamazonas © Vincent Ortiz pour LVSL

Les membres de l’UDAPT, basée à Lago Agrio, se souviennent de Chevron-Texaco comme d’un envahisseur venu perturber la vie des communautés indigènes locales – au nombre de six : Kichwas, Shuars, A’i Kofan, Siekopai, Waorani, Siona -. “Les indigènes de cette zone de l’Amazonie n’ont été conquis ni par les Incas, ni pas les Espagnols ; en revanche, ils ont été envahis par Chevron-Texaco“, ajoute Donald Moncayo.

Donald Moncayo, coordinateur de l’UDAPT © Vincent Ortiz pour LVSL

L’Equateur et le pétrole : la malédiction de “l’or noir”

Pour les gouvernements nationalistes des années 70, il s’agissait d’extraire le pétrole du sous-sol de l’Amazonie pour sortir l’Équateur du sous-développement. C’est dans cette perspective qu’ils ont encouragé l’exploitation de la forêt amazonienne, dirigée tantôt par des firmes privées – dont Texaco, alors indépendante de Chevron -, tantôt par des entreprises d’État. Dès les premières années, les associations représentant les communautés indigènes locales se font l’écho d’une série de plaintes : usurpation de territoires, expropriations, intimidations, mais aussi contamination des sources d’eau potable, pollution des airs… Celles-ci sont ignorées par les gouvernements successifs, n’y voyant que des obstacles à leur logique extractiviste.

“70 milliards de litres de matière pétrolière ont été déversés dans l’Amazonie”

L’histoire des relations entre Chevron-Texaco et le gouvernement équatorien est indissociable de l’histoire plus globale des relations entre l’Équateur et les multinationales pétrolières. Le pétrole était vu, au départ, comme une manne qui permettrait de financer programmes de développement et infrastructures. Cependant, le pouvoir croissant des multinationales pétrolières s’est avéré tel qu’elles ont peu à peu imposé à l’État équatorien une limitation drastique des contraintes qui pesaient sur elles : impôts, normes, planification étatique de l’exploitation… “L’or noir” était pensé comme un tremplin grâce auquel l’Équateur pourrait quitter son rang de pays exportateur de matières premières et peu industrialisé – un phénomène que l’on nomme généralement la “malédiction des matière premières”. Il est devenu, au fil des années, un facteur supplémentaire favorisant précisément cette “malédiction des matières premières”.

Portrait présidentiel de Jaime Roldos (1979-1981)

En 1981, le président équatorien Jaime Roldos soumet au Parlement un projet de loi visant à encadrer drastiquement les conditions d’exploitation du pétrole en Amazonie. Depuis son élection en 1979, Roldos n’avait eu de cesse de dénoncer le danger que représentaient les entreprises multinationales pour l’Équateur, et l’impunité dont elles bénéficiaient. Quelques semaines plus tard, il décède dans un mystérieux accident d’avion. Dès lors, l’asymétrie entre l’État équatorien et les multinationales pétrolières (Texaco et Shell), ne connaît plus de limites. L’Équateur subit dans les années 80 et 90 une série de thérapies de choc néolibérales qui consistent dans la privatisation des entreprises d’État, la baisse d’impôt sur les entreprises étrangères, l’abolition des barrières douanières ou encore la restriction du contrôle des capitaux. Plus les années passent, et plus le périmètre d’action de l’État se réduit – ainsi que l’autonomie de son processus de décision. Une note stratégique interne à Texaco, datant de la moitié des années 80, donne une idée de la nature des relations entre l’État équatorien et les multinationales : “nous allons instruire les nouveaux ministres de la situation économique de Texaco et continuer à user de notre influence au sein des plus hautes sphères du gouvernement afin d’en tirer les bénéfices nécessaires. Nous nous attendons à réussir raisonnablement bien…“.

C’est dans ce contexte de privatisation de l’État équatorien, de limitation de sa souveraineté et de soumission de son économie à la logique néolibérale, que les mouvements indigènes des provinces Succumbio y Orellanas, au Nord-Est de l’Équateur, parviennent enfin à faire aboutir une plainte contre Texaco à la Cour Fédérale de New-York, pour crimes environnementaux et sanitaires.

“Chevron-Texaco vs Ecuador I”

Depuis les années 60, en effet, des torrents de pétrole et de déchets toxiques avaient été déversés par Texaco dans l’Amazonie, se mêlant aux fleuves et sources d’eau potable des provinces de Succumbios et Orellana, les recouvrant d’une couche noire et luisante. Au total, ce sont plus de 70 milliards de litres de matière pétrolière qui ont été répandus en pleine nature selon l’ONG Acción Ecológica. Autre corollaire de l’extraction massive de pétrole : la diffusion de gaz toxiques dans l’atmosphère de la région, qui se sont répandus dans les nuages et ont modifié la composition de la pluie. “L’eau de la pluie et des fleuves est fondamentale pour les peuples indigènes. Nous n’avions aucun accès à l’eau potable“, témoigne Willian Lucitante, membre de l’UDAPT.

L’exposition combinée à un air insalubre et une eau riche des 2.000 molécules toxiques que contient le pétrole n’a pas laissé les populations locales indemnes. Une étude, conduite par les chercheurs Adolfo Maldonado et Alberto Narváez menée en 2003, réalisée sur 1.500 personnes, donne une idée de l’ampleur des effets de l’exploitation pétrolière sur les populations ; selon leurs travaux, 82% des personnes situées à moins de cinq cent mètres d’un puits de pétrole appartenant à Texaco (c’est-à-dire la grande majorité des habitants des provinces de Succumbios y Orellanas) ont été victimes d’une maladie provoquée par la pollution : complications respiratoires, infection oculaires, dysfonctionnements digestifs… Le taux de cancer des habitants de ces régions est trois fois plus important que la moyenne nationale. Le nombre d’enfants nés avec des difformités physiques et mentales y est également anormalement élevé.

Au total, ce sont 30.000 personnes qui auraient été “affectées” par Texaco (maladies, cancers, infections, malformations de naissance…). Les membres de l’UDAPT affirment que ces chiffres, généralement retenus, sont bien inférieurs à la réalité, dans la mesure où ils ne prennent en compte que les populations des provinces de Succumbios y Orellanas, les plus directement touchées par Texaco, mais non les seules. “Ce sont jusqu’à 200.000 personnes qui ont été “affectées” par Texaco en Equateur“, avance Donald Moncayo.

Willian Lucitante, membre de l’UDAPT ©Vincent Ortiz pour LVSL

Durant ses 28 ans d’exploitation pétrolière, Texaco n’a diffusé aucune information sur la dangerosité que représentait l’eau mêlée à de la matière pétrolière, ou l’air à proximité de ses forages.

Aux dommages physiques s’ajoutent le traumatisme psychologique dû à la destruction d’un habitant et d’un mode de vie parfois millénaires. “C’est dans la forêt que résident, depuis des millénaires, notre alimentation, nos plantes sacrées, nos plantes médicales, les terres que nous cultivons“, déclare Willian Lucitante. Il insiste sur la violence culturelle que représente la destruction de plantes et d’animaux pour les populations indigènes d’Amazonie, qui accordent au règne animal et végétal une valeur toute autre que celle qu’ils possèdent dans le monde occidental.

La plainte des “communautés affectées”, représentées par l’avocat Pablo Fajardo, aboutit en 1993 auprès de la Cour Fédérale de New-York. Un bras de fer judiciaire s’engage.

Carmen Zambrano, membre de l’UDAPT © Vincent Ortiz pour LVSL

Les années 90 voient la naissance d’un mouvement indigène de plus en plus puissant et structuré, qui gagne la sympathie d’une partie considérable de l’opinion équatorienne, jusqu’à devenir la force d’opposition la plus importante. C’est ainsi que les “communautés affectées” par Texaco sont parvenues à attirer l’attention du gouvernement équatorien de l’époque, et l’ont poussé à ouvrir une enquête sur les agissements de la multinationale en Équateur. La décennie 90 est aussi, on l’a vu, celle de l’acmé du processus néolibéral, qui avait réduit les prérogatives de l’État équatorien à portion congrue. Que pesait-il face à la gigantesque firme Texaco, qui se préparait à fusionner son capital avec celui de Chevron, devenant ainsi la quatrième multinationale pétrolière au monde ? Maniant la carotte et le bâton, les représentants de Chevron-Texaco pressuraient les responsables étatiques équatoriens, tandis qu’ils dépensaient plusieurs dizaines de millions de dollars en guise de réparation pour les dommages matériels causés – une somme jugée insignifiante par les “communautés affectées”. C’est donc sans surprises que le gouvernement de Jamil Mahuad (1998-2000) a rapidement conclu que les activités de Chevron-Texaco en Équateur n’avaient rien eu d’illégal. Cette décision a provoqué un grand désarroi au sein des mouvements indigènes, et donné l’impression d’une collusion entre l’État équatorien et les puissances économiques. “Je suis engagée dans la lutte contre Chevron-Texaco depuis trente-cinq ans. J’ai vu défiler de nombreux gouvernements. Pendant des années, aucune attention n’a été prêtée aux “communautés affectées”. L’État était de mèche avec Chevron“, témoigne Carmen Zambrano, membre de l’UDAPT.

“En 2000, Texaco fusionne avec Chevron, devenant ainsi la quatrième multinationale pétrolière du monde”

La cour Fédérale de New York, cependant, refusait d’absoudre si facilement Chevron-Texaco. La multinationale a donc fait pression sur les juges new-yorkais pour transposer l’affaire auprès de la justice équatorienne, jugée plus corruptible. Elle a fini par obtenir gain de cause.

Chevron, la “Révolution Citoyenne” et les victoires des communautés indigènes

Coup de théâtre : la justice équatorienne donne raison aux “communautés affectées”… et condamne Chevron à payer une amende de 9,5 milliards de dollars en 2012 – sous la forme de réparations matérielles pour les infrastructures, et symboliques pour les “affectés”. Existe-t-il un lien de cause à effet entre cette décision de justice et l’élection de Rafael Correa à la tête de l’Équateur en 2006, promoteur d’une “Révolution Citoyenne” dirigée contre la toute-puissance des multinationales ? C’est ce qu’affirment sans preuve les avocats de Chevron. C’est aussi ce que sous-entendent certains collaborateurs du gouvernement équatorien, sous couvert d’anonymat. C’est ce que démentent formellement, en revanche, aussi bien les partisans de l’ex-président Correa que les militants impliqués dans la lutte contre Chevron.

Quoi qu’il en soit, Chevron a pris prétexte de cette ingérence supposée pour attaquer en justice l’État équatorien et les plaignants auprès de plusieurs tribunaux internationaux, dont la cour d’arbitrage internationale de la Haye, réclamant l’abolition de la sentence. Pour appuyer son argumentaire, une série de traités bilatéraux d’investissements signés par le gouvernement équatorien durant la période néolibérale, et certaines clauses du droit international privé. La longue tradition de soumission de l’État équatorien aux multinationales augurait une capitulation rapide de l’Équateur. Seconde déconvenue pour Chevron : le gouvernement ne cédait pas. Au contraire, il dépensait des millions de dollars pour défendre sa cause à la Haye. Dans le même temps, le président Rafael Correa initiait une campagne médiatique intitulée “la mano sucia de Chevron” (la main sale de Chevron), consistant à dénoncer les dégâts matériels causés par la compagnie pétrolière en se rendant dans les puits de pétrole creusés dans les années 70, qui en étaient encore emplis.

Rafael Correa, le jour du lancement de la campagne “la mano sucia de Chevron”. © Telesur

La “Révolution citoyenne” initie donc une rupture profonde dans les relations entre l’État équatorien, Chevron et les “communautés affectées”. Si certains militants de l’UDAPT reprochent à Rafael Correa d’avoir “invisibilisé” leur lutte, ou même de l’avoir instrumentalisée afin de gonfler sa popularité, la majorité estime que c’est sous la “Révolution Citoyenne” qu’ils ont enfin été reconnus par l’État comme victimes des activités de Chevron, et sujets de droit.

Le manichéisme de la situation – 30.000 indigènes d’un pays de l’hémisphère Sud en lutte contre un géant pétrolier – a généré un vent de sympathie international en faveur des “communautés affectées”. Il fallait, pour Chevron, construire un récit médiatique alternatif.

La riposte de Chevron : le bloc juridico-médiatique mondial pour briser l’État équatorien

Il fallait inverser, dans la perception de l’opinion, la place du fort et du faible dans cet affrontement. Les responsables de Chevron ont fait appel à l’agence de communication états-unienne Singer Associates, dont ils ont facturé les services plusieurs millions de dollars. Une note interne à la multinationale intitulée “Ecuador communication strategy“, datant de 2008, révèle les dessous de sa stratégie de communication. Elle a pour but “d’améliorer la couverture médiatique de Chevron en Équateur afin de préserver sa réputation“, de sorte que l’opinion “questionne la légitimité des accusations des plaignants” et de l’État équatorien. Pour cela, le document suggère de présenter le gouvernement équatorien comme “autoritaire”, “menaçant pour la liberté d’expression“, et Rafael Correa comme un “homme à poigne menant l’Équateur vers la voie du socialisme“. Il conseille également de pointer du doigt les contrats signés par l’Équateur avec l’Iran et la Chine en termes d’armement et d’énergie, ainsi que les liens diplomatiques tissés avec la Russie, pour sous-entendre que Rafael Correa serait le responsable de la “prochaine crise des missiles de Cuba“.

“Les médias équatoriens ont reçu des financements massifs issus de Chevron”

On trouve dans ce document un condensé de l’argumentaire qui a été déployé par la grande majorité de la presse privée – équatorienne et internationale – contre le gouvernement de Rafael Correa pendant une décennie. “Les médias équatoriens ont reçu des financements massifs venant de Chevron durant les campagnes électorales, que ce soit via des publicités ou des lobbies. Ils m’ont moi-même invité à dîner !“, rapporte Orlando Perez, directeur du Telegrafo, le principal quotidien public sous le mandat de Rafael Correa.

Orlando Pérez, directeur du principal quotidien public sous la présidence de Rafael Correa, et auteur d’un livre sur Chevron. ©Vincent Ortiz pour LVSL

Dans ce récit, Chevron devient donc une entité “persécutée” par un gouvernement “socialiste“, “hostile aux entreprises” et “en collusion avec les plaignants” contre Chevron. Les tenants de cette stratégie ont ainsi tenté, avec une habileté certaine, de rejeter sur l’État équatorien les stigmates qui pesaient sur Chevron – autoritarisme, mépris des droits humains et de l’État de droit, corruption, proximité avec des gouvernements autoritaires…

Un certain nombre de sources (compilées dans le livre d’Orlando Perez El caso Chevron – la verdad no contamina) dénoncent l’existence de rencontres informelles entre les responsables de Chevron et les diplomates états-uniens. Des câbles de Wikileaks révèlent que lors de ces entrevues, les dirigeants de Chevron ont demandé, et obtenu, le soutien du gouvernement des États-Unis contre celui de l’Équateur. Ce soutien, cependant, ne s’est pas même avéré nécessaire ; “nous estimons que les litiges sont traités correctement par les tribunaux, et qu’une action directe du gouvernement des États-Unis n’est pas actuellement requise“, estime de manière prophétique Jefferson Brown en 2006, chargé d’affaire à l’Ambassade des États-Unis en Équateur – comme le révèle le câble 06QUITO705_a de Wikileaks.

C’est en effet via le tribunal international de la Haye que le coup de grâce a été porté aux “communautés affectées”. En septembre 2018, dans un contexte de retour en force de l’hégémonie néolibérale en Amérique latine, le tribunal d’arbitrage international de la Haye a fini par conclure à la culpabilité du gouvernement équatorien dans l’affaire Chevron. L’accusant d’avoir violé certaines clauses du traité bilatéral de protection des investissements signé avec les États-Unis (annulé sous la présidence de Rafael Correa), il frappe de nullité la sentence de la justice équatorienne, et condamne l’Équateur à verser une indemnité à Chevron. En parallèle le nouveau gouvernement équatorien, dirigé par Lénin Moreno, prenait une série de mesures pour absoudre Chevron de ses actions passées. Élu sur une plateforme de continuité avec la “Révolution Citoyenne” avec le soutien de Rafael Correa, Lénin Moreno a brutalement effectué un virage à 180° suite à son arrivée au pouvoir.

Une décision qui provoque l’ire des proches de Rafael Correa : “le gouvernement abandonne le combat contre l’entreprise responsable du plus grand écocide au monde !”, rage Orlando Perez. Il pointe du doigt les collusions entre le nouveau gouvernement et Chevron : “l’oncle du secrétaire personnel de Lénin Moreno est un avocat de Chevron !“. Les membres de l’UDAPT, de leur côté, sont partagés. Attachés à l’autonomie de leur combat par rapport à l’État équatorien, certains se montrent optimistes. Willian Lucitante estime que le combat juridique n’est pas perdu : “nous allons continuer auprès de la Cour Inter-américaine des Droits de l’Homme“, déclare-t-il, ajoutant que “si le droit, si les lois ne servent qu’à défendre les intérêts des puissants, elles sont des lettres mortes“.

On voit mal cependant comment la situation pourrait tourner, à court terme, en leur faveur. D’une part, le droit international n’offre aucune solution univoque au cas Chevron, dans la mesure où, selon qu’une Cour se base sur le droit international privé ou sur le Protocole de Kyoto, elle donnera raison à Chevron ou aux “communautés affectées”. D’autre part, même si la Cour inter-américaine des Droits de l’Homme donne tort à Chevron, on ne voit pas à l’aide de quelle force exécutive son verdict pourrait se matérialiser.

La force de frappe combinée des tribunaux d’arbitrage internationaux et des campagnes de presse internationales qui visent à délégitimer l’État équatorien semble avoir procuré une victoire durable à Chevron. Un bloc juridico-médiatique que l’on retrouve à échelle nationale, l’action conjointe du pouvoir juridique et du pouvoir médiatique travaillant à assassiner politiquement, en Équateur, les partisans de la “Révolution Citoyenne”.

William Lucitante a conscience des embûches qui se dressent sur son chemin, ainsi que du pouvoir considérable des entreprises multinationales sur les institutions internationales. Il compte sur une mobilisation populaire pour contraindre le gouvernement à se mettre au service des “communautés affectées” : “le gouvernement ne tire sa force que du peuple ; c’est le peuple qui nomme ses représentants, il peut les renvoyer“. Avant d’ajouter : “en Équateur, nous en avons l’habitude ; nous avons contraint trois présidents à quitter le pouvoir avant la fin de leur mandat !“[1].

[1] Les présidents Abdala Bucaram (1996-1997), Jamil Mahuad (1998-2000), et Lucio Gutiérrez (2003-2005) ont donné leur démission avant que leur mandat n’arrive à échéance, partiellement sous la pression de mouvements populaires massifs.

Pour aller plus loin :

– Orlando Perez : El caso Chevron – La verdad no contamina. Disponible en espagnol ici. Il s’agit de l’analyse d’un proche de Rafael Correa, favorable à la “Révolution Citoyenne” et à son action contre Chevron.

– L’étude d’Adolfo Maldonado et Alberto Narváez intitulée Ecuador ni es, ni será ya, país amazónico – Inventario de impactos petroleros, basée sur l’analyse des conditions sanitaires de 1.300 habitants des provinces de Succumbio y Orellana, est l’une des plus rigoureuses pour qui s’intéresse aux dommages causés par Chevron-Texaco dans l’Amazonie équatorienne. Disponible en espagnol ici.

– L’étude “Que Texaco limpie lo que ensucio” contient une batterie de détails techniques concernant l’activité de Chevron-Texaco en Amazonie. Disponible en espagnol ici.

– Le témoignage de John Perkins (Confessions of an economic hitman), agent américain repenti, permet de comprendre le contexte dans lequel Chevron-Texaco s’est implanté en Equateur et y a acquis un tel pouvoir. Le livre est disponible en anglais ici.

Crédits photos :

© Telesur pour la première photo et celle de Rafael Correa

© Le portrait de Jaime Roldos est dans le domaine public

© Vincent Ortiz pour les autres