Comment nous avons abandonné les personnels de santé

Grève des personnels de santé à Rennes. © Vincent Dain

Ils étaient nombreux, depuis un an, à manifester leur colère face à un gouvernement accusé de mettre en péril l’hôpital public. Tous les moyens étaient bons pour interpeller l’État : jets de blouses, démissions en cascade, grève de codage. Sur l’ensemble du territoire français, les personnels de santé prenaient possession de leur espace de travail pour y graver leur désarroi :  « On coule » ; « Urgences en grève ». Le sentiment de détresse est profond, favorisé par quinze années de conversion forcée au néolibéralisme. Aujourd’hui, pris dans le tumulte d’une épidémie qui frappe par sa virulence, les soignants font bloc, en mettant de côté animosité et amertume, au nom du fameux sens du sacrifice dont le gouvernement se délecte. Mais le soutien de ce dernier semble arriver bien tard. 


L’épidémie actuelle révèle la condition et l’état des personnels de santé. Cette dynamique n’a pas commencé aujourd’hui : au contraire, le mal-être est profond, installé depuis des années. Les enquêtes se succèdent et dressent une interminable liste de maux qui frappent tout le personnel hospitalier. Elles soulignent la tendance croissante au travail empêché, à l’incivilité des patients, à la surcharge de travail. Un grand nombre de soignants se dit épuisé, assume dormir peu. Si les personnels de santé sont très souvent exposés au burn-out, les cas de suicide sont de plus en plus communs, ce qui illustre un désarroi et une détresse sans commune mesure. Ainsi, un quart des soignants a déjà eu des idées suicidaires au cours de leur carrière, lié à leur activité professionnelle. Le système hospitalier semble peser lourdement sur les soignants : la charge physique, psychologique et émotionnelle du travail y est plus élevée qu’ailleurs. Selon Hervé, infirmier en réanimation exerçant dans le Sud : « On gère des situations qui ne sont pas faciles, on travaille beaucoup avec la mort. Quand on s’occupe de quelqu’un entre 18 et 20 ans et qu’il se retrouve à mourir au bout de 24h parce qu’il a une leucémie foudroyante, cela choque oui. »  Il ne faudrait toutefois pas se méprendre sur les cause de ce mal-être au travail : les causes sont plurielles et en grande partie liées à une certaine logique de management.

Le système hospitalier semble peser lourdement sur les soignants :  la charge physique, psychologique et émotionnelle du travail y est élevée plus qu’ailleurs.

Alors que le mal-être s’ancre dans la durée, l’hôpital public est toujours aussi dépourvu de moyens matériels et humains. Certains établissements sont dans un état de délabrement prononcé. Pour Corentin, infirmier en Charente-Maritime : « Les chambres sont en piteux état et la peinture s’effrite. » Le manque de matériel est aussi souligné : « Le bladder scan est souvent en panne. De sortes que nous sommes obligés de nous le partager, notamment entre certaines unités, mais aussi avec les soins intensifs. » D’éminents professeurs s’inquiètent aussi, comme nous le rappelle Hervé : « L’exemple des boîtes opératoires est hallucinant. Souvent, certaines sont à moitié vide, ce qui pose d’énormes problèmes. À présent, des professeurs qui rapportent plus de 700 000 euros par semaine tout de même, demandent plus de moyens. » Ce que confirme le sociologue Pierre- André Juven, contacté par LVSL qui, reprenant les plaintes des collectifs-urgences et inter-hôpitaux, affirme qu’il existe « un manque de matériel, par exemple des pieds de perfusions et de brancards cassés ». Selon lui, « l’hôpital public accueille de plus en plus de patients et les autres structures de santé – la médecine de ville en l’occurrence – ne sont pas actuellement en capacité de décharger l’hôpital de son activité. » Pour preuve, le nombre de passage aux urgences a explosé de 10 à 21 millions par an en l’espace de vingt ans.

Le soin rongé par le néolibéralisme

Les injonctions liées à la performance sont la cause directe de ce sentiment de détresse, ainsi que du manque de moyens alloués. Dès les années 2000, les élites modernisatrices introduisent au cœur des missions de service public l’impératif de performance financière et de rentabilité. Cette décennie constitue un véritable laboratoire visant à marchandiser le soin et à privatiser les hôpitaux. Selon le méta-langage en vigueur, il convient de réorganiser le système de santé français, mais aussi de le remettre à l’équilibre. De pareilles injonctions sont venues ajouter de la pression à une institution qui, vraisemblablement, n’en avait guère besoin. Les dispositifs se sont alors multipliés, se révélant tous inadaptés. La tarification à l’activité ou T2A ne cesse depuis sa création de conduire les hôpitaux vers la faillite. Pour Pierre-André Juven, avec cet outil d’allocation des ressources, « on fait rentrer les établissements de santé dans une logique de la rentabilité, au sens où on leur dit que vos recettes vont dépendre de votre volume d’activité et de votre capacité à produire de façon rentable le soin ». Hervé, infirmier en réanimation, illustre cette logique par l’exemple suivant : « Aujourd’hui, avec la tarification à l’activité, en réanimation, il est préférable qu’on ait un patient intubé, ventilé, avec des grosses plaies sur lesquelles on fera des pansements, que l’on pourra chiffrer, qu’un patient qui va mieux. Dans le cas où il va mieux, il faut le faire sortir, au risque que son état se dégrade. » Les vertus d’un hôpital-entreprise, vantées par quelques managers, se révèlent absurdes : « À présent, on est obligé de faire un maximum de soins, quitte à tricher. On gère les soins comme une entreprise. Cela ne devrait pas être le cas. Les gens payent pour avoir un tel système de santé. »

Dans le même temps, la rationalisation de l’organisation hospitalière est apparue comme l’objectif principal à atteindre. La non-compensation des départs à la retraite et la multiplication des postes vacants sont devenues la norme. Pourtant, la productivité augmente continuellement, ce qui fait écho à la surcharge de travail dont souffrent les soignants. Pour preuve, Pierre-André Juven remarque qu’entre 2010 et 2017, celle-ci a augmenté de 14 % alors que les effectifs ont crû de seulement 2 %. Les moyens n’augmentent également guère, comme le témoigne la diminution constante du nombre de lits. Selon le Quotidien des médecins : « En 2017, les établissements de santé étaient déjà passés sous la barre symbolique des 400 000 lits d’hospitalisation à temps complet, soit 69 000 lits de moins qu’en 2003 et même 100 000 lits supprimés en une vingtaine d’années ! » Selon l’OCDE, la France disposait en 2018 de seulement 3,1 lits d’hôpitaux en soins intensifs pour mille habitants, soit un peu plus de 200 000 lits pour une population de 67 millions, classant la France au 19e rang sur 35 pays. 

Dès les années 2000, les élites modernisatrices introduisent au coeur des missions de service public l’impératif de performance financière et de rentabilité. 

De façon générale, les budgets dédiés aux hôpitaux publics n’ont eu de cesse de baisser. Comme le rappelle Romaric Godin, l’objectif national de croissance des dépenses d’assurance-maladie (Ondam) est établi sous les 3 % par an, alors qu’entre 2002 et 2009, il était toujours au-dessus de ce niveau. Les années passent, et ces dépenses augmentent, notamment à cause du vieillissement de la population. Pour Romaric Godin pourtant « les moyens disponibles représentent depuis dix ans entre la moitié et les deux tiers des besoins ».

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L’Hôpital de l’Hôtel-Dieu en grève à Paris en France.

Aujourd’hui, les praticiens désertent l’hôpital public, ce que souligne Hervé : « Je touche 1650 euros en tant qu’infirmier. Quand on fait des nuits, on est seulement payé un euro de plus de l’heure. Les praticiens hospitaliers eux, touchent 2200 euros. C’est pour cela que personne ne veut venir. Les infirmiers libéraux, eux gagnent entre 5000 € et 6000 €. Alors, si demain je te propose, soit de gagner cette somme, d’être ton propre patron, de choisir tes horaires, ou soit de travailler dans le secteur public et de toucher 1600 euros, tu choisis quoi ? ». Le salaire est donc la pomme de discorde ultime face à un gouvernement qui fait la sourde oreille à toutes les revendications des soignants. Hervé renchérit : « Un infirmier qui commence est à 1600 euros, une aide-soignante à 1400 euros. Les ASH, elles sont au SMIC, et travaillent dans des conditions déplorables. Là on en a marre ». Candice, aide-soignante à Paris, est l’exemple parfait de ce ras-le-bol, de ce désenchantement pour le public, qui s’en est échappée pour aller vers d’autres horizons. « L’hôpital public, j’ai décidé de le quitter. Il fallait à tout prix faire du chiffre, peu importe le personnel, sucrer des jours de repos pour que le service tourne, certains médecins trouvaient que l’on se plaignaient trop et ne prenaient pas en compte nos détresses. » À la lumière de ces propos, on peut imaginer la sidération des soignants en écoutant le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, déclarant : « La meilleure prime qu’on peut donner aux soignants, c’est de respecter les gestes sanitaires, de ne pas faire la fête, de ne pas sortir, de ne pas encombrer inutilement la médecine de ville et les urgences ». Ces propos, qui témoignent d’une véritable déconnexion vis-à-vis de la réalité de terrain, sont aussi le signe du mépris de l’exécutif pour les conditions de travail du personnel hospitalier. Dans la même veine, Emmanuel Macron a même reconnu, mercredi 25 mars que : « Nos soignants, qui se battent aujourd’hui pour sauver des vies, se sont battus, souvent, pour sauver l’hôpital ». Ces propos, proprement surréalistes, gagnent en absurdité lorsqu’on les met en regard avec l’inaction criante du gouvernement pour sauver l’hôpital public.

Les inégalités de genre dans un hôpital en crise

Certaines professions de la santé, aides soignantes, agents de services hospitaliers,  majoritairement féminines, se caractérisent par des conditions de travail déplorables. Ces femmes manipulent des charges lourdes et exercent des mouvements souvent douloureux et harassants. Pour Candice, le sentiment d’être inférieure en tant qu’aide-soignante est aussi prégnant. « Nous n’avons pas les même parcours que les autres, autant d’années d’études au compteur, ni les mêmes responsabilités. Cependant on a tous besoin des uns des autres pour qu’un service fonctionne, on joue tous un rôle essentiel dans la bonne prise en charge des patients. Ils font certes parfois plus d’heures mais la pénibilité du métier nous revient quand même à nous, les infirmières et aide-soignantes. Je pense que notre voix à nous importe peu, tandis que celle des médecins seraient sans doute plus prise en compte. »

La question des hiérarchies sociales et genrées mine ainsi le monde de l’hôpital. Si les médecins hospitaliers sont à présent majoritairement des femmes, la domination masculine reste encore la norme. Les auteurs du livre La casse du siècle font ainsi ce constat : « L’hôpital est un lieu où la sociologie des professions répond à un ordre économique et social bien défini. La grande majorité des médecins et des chirurgiens sont des hommes, avec de bons salaires, quand la très grande majorité des infirmières et des aides-soignantes sont des femmes, mal payées. Les tribunes récentes dénonçant le sexisme et le harcèlement sexuel à l’hôpital ne témoignent pas uniquement d’agissements individuels, elles sont la marque d’une domination genrée systémique, en grande partie due au pouvoir étendu des hommes médecins et le plus souvent couverte par les directions redoutant de voir l’image de leur hôpital ternie ». De la faible part de femmes dans les postes PU-PH (professeurs de médecine) à l’impossibilité de remplacer les congés maternité, il reste encore un long chemin à parcourir avant de parvenir à bousculer cet ordre établi.

Les dernières heures de l’hôpital public ?

Tout semble avoir de nouveau vacillé pour les soignants en cette période d’épidémie. Alors que les personnels de santé pilotent une machine à bout de souffle, le coronavirus frappe  de plein fouet certaines régions, dont le Grand-Est mais aussi l’Île-de-France, qui peinent à prendre en charge des patients qui abondent chaque jour. Marc Noizet, médecin dans le Grand-Est, relate ces difficultés au micro de France Culture : « C’est vraiment une déferlante continue. À chaque instant, il faut essayer de réinventer comment on va trouver des lits, comment il faut réorganiser nos unités, comment est-ce qu’on peut trouver du personnel, comment on peut trouver du matériel ». À Paris, les établissements de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) subissent eux aussi brutalement l’épidémie. Pour faire face à cette dernière, il a été décidé de déprogrammer les activités de chirurgie, d’amarrer de nouveaux lits de réanimation, de former de nouveaux infirmiers. Seuls des moyens humains et matériels conséquents pourront permettre aux personnels de santé de sortir de cette crise. Hervé et ses pairs le savent plus que jamais, et dans le Sud, on se tient prêt : « Mon service de réanimation est la première ligne du département. Le moindre patient qui est réanimatoire dans le département doit être hospitalisé dans notre service. À présent, c’est plus compliqué, il n’y a bientôt plus de places. Les patients vont devoir aller dans des autres services de réanimation, situés dans des hôpitaux périphériques. Une fois toutes ces options épuisées, on devra ouvrir les blocs opératoires mais aussi les monter en chambre de réanimation. C’est déjà ce qui se passe dans le Grand-Est ».

Pour les hôpitaux saturés du Grand-Est, des “hôpitaux de campagne” installés par l’armée sur le parking des CHU © Capture d’écran : France 24

Ces mêmes moyens divergent d’établissements en établissements, de régions en régions. Hervé souligne ainsi les efforts, tardifs tout de même, de la direction pour donner aux personnels les moyens de faire leur travail. « Dans l’hôpital où j’exerce, on a assez de matériels pour pouvoir prévoir la crise. Au contraire, on est même soulagé, la direction et l’hôpital mettent les moyens qu’il faut quand il s’agit de nous aider à gérer la crise ». Toutefois, selon lui : « Tout ça, on aurait pu le prévoir avant. Normalement, tous les moyens que l’on demande maintenant, ça aurait du être prévu depuis longtemps, en amont. »  S’il exerce dans un CHU, ils n’oublie pas pour autant ses collègues des plus petits hôpitaux. « Pour les hôpitaux périphériques du groupement hospitalier de territoire, c’est différent. Ils n’ont ni assez de masques, ni assez de gants. C’est très compliqué ». Pour Didier, brancardier exerçant dans un hôpital public de proximité dans le Var, les moyens manquent encore cruellement : « On nous demande de faire plus, mais avec aussi peu de moyens qu’auparavant. Les cadres nous demandent de revenir sur nos congés, de remplacer les arrêts maladie. C’était déjà le cas, mais encore plus en ce moment. Nous manquons de masques, de protections, de blouses. Nous travaillons avec le strict minimum et les protocoles de soins mis en place sont faits avec ce strict minimum ».

L’épisode des masques est révélateur d’un État qui n’agit plus qu’à travers un prisme : celui de la réduction de la dépense publique, au mépris de la santé publique. Alors que le 25 février, le ministre de la Santé, Olivier Véran, assurait que le gouvernement préparait l’arrivée du virus et même, qu’il anticipait les choses, peu de temps après, le 3 mars, sur France 2, l’ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn, déclarait à son tour travailler à avoir des « stocks de masques à faire des commandes », mais aussi à « vérifier que les services de réanimation avaient le nombre de machines suffisants ». Aujourd’hui pourtant, dans certaines régions et pour certaines professions, la pénurie de masques est criante. Pire, on constate désormais la contamination de milliers de soignants. Maxime, urgentiste, rappelle quant à lui que certaines professions, souvent oubliées, sont plus touchées que d’autres. Les ambulanciers, notamment, tous comme les médecins libéraux, en particulier SOS Médecins, pâtissent du manque de réactivité des pouvoirs publics. 

L’épisode des masques est révélateur d’un État qui n’agit plus qu’à travers un prisme : celui de la réduction de la dépense publique, au mépris de la santé publique.

Finalement, l’État s’est peu à peu désengagé, se retrouvant dans une position peu confortable à l’égard de ses citoyens. D’où les dérobades et autres déclarations hasardeuses et maladroites. Le gouvernement, à rebours des recommandations de certains rapports gouvernementaux ou de l’OMS, affirme que le masque ne sert à rien pour la majorité de la population. Ce que résume ainsi Arnaud Mercier : « Les autorités placent aussi de nombreux travailleurs et leurs employeurs face à une injonction contradictoire : « nous vous demandons d’aller travailler » mais « nous ne pouvons pas vous fournir les moyens garantissant votre protection minimale ». Aujourd’hui, l’État, supposé protéger, poussé dans son obsession de la dépense publique, affirme ne plus vouloir stocker, pour ne pas dépenser plus. Le principe comptable a suppléé à celui de la précaution, conclut le professeur à l’Université Panthéon-Assas. 

Pendant ce temps, la virulence de l’épidémie marque les corps et les esprits. Les soignants sont exténués et certains doivent effectuer des réanimations longues et lourdes. Pour nombre d’entre eux, des décisions éthiques devront être prises bientôt, lorsqu’il faudra choisir entre certains patients. La sidération aussi domine, au regard de l’impuissance qu’ils expriment devant des patients, parfois jeunes, dont l’état de santé se détériore à une vitesse extrême. Beaucoup affirment n’avoir jamais vu ça, même parmi les plus expérimentés. Si parfois, ils avaient l’impression d’être dépassés, cette fois-ci, ce sentiment domine pour de bon. Le virus agira comme un souvenir indélébile et marquera pour longtemps la communauté des soignants. 

Heureusement, au cœur de cette situation désespérée, les personnels de santé font bloc. « Pour le moment, tout le monde se soutient. Quand certains craquent, on essaie de prendre le relais. Les coups durs, c’est lorsque le personnel est touché, comme aujourd’hui ou deux soignants ont été testés positifs », affirme Didier. Vanessa, elle aussi, loue cet esprit de solidarité : « Des retraités appellent pour revenir à l’hôpital, des praticiens du privé aussi. On fait front commun. » Lorsque le spectre de la mort n’est jamais loin, la solidarité reste un rempart salutaire. « La solidarité que l’on constate au sein de nos équipes, au sein de notre établissement, et avec toute la périphérie, la médecine de ville, y compris l’hospitalisation privée, est exceptionnelle : il y a des solidarités qui se sont créées qui n’ont jamais existé jusqu’ici, et qui permettent de tenir » estime Marc Noizet. 

Le virus agira comme un souvenir indélébile et marquera pour longtemps la communauté des soignants. 

Derrière la tragédie en cours, revient sans cesse en toile de fond une question : comment avons-nous pu abandonner les personnels de santé ? Jadis, les professions de la santé étaient respectées en raison des missions qui leur étaient confiées : l’accueil du citoyen, le soulagement du patient, le combat contre la maladie et la mort. L’hôpital apparaissait en quelque sorte comme la plus noble incarnation de la République, accueillant tous les citoyens, sans aucune différence, pour leur prodiguer le meilleur soin possible. La rentabilité était un mot inconnu, le profit un blasphème inconcevable.  

Denis, brancardier, s’indigne : « Comment peut-on dire que nous avons le meilleur système de santé du monde ? C’est dramatique de se rendre compte que nous sommes si démunis ». Hervé lui s’agace non pas de la gestion dévastatrice des gouvernements précédents, mais de l’attitude apathique d’une population anesthésiée par le langage adoucisseur des élites administratives et managériales : « On est reconnu en ce moment, mais demain, les héros que nous sommes seront dans la rue, et peut être même, à la rue  ».

Pour aller plus loin, lectures conseillées :

Fanny Vincent, Pierre-André Juven, Frédéric Pierru, La casse du siècle. A propos des réformes de l’hôpital public, Raisons d’agir, 2019.

Stéphane Velut, Hôpital, une nouvelle industrie, Gallimard, 2020.